Les Sourds entendent avec les yeux

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Les Sourds entendent avec les yeux
‘’…Enfant sous vide, exilée du son.
Instinctivement, je les sens parler trop fort avec beaucoup d’effort.
Souffrance des mots que je ne pourrais vous exprimer.
Oui c’est ça ma vie, je dois me battre au bout de moi-même…’’
L’expérience du dedans d’Aurélie SELLE
‘’La culture c’est le propre de l’être humain et
l’humain est au cœur de la santé ‘’ Site ARS Rhône-Alpes
La rencontre avec une personne sourde provoque un sentiment d’étrangeté, nos repères sont
bouleversés. Pendant un instant, nous partageons ce handicap de communication. Situation qui
remet en question le processus commun de communication que l’on désigne sous les termes de
langage et de parole.
La surdité n’est pas un handicap en elle-même, c’est la relation avec le milieu qui crée cette
situation.
1/ La Langue des Signes Française
sur les chemin de l’histoire
A travers les temps la Langue des Signes a toujours été un domaine d’affrontement entre Sourds et
Entendants, évoluant en fonction du lieu, du contexte et de la période.
Son origine daterait du 4ème siècle, époque où la gestuelle occupait une place de choix, largement
valorisée avec le théâtre et la danse.
L’époque médiévale est aussi tolérante, la France étant un pays rural et le travail largement manuel.
La marginalisation de la population sourde prend de l’ampleur à partir du XVème siècle, avec
l’essor des villes où la solidarité est moins présente qu’à la campagne. D’autre part la
démocratisation de l’écrit les mette en difficulté.
En 1760, l’Abbé de l’Epée s’intéresse au mode de communication des ‘’ Sourds-muets ‘’ en
observant un couple de jumelle Sourdes communiquant entre elles par gestes. On peut lui faire
hommage, sous son impulsion l’INJS St-Jacques à Paris a été crée. C’est le 1er institut regroupant
des enfants sourds pour les instruire avec la méthode qu’il mettra en place ‘’ Les signes
méthodiques ‘’..
En 1880 le Congrès de Milan interdit la Langue des Signes dans l’éducation en France et dans
d’autres pays dans le monde, exemple la Suisse. Il est décrété que la méthode orale pure doit être
préférée.
Les trois raisons évoquées sont :
- la Langues des Signes française n’est pas une vraie langue
- elle ne permet pas de parler de Dieu
- les signes empêchent les Sourds de bien respirer ce qui favorise la tuberculose
Les conséquences de ce congrès sont :
- brutales, à partir de là les Sourds utiliseront la Langue des Signes en cachette,
- et durable puisque ce n’est qu’en 2000 que la Langue des Signes sera réintroduite au compte
goutte dans les écoles spécialisées. Cette langue ne sera légitimée et reconnue comme une langue
vivante à part entière dans l’éducation que par la Loi du 11 février 2005 - loi pour la différence des
droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées -.
Son organisation
La Langue des signes Française un des piliers de la culture Sourde est une langue vivante à part
entière. C’est une langue visio-gestuelle a une syntaxe et utilisent des signes qui ne sont pas utilisés
au hasard mais obéissent à un ensemble de règles : la grammaire.
Ce mode de communication oblige à se regarder dans les yeux, le regard partagé inaugurant toute
communication à l’inverse dés que le regard est rompu l’échange se termine.
La pensée visuelle des Sourds entraine systématiquement une mise en scène de ce qui se dit, les
signes s’enchainent pour construire des phrases gestuelles.
2/ Contexte et constats
D’un point de vue épidémiologique, il est très difficile d’avoir des chiffres exacts. La population
sourde est très complexes : les personnes sourdes qui signent, les personnes sourdes oralistes et les
malentendants généralement oralistes. Il y aurait donc en France environ 5 millions de personnes
déficientes auditives dont 300.000 pratiquant la Langue des Signes Française.
Dans le département de la Loire le nombre de Sourds serait environ 6000.
En fonction du bord auquel on appartient - Communauté Sourde ou Pouvoir Public -, il existe
différentes représentations culturelles et sociales, de ce que ‘’ être sourd ‘’ signifie :
- soit basée sur la mise en avant des différences culturelles et linguistiques d’une communauté
porteuse de valeurs identitaire, et le substantif Sourd avec une majuscule dénoterait l’appartenance
à cette communauté
- soit basée sous le seul angle physiologique la surdité approche uni focale qui conduit à une
médicalisation très forte et tous les handicaps qui en découlent, dans ce contexte le mot sourd est
un adjectif et il s’écrit avec une minuscule.
