dossier pedagogique - Théâtre de la Tempête

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DOSSIER PEDAGOGIQUE
Mise en scène
Jean-Pierre Garnier
Scénographie et Lumière
Yves Collet
Collaboration artistique
Nais El Fassi
Dramaturgie
Léo Cohen Paperman
Création sonore
Sophie Van Everdingen, Inga Koller et Benjamin Guillet
Vidéaste
Pierre Davy
Avec
Maxime Le Gac Olanié
Louis
Arthur Verret
Longue Date
Makita Samba
L’Amant, mort déjà
Anne Loiret
La Mère
Mathieu Métral
Antoine, frère de Louis
Camille Bernon,
Suzanne, sa sœur
Loulou Hanssen
Catherine, la femme d’Antoine
Inga Koller
Hélène
Benjamin Guillet
Le garçon, tous les garçons
Harrison Arevalo
Le guerrier, tous les guerriers
Sophie Van Everdingen
L’infirmière
Relations avec le public / Groupes : Claire Dupont
[email protected]
06 66 66 68 82
Pièce ultime, voire testamentaire, de l’auteur et metteur en scène Jean-Luc Lagarce, mort du
sida en 1995, Le Pays lointain est ici entremêlé d’extraits du Journal : après dix ans d’absence,
un homme, jeune encore, revient parmi les siens pour annoncer sa mort prochaine, juste sa mort.
Le Pays lointain est l’histoire de ce retour – un retour en forme de voyage dans le temps.
« De 1977 à 1997. En 1977, j’ai vingt ans, et en 1997, j’en aurai quarante, sans aucun
doute, logique.
Le récit de toutes ces années, l’histoire sans histoire d’un homme dans la France de
ces vingt dernières années, les rencontres, la famille, les amis, les amours rencontrées
et vécues, le travail et les aventures.
C’est le récit de ce qu’on voulut être et qu’on ne fut pas, le récit de ce qu’on vit nous
échapper. Et la douleur, oui. La douleur mais encore, peut-être la sérénité de l’apaisement,
le regard paisible porté sur soi-même - à quoi bon ? - au bout du compte.
Tous, là, qui font la vie d’un seul homme durant vingt années. Et chacun encore,
renvoyant à la multitude des gens croisés à nouveau, et ainsi encore, à l’infini. D’un
seul homme, sans qualité, sans histoire, tous les autres hommes.
Des groupes, des choeurs, des bandes, des vies parallèles dans la vie elle-même. La
Famille, celle-là dont on hérita ou qui hérita de vous.
La Famille qu’on voulut se choisir, la famille secrète, celle-là qui parfois ne sait même
pas qu’on se la construisit sans bruit. L’arrangement.
Louis, donc, le narrateur, celui-là qui raconte. Un voyageur incapable, immobile.
Le retour. La décision de revenir. Et ce repas encore, le dernier, avec ces deux familles,
celle-là d’origine et celle-là construite et les Morts encore, se promenant, ce dimanche
calme, parmi les paisibles tricheries des vivants. On danse, c’est la fin de l’après-midi,
après avoir poussé les tables. Louis est assis sur une chaise et il regarde.
Jean-Luc Lagarce, présentation du Pays lointain
Ce spectacle est porté par de jeunes acteurs qui sont les "enfants" de Lagarce et l’ont découvert
après sa mort. Il est pour eux l’auteur d’une époque et d’une génération : celle qui a vécu la
« fin des utopies » conjuguée avec l’irruption brutale du sida. Sans aucune nostalgie, dire et montrer
cela : un temps qui appartient aujourd’hui à l’Histoire.
• La famille nous constitue. Est-ce le sort qui nous la donne, est-ce nous qui nous l’inventons ?
Et toutes connaissent les oscillations qui vont du rejet à la réconciliation. L’abandon et le retour
sont des thèmes majeurs dans l’oeuvre de Lagarce. La pièce ne parle que de cela : de ce que
nous sommes les uns pour les autres. Et la mère, mystérieusement, ne sait plus l’âge de son fils.
