Bases fondamentales Adénocarcinome ductal pancréatique et microenvironnement tumoral : rôle de la réaction desmoplasique fibreuse Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Corinne Bousquet, Christiane Susini doi: 10.1684/hpg.2007.0101 Inserm U858, Institut de Biologie Moléculaire de Rangueil, IFR31, CHU Rangueil, Toulouse, France <[email protected]> Bien que longtemps ignoré dans la régulation de la progression tumorale, le rôle promoteur du micro-environnement tumoral est désormais reconnu par de nombreuses études. Ce microenvironnement appelé aussi stroma-tumoral est principalement composé de tissus connectifs fibreux, la matrice extracellulaire, ainsi que d’une composante cellulaire représentée par des fibroblastes, des cellules inflammatoires et immunitaires et des cellules composant les vaisseaux sanguins. Il existe une communication étroite entre cellules épithéliales cancéreuses et cellules stromales. Les cellules cancéreuses sont en effet capables d’altérer leur microenvironnement de manière à le rendre plus propice au développement tumoral en favorisant la mise en place d’un stroma « réactif », appelé également réaction desmoplasique, correspondant à une production excessive de tissu connectif fibreux et à une activation de chacune des composantes cellulaires du stroma, avec principalement apparition de myofibroblastes, mais également de réactions inflammatoires, immunitaires et angiogéniques. Cette réaction stromale contribuerait en contrepartie à la progression tumorale. Parmi les tumeurs malignes caractérisées par une forte réaction stromale, l’adénocarcinome ductal pancréatique, un cancer très agressif de très mauvais pronostic, présente comme signature histopathologique une infiltration fibreuse abondante retrouvée aussi bien dans la tumeur primaire que dans les métastases lymphatiques et hépatiques. Cette revue a pour objectifs de caractériser les mécanismes moléculaires et cellulaires responsables de la mise en place de la réaction desmoplasique dans l’adénocarcinome ductal pancréatique en insistant exclusivement sur la composante fibreuse de cette réaction, d’établir son rôle dans la progression de ce type de cancer, et d’évaluer le bénéfice thérapeutique potentiel qu’apporterait le ciblage du micro-environnement tumoral pour le traitement de ce type de cancer. Tirés à part : C. Bousquet Hépato-Gastro, vol. 14, n°3, mai-juin 2007 231 Bases fondamentales Il est actuellement reconnu que le micro-environnement tumoral joue un rôle critique sur la progression tumorale, ce qui est particulièrement vrai pour l’adénocarcinome ductal pancréatique qui présente une forte réaction desmoplasique fibreuse. Cette réaction provient d’une communication étroite et réciproque entre cellules épithéliales cancéreuses et cellules du stroma, les cellules épithéliales altérant leur microenvironnement de manière à le rendre plus propice à leur propre prolifération, survie, migration et invasion. Mots clés : adénocarcinome ductal pancréatique, réaction desmoplasique fibreuse, micro-environnement N Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. otre appréciation restreinte de la progression tumorale en tant qu’un enchaînement d’événements rythmé par l’accumulation de mutations dans les cellules épithéliales cancéreuses a largement contribué à l’ignorance du microenvironnement comme promoteur du phénotype malin. Toutefois, depuis deux décennies ont commencé à se multiplier les études démontrant la participation du micro-environnement dans la progression tumorale. En effet, la tumeur est désormais reconnue comme tissu hétérogène et complexe de part sa composition en types cellulaires différents correspondant à la fois aux cellules épithéliales cancéreuses per se et aux cellules du tissu environnant appelé stroma tumoral. Ce stroma correspond à une structure de tissu connectif composée d’une matrice extracellulaire (MEC), la matrice tumorale, ainsi que d’une composante cellulaire correspondant à des fibroblastes, des cellules inflammatoires et immunitaires (lymphocytes, macrophages et mastocytes), et des cellules composant les vaisseaux sanguins (cellules