La protection et la valorisation du patrimoine industriel

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La protection
et la valorisation
du patrimoine industriel
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Page précédente : Le Moulin Vertu de Roy-Boissy - Détail du potier sculpté sur la façade principale de la maison Gréber à Beauvais.
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PATRIMOINE INDUSTRIEL ET MONUMENTS HISTORIQUES
LA POLITIQUE DE PROTECTION DANS L’OISE
Claudine CARTIER Ò,
Conservateur en chef du patrimoine à l’Inspection générale des Musées de France
Bertrand FOURNIER Ò,
Chercheur au Service de l’Inventaire du patrimoine culturel de Picardie
Introduction et généralités
a connaissance du patrimoine industriel a beaucoup progressé depuis la mise en place du
repérage du patrimoine industriel, opération d’envergure nationale lancée en 1986 par la
cellule du patrimoine industriel au sein de la Direction du patrimoine du Ministère de la culture.
Les services régionaux de l’Inventaire ont réalisé ces repérages suivant une méthodologie dénie
au niveau national. La région Picardie a été très vite concernée et l’une des premières à mettre
en place ces études, ce qui a permis à la connaissance sur le patrimoine industriel d’émerger.
Par ailleurs, à côté de ces investigations dont l’aire d’étude est le département, un certain nombre
d’enquêtes thématiques ont été mises en oeuvre comme celles sur les industries céramiques et
verrières, la métallurgie, l’extraction du charbon. Parmi ces investigations, nous avons vu combien
l’inventaire expérimental des sites hydrauliques de la vallée du Thérain a permis de faire progresser
la méthodologie.
Ainsi, si la France n’est pas en retard par rapport à ses voisins du point de vue de l’étude, elle l’est
en ce qui concerne la préservation, la conservation et la mise en valeur de ce patrimoine, même
si aujourd’hui des opérations innovantes entreprises par des collectivités imaginatives se font jour.
L’opération bassin minier UNESCO engagées par la Région du Nord-Pas-de-Calais ainsi que la mise
en lumière du haut fourneau d’Uckange peuvent aujourd’hui être considérées comme des opérations
« phare ». Elles sont cependant très récentes et interviennent une vingtaine d’années après le début
des études et du repérage.
Ces inventaires constituent les premiers maillons de la chaîne patrimoniale qui se poursuit par la
hiérarchisation, le tri et la sélection des éléments susceptibles d’être protégés au titre de la loi sur les
Monuments historiques. Si la sélection est draconienne pour les anciennes fabriques, usines et ateliers
que l’on tente de faire accéder au label Monument historique, elle est beaucoup plus laxiste pour ce
qui est du patrimoine « classique » plus ancien et plus noble.
La protection et la conservation ne se fait pas au hasard, même si l’urgence a parfois nécessité
certaines mesures, il s’agit d’une politique raisonnée et orientée autour de l’identication scientique
de quatre critères de sélection : le critère historique ou exceptionnel, le critère quantitatif ou sériel, le
critère technologique ou le critère symbolique, particulièrement efcient pour ce patrimoine porteur
d’une grande sensibilité.
En nombre, le patrimoine industriel protégé « ne pèse pas lourd » dans l’ensemble du corpus français
des Monuments historiques et « l’ination patrimoniale » n’est pas à rechercher de ce côté. En effet,
seuls douze arrêtés sont antérieurs à 1940 et sept entre 1940 et 1960. A cette époque signalons
que le site des forges de Buffon à Montbard a été protégé grâce au nom de son glorieux propriétaire
du XVIIIe siècle et que le haut fourneau n’est pas mentionné dans l’arrêté.
Avant 1975, moins de 30 sites « industriels » sont protégés en France dont une grande majorité de
moulins hydrauliques au charme bucolique avéré. A partir de cette date, le rythme progresse grâce
à la réforme patrimoniale de 1985 et la mise en place des commissions régionales (Corephae)
qui ont permis une prise en compte plus forte du patrimoine industriel. Les connaissances apportées
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par le repérage et le suivi des dossiers au plus près du terrain et des sites ont amplié le mouvement
et l’on peut considérer qu’environ 700 sites sont protégés MH1 en 2001 dont 80% sont inscrits à
l’Inventaire supplémentaire des monuments historiques.