La majorité des professionnels de santé sont peu sensibilisé à de cette problématique.
3/ Origine de la prise en compte en Santé de la population Sourde
La question d’accès aux soins des Sourds – locuteurs en Langue des Signes – a été mise en évidence
en 1990 avec la pandémie de SIDA. Le constat sanitaire est alarmant, cette population a une double
carence : une non connaissance du VIH et aussi de la physiologie humaine.
L’accès chaotique aux soins est dû à une série de paramètres :
Les messages de prévention et de santé diffusés par la télé, la radio ou par affiche ne sont
pas adaptés induisant une marginalisation de la population Sourde, ils sont conçus par des
entendants pour des entendants . Exemple :
- Fumer nuit à la santé ‘’ C’est mauvais de fumer la NUIT ‘’ cette confusion est en
partie
due à la construction de la phrase ou le verbe est absent pour exprimer le temps.
- Sans explication de la représentation du Virus du SIDA, les Sourds ont interprété le virus
dessiné comme un soleil et donc comme le besoin de se protéger de ces rayons.
Leur apprentissage passe essentiellement par le canal visuel induisant de ce fait certains
sont incapables de se représenter ce qu’il ne voit pas. Pour les Sourds les mécanismes du
corps humain sont des mystères qu’ils ne peuvent pas intégrer, tel que l’apparition du
diabète, la formation du cholestérol ou le concept de circulation sanguine.
Le vocabulaire n’est pas toujours adapté pouvant entrainer des contresens ( sero+/sero- ),
voir trop compliqués ( hypo et hyperglycémie )
Il y a aussi un risque de confusion avec les sosies labiaux ( pain,bain,main )
Lire une prescription, une notice est un obstacle, ils se référent à la couleur des boites et aux
symboles existants
Ils ont aussi des difficultés à apprécier la gravité d’une situation dû fait de leurs difficultés à
se projeter dans l’avenir. C’est pour cela que très souvent les pathologies des patients
Sourds sont découvertes à l’apparition des complications. A cela s’ajoute, les Sourds sont
réticent à utiliser un système de soin qui ne leurs est pas adapté.
Sans images, ni schémas pas de représentations possible
4/ Les Pôles Santé Sourds en France
Le 1er Pôle Santé Sourds a vu le jour le jour à Paris en 1995, à l’hôpital de la Salpêtrière, suite à la
pandémie de SIDA. Depuis une vingtaine ont vu le jour sur le territoire français, toute les régions
n’en sont pas pourvues. L’évolution de chacun d’eux n’est pas hétérogène, dépendant de
l’organisation et les subventions de chacun.
En Rhône-Alpes, il y en a 5, le 1er a été celui de Grenoble, puis Saint-Etienne. Dernièrement
Chambéry, Annecy et Lyon viennent d’ouvrir.
La création de ces dispositifs d’accueil est une réponse pour améliorer l’accès aux soins de la
population Sourde.
Celui de Saint-Etienne a une spécificité, il est extra hospitalier, il a ouvert en octobre 2012. Le
projet est porté par La Ligue de l’Enseignement et subventionné par l’ARS. Son équipe est
constitué d’une intermédiatrice - professionnelle Sourde -, d’une coordinatrice, d’un médecin
généraliste et d’une psychologue - l’un et l’autre reçoivent les patients Sourds en Langue des Signes
Française.
Le Pôle Santé Sourds 42 a trois axes de travail :
La prévention : en favorisant l’accès aux messages de prévention et de santé, soit en
organisant des rencontres thématique - Prévention dentaire, Accidents domestiques,
Alcoolisme - soit en étant présent lors des journées thématique de la Maison des Usagers à
l’Hôpital Nord - Octobre Rose et visite du SAMU42 -.
La Santé : le patient Sourd a la possibilité de s faire accompagner dans son parcours de
soins - à sa demande -, l’intermédiatrice et/ou l’interprète pourront être présentes lors de
ces différentes consultations
Un permanence est aussi organisée 2 fois par semaine, avec des prises en soins régulière
possible.
Au niveau de la Santé, le pôle Santé 42 travail en partenariat avec le Réseau DEDICAS
avec l’organisation d’Ateliers ‘’ Dire le diabète en Langue des Signes ‘’
La sensibilisation des professionnels de santé et des étudiants.
5/ Point de vue croisée patient Sourd – soignant
Il existe un décalage dans le ressenti des deux points de vue, dû à une non connaissance du mondes
sourds par les soignants.
