modernes se comprennent-ils, non plus comme des nations de compatriotes, mais comme des
nations de citoyens ? Cette question, c’est celle de l’inclusion de chaque individu dans le
processus démocratique de l’Etat. « Inclure », nous dit Habermas dans la préface « ne signifie
pas enfermer dans une identité. Cela signifie plutôt que les frontières de la communauté sont
ouvertes à tous, y compris et précisément à ceux qui sont étrangers les uns pour les autres, et
souhaitent le rester ». La lutte pour la reconnaissance témoigne du fait que certaines personnes
ont été lésées. Il y a deux formes de respect pour les citoyens. Il y a d’abord le respect pour
l’identité unique de l’individu en tant que détenteur de droits subjectifs. Mais aussi le respect
pour ses activités pratiques et les conceptions du monde associées à sa socialisation. Selon
Habermas, les personnes ne deviennent individus que grâce à une socialisation. Si l’on admet
cette prémisse, une théorie du droit bien comprise requiert une reconnaissance de l’intégrité
de l’individu, y compris des contextes de vie qui forme son identité. Cette reconnaissance ne
va pas de soi, car il y a souvent une coloration éthique de l’Etat de droit. En effet, un ordre
juridique situé historiquement et géographiquement ne peut pas être le simple reflet d’un
contenu universel des droits fondamentaux. Il est aussi l’expression d’une forme de vie
sociale particulière. Et même si le droit n’était que la plus pure expression de principes
constitutionnels universalistes, celui-ci connaîtrait obligatoirement une imprégnation éthique,
puisque les individus le comprennent en fonction d’une histoire, d’une tradition. Une telle
réglementation, parce qu’elle dissimule une domination implicite, peut déclencher chez des
minorités méprisées un fort ressentiment. La culture majoritaire ne doit pas fusionner avec la
culture politique de l’Etat de droit, sous peine d’invalider la sincérité des discussions
collectives. Lorsque la discussion n’est plus possible, il ne reste plus que la guerre. Si la
théorie des droits n’interdit nullement aux citoyens de débattre autour des questions éthiques,
et de défendre une conception du bien, elle interdit à l’Etat de favoriser une forme de vie au
détriment d’une autre. La coexistence de différentes traditions culturelles dans l’Etat de droit
rend impératif que ces différentes formes de vie se reconnaissent entre elles. La
reconnaissance de l’autre a deux conséquences. La première d’entre elles, c’est que les
individus ne sont pas intégrés à la communauté en fonction de leur conception du bien, de leur
mode de vie. La seule assimilation requise, c’est l’intégration politique et le respect d’un
universalisme des principes juridiques. La seconde conséquence, c’est que chacun apprend à
considérer ses propres traditions avec les yeux de l’étranger, et prend conscience du caractère
faillible de sa prétention à la vérité. La possibilité pour les membres d’une communauté de
dire oui ou non à un héritage culturel est nécessaire à son appropriation et à la pérennité d’un