Les trois Hermione
Demandez à un adolescent ce que le nom lui évoque et il répondra
immédiatement : « Une sorcière ! non pas une vieille femme laide sortie d’un conte de
fées, de celles qui chevauchent leur balai, qui hantent les cauchemars ou les nuits
d’halloween (Halloween), non, mais cette jeune et jolie demoiselle, la meilleure élève de
l’école des sorciers, l’amie de Harry Potter, l’héroïne de la célèbre saga littéraire. »
Fin de la dictée des cadets
Quittons la mythologie féerique (féérique) de l’enfance pour celle de l’Antiquité
grecque où un tout autre personnage est désigné par ce même nom : la fille du roi de
Sparte et d’Hélène de Troie, dont la jalousie envers Andromaque a d’abord inspiré
Euripide puis, deux mille quatre-vingt treize (deux-mille-quatre-vingt-treize) ans plus
tard, Jean Racine. Tous les passionnés de lettres classiques ont au moins en mémoire le
premier vers de la tirade déclamée par notre Atride à son époux Pyrrhus : « Je ne t’ai
point aimé, cruel ? Qu’ai-je donc fait ? »
Fin de la dictée des juniors
Ajoutons l’article défini élidé : on obtient alors le nom de la frégate construite en
1779 à l’arsenal de Rochefort, celle qui permit au marquis de La Fayette d’accéder à une
immarcescible (immarcessible) gloire en allant prêter main-forte aux insurgés
américains , celle qui traversa l’Atlantique en trente-huit jours : L’Hermione.
C’est à Boston (Massachusetts) que le trois-mâts jeta l’ancre le 27 avril 1780. Quelque
trois mois plus tard, La Fayette reçut de Washington le commandement d’une unité
d’élite. S’ensuivit une série de victoires décisives - dont celle de Yorktown - sans
lesquelles les Américains ne se seraient jamais libérés du joug britannique. En 1777,
notre infatigable marquis s’était déjà rendu au Nouveau Monde à bord d’un brick
pertinemment baptisé d’un nom de bon augure, La Victoire, mais il était revenu en
France en 1779 pour plaider la cause des indépendantistes d’outre-Atlantique auprès de
Louis XVI.
Si L’Hermione de La Fayette fut construite en six mois, dix-sept ans furent
nécessaires pour réaliser sa réplique, de 1997 à 2014. Quelque exorbitant qu’en paraisse
le coût, quels que soient les retards accumulés, cette réalisation est un exploit. Il fallut
toute la persévérance des artisans d’aujourd’hui pour réapprendre les savoir-faire
d’hier : ils déployèrent à l’envi des trésors d’ingéniosité. Cette reconstruction, ce fut
aussi la réappropriation de tout un lexique dont les noms chantent encore aux oreilles
des vieux loups de mer.
Souhaitons bon vent à L’Hermione nouvelle. Fassent Neptune, Triton et tout
l’aréopage des déités océanes qu’elle ne connaisse jamais la fin tragique de L’Hermione
historique : en 1793, par l’impéritie de son équipage, elle s’est fait éventrer par un
méchant rocher au large du Croisic.
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Dictée de Châtelaillon / édition 2015 / © Jean MAILLET