RESSOURCES
CONSULTANTS FINANCES
Mémoire n°116
CENTRALISATION & DECENTRALISATION A LA
FRANÇAISE. HISTOIRE, MODELES ET THEORIE
Sylvain SOLEIL
Professeur de Droit à l’Université de Rennes I
Directeur du Centre d’Histoire du Droit (CHD)
Rennes, le 15 septembre 2006
Mémoire 116.doc
SOCIÉTÉ D'ETUDE, RECHERCHE ET PROSPECTIVE EN FINANCES LOCALES - www.ressources-consultants.fr
Siège : 16, rue de Penhoët 35000 RENNES - TEL. 02.99.78.09.78 - FAX 02.99.78.09.79 - contact@ressources-consultants.fr
Direction Sud : 5, avenue Marcel Dassault Tersud A BP 25083 - 31504 TOULOUSE Cedex 5 - TEL. 05.62.47.47.20 - FAX 05.62.47.47.21 - accueil@ressources-consultants.fr
Antenne Paris : 22, avenue René Coty 75014 PARIS - TEL. 01.40.64.83.40 - FAX 01.40.47.50.21 - commercial@ressources-consultants.fr
S.A. au capital de 500 000 Euros - N° SIRET 381 681 527 00085 - CODE NAF 741 G - RCS RENNES 94 B 81
_________________________________________________ RESSOURCES CONSULTANTS FINANCES
Mémoire 116.doc 1
SOMMAIRE
1. L’ŒUVRE DE L’ANCIEN REGIME : UNITE POLITIQUE ET DIVERSITE
INSTITUTIONNELLE .................................................................................................................................. 2
1.1 L’ANCIEN REGIME DES ROIS ETAIT-IL CENTRALISATEUR ?................................................................ 2
1.2 LE PROCESSUS DUNIFICATION......................................................................................................... 5
2. L’ŒUVRE DES REVOLUTIONNAIRES : UNITE, UNIFORMITE ET CENTRALISATION....... 8
2.1 LE PROJET CENTRALISATEUR. .......................................................................................................... 8
2.2 UNE BATTERIE DE MESURES CENTRALISATRICES..............................................................................12
3. L’ŒUVRE NAPOLEONIENNE : SALUT DE LA REPUBLIQUE ET SYSTEME GENERAL DE
L’EUROPE....................................................................................................................................................13
3.1 LA CENTRALISATION SELON LA LOGIQUE DES ANNEES 1799-1815....................................................13
3.2 CENTRALISATION ET DECENTRALISATION SELON NAPOLEON. ..........................................................17
4. LA DECENTRALISATION : REFORMES ET THEORIE ..............................................................17
4.1 REFORMES.....................................................................................................................................19
4.2 THEORIE........................................................................................................................................19
_________________________________________________ RESSOURCES CONSULTANTS FINANCES
Mémoire 116.doc 2
Vouloir comprendre le double mouvement de centralisation et de décentralisation à la
française, nécessite de bien appréhender, grâce à l’histoire des institutions et à l’étude de la
théorie de l’Etat, la nature profonde de ce que l’on nomme la décentralisation, par référence à
la centralisation à la française. Ces deux thèmes s’enracinent en effet dans notre histoire
nationale, selon des moments que nous allons évoquer tour à tour : l’Ancien Régime poursuit
une logique d’unification par l’incorporation progressive et poussée des territoires, des cadres
institutionnels et des populations des anciens grands fiefs rattachés au roi de France ; les
Révolutionnaires inventent le projet centralisateur en exaltant le cœur vibrant de la Révolution
(Paris) et en uniformisant tous les territoires ; Napoléon, pour d’autres raisons, continue la
même logique en la systématisant, en cherchant à en faire un mode ordinaire de décision, en
la modélisant pour l’étranger. C’est alors que la décentralisation, par réaction, va devenir un
thème politique et technique majeur, avec des réformes progressives qui organisent le paysage
institutionnel actuel.