endothéliales, péricytes et cellules musculaires lisses). Il existe une communication étroite entre cellules épithéliales cancéreuses et cellules stromales, chaque composante régulant la dynamique de l’autre affectant ainsi la croissance tumorale. Il a été démontré que les cellules cancéreuses sont capables d’altérer leur microenvironnement de manière à le rendre plus propice et favorable au développement tumoral. La résultante est la mise en place d’un stroma « réactif », appelé également réaction desmoplasique, correspondant à une production excessive de tissu connectif fibreux et à une activation de chacune des composantes cellulaires du stroma, avec principalement apparition de myofibroblates ou CAF (carcinoma-associated fibroblasts), mais également de réactions inflammatoires, immunitaires et angiogéniques. Cette réaction stromale contribuerait en contrepartie à la progression tumorale. En effet, au cours des états cancéreux, une perturbation des contacts des cellules cancéreuses entre elles et des cellules cancéreuses–MEC favorise la migration et l’invasion tumorale. D’autre part, la MEC, dont la composition est modifiée, sert de réservoir aux facteurs de croissance et aux cytokines sécrétés par les cellules cancéreuses et/ou les cellules stromales, favorisant ainsi leur interaction 232 avec leur récepteur respectif, et régulant leur activation et/ou turnover [1]. L’importance relative du stroma tumoral varie considérablement d’un type tumoral à un autre, mais n’est pas a fortiori corrélée au degré de malignité de la tumeur [1]. Parmi les tumeurs malignes caractérisées par une forte réaction stromale, l’adénocarcinome ductal pancréatique présente comme signature histopathologique une infiltration fibreuse abondante retrouvée aussi bien dans la tumeur primaire que dans les métastases lymphatiques et hépatiques. Il s’agit d’un cancer extrêmement agressif caractérisé par une progression très rapide et l’apparition précoce de métastases, et de pronostic très sévère en raison du diagnostic qui se fait dans la plupart des cas à un stade avancé d’évolution de la maladie et de la faible réponse des cellules cancéreuses pancréatiques à la chimiothérapie ou à la radiothérapie [2]. Cette revue a pour objectifs de caractériser les mécanismes moléculaires et cellulaires responsables de la mise en place de la réaction desmoplasique dans l’adénocarcinome ductal pancréatique en insistant exclusivement sur la composante fibreuse de cette réaction, d’établir son rôle dans la progression de ce type de cancer, et d’évaluer le bénéfice thérapeutique potentiel qu’apporterait le ciblage du micro-environnement tumoral pour le traitement de ce type de cancer. Caractéristiques du stroma tumoral fibrotique de l’adénocarcinome ductal pancréatique La MEC présente dans l’adénocarcinome ductal pancréatique est principalement composée de collagènes, de glycoprotéines non collagéniques, d’élastine et de protéoglycannes. La réaction fibreuse desmoplasique observée dans ce type de cancer se traduit, d’une part, par une augmentation de la production de la MEC, notamment de fibronectine, de protéoglycannes mais surtout de collagène interstitiel fibrillaire (de type I et III) dont l’expression est augmentée d’environ 3 fois par rapport à ce qui est observé dans le pancréas sain, et d’autre part par une perte de la membrane basale, exposant ainsi les cellules cancéreuses pancréatiques Hépato-Gastro, vol. 14, n°3, mai-juin 2007 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. directement au collagène interstitiel, ce qui entraîne une perturbation des interactions cellules épithéliales–MEC [3]. Les collagènes fibrillaires contribuent normalement au maintien de la structure des organes épithéliaux en apportant une force de tension à la matrice interstitielle, elle-même séparée des cellules épithéliales par la membrane basale, une matrice extracellulaire spécialisée. Cette réaction desmoplasique est associée à une multiplication intense des cellules stromales fibroblastiques, qui dans certains cas de cancer sont même en surnombre par rapport aux cellules épithéliales cancéreuses elles-mêmes. Ces