Prise en charge chirurgicale des patientes traitées par

Introduction, historique
Malgré d’importants progrès, en particulier ceux liés au dépistage, 10 à 30 % des
cancers du sein restent diagnostiqués à des stades avancés.
Dans ces formes, la chimiothérapie néo-adjuvante (CNA) a été proposée dès
1970, et a fait l’objet de nombreuses études et conférences de consensus (1, 2, 3). Le
principe de son utilisation repose sur des expériences réalisées avec différents
modèles animaux (4, 5) pour tester l’hypothèse que la maladie microscopique méta-
statique (éventuellement favorisée par les manipulations lors de l’intervention), est
réduite par l’utilisation pré-opératoire d’un traitement général. De nombreux essais
sont ensuite venus confirmer que, d’une part, le taux de réponse à la CNA était élevé
et que, d’autre part, ce traitement permettait d’augmenter le pourcentage de traite-
ment conservateur chez les patientes qui relevaient initialement d’une mastectomie.
Le taux de conservation est très variable selon les études et des taux de 50 à 90 %
sont décrits (6, 7).
Après CNA, la plupart des essais ne montrent pas d’amélioration de la durée
globale de la survie (8, 9, 10), à l’exception des patientes ayant une réponse com-
plète. Toutefois, ces mêmes essais montrent, d’une part, une augmentation de l’in-
tervalle sans récidive et, d’autre part, une relation entre réponse primaire et dissé-
mination métastatique.
La réponse histologique complète n’était observée que chez 6 à 19 % des
patientes selon la littérature. Les derniers résultats obtenus avec de nouvelles
séquences thérapeutiques font état de 25 % de réponses histologiques complètes.
C’est le cas pour les patientes traitées selon cette modalité par notre groupe depuis
deux ans. Ce taux était de 14 % il y a dix ans, il est actuellement de 26 % (7).
De plus, en cas de régression tumorale après CNA autorisant une chirurgie
conservatrice, la qualité de vie après traitement est considérablement améliorée. En
revanche, en cas de non-réponse, le chirurgien doit « prévenir » par son discours
avant et pendant la chimiothérapie le « vécu de la non-réponse ». Le chirurgien et
Prise en charge chirurgicale des patientes
traitées par chimiothérapie
néo-adjuvante pour cancer du sein
S. Uzan, M. Antoine, E. Barranger, J.-F. Bernaudin, J. Chopier,
E. Daraï, D. Grahek, J. Gligorov, J.-P. Lotz, J.-Y. Seror et E. Touboul
l’oncologue doivent présenter la CNA com me une étape thérapeutique, de toute
façon nécessaire, et non comme « un test de guérison ».
En pratique, la CNA soulève de nouveaux enjeux qu’il faut connaître et auxquels
il faut proposer des réponses adaptées. Ces enjeux et les propositions de réponse
sont schématisés dans le tableau 1.
Tableau 1 - Enjeux chirurgicaux de la CNA et stratégies de réponse.
