Le Courrier de la Transplantation - Volume V - n
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4 - oct.-nov.-déc. 2005
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U
n sujet particulièrement délicat dans
le domaine de la transplantation,
comme dans d’autres domaines mé-
dicaux, est l’importance des différences eth-
niques. Ce thème est systématiquement pris en
compte outre-Atlantique, mais la France et les
autres pays d’Europe ne sont pas à l’écart de
cette problématique en raison de la globalisa-
tion, y compris démographique, de notre pla-
nète, en particulier lorsque l’actualité nous rap-
pelle régulièrement le débat entre particularis-
me et communautarisme. Le XX
e
siècle a été
marqué par les pires exactions commises au
nom de la race, mais il a aussi été celui de la
prise de conscience des particularités ethni-
ques, associée à un retour identitaire.
Afin de clarifier quelques notions, il convient
tout d’abord de proposer des définitions aux
différents termes utilisés. Les différences inter-
ethniques peuvent se résumer comme prove-
nant de disparités “raciales”, que nous aborde-
rons sous l’angle génétique ou “socio-écono-
mique”. Le terme de “race”, longtemps
employé, est le plus difficile à utiliser en raison
de l’histoire du XX
e
siècle. Cependant, il est
central et peut se définir comme la distinction
au sein de l’humanité de groupes d’individus
présentant des caractéristiques communes. Il
s’agit, le plus souvent, de caractéristiques phy-
siques, mais la “race” peut se définir plus lar-
gement par la filiation d’ancêtres communs. Le
terme “ethnie” est plus souvent utilisé que le
terme de “race”. Tout d’abord, prosaïquement,
ethnie est souvent le terme “politiquement cor-
rect” employé pour parler de “race”. Mais la
notion ethnique est plus vaste, puisqu’elle fait
intervenir à la fois les éventuelles caractéris-
tiques génétiques et socio-économiques, voire
une autre dimension, telle que le passé culturel
commun d’un groupe humain. La réalité de la
dimension raciale des différences ethniques est
celle qui a fait l’objet des plus grandes interro-
gations depuis quelques années. En effet, la
génétique moderne, qui s’intéresse à un grand
nombre de gènes (la génomique), a profondé-
ment modifié les fondements scientifiques de
ces différences. Avec la prise de conscience que
Influence des différences ethniques
en transplantation
* Service de transplantation rénale et soins intensifs, hôpi-
tal Necker, 75015 Paris.
N. Pallet*, E. Thervet*
E pluribus, unum (“De plusieurs, un seul” - Devise des États-Unis d’Amérique)
In varietate concordia (“Unis dans la diversité” - Devise de l’Union européenne)
Diversité et unité
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l’ethnie est le résultat d’un mariage entre les
influences sociales et biologiques, il a été sug-
géré que la génomique pouvait offrir l’opportu-
nité de transformer cette “intuition” en une réa-
lité par la réalisation d’un test objectif. Il existe
cependant des limites médicales et éthiques à
cette approche. Un individu – et plus encore un
groupe d’individus – résulte du mélange d’un
grand nombre de gènes. Seule une approche
statistique rigoureuse peut permettre la caracté-
risation d’une population spécifique. Chaque
étape de cette caractérisation doit être validée.
La première étape, et non la moindre, est la
définition phénotypique de la population. Cela
n’est pas évident, à l’exception de groupes de
populations présentant un faible mélange inter-
ethnique, tels que les Esquimaux ou les Amish
d’Amérique du Nord, par exemple. Une fois les
populations phénotypiques définies, des puces
à ADN pangénomiques peuvent être utilisées
pour regrouper (cluster) des profils “géné-
tiques” plus souvent rencontrés dans une popu-
lation. Un des écueils sera la définition des
limites acceptables de variabilité pour attribuer
à un individu une appartenance à un groupe
“racial” donné. Lire ces lignes explique la dif-
ficulté de cette étape, cependant essentielle à
toute approche scientifique de la problématique
traitée dans cet article. Une autre approche,
plus ciblée, pourrait consister à étudier
quelques gènes de susceptibilité à une maladie,
ou le métabolisme d’un traitement donné. Cette
dernière approche est le premier pas vers l’eth-
nopharmacologie, terme probablement mal
choisi puisqu’il ne s’agit ici que de différences
génétiques. Des études ont montré des diffé-
rences significatives entre les populations en ce
qui concerne les polymorphismes de gènes
codant pour les enzymes du métabolisme des
xénobiotiques, pour des transporteurs ou don-
nant une réponse spécifique à un traitement.
Cette approche est extrêmement développée
aux États-Unis. Pour la première fois, un traite-
ment utilisé dans le cadre de l’insuffisance car-
diaque vient de recevoir une autorisation de
mise sur le marché spécifique pour un groupe
ethnique : les Afro-Américains. Cette
démarche précoce nord-américaine n’est pas
innocente. En effet, c’est dans une optique
anglo-saxonne que le lobbying des minorités
ethniques d’un côté, et de l’industrie pharma-
ceutique de l’autre, a porté à son point culmi-
nant la volonté de pointer des différences quali-
fiées de “raciales”. Le biais majeur d’interpré-
tation tient à ce que les différences observées
entre les groupes concernant l’expression d’une
maladie et/ou les réponses à un traitement ne
sont pas exclusivement d’origine génétique.
