
tainement de la violence qu'elles ont elles-mêmes res-
sentie à la lecture de l'interview de la Ministre. "Nous
sommes très heureuses d’avoir eu de vos nouvelles ven-
dredi dernier dans le Monde, de savoir que tout allait
bien, qu’on pouvait faire de grandes choses même avec
un cancer et que « la mise en congé longue maladie
n’est pas forcément la meilleure des solutions ». Le tra-
vail comme la plus efficace des thérapies, quel bel exem-
ple que celui que vous nous offrez ! A notre tour de vous
donner des nouvelles, depuis nos lieux de villégiatures.
En effet, nous ne sommes pas toutes en vacances au
même endroit et il existe de nombreux centres aux pay-
sages variés."
Elles contredisent pied à pied la Ministre, pour conclure
de manière plus soft mais tout aussi claire : "Quoi qu’il
en soit, même si nous ne fréquentons pas toutes les mê-
mes salons, merci à vous, Dominique, de nous permettre
de mettre en lumière le fait que chaque malade atteinte
du cancer du sein est différente et vit sa maladie selon
ses possibilités propres. Nous espérons que cette carte
postale, même si elle vous est adressée, sera surtout lue
par ceux qui n’auraient du cancer qu’une vision tron-
quée et qui, admiratifs de votre manière de l’avoir envi-
sagé (et il y a de quoi), seraient tentés d’en faire une gé-
néralité. Une maladie. Mille histoires."
Soyons clairs, certaines femmes atteintes d'un cancer,
ont lu cette interview comme une insulte personnelle.
Leur cancer, leur condition sociale et/ou les conditions
de leur prise en charge leur interdisait une expérience du
même type. Elles ressentent cette interview comme une
sorte de déni de leur propre expérience et de leur propre
courage. Elles nous rappellent aussi que les conditions
sociales jouent sur les contraintes engendrées par les
traitements et que, de ce fait-là aussi, condition sociale,
condition physique, tonus, moral et état psychologique,
capacité à travailler si on a un emploi, sont liés. Les ef-
fets potentiellement bénéfiques de cette interview ne
doivent pas nous empêcher de nous mettre en garde con-
tre ses effets potentiellement pervers. Ceux-ci pourraient
justifier auprès de certains la perception d'une médecine
à deux vitesses.
On le voit, le débat au sein de nos équipes est indispen-
sable car, quelles que soient les perceptions, la confron-
tation est enrichissante. Elle développe notre capacité
d'attention à l'autre. Le dossier de l'interview et des réac-
tions qu'elle a suscitées constitue un excellent support
d'échange et de confrontation. Le respect des personnes
doit présider. Dans nos groupes de parole, l'attention aux
éventuels débordements d'émotions mal maîtrisés est
une nécessité que nous connaissons d'autant mieux qu'ils
sont souvent nécessaires et parfois curatifs. Nous le sa-
vons tous, d'un point de vue clinique, il n'y a pas un can-
cer, mais des cancers. A l'évidence, le débat public nous
rappelle qu'il n'y a pas une seule manière de vivre son
cancer. Il y a des cancers, des personnes, des situations,
des rapports à son corps, à son avenir, au risque, à ses
proches, des environnements, aussi différents que nom-
breux. Mais notre accompagnement doit être à la mesure
de cette diversité. Elle fait partie de la prise en charge et
de l'accompagnement que nous devons à nos patients et
à leurs proches. L’interview de notre Ministre de la Fa-
mille et les réactions qu'elle suscite nous le redisent avec
force. Ces réactions nous rappellent aussi à notre devoir
de prudence : malgré les progrès accomplis et qu'il faut
consolider, développer, la vie réelle des patients reste
presque toujours beaucoup plus difficile que nous le
supposons, que nous croyons le savoir, nous, les profes-
sionnels. Et, comme soignants, comme "hospitaliers",
nous avons aussi un devoir d'hospitalité(3). Il n'y a rien là
de contradictoire avec une quelconque exigence de luci-
dité et de discernement. Ce débat nous le rappelle, op-
portunément.
Lucien Neuwirth
Qu'est-ce qu'un "grand homme" ?(4)
Il paraît que la notion est démodée, qu'elle ne veut plus
dire grand-chose… Il s'agirait d'un "culte vieillot"…
L'abandonner serait une avancée d'une civilisation dé-
mocratique qui n'aurait plus besoin ni de sacré ni de
grandeur ? La formule "« Aux grands hommes la patrie
reconnaissante » ne paraît plus, à bien des égards, en
harmonie avec la sensibilité d'aujourd'hui", s'inquiète
Philippe Bélaval dans son rapport au Président de la Ré-
publique(5). Il s'agit bien sûr du Panthéon, de son devenir
et de ses entrants potentiels. Risquons pourtant une re-
marque suscitée par ce que nous avons vécu ces derniè-
res semaines : si la "civilisation démocratique" réduit le
sacré et la grandeur au football et à ses quelques héros,
gamins gâtés et limite malfrats, y a-t-il vraiment pro-
grès ?
Alors l'actualité de la semaine nous fait prendre le risque
de la ringardise. Loin du Panthéon, pour une vie toute
normale, risquons une définition toute simple : pour
beaucoup, un grand homme n'est pas un parfait, c'est ce-
lui ou celle qui a fait quelque chose d'utile ou de bon
qu'on ne serait pas sûr d'avoir fait si on avait été à sa
place.
De ce point de vue, et pour notre chronique, un "grand
homme" est mort cette semaine : Lucien Neuwirth(6).
Bien sûr tout le monde a célébré le "père de la pilule"(7).
Rappelons aussi qu'il a été résistant à 16 ans et qu'il a re-
joint la France Libre à 19 ! Grand ! Fusillé, il est raté
deux fois. Il faut de la chance, non de la grandeur, mais
pour s'en remettre et reprendre le combat toute sa vie du-
rant il faut être "grand".
Plus précisément, comme parlementaire "il a également
permis une avancée décisive pour les malades en fin de
vie, en posant dans la loi le principe du droit aux soins
palliatifs" comme l'a heureusement noté Jean-Pierre
Raffarin, au Sénat. Il en a été de même pour la prise en
charge de la douleur.
Lucien Neuwirth voulait "une médecine technique et hu-
maniste, qui prenne en considération l'homme en même
temps que sa maladie". Dans l'exercice de ses responsa-
bilités d'élu, il essaya d'y contribuer, souvent avec suc-
cès.
- Lucien Neuwirth a été l'auteur en 1994 d'un Rapport
d'information sur les problèmes posés, en France, par
le traitement de la douleur.(8)
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