lique, métaphorique, allégorique, voire parabolique, propice à l’émergence
d’un « réalisme enchanté », aussi éloigné du théâtre illusionniste que du
théâtre de propagande, dont les spectacles de Benno Besson comptent
parmi les expérimentations scéniques les plus convaincantes des cinquante
dernières années (3).
Les arts vivants, tout comme, selon d’autres modalités, les arts du récit,
se prêtent particulièrement bien à l’exhibition d’une tradition conteuse
dont l’usage naît, sous sa forme moderne, à l’âge classique, et s’enracine
dans des pratiques spécifiques du geste et de la parole jusqu’à nos jours.
Le présent volume se situe au carrefour des pratiques artistiques les plus
diverses (dramaturgie, adaptation, mise en scène, contage ou art de conter),
mais aussi de traditions scientifiques disciplinaires parfois injustement
renvoyées dos-à-dos (théâtrologie, musicologie, études littéraires, études
cinématographiques, histoire, anthropologie, sciences sociales), et surtout,
des configurations socioculturelles les plus complexes. Il a pour objectif
de procéder à une analyse des processus de déterritorialisation et d’actua-
lisation du conte, en engageant la réflexion sur le terrain des relations
d’interaction aussi tumultueuses que fécondes entre récit et spectacle depuis
un peu plus d’un siècle.
Ces derniers sont en effet considérés comme deux modalités énonciatives
spécifiques, à la fois distinctes et connexes, d’une même « parole vive »
dont l’héritage s’enracine dans une culture orale d’origine essentiellement
rurale et paysanne, et dont l’usage, à la fois social et artistique, bat en brèche
aussi bien la séculaire culture de l’imprimé que les modernes cultures de
l’image de nos sociétés médiatiques. Patrimoine culturel immatériel (PCI)
sans cesse revivifié et actualisé par des propositions scéniques souvent
innovantes et créatives, le substrat culturel du conte est ainsi sauvegardé,
conservé et réinvesti pour faire obstacle à l’omniprésence et à la contami-
nation des finalités matérielles, économiques, politiques et finalement
coloniales de l’écriture. Encore un tel patrimoine doit-il, pour révéler ses
potentialités résistantes, voire subversives, puiser dans les ressorts des arts
de la parole, de la dramaturgie, de la mise en scène et de l’écriture théâtrale.
À rebours de toute forme d’idéalisme tendant, à l’instar d’un courant
allant, globalement, de Jean-Jacques Rousseau à Claude Lévi-Strauss, à
voire dans « l’éthique de la parole vive (…), utopique et atopique », les
conditions de constitution d’une « communauté de la parole dans laquelle
tous les membres sont à portée d’allocution » (4), considérée comme
transparente à elle-même, authentique, transhistorique et intransitive, il s’agit
au contraire de mettre en évidence les régimes spécifiques de reviviscence
d’un héritage culturel au sein d’une communauté interprétative sans cesse
à redéfinir au contact de configurations sociopolitiques, mais aussi de
propositions artistiques inédites.
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REVUE D’HISTOIRE DU THÉÂTRE
(3) Martial POIRSON,«Le réalisme enchanté de Benno Besson», Romain JOBEZ et
Martial POIRSON (dir.), Benno Besson, Revue d’Histoire du Théâtre, 2009-1 et 2, p. 35-44.
(4) Jacques DERRIDA, De la grammatologie, Paris, Minuit, 1967, p. 201.