Du coté du patient Sourd :
- il ne se sent pas considéré comme un être humain à part entière
- il se sent révolté devant des explications qu’il ne saisit pas
- il se sent révolté devant les réactions inadaptées des soignants,
Du coté des soignants :
- En toute bonne fois les soignants pensent souvent avoir été compris et avoir fait des
efforts : la lecture labiale (les soignants pensent qu’ils peuvent tous lire sur les lèvres sans
confusion), le français écrit (les Sourds ont des difficultés avec l’écrit).
- Les soignants étant peu sensibilisé à cette problématique, les difficultés de compressions
de cette population spécifiques sont souvent minimisées.
Attention au piège du patient sourd qui répond « oui, oui »
quand on lui demande s’il a compris, c’est souvent par gène
et qu’il n’ose pas faire répéter.
6/ Une solution pour favoriser cette compréhension entre patients
Sourds et soignants :
un pont linguistique : L’interprète – L’intermédiatrice.
Le métier d’interprète
Cette profession se prépare en 5ans d’étude niveau Master (bac +5) : 3 ans de licence et 2 ans de
formation d’interprète.
Dans ce cadre l’interprétation se fait du français vers la langue des signes ou inversement
Sa déontologie est stricte : secret professionnel, fidélité de la traduction et neutralité (pas d’opinion
personnelle)
Sa présence est le seul moyen de rendre au Sourd sa place en tant que citoyen face à un professionnel
non ou peu signeur ( cette professionnel est un pont de communication entre le patient et le
professionnel).
Dans les situations – consultations, hospitalisation…- pour que le patient Sourd se sente pris en
compte comme citoyen à part entière, il faut éviter de faire appel à des personnes que ce soient ami,
famille, enfant, voisin, des professionnels maitrisant peu la Langue des signes, interfaces.
Par contre, parfois au vu de ses limites professionnelles, l’interprète peut être secondé par un
intermédiateur sourd qui lui permettra de mener à bien l’interprétation sans déroger à ses règles de
travail.
L’intermédiateur
L’intermédiateur est un professionnel Sourd. Ce métier a été reconnu récemment en 2014 par une
Licence professionnelle. Cette formation a lieu au sein de l’Université d’Aix-Marseille.
Dans le cadre de son travail, il intervient à plusieurs niveaux :
Ses missions auprès des Sourds :
•
Accompagner les patients dans toutes les domaines (maison de retraite, hôpital, consultation
médicale chez le généraliste ou le spécialiste, à domicile…)
•
Favoriser la prise de parole du patient :
1. Les Sourds ont souvent l’habitude qu’on parle à leur place.
2. Les Sourds prennent rarement la parole. Par ex : Sourds demandent à l’intermédiateur s’ils
peuvent poser des questions.
• Décrypter les messages lors des situations :
1. Entre les Sourds et les entendants ( dans les deux sens ) pour une adaptation du message et
la reformuler les informations avec un logique Langue des Signes
2. Rajouter des informations manquantes ( lacunes présentent chez les Sourds )
•
1.
2.
3.
4.
Assurer des entretiens individuels suivant le besoin des patients sourds pour
Informer
Rassurer
Les aider à trouver des repères pour divers thèmes
Approfondir les situations
Ses missions auprès professionnels de santé
Dans ce cadre d’intervention, une interprète est présente:
•
•
Les sensibiliser à la condition Sourde ( culture, spécificités )
Réajuster leurs messages lors des consultations pour qu’il soit accessible à cette population
spécifique
Dans cette relation inégale entre les professionnels de santé avec leurs savoirs et leurs facilités de
communication et les patients Sourds qui se sentent en retrait, le maillon interpréte-intermédiateur
rééquilibre la relation et redonne une notion d’équité.
L’intermédiateur peut rencontrer différents types de patient Sourd :
•
•
•
•
•
soit avec des handicaps associés, ou bien ayant une mobilité réduite, une déficience mentale
soit aveugles, comme les patients Ushers
soit pratiquant une langue des signes étrangère
soit des patients isolés
soit sans handicap associé, le plus souvent.
7/ Exemple de SMS envoyé par des Sourds et leur traduction
- Bonjour, je suis bus aller F…OK tout l heure et j ai apport livre pour equipe diabete voila
Bonjour, je suis dans le bus de F…(le lieu). OK. A tout à l’heure. J’ai apporté le livre « diabète »
pour l’équipe.
- Bonjour tu veux voir je dis quel chose sa va pas je voulais bien discute si t ok. Merci
Bonjour, je veux te voir car je ne vais pas bien. J’ai besoin de discuter avec toi si tu es d’accord.
