INTRODUCTION
Son chef d'œuvre fut donc aussi sa vie. Certains espaces.
Du temps. Surtout du temps.
(Cécile Guilbert: Pour Guy Debord)
Philosophie de la conscience, philosophie de la liberté, philosophie
de l'existence, autant d'appellations qui, souvent, viennent désigner la
philosophie de Jean-Paul Sartre. Certes, ces dénominations sont
fondées. Elles correspondent à un moment, à une étape, dans son œuvre.
Mais, par définition, aucun moment, aucune étape, ne peuvent rendre
compte de la totalité d'une œuvre. De plus, s'agissant de celle
protéiforme de Sartre, on court le risque d'isoler, voire de minorer la
philosophie par rapport à la littérature ou à ses prises de positions
politiques. Ainsi se perd toute idée de correspondance, de relais, en un
mot de continuité dans l'itinéraire philosophique de Sartre.
Pourtant très tôt, un fait doit être signalé: la simultanéité d'écriture,
Sartre écrit plusieurs livres en même temps. Essais critiques, romans,
livres de philosophie, préfaces, etc., sont menés de front; jamais Sartre
ne dérogera à cette démarche. Et puis, il y a cette affirmation de la place
et du rôle qu'il accorde à la philosophie, toute sa vie durant Sartre
revendique l'importance primordiale de la philosophie. Et c'est bien sur
le mode de la revendication, du manifeste, du plaidoyer, de
l'engagement, qu'il le fait. Soutenir cela ce n'est pas qu'un peu
relativiser l'image de Sartre, l'intellectuel engagé; c'est rendre toute sa
place au philosophe, à la pensée. On peut, à bon endroit, objecter que
l'un n'exclut pas forcément l'autre. Certes, à la condition expresse que
l'image de l'intellectuel engagé n'occulte pas la philosophie qui le
porte. Or, cette philosophie - très tôt - n'a rien d'académique, Sartre
n'aura pour l'institution universitaire qu'indifférence et hostilité (nous y
reviendrons) - elle ne lui pardonnera jamais. En effet, loin de toute
abstraction et de toutes pensées qui doivent se donner à lire sous la
forme d'un système, Sartre veut prendre au mot Jean Wahl: la
philosophie doit parler du concret. Refusant tout esprit de sérieux, Sartre
le philosophe troque la toge du professeur pour les habits, plus suspects,
de l'aventurier.