cellules d’origine mésenchymateuse appelées cellules stellaires pancréatiques (PSC) correspondent à des fibroblastes différenciés en un phénotype de myofibroblastes activés ou CAF [4]. En immunohistochimie, les cellules fibroblastiques sont spécifiquement reconnaissables par des immunomarquages dirigés contre les protéines desmine ou protéines de liaison de l’acide rétinoïque, et contre la protéine actine a musculaire lisse (aSMA), une fois que ces cellules sont activées en myofibroblastes. Une analyse comparative de la MEC présente dans des lésions de pancréatite chronique et d’adénocarcinome ductal pancréatique a montré une forte homologie structurale dans leur composition, impliquant une source cellulaire commune de production. Le rôle crucial des PSC a d’ailleurs été clairement démontré dans la pathogénie de la pancréatite chronique au cours de laquelle une accumulation de collagène fibrillaire participe au développement de la maladie [5]. Par des comarquages en immunohistochimie avec des anticorps aSMA, collagène type I, III et fibronectine, et/ou en hybridation in situ avec une sonde reconnaissant l’ARNm du procollagène alpha1I, ces myofibroblastes ont été identifiés comme étant la source principale de production du collagène et de fibronectine présents dans la réaction desmoplasique pancréatique [6, 7]. La preuve en est que les tumeurs issues de la xénogreffe de cellules cancéreuses pancréatiques chez l’animal ne présentent en l’absence de PSC qu’une très faible réaction fibreuse [7]. Des PSC isolées à partir d’échantillons humains d’adénocarcinome pancréatique ont été immortalisées, et leur utilisation facilitera l’étude des interactions cellules cancéreuses–PSC dans l’avenir [8]. Facteurs sécrétés par les cellules cancéreuses pancréatiques influençant la réaction desmoplasique fibreuse Facteurs de croissance Il a été bien démontré que les cellules cancéreuses pancréatiques surexpriment de nombreux facteurs de croissance et leurs récepteurs, et sécrètent ces facteurs qui, par autocrinie, vont promouvoir leur prolifération. D’autre part, de plus en plus nombreuses sont les études démontrant le rôle stimulant des cellules cancéreuses épithéliales pancréatiques sur la prolifération et la synthèse de matrice extracellulaire par les PSC (figure 1). De cette manière, la tumeur détourne le micro-environnement hôte local à son avantage pour favoriser sa propre croissance et sa survie. Des expériences de culture de cellules fibroblastiques soit en présence des milieux conditionnés, soit directement en coculture avec les cellules cancéreuses pancréatiques ont en effet montré la sécrétion, par les cellules cancéreuses épithéliales, de facteurs de croissance qui ainsi stimulent par paracrinie les PSC. De la même manière, l’activation des PSC observée au cours des états de pancréatite chronique et responsable de la réaction stromale observée dans cette pathologie, résulterait d’une stimulation par des facteurs de croissance sécrétés par les cellules acineuses injuriées, voire les plaquettes ou les macrophages activés [7]. Certains facteurs fibrogéniques surexprimés et sécrétés par les cellules cancéreuses pancréatiques ont été identifiés et seraient responsables des effets inducteurs sur la prolifération et la synthèse de MEC par les PSC. Il s’agit notamment du PDGF (platelet-derived growth factor) et du FGF-2 (fibroblast growth factor) qui accélèrent la prolifération des PSC, et qui avec le TGFb (tumor growth factor) sont également responsables de l’effet de synthèse de MEC [7, 9]. En plus de ces effets positifs sur la prolifération et la synthèse de MEC des PSC, le FGF-2 est un facteur pro-angiogénique en revanche son effet stimulant sur la croissance des cellules endothéliales [10]. Le TGFb, une cytokine sécrétée dans le milieu extracellulaire sous forme latente non active, peut être activé par liaison avec l’intégrine avb6, présente à la surface des cellules cancéreuses pancréatiques [11]. Il a été démontré que le TGFb, dont l’expression est augmentée dans les cancers pancréatiques et est corrélée à un stade tumoral avancé et à un mauvais pronostic, stimule