Il s’agit là encore, probablement, de la place perdue de l’enfance.
• Sur le plateau, l’humanité doit paraître. Où est-il cet écart, fragile ou bien immense, entre ceux
qui jouent et ceux qui sont joués ? Les personnages sont nos proches : mère, frères, soeurs…
Nous les reconnaissons par fragments, ou en bloc… Et c’est un sentiment de connivence et de
reconnaissance que nous souhaitons créer.
• Le lieu du retour du fils est bien le théâtre (celui d’aujourd’hui) : les retrouvailles de tous ces
personnages ont lieu sur la scène, cet espace unique, le théâtre où même les morts peuvent venir
- et ils viendront d’ailleurs – prendre la parole. Les personnages de la pièce n’ignorent jamais que
le public est dans la salle… Tout s’invente à vue. Musiciens et chanteurs transforment certains
fragments en récits musicaux…
• Tout pourrait se dire avec le sourire triste de la désillusion. Nous avons pris le parti d’une parole
droite, nette, d’une somme infinie d’idées furtives, de pensées courtes. Il y a une scansion de la
langue à faire entendre afin d’éviter la banalité du naturalisme.
• Entre le Louis de la pièce qui revient pour dire sa mort (et qui n’y arrivera pas) et le Jean-Luc
du Journal qui dit au lecteur sa mort prochaine durant plus de mille pages, il y a une immense
fraternité. Comment faire dialoguer et se répondre sur le plateau l’écriture théâtrale et l’écriture
narrative jusqu’à ce que l’une et l’autre se confondent ?
• Une machine à écrire. Un vieux téléphone. Les cartes postales. Autant d’images qui font
aujourd’hui partie de nos mythologies. Voilà le mot - dire nos mythologies intimes.
Jean-Pierre Garnier, Léo Cohen-Paperman
Nais El Fassi, Maxime Le Gac Olanié, Arthur Verret
Dans la pièce souche, Juste la fin du
monde, un trentenaire, Louis - qui mène
à Paris l’existence d’un jeune écrivain -,
revient dans sa province natale pour annoncer
sa mort prochaine. Mais le dimanche
en famille - Suzanne, la soeur, Antoine, le
frère, et son épouse, Catherine, et aussi la
Mère (le Père étant décédé) - se passe sans
que Louis puisse dévoiler son secret. Dans
Le Pays lointain, remarquable pièce fleuve,
interviennent bien d’autres personnages
qui ont marqué la vie de Louis et donnent leur
propre témoignage sur leurs vies croisées avec
celle de Louis « l’Amant, mort déjà », Longue Date,
comme son nom l’indique, ami de jeunesse,
Hélène, une amie, ainsi que des personnages
collectifs, « un garçon, tous les garçons » et
« le guerrier, tous les guerriers ».
Jean-Luc Lagarce donne toute la mesure
de son talent pour un théâtre choral où, pour
reprendre une expression de Strindberg, il
propose « une mosaïque de sa propre vie et
de la vie des autres ». Le Pays lointain est
une oeuvre qui s’écrit au singulier pluriel :
elle relate un parcours de vie personnel une Passion, pourrait-on dire s’ouvrant à
la présence de la multitude. Tous ceux qui
ont aimé, détesté ou simplement un jour
rencontré Louis, voire ceux qu’il n’a même
jamais croisés, viennent témoigner sur la
vie de Louis et sur la leur propre. Bref, ils
se font, au-delà de la destinée singulière de
Louis, les narrateurs du « drame de la vie »,
de sa banalité et de son tragique indissociables.
Car le théâtre de Lagarce réussit
ce tour de force de tendre vers l’épique, le
romanesque, de consister essentiellement en
un retour sur le passé, tout en préservant,
comme chez Tchékhov, un sens aigu du présent
et de la présence ténue des êtres les plus
ordinaires.
Jean-Pierre Sarrazac
Une certaine exposition de l’homosexualité porte
toute la dramaturgie du Pays lointain.