Dans cette étude du CILAC de 2001, l’accent était mis sur les sites industriels à protéger en urgence
en même temps que ce bilan des sites et édices touchés par les mesures de protections au titre
des Monuments historiques de cette catégorie. Aujourd’hui, sur l’ensemble du territoire national
(DOM-TOM compris), 930 sites relèvent du patrimoine industriel et technique, soit 2 % du patrimoine
protégé Monument historique. Sur ces 930 sites, il est également intéressant de relever qu’un tiers
concerne des moulins à vent ou hydrauliques, soit de petites unités architecturales, anciennes qui
bénécient d’une aura esthétique et pittoresque.
En Picardie, que représente cette protection MH de sites industriels ?
La politique de protection menée grâce aux Corephae2 puis aux CRPS3, a permis la protection de
38 sites industriels4 au titre des Monuments historiques sur les 1558 édices protégés que compte la
région. La centrale hydro-électrique de Long dans la Somme, ainsi que la maison Gréber à Beauvais
(Fig. 94)
et l’usine de carreaux céramiques Boulanger à Auneuil sont les seuls à être classés. L’usine
de velours Cosserat à Amiens, que l’on considère habituellement comme classée, n’a pour l’instant
reçu qu’une proposition de classement. En effet, pour être validée, cette proposition doit recevoir
l’accord du propriétaire et être présentée
devant la Commission supérieure des
Monuments historiques, chargée de
statuer sur son niveau de protection. A
ce jour, le propriétaire n’a toujours pas
donné son accord.
Le département de l’Oise concentre,
à égalité pratiquement avec celui de
la Somme, près de 40 % des édices
industriels protégés au titre de la loi
de 1913. En l’espace de trente ans
environ, quatorze sites industriels ont
reçu cette reconnaissance patrimoniale
dans le département de l’Oise et forme
un corpus qui reète la politique de
connaissance et de sensibilisation
menée au cours de cette période.
Chronologie de la protection du patrimoine industriel dans l’Oise
Le premier site industriel du département de l’Oise à avoir bénécié d’une mesure de protection fut
la maison-magasin de la manufacture Gréber à Beauvais, inscrite à l’inventaire supplémentaire des
Monuments historiques en 19755 et classée Monument Historique en 1979. Bien que l’édice fut
isolé de son environnement industriel propre, il fut jugé, avec sa composition originale de céramiques
architecturales, comme un exemple unique de vitrine de la production et du savoir-faire de l’entreprise.
Mais plus largement, l’édice portait en lui une dimension sentimentale et symbolique forte des
Fig. 94 -
Vue d’ensemble de la maison Gréber à Beauvais, classée en 1979.
1 D’après l’Archéologie industrielle en France, n°38, juin 2001.
2 COREPHAE : COmmission REgionale du Patrimoine Historique Architectural et Ethnographique institué par décret n°84.1007 du 15 novembre 1984 paral-
lèlement à la modication des procédures de classement et d’inscription à l’Inventaire supplémentaire des Monuments historiques.
3 CRPS : Commission Régionale du Patrimoine et des Sites instituée à la suite de la loi du 28 février 1997 fusionnant les Corephae et le Collège régional
du Patrimoine et des Sites.
4 Dans l’Aisne sont protégés au titre des Monuments historiques : 9 sites : Buire-Hirson, la tour d’aiguillage, dite tour orentine ; Fresnoy-le-Grand, lature La
Filandière ; Epieds, moulin du château ; Guise, familistère Godin Ribemont, minoterie, dite moulin de Lucy ; Saint-Gobain, manufacture royale des Glaces ;
Saint-Quentin, lature et tissage Sidoux ; Séry-les-Mézières, moulin de Senercy ; Villers-Cotterêts, moulin de la chartreuse de Bourgfontaine.