non seulement la production de MEC par les cellules fibroblastiques, mais modifie la composition de cette matrice en favorisant l’expression de versicane, un protéoglycanne à effet pro-invasif au détriment des protéoglycannes à effet antitumoral décorine et du lumicane dont l’expression est diminuée par cette cytokine [3]. De plus, le TGFb réduit ou augmente respectivement le niveau d’expression des métalloprotéinases matricielles (MMP) ou de leurs inhibiteurs (TIMP, tissue inhibitor of MMP), avec comme résultante une inhibition de la dégradation de la MEC et un effet global pro-fibrotique. D’autre part, le TGFb stimule l’activation des cellules fibroblastiques pancréatiques en myofibroblastes exprimant la protéine a-SMA ce qui est associé à une forte augmentation de Hépato-Gastro, vol. 14, n°3, mai-juin 2007 233 Bases fondamentales Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. l’expression du récepteur PDGF, favorisant ainsi la boucle de stimulation paracrine cellule cancéreuse–PSC dépendante du PDGF [7, 9]. Des travaux ont d’autre part montré que la transfection de l’ADNc du TGFb dans les cellules cancéreuses pancréatiques PANC-1, où cette cytokine est peu exprimée de manière endogène, entraîne une forte réaction desmoplasique après greffe de ces cellules dans le pancréas de souris nude, non observée après greffe des cellules contrôles non transfectées, et associée à une surexpression de collagène de type I et de fibronectine [9]. Enfin, il a été démontré une forte corrélation entre l’expression du TGFb et celle du collagène de type I dans les tumeurs humaines d’adénocarcinome pancréatique, et la signalisation de cette cytokine a été trouvée augmentée dans les grades 3 de ces tumeurs, ainsi illustrés par une augmentation de phosphorylation de Smad2, une protéine directement activée par liaison au complexe TGFb récepteur TbRI/TbRII [12]. L’ensemble de ces résultats démontrent donc une forte implication du TGFb dans la mise en place de la réaction stromale fibreuse dans l’adénocarcinome ductal pancréatique. Cette réponse fibroblastique serait attribuable à des effets directs mais également indirects du TGFb qui stimule notamment l’expression du connective tissue growth factor (CTGF), une glycoprotéine sécrétée de la famille CCN (Cyr61, CYsteine-Rich 61 ; CTGF ; NOV (nephroblastoma overexpressed gene). Effecteur de l’effet fibrotique du TGFb, le CTGF est un puissant mitogène des fibroblastes et des cellules musculaires lisses [9, 13]. Une analyse comparative de l’expression génique de cellules stromales et épithéliales cancéreuses dans des sites primaires de cancer pancréatique a montré une expression différentielle de certains gènes seulement exprimés dans les cellules stromales ou épithéliales cancéreuses pancréatiques, dont le CTGF spécifiquement exprimé au niveau épithélial [14]. Une fois sécrété par les cellules épithéliales cancéreuses pancréatiques sous l’action du TGFb par exemple, le CTGF participe donc à la mise en place de la réaction stromale fibroblastique en activant les PSC via le récepteur intégrine a5b1 [15]. Métalloprotéases matricielles En plus des facteurs de croissance, les cellules épithéliales cancéreuses sécrètent des MMP, enzymes protéolytiques qui vont permettre un remodelage de la MEC, et notamment une destruction de la membrane basale, favorisant ainsi la migration et l’invasion locale puis à distance par les cellules cancéreuses. La dégradation de molécules matricielles par ces enzymes expose certains domaines cryptiques protéiques générant ainsi de nouveaux fragments moléculaires pouvant présenter des fonctions pro- ou anti-migratoires et angiogéniques. Les MMP activent également des fac- 234 teurs de croissance en favorisant leur libération de la membrane cellulaire et/ou de la MEC où ils étaient jusque-là séquestrés sous forme latente [16] (figure 1). Les collagènes interstitiels, incluant le type I, principaux composants de la MEC de l’adénocarcinome ductal pancréatique, sont fortement résistants à la protéolyse, de part leur structure en triple hélice et leur organisation fibrillaire. Par des études génétiques utilisant