Cette présence est très singulière. Elle marque
une force d’innovation de la pièce dans
l’histoire de notre théâtre : car s’il est avéré que
de très nombreux auteurs ont donné aux
rapports d’attirance entre hommes une présence
patente dans l’écriture dramatique, il
est au fond très rare que l’homosexualité soit,
comme telle, exposée sur la scène - par le
moyen du drame.
L’ambiance d’une érotique orientée vers des
figures masculines s’étend dans les pièces de
Cocteau, Genet, Koltès comme chez Fassbinder
ou Pasolini. Elle était attestée chez Musset,
Shakespeare. Mais il est très rare qu’on entende
nommer sur scène, et plus encore qu’on voie
montrer, un homme qui en aime un autre, veuille
être aimé de lui, et dont le désir et son histoire,
ouvertement, fassent le ressort dramatique d’une
pièce. Bien sûr, on peut lire ainsi Othello,
Tartuffe, Lorenzaccio, Dans la jungle des villes.
Mais c’est à la condition de reconnaître au drame
sur scène une puissance métaphorique…Le
Pays lointain, dans la tradition du théâtre d’art
français, est venu en son temps rompre de façon
frappante cette règle de métaphoricité. La pièce
le fait, tout au long de son cours, avec une
force et une douceur combinées qui sont, à mes
yeux, pour beaucoup dans son étrange
force de captation du regard et de l’écoute.
Denis Guenoun, Livraison et délivrance.
JEAN-LUC LAGARCE
Jean-Luc Lagarce est né le 14 février 1957 dans le pays de Montbéliard, en Franche-Comté et a
passé toute sa jeunesse à Valentigney, une petite bourgade, fief des usines automobiles et des
cycles Peugeot où ses parents travaillaient comme ouvriers ; il est aussi le rejeton d’une culture
protestante. A 18 ans, son baccalauréat en poche, il part vivre à Besançon, s’inscrit à la faculté de
philosophie et au conservatoire d’art dramatique de la ville. Il fonde une compagnie, la Roulotte,
nom qui rend hommage à Jean Vilar. Basée à Besançon, elle n’a pas de lieu propre excepté un
bureau. Elle répète où elle peut et est hébergée le temps d’un spectacle dans les théâtres de la
ville. Dès lors, Jean-Luc Lagarce va mener une double vie d’auteur et de metteur en scène.
La compagnie sera progressivement subventionnée par les collectivités locales, régionales et
bientôt par le ministère de la Culture. En tant qu’auteur Lagarce recevra l’appui de Théâtre Ouvert.
Il va commencer par mettre ses pas dans ceux de Ionesco en écrivant quelques pièces marquées
par le théâtre de l’absurde revendiquant ouvertement l’héritage en faisant référence à La
Cantatrice chauve, pièce que le metteur en scène Lagarce montera beaucoup plus tard avec
succès.
Voyage de Madame Knipper vers la Prusse Orientale, sa première pièce à être montée à Paris,
fait référence à Tchekhov. Il y affirme son univers et façonne son style. Le lieu où se passe l’action
est « le plateau nu d’un théâtre », des personnages sont réunis dans l’errance : ils fuient la guerre
quelque part en Europe. Knipper est une actrice. Le monde du théâtre, des tournées, des
coulisses est au centre de plusieurs de ses pièces comme Music-hall, Hollywood, Nous, les héros
(qui fait référence au Journal de Kafka). Il écrira cette pièce pour les acteurs de sa mise en scène
du Malade imaginaire de Molière.
Histoire d’amour (repérages), De Saxe, roman et Histoire d’amour (derniers chapitres), forment
une trilogie intimiste : histoire entre deux hommes et une femme à travers le temps. On retrouve ce
trio dans Derniers remords avant l’oubli : l’un des hommes s’est marié, la femme aussi, ils ont eu
des enfants, l’autre homme est resté dans la maison où les trois vivaient naguère, ils se retrouvent
avec leurs conjoints et la fille d’un des couples, pour vendre la maison. Ils repartiront sans rien
avoir décidé. De l’intime on est passé au tableau d’une certaine société.
