IMPACT science et r j r société Vol. X (1960), n» 2 NUMÉRO SPÉCIAL SUR LES SCIENCES DE LA MER L'homme et la mer; influence de la mer sur le développement des sociétés L'optique de la mer par H . R O T S C M par Y . L E G R A N D L'hydropsis; ses bases scientifiques et ses applications à la navigation, à la pache et à la météorologie par T. L A E V A S T U Importance de la connaissance du relief sous-marin pour les ouvrages en prise à la mer par A . G . D E R O U V I L L E I M P A C T , science et société publication trimestrielle Abonnement annuel : [A] 4,50 N F ; $1.75; 9/6 (stg.) L e numéro: [A] 1,25 N F ; $0.50; 2/6 (stg.) Adresser les demandes d'abonnement aux agents généraux, qui vous indiqueront également les tarifs en monnaie autre que celles qui sont indiquées ci-dessus. Toute notification de changement d'adresse doit être accompagnée de la dernière bande d'expédition. Les articles signés paraissant dans Impact expriment l'opinion de leurs auteurs, et non pas nécessairement celle de l'Unesco ou de la rédaction. Imprimé par Berger-Levrault. Paris © Unesco 1960, NS.59/1.35/F ORGANISATION DES NATIONS UNIES POUR L'ÉDUCATION, LA SCIENCE ET LA CULTURE Place de Fontenoy, Paris-7e (France) Table des matières Impact, vol. X (1960), n° 2 Introduction L'HOMME ET LA MER; INFLUENCE DE LA MER SUR LE DÉVELOPPEMENT DES SOCIÉTÉS par Henri ROTSCHI Le présent article, consacré à la description de quelques aspects de l'influence des sciences de la mer sur le développement de la société, est divisé en trois parties. Dans la première, l'auteur décrit rapidement le cheminement suivi par l'humanité dans la découverte des mers du globe et expose comment et pourquoi Von est passé insensiblement d'une connaissance pragmatique à une étude scientifique du sujet. La seconde partie est consacrée à l'analyse des principales activités humaines actuellement axées sur la mer et dans l'exercice desquelles le développement de la science océanographique a apporté des améliorations considérables. Dans la troisième, les perspectives d'avenir sont rapidement esquissées; l'humanité, s'orientant vers une demande toujours plus grande de matières premières à transformer et d'énergie pour répondre à l'accroissement continu de l'industrie et des besoins domestiques, devra, après épuisement des ressources terrestres, se tourner vers la mer, qui est le plus grand réservoir de denrées alimentaires, de matières industrielles de base et d'énergie sous diverses formes. L'OPTIQUE DE LA MER par Yves LE GRAND La pénétration du rayonnement solaire dans les eaux marines pose un délicat problème qui intéresse autant les physiciens que les biologistes : la production de matière organique, grâce à la photosynthèse, est, en effet, à l'origine de la vie dans les océans; et, comme ceux-ci constituent une des principales réserves de nourriture pour l'humanité, il importe de connaître les lois de l'optique de la mer; d'autre part, cette discipline fournit un instrument précieux pour l'étude de l'eau et du fond des mers. L'HYDROPSIS : SES BASES SCIENTIFIQUES ET SES APPLICATIONS (NAVIGATION, PÊCHE, MÉTÉOROLOGIE) par T. LAEVASTU Les activités humaines sur la mer ou sur les côtes exigent qu'on puisse prédire certaines caractéristiques de l'océan (température de l'eau, direction des courants, dimensions des vagues, etc.). Bien que certains systèmes de prédiction aient été mis au point, il est nécessaire de disposer d'un programme plus complet d'observations régulières des éléments et processus « clés ». L'auteur étudie l'élaboration et l'application d'un tel programme, dans l'intérêt de la navigation, de la pêche et d'autres activités maritimes. IMPORTANCE DE LA CONNAISSANCE D U RELIEF SOUSMARIN POUR LES OUVRAGES EN PRISE A LA MER par A. G. DE ROUVILLE 137 L'auteur attire l'attention sur l'utilité de mettre en œuvre des notions plus scientifiques, quelquefois même de procéder à des essais sur modèles,pour connaître les efforts auxquels risquent d'être soumis, suivant la forme des fonds au large, des ouvrages exposés