Enjeux Réponses
Appliquer la meilleure stratégie - Réflexion multidisciplinaire
- Connaître les indications
et contre-indications
- Connaître les facteurs de réponse
Obtenir la meilleure - Expliquer le rôle du comité
adhésion de la patiente multidisciplinaire
- Explications loyales et conjointes
du chirurgien et de l’oncologue
- Information du médecin traitant
- Idéalement dans le cadre
d’un dispositif d’annonce
Éviter les déceptions - Ne pas lier réponse et guérison
Bien évaluer la réponse - Bilan initial irréprochable,
et ne pas laisser évaluation conjointe du chirurgien
progresser la tumeur et de l’oncologue à deux,
quatre et six cures
- Connaître les paramètres
d’évaluation de la réponse
Ignorer une réponse incomplète - Connaître les faux négatifs
ou ne pas retirer le lit tumoral et la sous-évaluation des examens
d’imagerie
- Repérage pré-chimiothérapie
pré-opératoire et per-opératoire
rigoureux du « site » de la tumeur
Réduire le risque de sous- - Stadification rigoureuse avant
stadification de la tumeur la chimiothérapie utilisant
et de l’aisselle les moyens actuellement disponibles
326 Cancer du sein
Tableau 1 - (suite)
Éviter le risque d’opérer une patiente - Choisir le moment et prévoir
« fragilisée » par la chimiothérapie les conditions de la chirurgie
Réaliser un traitement - Bilan pré-opératoire rigoureux
adéquat du sein - Exploration per-opératoire
- Pièce confiée à l’anatomo-patholo-
giste dans les meilleures conditions
- Recourir selon les cas à l’examen
extemporané, aux radios
et échographies des pièces opératoires
- Ne pas hésiter à proposer une
reprise ou une mastectomie
secondaire si nécessaire
- Compléter selon les indications
par une radiothérapie
Réaliser un traitement - Curage ganglionnaire après CNA
adéquat de l’aisselle sauf si ganglion sentinelle réalisé
dans le cadre d’une évaluation
ou dans certaines situations
particulières validées par un comité
multidisciplinaire
La prise en charge pré-, per- et post-chirurgicale est idéalement
réalisée par une équipe multidisciplinaire, incluant le médecin
traitant
Le rôle du chirurgien dans la prise en charge « globale » du cancer du sein ne doit
pas se limiter à l’acte chirurgical lui-même. Sa participation débute dès le premier
contact de la patiente avec l’équipe soignante. La patiente doit être suivie continuel-
lement et conjointement par les membres d’une équipe qui compte, outre le chirur-
gien, l’oncologue, l’histologiste, le cytologiste et le radiologue.
L’intervention des psychologues et des autres personnels soignants doit être pré-
coce. Une procédure intitulée « dispositif d’annonce » et de prise en charge du
cancer du sein est mise en place à titre expérimental dans certains centres ; elle
représente l’une des réponses adaptées à cette période particulièrement difficile
pour les patientes.
Les décisions doivent être conjointes, validées et formalisées lors de réunions
multidisciplinaires.
Il faut dans certains cas ne pas indiquer trop tôt une stratégie thérapeutique et
compléter le bilan avant de choisir le meilleur traitement lors d’une concertation
multidisciplinaire.
Prise en charge chirurgicale des patientes traitées par chimiothérapie… 327
Lorsqu’une CNA est choisie, il faut, comme on l’a déjà évoqué, ne pas lier
chances de guérison et réponse au traitement. Dans tous les cas, mais plus particu-
lièrement ici, une information loyale et complète de la patiente (et de son conjoint
ou de la personne de son choix) dès le début de la prise en charge par l’oncologue
et le chirurgien est essentielle. Il est important dans toute cette étape qu’un lien écrit
et direct soit entretenu avec le médecin traitant.
La chirurgie est une étape indispensable, même en cas de
réponse tumorale complète, elle reste la seule façon de ne pas
ignorer une réponse incomplète
(11)
Quelle que soit la combinaison des examens utilisés en fin de CNA, il persiste des
faux négatifs et une sous-évaluation du nombre de lésions résiduelles par l’imagerie.
Ce taux de faux négatifs varie selon les études de 20 à 35 % des cas où la réponse
paraît complète lors du bilan d’imagerie.
L’absence d’exérèse de ces lésions résiduelles s’accompagne d’un sur-risque de
récidive locale quel que soit le traitement ultérieur.
Les définitions
Elles concernent la chimiothérapie elle-même : en France, le terme de CNA est le
plus largement utilisé par opposition à la chimiothérapie adjuvante. Le terme de
traitement systémique néo-adjuvant permet d’inclure la chimiothérapie et l’hormo-
nothérapie. Rappelons ici qu’il est également possible, en particulier dans certains
cas d’échecs de la chimiothérapie ou de l’hormonothérapie néo-adjuvante, d’utiliser
une radiothérapie néo-adjuvante.
