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j’ai dans un premier temps constitué une base de données originale. Des statistiques simples
calculées à partir de cette base ont mis dans un second temps en évidence des faits qui pouvaient,
à première vue, paraître contradictoires avec certains enseignements de la théorie économique.
Ainsi, sur le marché du champagne, des biens considérés par les experts comme étant
de qualité identique sont vendus à des prix très différents. De la même façon, des bouteilles de
qualités différentes peuvent se trouver à des prix similaires.
Ces constatations constituent le point de départ des réflexions contenues dans cette
thèse. L’objectif de cette recherche est d’analyser la formation des prix en situation d’information
imparfaite. La littérature montre bien que ces caractéristiques (bien différencié, qualité subjective,
information imparfaite) ne sont pas propres au champagne. Elles se retrouvent, par exemple,
dans la plupart des industries agroalimentaires. Ainsi, les réflexions contenues dans ma thèse
s’inscrivent dans un contexte de portée plus générale.
Quel était « l’état des connaissances » sur ce sujet ?
Sur le plan théorique (voir organigramme, page 3), l’analyse des prix de biens
différenciés repose très souvent sur le modèle de Rosen (1974). Selon cet auteur, les différences
de prix se justifient par des différences de qualité. Il suffit d’estimer la qualité pour se faire une
opinion de la façon dont les prix se fixent et éventuellement évoluent. Le principal inconvénient
de la méthode dite des prix hédonistiques qu'utilise Rosen est qu’elle est uniquement conçue pour
s’appliquer aux cas d’information parfaite. En l’état, elle ne constituait donc pas une base
théorique pleinement satisfaisante pour le problème que je m’étais posé.
Dans d'autres analyses (Akerlof, 1970 ; Spence, 1974), on s’intéresse aux cas
d’information imparfaite, ainsi qu’à ses conséquences sur le mode de formation des prix. Mais on
traite alors uniquement des cas limites d’asymétries d’information pures dans lesquels
l’information est monopolisée par le vendeur, les acheteurs sont tous néophytes. Ceci pose
problème : très souvent, les populations rencontrées sont des populations polymorphes
d’acheteurs plus ou moins bien informés ; l’asymétrie d’information est évolutive.
D’où la pertinence de l’analyse de Shapiro (1983), dans laquelle l’asymétrie
d’information évolue dans le temps : l’acheteur, en consommant, découvre la qualité. L'idée
fondamentale proposée par l’auteur est la suivante : en information imparfaite, la formation des
prix dépend essentiellement de la réputation en qualité des produits. Cela signifie que l’on doit,
pour parvenir à un résultat satisfaisant, connaître non seulement la qualité du produit mais aussi
la manière dont les individus perçoivent cette qualité. La compétence du public ici est donc
déterminante. Cette analyse, essentiellement théorique, a le mérite de poser, en plus de la relation
prix – réputation, une relation réputation – qualité. Dans ce modèle dynamique d'apprentissage
de la qualité, le niveau de réputation d'une marque dépend uniquement de son niveau de qualité
et de la rapidité avec laquelle les consommateurs perçoivent les changements en la matière. Elle
ne dépend en aucune manière des signaux de qualité émis par les producteurs. Ceci, nous le
verrons, n'est pas très réaliste.
Sur le plan empirique, la méthode de Rosen est très souvent mise en œuvre lorsqu’il
s’agit de modéliser le prix de biens différenciés. On dispose ainsi d’applications dans des
domaines très variés comme l’informatique, le logement, l’automobile, l’environnement, la
peinture et depuis peu les produits alcoolisés.
Ces applications aux vins et spiritueux me paraissent toutefois hors cadre pour la
simple raison que l'information dont dispose l'acheteur à propos de la qualité de ce genre de biens
n'est pas parfaite.