Merci
- Ah ok pour ça ok pour lundi mais infirmiere vient lundi 10 h quand fin moi passe pole sante
ok
Ah, d’accord pour le rendez-vous du lundi mais par-contre l’infirmier vient chez moi le lundi à 10h.
Quand j’aurais fini, je passerais te voir au Pôle Santé.
- Bjr, je arrive pied si t dergent ou pas
Bonjour, je suis à pied. Puis-je venir te voir si cela ne te dérange pas.
La surdité est un handicap social,
la rencontre entre Sourds et
entendants crée la situation de
handicap.
Boite à outils visuelle pour faciliter
la communication :
les patients Sourds ont besoin de
voir, de manipuler la forme de la
boîte ou des comprimés, de
comprendre le mécanisme d’un
dispositif…
Exemple de tableau repas
Date :…………………………………………………………………………………………………………………………………
PETIT DEJEUNER
baguette : 2
tranches
ou
(sans sucre)
1 bol de lait ½
écrémé
1 compote sans sucre
ajouté
10g de beurre
ou
1 cuillère à café
1 bol
ou
1 fruit
4 biscottes
DEJEUNER (midi)
(Riz)
ou
+
A volonté (libre)
1 cuillère à
soupe d’huile
ou vinaigrette
ou
1 fruit
(pâtes)
ou
ou
ou
2 œufs
(Pomme de terre)
Ou
10g de beurre
Ou
Photocopie de la boite du traitement
+ explication 1/4,1/2, ¾ cp
Les ¼, ½, ¾ cp :
ex : les antivitamine K
Deux autres exemples imagés
Sachet à diluer
Sirop avec pipette dose kgs
La plaquette du Pôle Santé Sourds 42
-1-
La plaquette du Pôle Santé Sourds 42
-2-
Dispositif d’Appel d’Urgence 114
Voit site www.urgence114.fr
Bibliographie
Livres
BERTIN Fabrice (2010) LES SOURDS Une minorité invisible Edition Autrement,
GAUCHER Charles et VIBERT Stéphane (2010) Les Sourds : aux
origines d’une identité
plurielle Edition P.I.E.Peter Lang
PELLETIER Armand DELAPORTE Yves (2002) « Moi, Armand, né sourd et muet… »
Ed. Plon
MOTTEZ Bernard (2006) Les Sourds existent-ils ? Edition L’Harmattan
DAGRON Jean (2008) Les silencieux Edition Presse Pluriel
DAGRON Jean (1999) Sourds et soignants, deux mondes, une médecine Ed. In Press
DAGRON Jean (2013) Albert CAMUS, l’empreinte du silence Editions du Crilence
MINGUY André (2009) Le réveil Sourd en France Edition L’Harmattan
DE LA SELLE Aurélie (2006) Rien ne sert de parler si fort Edition L’Harmattan
LABORIT Emmanuelle (1993) Le cri de la mouette Edition Pocket Jeunesse Adulte
MEYNARD André (2000) Surdité, l’urgence d’un autre regard Edition érès
POULAIN Véronique (2014) Les mots qu’on ne me dit pas Edition Stock
LECLAIR Bertrand (2013) Malentendus Edition ACTES SUD
Articles
KERBOURC’H.S (2006) « Du mouvement Sourd à la parole publique des sourds, Actes du
colloque EHESS (hal-00351622, version 1-9 2009)
« Sourd de naissance et diabète, la langue des signes s’impose. »
www.bdrion.over-blog.net
« Une langue n’existe que dans sa culture » Emmanuelle LABORIT sur
www.sitebbnews.com
Sites
www.lexpress.fr LABORIT Emmanuelle Laissez-nous vivre sourds le 21/01/94
www.sitebbnews.com LABORIT Emmanuelle interview avec BECU Elodie
www.youtube.fr LABORIT Emmanuelle interview avec MARTIN Estelle
www.guadeloupefranceantille.fr Victor ABBOU Quand les Sourds prennent la parole
www.pisourd.ch Article : Une culture, une identité
www.lesigne.org Article de BERTIN Fabrice
www.cis.gouv.fr Article de SAHLI William : Médiation en santé mentale
www.infos.sante.sourds Les mains pour le dire
www.inpes.sante.fr/lsf
www.sante.gouv.fr Guide méthodologique relatif aux missions
www.informations.handicap.fr
www.assemble-nationale.fr/rapports
www.france5.fr/oeil-et-la-main
www.documentaire.france5.fr
Ars.rhonealpes.sante.fr/Culture-sante ( Recherche Google)
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