La question des définitions concerne également la réponse : on distingue la
réponse clinique complète, la réponse histologique complète au niveau du sein et la
réponse histologique totale incluant le sein et le creux axillaire (ce terme doit être a
priori réservé aux patientes ayant fait l’objet d’une vérification du caractère N+ en
pré-opératoire, en particulier par cytoponction sous échographie).
Globalement, une réponse tumorale clinique est observée dans 75 % des cas
(47 à 100 % !). La réponse tumorale complète histologique varie de 6 à 19 %
(25 % dans les séries les plus récentes).
Au niveau ganglionnaire, 23 à 35 % des patientes initialement N1 deviennent
N0.
La présence d’un résidu tumoral sous forme de carcinome in situ n’est généra-
lement pas considérée comme une réponse partielle, mais comme une réponse
totale, car cette réponse concerne les lésions invasives. Il faut d’ailleurs savoir que ce
résidu de carcinome in situ, à condition d’être correctement traité (exérèse chirur-
gicale et radiothérapie post-opératoire) ne modifie pas le pronostic ultérieur. Les cas
où seul existe un reliquat de carcinome in situ ne sont pas exceptionnels, ils repré-
sentent dans notre expérience 8 % des cas. Une publication a observé une relation
328 Cancer du sein
entre la réponse au niveau de la lésion invasive et la réponse au niveau de la lésion
in situ (12).
Indications et contre-indications de la CNA
D’autres chapitres de cet ouvrage traitent des indications et des modalités de la
CNA. Nous ne ferons que rappeler brièvement les avantages et inconvénients de
cette stratégie que le chirurgien (la réciproque est vraie pour l’oncologue) doit
connaître.
Principaux avantages de la CNA
Théoriquement, un meilleur contrôle de la maladie occulte avec diminution du
risque de récidive et de métastases.
– Augmentation du taux de traitement conservateur (de 50 à 90 %).
– Disposer d’un facteur pronostique de réponse au traitement général systémique.
– Disposer d’informations sur la sensibilité de la tumeur au traitement systémique
utilisé et pouvoir ainsi utiliser d’autres lignes thérapeutiques.
– Disposer de marqueurs prédictifs de réponse à long terme.
– Un autre avantage potentiel de la CNA est la possibilité d’observer une « stérilisa-
tion » de l’aisselle chez les patientes initialement N+. Cette « négativation » de
l’aisselle est un facteur pronostique capital dans certaines études. Dans une publi-
cation portant sur 191 patientes N+ avant la CNA (13), 43 patientes (23 %) deve-
naient N- après CNA. L’étude univariée montre que ces patientes présentaient une
tumeur majoritairement récepteurs négatifs, plus petite, avec la réponse tumorale
plus fréquemment complète. La survie sans récidive à cinq ans était de 87 % chez
les patientes présentant une négativation de l’aisselle contre 50 % chez les
patientes restant N+. De plus, après recherche de micro-métastases par des
niveaux de coupes supplémentaires dans les ganglions de patientes N-, le taux de
survie sans récidive était de 87 % chez les patientes ne présentant aucune micro-
métastase occulte et de 75 % chez les patientes présentant une micro-métastase
après un recul moyen de suivi de soixante et un mois. Bien que ces résultats doi-
vent être confirmés par d’autres études, ils témoignent de la valeur prédictive de
la négativation de l’aisselle.
Principaux inconvénients de la CNA
– Augmentation du taux mécanique de récidive par l’augmentation du taux de trai-
tement conservateur (14). Dans une étude de Mauriac et coll. (6), parmi les 62 %
des patientes pouvant bénéficier d’un traitement conservateur, 22 % de ces
patientes devront faire l’objet d’une mastectomie secondaire pour récidive.
Ce taux de rechute loco-régionale est a priori plus important que celui obser
après mastectomie et chimiothérapie adjuvante. Toutefois, certaines études ne
retrouvent pas cette différence (15). Les auteurs de cet article observent que la taille
initiale (supérieure à 5 cm), le type histologique (lobulaire), le grade histologique
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