1. L’ŒUVRE DE L’ANCIEN REGIME :
UNITE POLITIQUE ET DIVERSITE INSTITUTIONNELLE
1.1 L’Ancien Régime des rois était-il centralisateur1 ?
Nous sommes redevables à Tocqueville, qui publie L’Ancien Régime et la Révolution en
1856, d’avoir remis en cause la rupture du moment 89, pour insister sur le sens des
continuités. Selon lui, le processus centralisateur napoléonien qu’il dénonce (notamment par
référence à son père préfet) est l’héritier du système mis en place au Grand Siècle. Colbert
annonçait les hommes du Comité de Salut Public et le général Bonaparte. Le conseil du roi
annonçait le Conseil d’Etat. L’intendant louis-quatorzien annonçait l’envoyé en mission de
1793 et les préfets de l’an VIII :
« un corps unique et placé au centre du royaume, qui réglemente l’administration publique dans tout le
pays ; le même ministre dirigeant presque toutes les affaires intérieures ; dans chaque province, un seul
agent qui en conduit tout le détail ; point de corps administratifs secondaires ou des corps qui ne peuvent
agir sans qu’on les autorise d’abord à se mouvoir ; des tribunaux exceptionnels qui jugent les affaires où
1 Nous résumons ici nos deux études : S. Soleil, L'Ancien Régime centralisateur ou respectueux des libertés ?,
Décentraliser en France. Idéologies, histoire et prospective (colloque du Centre de recherche sur l'anthropologie
de l'Etat de Caen, décembre 2002), C. Boutin et F. Rouvillois (dir.), éd. F.-X. de Guibert, 2003, p. 13 et s. ; L.
Jaume et S. Soleil, Centralisation / Décentralisation. Retour sur quelques certitudes historiques, Actualité
Juridique Droit Administratif, 2005, p. 760 et s.
_________________________________________________ RESSOURCES CONSULTANTS FINANCES
Mémoire 116.doc 3
l’administration est intéressée et couvrent tous ses agents. Qu’est cela, sinon la centralisation que nous
connaissons ? […] On n’a eu, depuis, à lui ajouter ni lui ôter rien d’essentiel ; il a suffi d’abattre tout ce
qui s’élevait autour d’elle pour qu’elle apparût telle que nous la voyons. […] Au moment où la
Révolution survint, on n’avait encore presque rien détruit du vieil édifice administratif de la France ; on
en avait, pour ainsi dire, bâti un autre en sous-œuvre »2.
Le schéma décrit par Tocqueville, on doit le reconnaître, est très convaincant, notamment
parce que ce grand intellectuel est parmi les premiers à voir les permanences au-delà du choc
révolutionnaire. Pourtant, de nombreux historiens des institutions remettent aujourd’hui en
cause ce schéma3.
Tocqueville n’est historien que de façon incertaine. Il a travaillé sur la base non pas d’une
hypothèse historique, mais d’une théorie. Il est en effet un historien politique comme tant
d’autres en son temps (Hegel, Guizot, Marx, Michelet et les contre-révolutionnaires, qui
voient tous dans l’histoire la révélation d’un grand dessein). Or, le sens de l’histoire, pour
Tocqueville, est celui de la réalisation de l’individualisme et de l’égalitarisme combinés à
l’Etatisme et la centralisation, sur lesquels la responsabilité des trois derniers Bourbons lui
paraît accablante, parce qu’ils ont laminé l’aristocratie dont il est l’héritier. Il y a sur ce point
de magnifiques pages dans sa correspondance et ses deux ouvrages majeurs. Imprégné de sa
théorie de l’histoire, Tocqueville part de l’idée que les archives vont lui révéler « que la
centralisation administrative est une institution de l’Ancien Régime et non pas l’œuvre de la
Révolution ni de l’empire »4. Qu’a-t-il donc trouvé dans les archives ? Que la centralisation
administrative est une institution de l’Ancien Régime et non pas l’œuvre de la Révolution ni
de l’empire…
Or il se fonde, pour son étude, sur les archives d’une intendance, celle de Tours, et celles de
quelques bureaux centraux (série F des Archives nationales). Dans ce cadre réduit d’analyse,
le schéma institutionnel va effectivement ressembler au schéma napoléonien. Et c’est ce qui
l’entraîne à surévaluer la place du Contrôleur, de ses bureaux et des intendants en affirmant
qu’à côté d’eux il n’y a plus rien parce que l’aristocratie et les grands officiers (gouverneurs,
sénéchaux) ont été laminés ; à croire aussi, et tant de publicistes après lui, que les intendants
préfigurent les préfets, que Versailles préfigure Paris, que le Conseil du roi préfigure le
Conseil d’Etat, que le schéma d’Ancien Régime préfigure l’ordre napoléonien, et que les
ordres passent de Versailles aux généralités et jusqu’aux Français, comme, plus tard, ceux de
2 A. de Tocqueville, L’Ancien Régime et la Révolution, Gallimard, 1967, p. 128-129.
3 F.-X. Emmanuelli, Un mythe de l’absolutisme bourbonien : l’intendance, du milieu du XVIIe siècle à la fin du
XVIIIe siècle, PUAix-en-Provence/Honoré Champion, 1981 ; S. Mannoni, Une et indivisible. Storia
dell’accentramento amministrativo in Francia, 2 vol., t. 1 : La formazione del sistema (1661-1815), Giuffrè,
1994.
