Combat pour un homme digne
Comment vous êtes-vous inté-
ressé au sort des femmes ?
D’abord, en étant élu maire-
adjoint à la mairie de Saint-
Étienne, à 23 ans, et, de ce fait,
en étant au contact des réalités
sociales d’une France d’après-
guerre en manque de tout, et
notamment de logement. Sur le
terrain, les drames des nais-
sances non souhaitées laissaient
aux femmes le seul choix d’un
avortement clandestin. La so-
ciété pénalisait les mères de fa-
milles nombreuses qui ne pou-
vaient élever un enfant de plus,
et montrait un rejet total envers
la “fille-mère”. Élu député en
1958, je me suis occupé de la
politique familiale, ce qui signi-
fiait aussi prendre en compte la
détresse de ces femmes. Les
pionniers du planning familial
qui prônaient alors “une ma-
ternité heureuse” m’ont appris
beaucoup, notamment que le
désir d’enfant dépend d’une po-
litique familiale cohérente.
Pour vous, l’égalité homme-
femme ne faisait aucun doute ?
J’ai été élevé par deux femmes.
Dans la Résistance, le travail des
femmes a été considérable. Le
fait qu’elles puissent disposer de
leur vie était naturel pour moi.
Or, en ce qui concerne la sexua-
lité, en Angleterre existaient
déjà des comprimés efferves-
cents contraceptifs du nom de
Gynomine. L’idée d’agir pour
que les femmes maîtrisent leur
fécondité s’est imposée mais
l’action ne pouvait être que
d’ordre législatif.
Pourquoi ?
Parce que la loi de 1920, votée
après la grande guerre pour re-
peupler la France, interdisait
toute discussion sur une quel-
conque idée d’intervenir sur la
procréation. Sujet tabou, les
études médicales éludaient le
problème. J’ai pris le risque de
poser la question. On me répon-
dit : «Celui qui s’attaquera à la loi
de 1920 n’est pas encore né ». Il ne
restait qu’à relever le défi. Certes,
deux projets de loi avaient été dé-
posés par l’opposition. Ils ne ris-
quaient pas de voir le jour,
compte tenu de la composition
de l’Assemblée.
Il faut rappeler que ce fut ardu,
vous avouez encore quelques
blessures…
Ce fut un tollé général où les cli-
vages politiques s’estompaient
pour ne laisser apparaître que des
clivages culturels ou religieux. Les
insultes pleuvaient. Nous avons
même dû retirer notre fille de son
école parce que son nom ne satis-
faisait plus à la bonne moralité de
l’époque ! Mais en allant trop loin
dans les débordements, les oppo-
sants ont fait avancer la cause des
femmes. Car c’est le Général
De Gaulle lui-même qui a abordé
le sujet : «Parlez-moi de votre af-
faire, Neuwirth ». Pendant 50 mi-
nutes, j’ai plaidé avec des phases
de grande inquiétude. Mais je
crois que j’avais trouvé le point
sensible : De Gaulle avait donné le
droit de vote aux femmes. Si elles
étaient capables de voter, elles
l’étaient pour gérer leur vie au
nom même du bien-être de la fa-
mille dont elles assuraient une
grande part de responsabilités.
Comment avez-vous réussi à
faire voter la loi ? Avez-vous
mesuré toutes les conséquences
culturelles et sociales ?
La loi fut votée le 23 décembre
1967, grâce à un consensus établi
entre les différentes composantes
de l’Assemblée. Excédé par les
attaques virulentes, le Général
De Gaulle signait à Colombey
même le décret seulement quatre
jours après. Seule une autre loi a
bénéficié d’un délai aussi court
sous sa présidence. Cette loi
porte mon nom par sa volonté.
Par contre, ce que je ne prévoyais
pas, c’est qu’elle entraînerait une
cascade de réformes législatives
sur le droit des femmes qui n’en
avaient aucun (signature de
chèques, autorité parentale, etc.).
Depuis, la loi Weil a été adoptée
non sans heurts là aussi.
Où en est-on aujourd’hui ?
Un regret. Aujourd’hui, de plus
en plus de jeunes ont oublié le
combat de leurs mères et ont
recours à l’IVG. Informées
«C’est au politique de savoir prendre des risques pour
avancer ». Le risque, Lucien Neuwirth, aujourd’hui
sénateur de la Loire, a su le prendre, dès 16 ans, quand
il rejoignit le Général De Gaulle à Londres. Cet épisode
déterminera des engagements qui vont au-delà du
politique pour concerner les structures sociétales.
D’une naissance heureuse à une mort accompagnée…
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Lucien Neuwirth,
sénateur de la Loire.
Entretien avec
Lucien Neuwirth,
sénateur
de la Loire.
«Le désir
d’enfant dépend
d’une politique
familiale
cohérente. [...]
Mais il faut
sensibiliser
les jeunes à
la contraception,
cela éviterait
un recours
àl’IVG trop tôt
dans leur vie. »
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sur les dangers du sida,
elles “oublient” la contraception
dès que la relation devient
stable. Or les jeunes commen-
cent leur vie sexuelle de plus en
plus tôt. Il faudrait que l’Éduca-
tion nationale joue un rôle d’in-
formation et de sensibilisation.
Chaque génération n’étant pas
forcément au courant de ce qui
est fait par la précédente, il faut
répéter et répéter encore ce qui
nous paraît évident.
Cette attention que vous por-
tez à la dignité des personnes
vous fait entreprendre d’autres
combats comme la lutte contre
la douleur…
Comme souvent, c’est une im-
plication personnelle qui sen-
sibilise. Après avoir vu, aux
États-Unis, une personne at-
teinte d’un cancer douloureux
en phase terminale mener une
vie presque normale, j’ai pensé
qu’il fallait accélérer le proces-
sus de prise en charge de la dou-
leur qui restait en France trop
confidentielle. La douleur n’est
ni de droite ni de gauche. La
douleur enlève toute liberté et
toute dignité à l’homme. La loi
aété votée à l’unanimité. Ce
n’était que justice, et un rattra-
page par rapport aux autres
pays. Mais, là encore, la loi
bouscule les habitudes.
Quels obstacles ?
Ils étaient culturels. Je suis allé
voir Mgr Lustiger, archevêque de
Paris, qui m’a fait cette réponse
qui balayait bien des idées re-
çues : «Jésus a souffert pour tous
les hommes et cela suffit ». Mais il
fallait aussi réformer le Code de
déontologie médicale, ce qui fut
fait avec les articles 37-38. Une
charte des patients hospitalisés
aété élaborée en 1994 et la loi
promulguée en 1995. Les hôpi-
taux doivent afficher les proto-
coles nécessaires afin que les
infirmières puissent décider de
l’opportunité d’administration
d’un produit prescrit pour un
patient douloureux. Le travail
des infirmières est remarquable
et leur rôle prépondérant. La loi
porte aussi sur la réforme des
études médicales pour former
les médecins à la prescription
d’antalgiques, dont la morphine.
Après la lutte contre la douleur,
les soins palliatifs ?
Ils sont dans la continuité de
la lutte contre la douleur. Il est
important de mettre en place
des équipes pluridisciplinaires
qui prennent les décisions en
commun, sans faire peser le
poids sur une seule personne.
Ce qui coupera court à cer-
taines dérives qui ont été dé-
noncées ces derniers mois.
L’euthanasie trouve ses argu-
ments dans le non-accompa-
gnement des malades qui vont
mourir, et de leur famille. Il faut
des équipes formées pour les
soins palliatifs, mais aussi des
formations pour tous les soi-
gnants, donc il faut réformer, là
encore, les études médicales.
Tous ces projets ont-ils un coût ?