Plusieurs pièces comme Retour à la citadelle, L’Exercice de la raison (restée inédite jusqu’en
2007) et Les Prétendants brossent un tableau satirique des lieux de pouvoir à la faveur d’une
nomination. On nomme un nouveau gouverneur, un nouveau directeur, la pièce se situe là, dans
ce moment de bascule de l’investiture, entre l’ancien et le nouveau. Ses dernières pièces sont plus
sombres ; il y est question d’un enfant qui revient au pays natal à l’approche de la mort. Ce retour
du fils peut être hypothétique, rêvé, comme dans J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie
vienne, ou effectif comme dans Juste la fin du monde, qui se passe dans un cercle familial. Dans
Le Pays lointain, ce cercle rejoint l’autre famille, celle que le héros s’est choisie : amantes, amants,
amis. Ce texte ultime, Jean-Luc Lagarce l’achèvera quinze jours avant de disparaître.
Parallèlement à son œuvre dramatique, Jean-Luc Lagarce entreprend l’écriture de son Journal
intime à partir de 1977. Il le tiendra jusqu’à sa mort en 1995.
Jean-Luc Lagarce meurt précocement à 38 ans atteint du sida comme d’autres grands
dramaturges de sa génération (Koltès, Copi).
L’ensemble de son œuvre est publié aux éditions Les Solitaires intempestifs, qu’il a
fondées en 1992 avec François Berreur.
Dire ce refus de l’inquiétude
Devrions-nous jamais revenir un jour là où nous avons vécu, où nous étions auparavant, nos rivages anciens,
le lieu de notre jeunesse et de notre apprentissage, le beau secret de nos premières hésitations, ces lieux où
nous prétendons toujours que nous avons été heureux, devrions-nous y retourner, que nous ne pouvons
ignorer le danger qui nous guette, que nous ne pouvons, lâchement, ignorer que, déjà, peut-être, nous
nous trompons nous-mêmes.
Et de toujours fuir vers notre douce nostalgie, nos beaux regrets, l’amour et la tendresse que nous avons
pour notre passé, celui-là que nous avons avec tant de patience arrangé et bâti, si parfait et si conforme
à nos vœux, nous ne pouvons ignorer la force de nos mensonges, la complaisance qui nous mène et nous
rassure.
De vouloir aimer ce que nous aimons déjà, de vouloir raconter encore l’histoire attendrie que nous avons
tant de fois racontée et embellie, et tant de fois aussi, que nous avons modifiée doucement, avec une
précision infime, jusqu’à ce qu’elle soit si proche de notre fausse réalité, nous ne pouvons nous égarer,
nous laisser aller à l’absence de danger, au refus de la douleur, à l’arrangement.
Mais à oser chercher sans fin dans notre propre histoire, avec dureté et avec dérision, aussi, en nous
moquant de nous-mêmes et en respectant nos qualités, sans tricherie aucune, sans l’orgueil de la modestie,
sans l’apitoiement pour nos erreurs, notre si émouvante et innocente jeunesse, nous pouvons construire
notre monde, y prétendre, aller à la recherche douloureuse de notre souvenir, se blesser peut-être, ou
se décevoir encore et casser nos miroirs et mettre à bas nos plus solides monuments, nos bonnes
fondations, perdre le respect, revoir nos admirations, mais construire notre monde, oser parler et affirmer
et proférer encore, et marcher sur la scène et entrer dans la lumière et demander qu’on se taise et qu’on écoute.
A ne pas admettre sa propre vie, ses propres lâchetés, son arrangement, toujours avec la réalité,
à ne pas vouloir s’interroger sur ses actes ou sur son immobilité, pleine toujours de la bonne conscience
de la réflexion, à ne parler que des autres, si lointains dans la géographie ou l’histoire, et morts, ou exotiques,
ou si incompréhensibles, à ne parler plus que des combats que nous leur intimons de livrer, dans notre bon
confort, les batailles à livrer et les questions que nous leur ordonnons de se poser, et les jugements définitifs
que nous assenons sur leurs vies, leurs erreurs, leurs victoires et leurs imbéciles défaites, nous mourrons,
nous sommes morts, nous regardons le spectacle, tout nous est spectacle, la vie nous quitte, nous ne nous
interrogeons plus, nous nous aimons tels que nous avons patiemment décidé d’être. Nous trichons.