à une forte houle, digues ou protections littorales; le resserrement ou l'écartement des normales aux lignes de niveau sont déjà les indices d'un renforcement ou d'une atténuation de la houle en certaines directions; la pente et la constitution des talus d'ouvrages ou la pénétration dans l'eau de leur parement vertical pour d'autres types constituent des éléments à ne pas négliger. En terminant, l'auteur souligne l'importance sociale de telles études, quand il s'agit de doter les pays neufs des ports qui leur font défaut, et de défendre ou de ne pas compromettre les rivages et les plages. DANS LES N U M É R O S PRÉCÉDENTS Vol. IX (1959), n° 3 La greffe, important facteur de l'augmentation du rendement des plantes et des animaux, par Pierre B O I T E A U . Les influences sociales du progrès de l'optique, par V A S C O R O N C H I . L'utilité de l'histoire des sciences en tant que discipline d'enseignement, par R E N É T A T O N . Les problèmes de la science et le plan septennal du développement de l'économie nationale de l ' U R S S , 1959-1965, par N O R A J R SISSAKIAN. La Conférence internationale sur l'information scientifique, par P A U L B O Q U E T . Vol. I X (1959), n° 4 L'apparition de la vie sur la terre, par A . I. O P A R T N . Le rôle des animaux de laboratoire dans l'activité scientifique d'un pays, par W. LANE-PETTER. La place de la recherche opérationnelle dans l'évolution sociale contemporaine, par J. L E S O U R N E . La science dans l'Inde moderne, par A . R A N G A N A T H A N . Problèmes posés par l'élimination des déchets dans le cas d'une large utilisation des radioisotopes, par W . G . M A R L E Y . Vol. X (1960), n° 1 Les calculatrices et l'automation, par E . L . H A R D E R . La traduction mécanique et l'humanité, par D . J. P A N O V . La traduction automatique des langues : problèmes de recherche et d'organisation, par E. DELAVENAY. Sur l'attitude scientifique : u n malentendu possible, par P . A U G E R . Conférence internationale sur le traitement numérique de l'information, par S. de P I C C I O T T O . Introduction E n m ê m e temps qu'il déploie d'immenses efforts pour conquérir l'espace extraterrestre, l ' h o m m e s'avise qu'il est encore loin de tout savoir de sa propre planète, et particulièrement de ce que recouvrent les océans. Depuis quelques années, certains livres, c o m m e Cette mer qui nous entoure, de Rachel Carson, des découvertes c o m m e celle du cœlacanthe, les révélations que nous devons aux progrès de la technique, par exemple au bathyscaphe et au scaphandre autonome, ont suscité dans le public u n intérêt passionné pour la mer. Cette soif de connaissances est, pour une part, la cause et, pour une autre, l'effet du récent essor de l'océanographie : plusieurs nations ont déjà considérablement amplifié leur programme de recherches, d'autres ont manifesté l'intention de le faire, et cette extension de l'activité nationale s'accompagne d'une intensification des échanges internationaux. Depuis dix ans, plusieurs organismes internationaux du domaine des pêches ont multiplié leurs efforts pour coordonner les programmes de recherches des États qui en font partie, et certains travaux entrepris en c o m m u n ont été couronnés de succès. D e surcroît, l'Année géophysique internationale a montré c o m m e n t une telle coopération pouvait s'organiser, et combien elle pouvait être fructueuse. Ces succès, ainsi que le besoin, diversement ressenti, de mieux connaître la mer, expliquent que les programmes de recherches océanographiques se doublent de programmes de coopération internationale. A vrai dire, beaucoup des résultats attendus sont d'une nature telle qu'ils ne sauraient être obtenus dans un délai raisonnable sans une action internationale collective. La découverte progressive des secrets de la nature peut être unefinen soi et se passer de justification; mais, lorsqu'on a besoin d'exercer sur la nature une action qui exige certaines connaissances et qu'on sait quel genre de connaissances rendra cette action