Dans l’Oise : 14 sites : Achy, moulin de l’abbaye de Beaupré ; Auneuil, usine céramique Boulanger ; Beauvais, maison Gréber ; Compiègne, pompe à feu ;
Cramoisy, lature de laine, puis usine d’isolateurs électriques en porcelaine Parvillée ; Francières, sucrerie et distillerie ; Grez, moulin à vent ; La Chapelle-
aux-Pots, four de poterie de la Crapaudière ; La Chapelle-sous-Gerberoy, moulin hydraulique du Vidamé ; Méru, usine de tabletterie Desmarets ; Roy-Boissy,
moulin Vertu ; Saint-Félix, brosserie Autin ; Vrocourt, moulin du Clos-Guidon
Dans la Somme : 15 sites : Abbeville, manufacture de draps, dite des Rames ; Amiens, usine Yvert & Tellier ; Amiens, moulin Passe-avant, moulin Passe-Arrière ;
usine de velours Cosserat ; Citerne, moulin à vent d’Yonville ; Daours, lature de laine ; Flixecourt, tissage Saint-Frères ; Frémontiers, moulin ; Frucourt, moulin à
vent ; Long, centrale hydro-électrique ; Maisnières, moulin de Visse ; Naours, moulin à vent Belcan, moulin à vent Westmolen ; Saint-Maxent, moulin à vent
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Beauvaisiens et des céramistes du Beauvaisis, qui
eut raison des arguments d’opposition avancés
par le propriétaire de l’époque. Signe de cet
attachement, la maison Gréber a depuis été
achetée par la ville de Beauvais qui l’a restaurée
et mise à disposition d’associations patrimoniales.
Il fallut ensuite attendre une dizaine d’années,
et sans doute le résultat des premiers travaux de
recensements des moteurs hydrauliques de la vallée
du Thérain entrepris par l’Ecomusée du Beauvaisis,
pour que d’autres sites industriels bénécient d’une
mesure de protection. Ce fut le cas, en 1986, du
moulin du Vidamé à La Chapelle-sous-Gerberoy
(Fig. 95)
, qui remonte à l’époque médiévale, et
du moulin de l’abbaye de Beaupré, protégé en
1988, en même temps que les ruines de cette
abbaye cistercienne. Suivirent plusieurs autres
sites hydrauliques de la vallée du Thérain et du
Petit-Thérain, comme le moulin du Clos-Guidon à
Vrocourt, le moulin Vertu à Roy-Boissy, et l’ancienne brosserie Autin, remarquablement conservée à
sa fermeture en 1979.
Outre le caractère très authentique des ateliers, ce fut surtout le projet de musée de la brosserie
qui, sous l’égide de l’Ecomusée des Pays de l’Oise, permit d’envisager l’inscription à l’Inventaire
supplémentaire des Monuments historiques de cet ensemble remarquable. Le même processus se
retrouva d’ailleurs pour les anciens ateliers de tabletterie Fessart Dégremont à Méru qui furent inscrits
en 1994, une fois que la collectivité locale fut convaincue et prête à s’investir dans la réhabilitation
de cette ancienne usine pour la création d’un musée consac au travail de la nacre et de la
tabletterie.
L’homogénéisation qui prévalut à la révision d’anciennes protections, comme celle des grands
domaines de Chantilly et de Compiègne conduisit également à inclure des bâtiments techniques
oubliés jusqu’alors. Ce fut le cas du pavillon élévatoire des
eaux, dit Pavillon de Manse, construit par Jules Hardouin
Mansart en 1769, ainsi que le bâtiment de la pompe à feu
du château de Compiègne, élevé en 1810 pour abriter
une machine des frères Perrier et remplacée en 1856 par
une machine Farcot de 6 chevaux6.
Au cours de la dernière décennie, les mesures de protection
ont aussi touché deux ensembles industriels importants,
comme la sucrerie et distillerie de Francières, en 1999, et
l’ancienne lature de laine Lefèvre, devenue la fameuse
usine d’isolateurs électriques Parvillée. Celle-ci fut inscrite
à l’Inventaire supplémentaire en 2002 principalement en
raison de sa halle de cuisson à structure métallique, attribuée
à Gustave Eiffel.
Enn, plus modestement, les fours de la Crapaudière à
Lachapelle-aux-Pots et le moulin à vent de Grez
(Fig. 96)
,
daté de 1672 furent également protégés au titre des
Monuments historiques, respectivement en 2000 et en
2001. Tous deux constituaient les ultimes témoins d’un type
5 La maison Gréber (63, rue de Calais) est ISMH par arrêté préfectoral du 16 avril 1975. Le classement est adopté par décret du 8 juin 1979.
6 Cette machine a vapeur a été restaurée en 1981 par les étudiants de Université de Technologie de Compiègne (UTC), sous la direction de Joël Debout.
Fig. 95 -
Le moulin du Vidamé à La Chapelle-sous-Gerberoy, avec
sa façade emblématique cantonnée de deux tourelles d’angle en
encorbellement.
Fig. 96 -
Le moulin à vent de Grez, dont il ne subsiste que
la structure, et protégé comme dernier moulin à vent existant
dans l’Oise.
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