Accepter de se regarder soi pour regarder le Monde, ne pas s’éloigner, se poser là au beau milieu de
l’espace et du temps, oser chercher dans son esprit, dans son corps, les traces de tous les autres
hommes, admettre de les voir, prendre dans sa vie les deux ou trois infimes lueurs de vie de toutes les
autres vies, accepter de connaître, au risque de détruire ses propres certitudes, chercher et refuser
pourtant de trouver et aller démuni, dans le risque de l’incompréhension, dans le danger du quolibet
ou de l’insulte, aller démuni, marcher sans inquiétude et dire ce refus de l’inquiétude, comme premier
engagement.
Jean-Luc Lagarce
« Du luxe et de l’impuissance »
(Les solitaires intempestifs)
THEMATIQUES PEDAGOGIQUES
- Comment notre passé détermine notre lien au monde et aux autres ?
- Quelle prise de conscience pour quelle réparation ?
- Pourquoi le dire ou le silence ?
- Peut-on se réinventer l’enfant d’une famille quand on n’a jamais senti en faire partie ? Et la famille
que l’on se crée peut-elle jamais faire oublier celle d’où l’on vient ?
- Peur de dire ou crainte d’entendre ?
- Autobiographie ? Autofiction ? Journal intime ?
- Du texte narratif au texte dramatique (comment l’œuvre théâtrale et le Journal de Lagarce tissent
un dialogue secret entre eux)
- « Faire théâtre de tout » (Antoine Vitez)
Problématiques d’approche à approfondir en classe,
Lectures croisées et études comparatives
Intertextualité lagarcienne ou le « palimpseste » lagarcien :
Quand l’œuvre rayonne
La présence, implicite ou explicite, discrète ou manifeste du texte d’autres écrivains de théâtre dans
celui de Lagarce. Il serait intéressant d’analyser les rapports au temps et au théâtre, tels que les
met en jeu l’œuvre lagarcienne, au travers d’un tissage permanent avec d’autres textes, d’autres
auteurs, comme Tchekhov, Proust, Beckett, Duras afin d’y cerner quelques figures exemplaires,
dont celles de l’attente, de l’annonce, de l’absence…
Quand l’oeuvre foisonne
La récurrence de certains motifs et situations dans le théâtre lagarcien nourrit chez le lecteur la
conviction d’être en présence de pièces autobiographiques. Il serait intéressant de considérer
l’œuvre lagarcienne dans son ensemble (pièces, récits, essai, film) comme une architecture de
textes ouvrant une perspective de lecture plus enrichissante et appréhender l’œuvre dramatique
comme fragment d’un « espace autobiographique » (Ph. Lejeune). Dès lors, plus « dramaturgie
subjective » que théâtre autobiographique, le drame lagarcien sera l’occasion de mettre en jeu des
notions débordant le seul cadre dramatique telle que l’autofiction. Entre journal et oeuvre, entre
écriture personnelle et fabrique du drame, nous observerons ainsi la lente et complexe construction
d’une image de soi.
Enjeux dramaturgiques et geste esthétique dans le théâtre moderne
Analyse de cette dialectique qui s’instaure, dans le théâtre moderne et contemporain, entre des
enjeux dramaturgiques communs liés au devenir de la forme dramatique – effacement du
personnage, choralité, émergence du récit, fragmentation, déconstruction du dialogue, voix parlée et
voix off, etc. – et le geste esthétique singulier que chaque dramaturge élabore pour répondre à ces
enjeux.
Etre seul à se souvenir, l'affirmer du moins. »
Le Théâtre de Lagarce ou le drame de l’énonciation : la parole comme une errance sans fin
Le Pays lointain, la dernière et la plus testamentaire des pièces de Jean Luc Lagarce raconte la
réunion, utopique et anachronique, des différentes familles de l’auteur — la famille naturelle, la
famille théâtrale, celle des amours et des rencontres passagères — et, à travers elles, des vivants et
des morts, de tous ceux dont la trajectoire impacte la sienne.