des souris délétées pour le gène codant pour la métalloprotéinase-1 de type membranaire (MT1MMP), il a été démontré que la MT1-MMP est le principal régulateur de la collagénolyse interstitielle, ces souris présentant des troubles sévères de croissance résultant de leur incapacité à dégrader les collagènes interstitiels durant la formation des os et tissus mous [17]. D’autre part, des études d’expression génique dans les cellules stromales et cancéreuses pancréatiques présentes dans les sites d’invasion primaires ou métastatiques d’adénocarcinome pancréatique ont montré que MT1-MMP est la principale collagénase interstitielle surexprimée dans les cellules épithéliales cancéreuses, et que son expression est augmentée dans les lésions métastatiques par rapport aux lésions primaires d’adénocarcinomes pancréatiques, et ce plus particulièrement dans des régions où la réaction fibreuse est importante [14]. Les PSC influencent les cellules cancéreuses pancréatiques Expériences de coculture cellules épithéliales cancéreuses–PSC Une fois activé par les cellules cancéreuses, il semblerait que le stroma tumoral, en retour, envoie des signaux oncogéniques vers les cellules cancéreuses en stimulant la progression tumorale. Mises en présence de myofibroblastes tumoraux « activés », des cellules épithéliales cancéreuses pancréatiques acquièrent des propriétés invasives accrues [18], voire développent une résistance exacerbée à une certain nombre de drogues chimiothérapeutiques [19] ; ce résultat est également observé lorsque des cellules épithéliales pancréatiques non cancéreuses mais immortalisées sont cultivées en présence de PSC, ces cellules épithéliales étant capables de se transformer et d’acquérir un phénotype malin [12]. Ce phénomène est généralisable à d’autres tumeurs épithéliales, notamment les carcinomes prostatiques ou squameux cellulaires de la peau [1, 20, 21]. D’autre part, des expériences utilisant des fibroblastes irradiés de manière à engendrer des dommages sublétaux à l’ADN, ont conforté le rôle de ces cellules dans la progression tumorale, puisque leur coculture avec des cellules cancéreuses pancréatiques augmente le pouvoir invasif des cellules cancéreu- Hépato-Gastro, vol. 14, n°3, mai-juin 2007 Acquisition d’un phénotype malin des cellules épithéliales : survie, migration, invasion, chimiorésistance Cellule épithéliale cancéreuse pancréatique Facteurs de croissance et leurs récepteurs Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Récepteur intégrine MEC MMP Mobilisation de facteurs de croissance et de molécules biologiquement actives de la MEC par les MMP TIMP Myofibroblaste pancréatique (PSC) Induction de la réaction desmoplasique fibreuse : • transformation des fibroblastes en myofibroblastes (PSC) • prolifération des PSC (sécrétion PDGF) Figure 1. Interactions entre cellules épithéliales et cellules stromales fibroblastiques entretenant la réaction desmoplasique et le phénotype cancéreux malin.Les cellules épithéliales cancéreuses sécrètent des facteurs de croissance et des protéases agissant par autocrinie et paracrinie sur les cellules fibroblastiques du stroma. En conséquence, d’une part, les cellules épithéliales prolifèrent davantage ce qui entretient et amplifie le phénomène de sécrétion de ces facteurs, et d’autre part, les cellules fibroblastiques sont différenciées en myofibroblastes ou PSC (pancreatic stellate cells) et présentent une prolifération accrue. Ces PSC sécrètent une grande quantité de protéines de la MEC dont la composition est modifiée, ce qui conduit au développement d’une forte réaction desmoplasique fibreuse fortement observée dans l’adénocarcinome pancréatique. Les PSC sécrètent également des facteurs de croissance qui vont favoriser leur propre prolifération mais également la survie, migration, invasion et chimiorésistance des cellules épithéliales cancéreuses. D’autre part, les MMP sécrétées dans le milieu extracellulaire à la fois par les PSC et par les cellules épithéliales cancéreuses vont dégrader la MEC, en favorisant la migration et l’invasion cellulaire, mobilisant des facteurs de croissance séquestrés dans cette