4 A. de Tocqueville, L’Ancien Régime et la Révolution, Gallimard, 1967, p. 89.
_________________________________________________ RESSOURCES CONSULTANTS FINANCES
Mémoire 116.doc 4
Paris passeront aux départements et « jusqu’aux dernières ramifications de l’ordre social ».
On a du mal à souscrire à cette idée, aussi bien pour des raisons historiques que linguistiques1.
Partons d’une phrase classique sous la plume des publicistes qui ont traduit Tocqueville dans
leurs manuels : « les intendants, qui furent les véritables ancêtres des préfets, disposaient de
nombreux pouvoirs… »2. Elle effectue dans l’esprit du lecteur un transfert comme dans une
équation mathématique du premier degré où l’on cherche à quel quotient ou racine se rapporte
l’inconnue. Dans notre exemple, on transfert l’attention du lecteur sur « le préfet » (la donnée
connue) pour définir « l’intendant » (l’inconnue). Or, chacun croit savoir qu’un préfet est
chargé seul de l’administration du département (art. 3 de la loi du 8 pluviôse an VIII). De
sorte que l’intendant administrait seul son territoire… Bien qu’en réalité, intendant et préfet
soient différents tant dans leur nature que dans leur activité concrète3. Par l’alchimie de
quelques mots, on a fait de l’histoire à l’envers : en parlant d’une institution passée avec des
matériaux du futur, c’est du XIXe siècle dont il est question. Mais, rétorquera-t-on, si ce
transfert n’est pas voulu par le locuteur ? Si la phrase n’est écrite que par souci de pédagogie ?
Réponse tirée de la linguistique : la phrase n’appartient pas au locuteur. Elle est
communication, elle concerne autant le lecteur (ou l’auditeur) que le locuteur. De sorte que le
locuteur reste responsable et nous savons combien un mot mal choisi peut avoir de
conséquences à cause des représentations parfois délirantes qu’il fait naître dans l’esprit de
l’auditeur… si le lecteur traduit la phrase de la manière suivante : les intendants d’Ancien
Régime avaient les mêmes pouvoirs que le préfet.
La réplique pourrait certes être la suivante : « peu importe que le mot se trouve ou pas dans
les sources, si l’on y décèle le concept ». N’est-il pas vrai ? A voir. Car les mots ne déplacent
pas seulement des concepts, mais aussi, avec eux, tout un monde de représentations4. Partons
d’un autre exemple : quand Tocqueville affirme « que la centralisation administrative est une
institution de l’Ancien Régime et non pas l’œuvre de la Révolution ni de l’empire »5, il ne
transpose pas seulement un mot inconnu sous l’Ancien Régime, mais encore tout un monde
institutionnel du XIXe siècle vers les siècles précédents. Il suffit de fermer les yeux pour
1 Nous reprenons ici nos remarques tirées de la communication au colloque de la Société d’Histoire du Droit : C.
Camby et S. Soleil, Histoire du droit et linguistique. Réflexions autour des mots wergeld et monarchie
administrative, dans L’histoire de l’histoire du droit (colloque de Toulouse, juin 2005), J. Poumarède (éd.),
Revue d’histoire du droit et des idées politiques, 2006, à paraître.
2 Voir J.-M. et J.-F. Auby, Droit des collectivités locales, PUF, 1998, p 11 ; voir aussi J. Bourdon, J.-M. Pontier
et J.-Cl. Ricci, Droit des collectivités locales, PUF, 1998, p. 16.
3 Pour synthétiser, les intendants sont des magistrats, les préfets, des administrateurs ; les intendants n’œuvrent
qu’en fonction d’une double clientèle à Versailles et en province, clientèle infiniment moins contraignante pour
les préfets ; les intendants ont une lettre de commission large, mais n’agissent qu’en fonction des ordres précis
du gouvernement et des relations avec les institutions et les clientèles locales ; enfin, ils animent une institution
squelettique. Voir supra note 5.
4 The selected Writings of Edward Sapir, ed. D. G. Mandelbaum, University of California Press, 1951, p. 162 ;
B. L. Whorf, Linguistique et anthropologie, 1956, trad. fr. C. Carme, Denoël, 1971, p. 193, cités par S. Auroux,
J. Deschamps & D. Kouloughli, La philosophie du langage, PUF, 2004, p. 180.
5 A. de Tocqueville, L’Ancien Régime et la Révolution, Gallimard, 1967, p. 89.
1 / 22 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !