D’une naissance heureuse à une mort accompagnée… Combat pour un homme digne « C’est au politique de savoir prendre des risques pour avancer ». Le risque, Lucien Neuwirth, aujourd’hui sénateur de la Loire, a su le prendre, dès 16 ans, quand il rejoignit le Général De Gaulle à Londres. Cet épisode déterminera des engagements qui vont au-delà du politique pour concerner les structures sociétales. Comment vous êtes-vous intéressé au sort des femmes ? D’abord, en étant élu maireadjoint à la mairie de SaintÉtienne, à 23 ans, et, de ce fait, en étant au contact des réalités sociales d’une France d’aprèsguerre en manque de tout, et notamment de logement. Sur le terrain, les drames des naissances non souhaitées laissaient aux femmes le seul choix d’un avortement clandestin. La société pénalisait les mères de familles nombreuses qui ne pouvaient élever un enfant de plus, et montrait un rejet total envers la “fille-mère”. Élu député en 1958, je me suis occupé de la politique familiale, ce qui signifiait aussi prendre en compte la détresse de ces femmes. Les pionniers du planning familial qui prônaient alors “une maternité heureuse” m’ont appris beaucoup, notamment que le désir d’enfant dépend d’une politique familiale cohérente. Pour vous, l’égalité hommefemme ne faisait aucun doute ? J’ai été élevé par deux femmes. Dans la Résistance, le travail des femmes a été considérable. Le fait qu’elles puissent disposer de leur vie était naturel pour moi. Or, en ce qui concerne la sexualité, en Angleterre existaient déjà des comprimés effervescents contraceptifs du nom de Gynomine. L’idée d’agir pour que les femmes maîtrisent leur fécondité s’est imposée mais l’action ne pouvait être que d’ordre législatif. Lucien Neuwirth, sénateur de la Loire. Pourquoi ? Parce que la loi de 1920, votée après la grande guerre pour repeupler la France, interdisait toute discussion sur une quelconque idée d’intervenir sur la procréation. Sujet tabou, les études médicales éludaient le problème. J’ai pris le risque de poser la question. On me répondit : « Celui qui s’attaquera à la loi de 1920 n’est pas encore né ». Il ne restait qu’à relever le défi. Certes, deux projets de loi avaient été déposés par l’opposition. Ils ne risquaient pas de voir le jour, compte tenu de la composition de l’Assemblée. Il faut rappeler que ce fut ardu, vous avouez encore quelques blessures… Ce fut un tollé général où les clivages politiques s’estompaient pour ne laisser apparaître que des clivages culturels ou religieux. Les insultes pleuvaient. Nous avons même dû retirer notre fille de son école parce que son nom ne satisfaisait plus à la bonne moralité de l’époque ! Mais en allant trop loin dans les débordements, les opposants ont fait avancer la cause des femmes. Car c’est le Général De Gaulle lui-même qui a abordé le sujet : « Parlez-moi de votre affaire, Neuwirth ». Pendant 50 minutes, j’ai plaidé avec des phases de grande inquiétude. Mais je crois que j’avais trouvé le point sensible : De Gaulle avait donné le droit de vote aux femmes. Si elles étaient capables de voter, elles l’étaient pour gérer leur vie au nom même du bien-être de la famille dont elles assuraient une grande part de responsabilités. Comment avez-vous réussi à faire voter la loi ? Avez-vous mesuré toutes les conséquences culturelles et sociales ? La loi fut votée le 23 décembre 1967, grâce à un consensus établi entre les différentes composantes de l’Assemblée. Excédé par les attaques virulentes, le Général De Gaulle signait à Colombey même le décret seulement quatre jours après. Seule une autre loi a bénéficié d’un délai aussi court sous sa présidence. Cette loi porte mon nom par sa volonté. Par contre, ce que je ne prévoyais pas, c’est qu’elle entraînerait une cascade de réformes législatives sur le droit des femmes qui n’en avaient aucun (signature de chèques, autorité parentale, etc.). Depuis, la loi Weil a été adoptée non sans heurts là aussi. Où en est-on aujourd’hui ? Un regret. Aujourd’hui, de plus en plus de jeunes ont oublié le combat de leurs mères et ont recours à l’IVG. Informées ●●● Entretien avec Lucien Neuwirth, sénateur de la Loire. « Le désir d’enfant dépend d’une politique familiale cohérente. [...] Mais il faut sensibiliser les jeunes à la contraception, cela éviterait un recours à l’IVG trop tôt dans leur vie. » 5 ●●● sur les dangers du sida, elles “oublient” la contraception dès que la relation devient stable. Or les jeunes commencent leur vie sexuelle de plus en plus tôt. Il faudrait que l’Éducation nationale joue un rôle d’information et de sensibilisation. Chaque génération n’étant pas forcément au courant de ce qui est fait par la précédente, il faut répéter et répéter encore ce qui nous paraît évident. Cette attention que vous portez à la dignité des personnes vous fait entreprendre d’autres combats comme la lutte contre la douleur… Comme souvent, c’est une implication personnelle qui sensibilise. Après avoir vu, aux États-Unis, une personne atteinte d’un cancer douloureux en phase terminale mener une vie presque normale, j’ai pensé qu’il fallait accélérer le processus de prise en charge de la douleur qui restait en France trop confidentielle. La douleur n’est ni de