matrice, et générant l’apparition de nouvelles molécules biologiquement actives à effet pro- ou anti-migratoire et angiogénique. ses [22]. Ces résultats suggèrent donc que la survenue de cancers après irradiation serait la résultante de mutations apparues non seulement dans les cellules épithéliales mais également dans les fibroblastes du stroma. Ces résultats sont également en accord avec l’observation que des fibroblastes humains en sénescence sont capables de transformer des cellules épithéliales en culture et de promouvoir la formation de tumeurs chez l’animal [23]. L’acquisition de mutations dans ces cellules avec l’âge leur apporterait un phénotype comparable à celui observé dans les myofibroblastes tumoraux, avec notamment l’acquisition de propriétés de sécrétion d’un certain nombre de facteurs favorisant la progression tumorale. Facteurs sécrétés par les PSC influençant les cellules épithéliales cancéreuses Les myofibroblastes tumoraux favorisent la progression tumorale de différentes manières (figure 1). Tout d’abord, ils sécrètent des composants de la MEC à activité pro-migratoire et/ou invasive. Les protéines de la MEC sont en effet fortement impliquées dans la régulation de nombreux processus cellulaires tels que la survie, la migration, l’invasion ou la différenciation ; la preuve en est qu’en l’absence de MEC, les cellules épithéliales adhérentes entrent en apoptose. Cette interaction entre MEC et cellules épithéliales repose sur des interactions dynamiques entre des protéines de la MEC Hépato-Gastro, vol. 14, n°3, mai-juin 2007 235 Bases fondamentales Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. et leurs récepteurs intégrine (hétérodimères de sousunités a et b) présents à la surface des cellules épithéliales et transduisant dans ces cellules le signal extracellulaire venu de la MEC (outside-in signaling). Il a été démontré que certaines protéines de la MEC augmentent la chimiorésistance des cellules cancéreuses pancréatiques [24], et qu’une MEC riche en collagène de type I, déposée par des PSC, est capable d’altérer le phénotype de cellules pancréatiques ductales non transformées (HPDE) en cellules présentant des propriétés de cellules cancéreuses [12]. L’intégrine a2b1 exprimée à la surface des cellules épithéliales cancéreuses serait le médiateur de cet effet pro-invasif de type collagène type I–dépendant [25]. Cet effet serait également dépendant du TGFb, dont l’expression et la sécrétion sont augmentées dans les cellules HPDE lorsqu’elles sont cultivées dans ces conditions, et qui favoriserait par autocrinie la migration de ces mêmes cellules en stimulant l’expression et la sécrétion de la MT1-MMP. Outre le fait que les PSC sécrètent des composants de la MEC, ils sécrètent également des MMP et/ou leurs inhibiteurs, dont la MMP2 et la MMP11 sont spécifiquement sécrétées par ces cellules stromales [26], et sont ainsi capables de participer au remodelage de la MEC [4]. Un certain nombre de facteurs de croissance sécrétés par les myofibroblastes sont impliqués dans l’initiation et la progression tumorale, en stimulant de manière paracrine la survie, migration et/ou invasion des cellules cancéreuses. Parmi ces facteurs de croissance, ceux appartenant aux familles du FGF (fibroblast growth factor), IGF (insulin-like growth factor), EGF (epidermal growth factor), et de l’HGF (hepatocyte growth factor) sont exprimés et sécrétés principalement par les myofibroblastes tumoraux (par opposition aux cellules épithéliales cancéreuses) et favorisent la prolifération des cellules épithéliales cancéreuses stimulant ainsi la croissance tumorale [27]. Concernant le cancer du pancréas, le HGF et le FGF7 (KGF, keratinocyte growth factor) d’origine stromale jouent un rôle important dans les étapes précoces de la tumorigenèse pancréatique [2]. En stimulant l’activation de son récepteur c-Met présent à la surface des cellules cancéreuses pancréatiques, le HGF sécrété spécifiquement par les PSC augmente le pouvoir migratoire et invasif des cellules cancéreuses [18, 22]. Le rôle du TGFb sur la prolifération des cellules épithéliales et la progression tumorale est plus complexe. En tant qu’inhibiteur de la prolifération cellulaire de la plupart des cellules épithéliales, il jouerait également le rôle de suppresseur de tumeur, et l’inactivation par mutation de gènes codant pour des protéines de la voie de signalisation de cette cytokine a été identifiée dans différentes tumeurs, dont l’adénocarcinome pancréatique muté dans 50 % des cas pour Smad4/DPC4 [28]. 