Tout comme ses autres pièces, l’écriture vise à traduire les difficultés de la séparation au sein des
cellules amicales et familiales. Il s'agit, pour les personnages, de se retrouver encore alors que le
passé les a déjà séparés et de rejouer pour une dernière fois les rituels qui les unissent et qui les
séparent pourtant inéluctablement : ceux de la parole et de l'être ensemble. Sous l'apparente
simplicité de la situation, Lagarce tresse les fils d'une dramaturgie plus complexe qui demande au
lecteur/spectateur un véritable apprentissage. Cette énonciation hachée, cette peine à dire qui est
celle de Louis et qui atteint, chacun à sa manière, tous les personnages, rend compte de la
difficulté à s’exprimer et à être entendu, à travers un jeu de reformulation et un espace du non-dit. Ici
les personnages ne conversent pas comme on converse dans la vie, en échangeant des certitudes,
des opinions, ce faux naturel d’une parole déjà remâchée. Ce qu’ils donnent à entendre, c’est l’effort
même de parler. C’est le point d’origine, l’endroit précis où la parole est en travail. On croit, on veut
faire croire que la parole nous est naturelle, elle ne l’est pas, en revanche elle est vitale. Les
personnages, à nu, tentent d’élucider quelque chose : le mouvement de la pensée et le mouvement
de la parole sont liés. On est dans le présent absolu d’une parole qui s’invente pas à pas. C’est
l’audace et la fragilité même du vivant.
La répétition-variation (que l’on retrouve notamment dans le théâtre de Duras et de Sarraute) fait de
la parole le lieu exclusif du drame, entérinant la désertion de l’action au profit d’un dialogue
ressassant, qui porte l’accent sur les péripéties de l’énonciation. Lagarce pousse ce geste à son
paroxysme en conduisant unanimement ses personnages à se reprendre et à se corriger. Sous la
forme spécifique de l’épanorthose1, se joue en fait la singularité d’une écriture qui revient
inlassablement sur ses pas, et ce à différents grades : celui de la réplique, celui de la pièce et enfin
celui de l’œuvre de l’auteur tout entière. Tendue entre un début de phrase dont il est difficile
d’assumer l’héritage et un point dont on peut se demander, à le voir sans cesse différé, s’il
n’équivaut pas à une sentence de mort, l’épanorthose lagarcienne se livre comme une expérience
vertigineuse du temps et contamine à la fois ses pièces et son œuvre. Cette quête désespérée du
mot juste à travers cette parole qui bute, trébuche, se reprend, est à l’image même des tentatives
que représentent les différentes pièces de Lagarce et leur réécriture constante, à dire et exprimer au
mieux les obsessions de leur auteur. C’est sur cet échec — cette parole qui bute, qui trébuche sur
elle-même – que se construit le fondement même de l’éclatante réussite de la langue théâtrale de
Lagarce et qui confère à ses pièces leur étonnante théâtralité . Elle permet de mettre encore plus en
valeur la distance irrémédiable voulue ou subie qui sépare les personnages lagarciens comme le
constate Louis inlassablement :
Cette distance infranchissable entre eux et moi
Je suis ici, avec vous, parce que je suis né au beau milieu de vous mais rien
ne me lie et rien ne m’importe
1 figure de style qui consiste à corriger une affirmation jugée trop faible en y ajoutant une
expression plus frappante et énergique
Si le drame traditionnel est un art du présent, d’un présent qui fuit en avant vers la
catastrophe, et si le roman est un art du passé, le drame lagarcien fait constamment
remonter le passé dans le présent. Le présent n’est ici qu’une instance de convocation et
de reformulation du passé.
