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en sont d’ailleurs la meilleure preuve. Loin de se limiter au présent de l’énonciation
(« j’ai près de trente-quatre ans »), les dix premiers vers nous font voyager dans le
passé (« de nombreux mois que j’attendais à ne rien faire ») mais aussi dans le futur
proche (« j’allais mourir à mon tour ») et le futur plus lointain (« je mourrai »). Celui-ci
est d’ailleurs évoqué tout au long de la première moitié du prologue via la litanie
lancinante et obsessionnelle des termes « l’année d’après » (v., v., v., v., v.).
La répartition de ce refrain conduit exactement à la même conclusion. Si, au début,
il revient tous les quatre vers, son retour est ensuite à chaque fois plus espacé (cinq
vers, six vers), ce qui tend à montrer que les séquences sont de plus en plus longues.
Elles sont de plus en plus longues car, autre trace d’expansion, Lagarce n’est
pas avare en accumulations. On pourrait même dire que toute la première moitié
du prologue est une longue accumulation de compléments de phrase. Si le texte
commence en e et par deux circonstants de temps, une des multiples analyses
syntaxiques possibles serait de voir dans les propositions et groupes prépositionnels
qui suivent des causes pré-assertées, des circonstants de concession, des circonstants
de manière, etc. On pourrait en e et paraphraser le prologue par « Plus tard, l’année
d’après, puisque (alors que, comme) j’ai près de trente-quatre ans maintenant, puisque
(alors que, comme) c’est à cet âge que je mourrai, puisque (alors que, comme) cela
faisait de nombreux mois déjà que j’attendais à ne rien faire[…], puisque (alors que,
comme) cela faisait de nombreux mois que j’attendais d’en avoir ni […], malgré tout,
malgré la peur, prenant ce risque et sans espoir jamais de survivre […], je décidai de
retourner les voir ». Con rmation de cette expansion généralisée, un des circonstants
en question contient lui-même une accumulation de circonstanciels : « j’attendais d’en
avoir ni, l’année d’après, comme on ose bouger parfois […] ». Inutile de préciser que
cette dernière comparative contient elle aussi une accumulation de circonstanciels
de manière : « comme on ose bouger parfois, / à peine, / […] imperceptiblement, sans
vouloir faire de bruit » (v.-).
Cependant, bien plus que ces emboîtements d’accumulations, le principal géné-
rateur d’expansion du texte est bien sûr la répétition. Elle prend dans le prologue
mille formes. Tantôt elle porte sur le signi ant (« mourir », v. ; « mourrai », v.),
tantôt sur le signi é (« mourir », v. ; « en avoir ni », v.). Tantôt elle est simple
anaphore (« de nombreux mois déjà que j’attendais », v., v. ; « malgré tout », v.,
v. ; « et paraître », v., v. ; « me donner et donner aux autres », v., v.),
tantôt elle prend une forme proche de l’épizeuxe (« peut-être ce que j’ai toujours
voulu, voulu », v. ; « avec soin, avec soin », v. ; « me donner et donner », v.),
tantôt celle d’un polyptote ou d’un isolexisme : « mourir » (v.), « mourrai » (v.),
« mort » (v.). Quelquefois ce sont des phonèmes qui sont répétés : « l’ a nn ée d’ a pr ès »
(v.), « l ente ment , ca l me ment » (v.). On peut aussi repérer çà et là des expolitions
comme par exemple « j’allais mourir à mon tour » (v.) redoublé un vers plus loin par
« et c’est à cet âge que je mourrai » ou « lentement, avec soin, avec soin et précision »
(v.) redoublé par « lentement, calmement, d’une manière posée » (v.). S’il est
bien aussi une gure de répétition qui est présente dans le prologue, c’est évidemment
l’épanorthose : « Plus tard, l’année d’après » (v.), « à ne rien faire, à tricher, à ne plus
savoir » (v.), « je décidai de retourner les voir, revenir sur mes pas, aller sur mes traces