236 En conséquence, les cellules épithéliales cancéreuses deviendraient insensibles à l’action antiproliférative du TGFb, ce qui serait en revanche fréquemment associé à une augmentation de sécrétion de cette cytokine par ces mêmes cellules, notamment par les cellules cancéreuses pancréatiques [29]. Une autre source importante dans la tumeur de TGFb serait le microenvironnement tumoral où il serait sécrété à la fois par les myofibroblastes et par les cellules inflammatoires. De fortes concentrations plasmatiques en TGFb ont d’ailleurs été observées chez des patients atteints de cancer et seraient corrélées à l’apparition précoce de métastases [30]. Ce TGFb présent dans le microenvironnement tumoral favoriserait la croissance tumorale en stimulant la réaction desmoplasique et l’angiogenèse, et en inhibant la surveillance immunitaire. D’autre part, même si les voies de signalisation inhibitrices de la prolifération cellulaire et TGFb-dépendante sont souvent abrogées dans les cellules épithéliales cancéreuses, d’autres composants intracellulaires en aval du récepteur TGFb seraient conservés et permettraient la mise en place des effets pro-invasif et métastatique observés et dépendants du TGFb [31, 32]. Une étude utilisant notamment des cellules épithéliales pancréatiques immortalisées et rendues résistantes à l’action antiproliférative du TGFb par une exposition chronique à cette cytokine a montré que ces cellules résistantes développaient un phénotype migratoire et invasif [33]. Le rôle, dans la progression tumorale, du HGF et du TGFb d’origine stromale a été confirmé en surexprimant ces facteurs de croissance dans des fibroblastes dont la transplantation en présence de cellules épithéliales d’origine mammaire a conduit au développement d’un adénocarcinome, alors que des fibroblastes génétiquement non modifiés n’avaient aucun effet [34]. Ces résultats confirment donc combien le rôle des myofibroblastes tumoraux est important dans le comportement de l’épithélium tumoral adjacent. Le stroma tumoral peut-il représenter une cible thérapeutique pour le traitement de l’adénocarcinome ductal pancréatique ? Étant donné le rôle positif du TGFb dans la mise en place de la réaction desmoplasique, dans la progression tumorale et dans l’établissement de métastases, des inhibiteurs de la voie de signalisation du TGFb ont été développés et utilisés chez l’animal pour tester leur efficacité antitumorale. Il s’agit de composés correspondant soit à des inhibiteurs des activités kinase Hépato-Gastro, vol. 14, n°3, mai-juin 2007 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. du complexe récepteur TGFbRI/RII, soit à des protéines récepteur soluble séquestrant dans le milieu extracellulaire les ligands TGFb et ne conduisant donc pas à une transduction du signal intracellulaire, soit à des composés antisens inhibant la transcription et donc l’expression de protéine du signal TGFb, soit à des anticorps bloquants antirécepteur TGFb. Étant donné la létalité observée dans les modèles murins modifiés génétiquement pour inhiber la voie de signalisation du TGFb, des études ont été menées pour vérifier si l’utilisation à long terme chez l’animal d’inhibiteurs de cette voie en thérapie cancéreuse était compatible avec la survie des animaux, et ont montré l’absence d’effets indésirables notoires de ces traitements [35]. L’utilisation d’inhibiteurs de l’activité du récepteur TGFbRI ont montré leur efficacité pour inhiber in vitro et in vivo, dans des modèles de xénogreffe sous-cutané et de greffe orthotopique pancréatique de cellules cancéreuses pancréatiques chez la souris nude, le pouvoir migratoire, invasif et métastatique de ces cellules cancéreuses pancréatiques [29, 36]. Le blocage