Il faut qu’un pays sache quelle
politique de santé mener et
comment s’en donner les
moyens. De la naissance à la
mort, la qualité de vie doit être
préservée pour que l’individu
conserve son statut d’homme,
jusqu’au bout. Il faut que les po-
litiques règlent leurs émetteurs
sur les récepteurs.
Quels sont vos futurs combats ?
Ce sont les projets sur les droits
des patients qui sont dans l’ar-
ticle 1 des soins palliatifs. Il faut
privilégier le droit à l’informa-
tion. Très vite, il faudra prendre
aussi des mesures sur l’aléa thé-
rapeutique, pour que la France
ne prenne pas exemple sur ce
qui se passe aux États-Unis.
Mais il faut prévoir des répara-
tions pour les victimes de ces
accidents.
Cela bousculera bien des choses...
Tout mon parcours a été de bous-
culer les lobbies. On ne peut soi-
gner sans prendre de risques. Or
le risque fait avancer…
Propos recueillis par
Andrée-Lucie Pissondes
«La douleur
n’est ni
de droite ni
de gauche.
Elle enlève
toute liberté
et toute dignité
à l’homme. [...]
L’euthanasie
trouve ses
arguments
dans le non-
accompa-
gnement
des malades
qui vont mourir,
et de leur
famille. »
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Droits de la personne malade
et des usagers du système de santé
(Loi n° 99-477 du 9/06/99)
Art. L. 1
er
A. Toute personne malade dont
l’état le requiert a le droit d’accéder à des
soins palliatifs et à un accompagnement.
Art. L. 1
er
B. Les soins palliatifs sont des soins
actifs et continus pratiqués par une équipe
interdisciplinaire en institution ou à domicile.
Ils visent à soulager la douleur, à apaiser la
souffrance psychique, à sauvegarder la di-
gnité de la personne malade et à soutenir
son entourage.
Art. L. 1
er
C. La personne malade peut s’oppo-
ser à toute investigation ou thérapeutique.
Prise en charge de la douleur
Résumé de la circulaire N° DGS/DH/DAS/
SQ2/99/84 du 11/02/99 relative à la mise en
place de protocoles de prise en charge de la
douleur aiguë par les équipes pluridiscipli-
naires médicales et soignantes des établisse-
ments de santé et institutions médico-
sociales : L’amélioration de la prise en charge
de la douleur aiguë des personnes malades
concerne l’ensemble des services hospitaliers,
notamment les services d’urgences, ainsi que
les institutions médico-sociales. Cette dé-
marche repose sur un travail d’équipe formée
et sachant utiliser les outils d’évaluation de la
douleur. Dans ce cadre, les personnels médi-
caux et infirmiers doivent agir sur protocoles
de soins. La mise en œuvre de ceux-ci peut,
dans des conditions pré-déterminées, être
déclenchées à l’initiative de l’infirmier.
Textes de référence :
Art L 710-3-1 du Code de la santé publique :
– Loi n° 75-535- du 30 juin 1975 relative aux
institutions sociales et médico-sociales ;
Décret n° 93-221 du 16/02/93 relatif
aux règles professionnelles des infirmiers et
infirmières ;
– Décret n° 93-345 du 15/03/93 relatif aux
actes professionnels et à l’exercice de la pro-
fession d’infirmier ;
– Circulaire n° 98-586 DGS/DH du 22/09/98
sur les mesures ministérielles prises dans le
cadre ou plan de lutte contre la douleur.
Code de la santé publique
(Décret 6/9/95)
Art 37. En toutes circonstances, le médecin
doit s’efforcer de soulager les souffrances de
son malade, l’assister moralement et éviter
toute obstination déraisonnable dans les in-
vestigations ou la thérapeutique.
Art 38. Le médecin doit accompagner le mou-
rant jusqu’à ses derniers moments, assurer par
des soins et des mesures appropriées la qualité
d’une vie qui prend fin, sauvegarder la dignité
du malade et réconforter son entourage. Il n’a
pas le droit de provoquer délibérément la mort.
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