Ce qu'on voit chez un écrivain majeur mort prématurément, Jean-Luc Lagarce, c'est un
travail particulier de décollement de la réplique. Même si elle s'adresse à quelqu'un, elle est
en même temps éloignée de son destinataire par l'absence de communication concrète. La
réplique est bien destinée non pas au vide, mais à tel ou tel. Cependant, cet Autre à qui
parle le Je est ailleurs, mort, ou bien il appartient au passé définitivement aboli : ce sont de
vrais échanges, mais dans l'impossible. Ainsi, dans Le Pays lointain, le dialogue aussi avec
l'Amant, mort déjà, avec Longue date, avec des anonymes, un Garçon, tous les garçons, un
Guerrier, tous les guerriers. Dans sa famille même (la mère, le frère, la soeur), il y a aussi
une belle-sœur qu'il ne connaît pas. Le tout est un extraordinaire mélange, une « fabrique »
étonnante, un roman proustien chargé de recoller le présent au passé. Le retour du héros
dans sa famille produit, comme chez Proust, une sorte d'éclatement physique auquel le
temps ni l'espace ne résistent, mais le corps multiplié des habitants du passé devient
l'image physique du temps. Du temps individuel du héros.
(Anne Ubersfeld Revue du théâtre n°110 – 2004, thé matique du passé).
Thématiquement et formellement, l’oeuvre de Lagarce se place entièrement sous le signe
du retour — toujours l’Odyssée. Mais, cette fois, c’est l’impossible retour : retour du Fils
prodigue aussitôt sanctionné par un nouvel exil, définitif cette fois ; constat d’une impossible
co existence, retour sur un drame de l’origine qui est un drame de la séparation. A cet
égard, Lagarce pourrait s’associer à l’Aveu d’Adamov :
Tout ce que je sais de moi, c’est que je souffre.
Et si je souffre c’est qu’à l’origine de moi-même il y a mutilation, séparation.
Je suis séparé. Ce dont je suis séparé, je ne sais pas le nommer.
Mais je suis séparé.
(A. Adamov in « Je…ils… » Gallimard – L’Imaginaire – 1969)
PROJET PEDAGOGIQUE
Objectifs
- Inviter les lycéens à réfléchir sur la place et la fonction du théâtre dans notre
société contemporaine.
- Comment notre passé détermine notre lien au monde et aux autres ? Dans
quelle mesure devenons nous le metteur en scène (l’auteur, le biographe) de
notre propre vie ? Quels rapports entretenons-nous entre la réalité et la fiction ?
Savons-nous encore distinguer l’une de l’autre ?
- Peut-on se réinventer l’enfant d’une famille quand on n’a jamais senti en faire partie ?
- Et la famille que l’on se crée peut-elle jamais faire oublier celle d’où l’on vient ?
Méthodes et moyens proposés
- Rencontre en amont entre les élèves, le personnel enseignant et l'équipe
artistique, afin de présenter le projet et de préparer la représentation.
-Représentation théâtrale de la pièce au théâtre de la tempête en présence du
metteur en scène. .
- Rencontre, à l'issue de la représentation, entre les élèves, le personnel
enseignant et l’équipe artistique autour de la pièce.
En option : atelier de pratique théâtrale à partir d’un extrait de la pièce.
Séance de travail encadrée et dirigée par l’équipe artistique
(entre 1h et 2h selon la demande).
Durée
-
Durée de la pièce : 2h
-
Durée du débat : entre 1h et 1h30, suivant la demande de l'équipe
pédagogique et l'intérêt des élèves.
Public : Lycéens (première et terminale), étudiants
Coût : 10 euros par élève. Les accompagnateurs sont invités.
Harrison Arevalo, Maxime Le Gac Olanié, Benjamin Guillet
Makita Samba
Camille Bernon, Mathieu Métral
LA COMPAGNIE JEAN-PIERRE GARNIER
Le travail de création de la Compagnie s’est progressivement centré vers les thématiques interrogeant le
passage de l’adolescence à l’âge adulte. Quelle place notre société fait-elle à sa jeunesse ? Quel héritage
nos générations transmettent–elles à nos enfants ? Qu’est ce qui fait qu’une fois adulte, les deux tiers des
« spectateurs-lycéens » ne retournent plus au théâtre ? Comment les y faire revenir ? Les liens entre
générations donnent sens au déroulement de la vie. À travers eux, se produit une sorte de mutation des
valeurs. N’y a-t-il pas finalement chez les jeunes et les aînés un combat éternel commun ? Les premiers ont
peine à trouver leur place quand les seconds la perdent cruellement.