du signal du TGFb pourrait donc représenter une nouvelle approche prometteuse pour le traitement de nombreux cancers épithéliaux dont l’adénocarcinome pancréatique [37]. Récemment, l’utilisation d’un oligodésoxynucléotide antisens inhibant l’expression du TGFb2, AP 120009, a montré son efficacité dans l’inhibition non seulement de la sécrétion du TGFb2, mais également sur la prolifération et la migration de cellules cancéreuses pancréatiques, de mélanome et de gliome [38]. Son utilisation chez l’animal a montré son absence d’effets toxicologiques et les phases I/II d’un essai clinique chez l’homme mené chez des patients atteints de gliome de grade III et IV ont montré des réponses encourageantes en termes de survie et de régression tumorale. À la vue de ces résultats, des essais de phase II/III pour des patients atteints de cancer pancréatique et de mélanome ont été initiés et sont actuellement en cours de recrutement de patients. Une autre approche thérapeutique intéressante visant le stroma tumoral serait l’utilisation d’inhibiteurs du signal paracrine cellule stromale–cellule épithéliale cancéreuse via le système HGF–récepteur cMet. Un antagoniste du ligand HGF est capable de bloquer le pouvoir invasif de cellules cancéreuses pancréatiques, pouvoir exacerbé par la coculture de ces cellules en présence de fibroblastes irradiés, démontrant le rôle critique de cette boucle de stimulation dépendante du HGF dans ce type de tumeur [22]. D’autre part, l’administration locale ou systémique d’un récepteur cMet soluble (récepteur leurre) qui interfère avec la liaison du HGF sur son récepteur cMet et sur l’homodimérisation et l’activation de cMet a permis d’obtenir des résultats très prometteurs sur l’inhibition de la prolifération mais surtout de la formation de métastases à partir de xénogreffes tumorales humaines [39]. Conclusion Nombreuses sont donc les études démontrant un rôle critique de la réaction desmoplasique d’origine fibreuse dans la progression tumorale. Les myofibroblastes sécrètent des facteurs de croissance qui par paracrinie vont influencer le devenir des cellules épithéliales normales ou cancéreuses. En plus des nombreux facteurs de croissance sécrétés par les myofibroblastes affectant positivement la survie, migration, invasion et chimiorésistance des cellules épithéliales adjacentes, d’autres facteurs également sécrétés par les myofibroblastes et/ou présents dans la MEC auraient un rôle négatif dans la progression tumorale. On peut citer la décorine, un protéoglycanne qui inhibe l’action du TGFb en empêchant son interaction avec son récepteur, ou le CTGF, dont l’expression est augmentée dans le stroma des adénocarcinomes pancréatiques et/ou corrélée à un pronostic favorable de ces tumeurs, et qui jouent un rôle inhibiteur sur la croissance tumorale [40, 41]. Le rôle positif du stroma tumoral fibreux dans la progression tumorale est donc à pondérer, et il semblerait que le devenir de la tumeur soit contrôlé par une balance de régulation fine entre facteurs positifs et négatifs sécrétés par ces myofibroblastes, balance qui pourrait être tissu- et cellulespécifique. D’autre part, ces facteurs ont certainement un rôle également important sur les autres composantes cellulaires du stroma tumoral, incluant les cellules endothéliales et inflammatoires. Références 1. Mueller MM, Fusenig NE. Friends or foes - bipolar effects of the tumour stroma in cancer. Nat Rev Cancer 2004 ; 4 : 839-49. 2. Hezel AF, Kimmelman AC, Stanger BZ, Bardeesy N, Depinho RA. Genetics and biology of pancreatic ductal adenocarcinoma. Genes Dev 2006 ; 20 : 1218-49. 3. Koninger J, Giese T, di Mola FF, Wente MN, Esposito I, Bachem MG, et al. Pancreatic tumor cells influence the composition of the extracellular matrix. Biochem Biophys Res Commun 2004 ; 322 : 943-9. 4. Bachem MG, Schneider E, Gross H, Weidenbach H, Schmid RM, Menke A, et al. Identification, culture, and characterization of pancreatic stellate cells in rats and humans. Gastroenterology 1998 ; 115 : 421-32. 5. Yokota T, Denham W, Murayama K, Pelham C, Joehl R, Bell Jr. RH. 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