LA PLACE DE L’ORIGINE ETHNIQUE
EN TRANSPLANTATION
C’est dans ce contexte que l’exemple de la
transplantation prend toute son acuité. Si la
transplantation rénale est le meilleur traitement
de l’insuffisance rénale chronique parvenue à
son stade terminal, de nombreuses études ont
montré que les receveurs afro-américains pré-
sentent une moins bonne survie du greffon à
court et à long terme après transplantation. Si
l’évolution au cours des années a permis une
amélioration globale des résultats, la différence
interethnique est toujours restée présente. Les
explications évoquées sont nombreuses. Il a
été montré que l’accès à la transplantation,
comme d’ailleurs aux autres techniques de
prise en charge de l’insuffisance rénale chro-
nique, est plus difficile pour les Afro-
Américains que pour les Caucasiens. Le rôle
des spécificités HLA et de la moindre compa-
tibilité a aussi été évoqué. Les variations de la
réponse au traitement (pharmacogénomique
des récepteurs) ou du métabolisme des traite-
ments (pharmacogénomique des enzymes du
métabolisme) pourraient expliquer une partie
de ces résultats. Enfin, les facteurs socio-éco-
nomiques se confondent vraisemblablement
puisqu’ils participent par essence à la défini-
tion de la différence ethnique. La démonstra-
tion du rôle respectif de ces facteurs n’est pas
facile dans un contexte nord-américain,
puisque toutes ces différences demeurent pré-
sentes et intriquées. Le contexte français est
tout autre, même si, en raison de notre histoire,
une population d’origine africaine représente
une fraction non négligeable des patients trans-
plantés dans notre pays. En effet, la France des
départements et territoires d’outre-mer a été
une terre d’exil des Africains emmenés contre
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leur gré durant la période de la traite des Noirs.
Leurs descendants présentent, comme les
Afro-Américains, une origine ethnique métis-
sée. En revanche, ils bénéficient en France, en
cas de transplantation rénale, d’une prise en
charge identique à celle des patients d’origine
caucasienne. De plus, en raison des flux migra-
toires plus récents, le programme français de
transplantation est aussi accessible à la popula-
tion de première génération directement issue
de l’immigration, c’est-à-dire avec un fond
génétique d’Afrique subsaharienne non modi-
fié. Puisque tous les groupes ethniques dispo-
sent des mêmes règles de distribution des
organes, d’accès aux soins et de prise en char-
ge des traitements immunosuppresseurs sur le
long terme, notre étude, en cours de publica-
tion dans l’American Journal of Transplan-
tation (AJT),s’est libérée des facteurs de rem-
boursement des soins. Nous avons montré que
la survie des patients et des greffons est iden-
tique en France pour les patients d’origine cau-
casienne, d’origine africaine directe ou prove-
nant de l’outre-mer. L’absence de différences
entre ces deux dernières populations plaide
encore plus pour l’absence de facteur “racial”,
puisqu’un effet “dose de gène”, même discret,
aurait pu être détecté. Nos résultats démontrent
donc que les différences raciales ne modifient
pas de façon significative le devenir après
transplantation rénale. Des facteurs immunolo-
giques et/ou pharmacologiques ne peuvent par
conséquent pas être tenus pour responsables
des différences observées en Amérique du
Nord. De plus, puisque les catégories socio-
professionnelles ne sont pas significativement
différentes entre les patients afro-américains et
ceux d’origine africaine résidant en France, il
est peu probable que la différence soit liée à
des revenus différents ou à des variations eth-
niques du suivi thérapeutique. La seule diffé-
rence qui peut être constatée porte sur la cou-
verture universelle des soins médicaux, y com-
pris des traitements souvent onéreux, qui exis-
te en France et non en Amérique du Nord. Ces
conclusions ont été acceptées par les éditeurs
de l’AJT. Leur prise en compte de ces données
pourrait améliorer la prise en charge de cette
population spécifique de patients transplantés
en Amérique du Nord.
CONCLUSION
La transplantation d’organe a souvent été
prise comme une démonstration des diffé-
rences ethniques existant pour le traitement
d’une pathologie lourde. Cependant, une ana-
lyse plus fine permet de démontrer que le
tableau est beaucoup plus complexe, et que
les facteurs relevant du modèle social du pays
considéré pourraient être primordiaux dans
cette thèse. Nous savons, en transplantation
comme ailleurs, combien la prise en compte
de ces spécificités sociétales est importante.
Ce qui unit les individus de différentes ori-
gines génétiques ou ethniques compte finale-
ment davantage que ce qui les sépare. La
génomique, avec son rêve de l’individualisa-
tion des traitements, constitue l’une des avan-
cées majeures de la médecine de la dernière
décennie. Cependant, la science “classique”
ne doit pas éluder le rôle et l’importance des
sciences sociales.
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