Les étapes importantes de création de la Compagnie ont été : « la Double inconstance » de Marivaux avec
Jeanne Balibar au théâtre du Lucernaire, « Baal » de Bertolt Brecht, « Dissident, il va sans dire » de Michel
Vinaver avec Joséphine Derenne, « Vague(s) à l’âme » d’après « L’éveil du printemps » de Frank Wedekind,
« Les Enfants » d’Edward Bond au Théâtre du Marais en 2004 et au Théâtre de Nîmes. A cette occasion, la
compagnie a renforcé sa démarche de théâtre citoyen en effectuant un important travail auprès des lycées
de Paris et de la région parisienne (nombreuses interventions et débats de l’équipe artistique dans les
lycées).
C’est dans cette même direction que nous avons continué, en collaboration avec la Comédie de Reims où
nous avons été compagnie associée de 2007 à 2009. Création de « Je rien Te deum » programmé à La
Maison de la Poésie à Paris en 2007 et au Théâtre de Nîmes. Le texte de Fabrice Melquiot interroge le
théâtre et les moyens qu’il a de rendre compte de l’histoire immédiate. Création ensuite de l’adaptation du
roman d’Arnaud Cathrine « Sweet home », qui interroge les liens familiaux et ce qui reste entre les vivants
quand la mère a disparu. Ce projet, toujours coproduit avec la Comédie de Reims, a été créé au théâtre de
la Tempête, à la Cartoucherie de Vincennes en 2009. ainsi qu’une mise en espace de « Exercices de deuil »
du même auteur.
Poursuivant ce partenariat, le théâtre de la Tempête nous a accueilli en 2010 avec « La Coupe et les
lèvres » d’Alfred de Musset, programmé aussi au Théâtre des 13 vents - CDN à Montpellier et au Centre
culturel des Ulis. Ce projet a reçu le soutien de la DRAC Ile de France, de l’ADAMI, la SPEDIDAM, la Ville
de Paris, le JTN et le FIJAD.
La collaboration avec le Théâtre des 13 Vents à Montpellier continue avec une mise en espace en 2012
d’une pièce de Jean-Marie Besset : « Roch Ferré, un cas d’école » avec Xavier Gallais.
La compagnie créera dans la saison 2014/15 « Lorenzaccio » d’Alfred de Musset avec Xavier Gallais dans le
rôle titre.
Depuis quatre ans, la Compagnie organise des stages AFDAS au théâtre de la Tempête : « Les Démons »
de Dostoïevski (un des prochains projets de la compagnie), « L’échange » et « Partage de Midi » de
Claudel, et, en 2012, la révolte des fils contre les pères à partir d’une traversée de « Electre », « Hamlet » et
« La Mouette ». Jean-Pierre Garnier enseigne à l'Ecole Florent depuis 1988 où il dirige la Classe libre.
Il a enseigné au Conservatoire d'art dramatique de Cracovie et à la Hochschule de Hambourg. Il a été
responsable pédagogique de l'Ecole de la Comédie de Reims de 2003 à 2010, durant les mandats
d’Emmanuel Demarcy-Mota. Il est intervenant pédagogique à l’Ecole de la Comédie de St Etienne.
Il a ainsi dirigé, entre autres, Emmanuelle Devos, Jeanne Balibar, Eric Ruf, Joséphine Derenne, Thibault de
Montalembert, Gérard Watkins, Camille Japy, Valérie Dashwood, Thierry de Peretti, Grégori Derangère,
Guillaume Gallienne, Audrey Tautou, Grétel Delattre, Xavier Gallais, Céline-Milliat-Baumgartner, MarieChristine Letort, Thomas Durand, Sylvain Dieuaide, Mathieu Dessertine, Pierre Niney….
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