droite ni de gauche. La douleur enlève toute liberté et toute dignité à l’homme. La loi a été votée à l’unanimité. Ce n’était que justice, et un rattrapage par rapport aux autres pays. Mais, là encore, la loi bouscule les habitudes. « La douleur n’est ni de droite ni de gauche. Elle enlève toute liberté et toute dignité à l’homme. [...] L’euthanasie trouve ses arguments dans le nonaccompagnement des malades qui vont mourir, et de leur famille. » 6 Quels obstacles ? Ils étaient culturels. Je suis allé voir Mgr Lustiger, archevêque de Paris, qui m’a fait cette réponse qui balayait bien des idées reçues : « Jésus a souffert pour tous les hommes et cela suffit ». Mais il fallait aussi réformer le Code de déontologie médicale, ce qui fut fait avec les articles 37-38. Une charte des patients hospitalisés a été élaborée en 1994 et la loi promulguée en 1995. Les hôpitaux doivent afficher les protocoles nécessaires afin que les infirmières puissent décider de l’opportunité d’administration d’un produit prescrit pour un patient douloureux. Le travail des infirmières est remarquable et leur rôle prépondérant. La loi porte aussi sur la réforme des études médicales pour former les médecins à la prescription d’antalgiques, dont la morphine. Code de la santé publique (Décret 6/9/95) Art 37. En toutes circonstances, le médecin doit s’efforcer de soulager les souffrances de son malade, l’assister moralement et éviter toute obstination déraisonnable dans les investigations ou la thérapeutique. Art 38. Le médecin doit accompagner le mourant jusqu’à ses derniers moments, assurer par des soins et des mesures appropriées la qualité d’une vie qui prend fin, sauvegarder la dignité du malade et réconforter son entourage. Il n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort. Après la lutte contre la douleur, les soins palliatifs ? Ils sont dans la continuité de la lutte contre la douleur. Il est important de mettre en place des équipes pluridisciplinaires qui prennent les décisions en commun, sans faire peser le poids sur une seule personne. Ce qui coupera court à certaines dérives qui ont été dénoncées ces derniers mois. L’euthanasie trouve ses arguments dans le non-accompagnement des malades qui vont mourir, et de leur famille. Il faut des équipes formées pour les soins palliatifs, mais aussi des formations pour tous les soignants, donc il faut réformer, là encore, les études médicales. Prise en charge de la douleur Résumé de la circulaire N° DGS/DH/DAS/ SQ2/99/84 du 11/02/99 relative à la mise en place de protocoles de prise en charge de la douleur aiguë par les équipes pluridisciplinaires médicales et soignantes des établissements de santé et institutions médicosociales : L’amélioration de la prise en charge de la douleur aiguë des personnes malades concerne l’ensemble des services hospitaliers, notamment les services d’urgences, ainsi que les institutions médico-sociales. Cette démarche repose sur un travail d’équipe formée et sachant utiliser les outils d’évaluation de la douleur. Dans ce cadre, les personnels médicaux et infirmiers doivent agir sur protocoles de soins. La mise en œuvre de ceux-ci peut, dans des conditions pré-déterminées, être déclenchées à l’initiative de l’infirmier. Textes de référence : Art L 710-3-1 du Code de la santé publique : – Loi n° 75-535- du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales ; – Décret n° 93-221 du 16/02/93 relatif aux règles professionnelles des infirmiers et infirmières ; – Décret n° 93-345 du 15/03/93 relatif aux actes professionnels et à l’exercice de la profession d’infirmier ; – Circulaire n° 98-586 DGS/DH du 22/09/98 sur les mesures ministérielles prises dans le cadre ou plan de lutte contre la douleur. Droits de la personne malade et des usagers du système de santé (Loi n° 99-477 du 9/06/99) Art. L. 1er A. Toute personne malade dont l’état le requiert a le droit d’accéder à des soins palliatifs et à un accompagnement. Art. L. 1er B. Les soins palliatifs sont des soins actifs et continus pratiqués par une équipe interdisciplinaire en institution ou à domicile. Ils visent à soulager la douleur, à apaiser la souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage. Art. L. 1er C. La personne malade peut s’opposer à toute investigation ou thérapeutique. Tous ces projets ont-ils un coût ? Il faut qu’un pays sache quelle politique de santé mener et comment s’en donner les moyens. De la naissance à la mort, la qualité de vie doit être préservée pour que l’individu conserve son statut d’homme, jusqu’au bout. Il faut que les politiques règlent leurs émetteurs sur les récepteurs. Quels sont vos futurs combats ? Ce sont les projets sur les droits des patients qui sont dans l’article 1 des soins palliatifs. Il faut privilégier le droit à l’information. Très vite, il faudra prendre aussi des mesures sur l’aléa thérapeutique, pour que la France ne prenne pas exemple sur ce qui se passe aux États-Unis. Mais il faut prévoir des réparations pour les victimes de ces accidents. Cela bousculera bien des choses... Tout mon parcours a été de bousculer les lobbies. On ne peut soigner sans prendre de risques. Or le risque fait avancer… Propos recueillis par Andrée-Lucie Pissondes