possible, il convient d'organiser la recherche de manière à se les procurer. Il existe actuellement de nombreux projets d'action internationale dans le domaine des sciences de la mer. Pour choisir ceux qui répondent le mieux à la nécessité pressante d'intensifier et d'élargir la recherche océanographique, il faut se demander quelle est la nature des données dont on a besoin, et par quels moyens o n pourra se les procurer; après quoi, il conviendra d'étudier et de mettre en œuvre les divers genres d'action internationale qui permettront de les obtenir. C'est pourquoi l'Unesco organise, avec le concours de la F A O , une conférence intergouvernementale sur les recherches océanographiques, et c'est pour 79 Introduction appuyer cette initiative de grande envergure qu'Impact consacre un n u m é r o spécial à u n examen général du problème. A travers ses différents articles le présent numéro se propose d'exposer : a) c o m m e n t l'océanographie permet à l ' h o m m e de tirer u n meilleur parti des ressources de la m e r et d'en asservir les forces; b) par quels moyens l ' h o m m e se procure les connaissances océanographiques dont il a besoin ; et c) quelles conséquences sociales pourront avoir les progrès de la recherche océanographique. L ' h o m m e a de multiples raisons de s'intéresser à la mer; elle recèle des ressources minérales, biologiques et énergétiques; elle joue u n grand rôle dans les transports et les communications; elle a une action sur les installations portuaires et les côtes; enfin elle exerce une fonction météorologique. Les connaissances que nous possédons à ces différents égards résultent de l'étude des particularités physiques, chimiques et biologiques de la mer et des phénomènes dont elle est le siège. Pour exposer l'état actuel de la recherche océanographique, on peut partir soit des problèmes à résoudre, soit des diverses spécialités intéressées : océanographie physique, océanographie chimique, géologie marine, biologie marine, etc. Pourtant, les articles de ce numéro spécial ne sont pas des exposés de ce que l'on sait de la m e r et de ses ressources, non plus que de l'état actuel des diverses disciplines océanographiques. Leur objet est tout autre. Ils montrent c o m m e n t les données océanographiques sont obtenues et rassemblées et surtout exploitées, dans quelles directions la recherche océanographique s'orientera vraisemblablement au cours des années à venir, et quelles conséquences o n peut attendre, sur le plan social, du succès de cet effort de recherche. 80 L'HOMME ET LA MER l Influence de la mer sur le développement des sociétés par HENRI ROTSCHI Chef de la section d'océanographie physique de VInstitut français d'Oceanie {Nouméa, Nouvelle-Calédonie), H . Rotschi a pris part à l'expédition « Capricorn » organisée en 1952-1953 par la Scripps Institution of Oceanography de l'Université de Californie. Il est également membre de la section d'océanographie physique du Comité national français de géodésie et géophysique. L'HOMME PREND CONSCIENCE DE LA MER Explorations jusqu'au XIXe siècle A la naissance des civilisations, aussi loin que remonte la connaissance que nous avons de la science de nos ancêtres, l'Océan qui « embrasse la terre d'un flot ininterrompu » est considéré c o m m e un fleuve dont l'écoulement, tel une roue, cerne les limites d u m o n d e . L e traverser est une entreprise h o m é rique que seuls les plus braves o u les plus cupides tenteront. Avant d'entreprendre une telle aventure, ce sont les marchands qui, de génération en génération, et probablement pendant de nombreux siècles, tracent leur route sur de fragiles esquifs à rames, dotés de voiles rudimentaires et sans gouvernail, le long de rivages dont les arrière-pays sont détenteurs de toutes les richesses de l'époque : aromates, épices, ivoire, or, argent, g e m m e s et bois précieux. Deux mille ans av. J . - C , c'est-à-dire longtemps avant que la guerre de Troie n'ait eu lieu, les Phéniciens, ces pionniers d u commerce international et de la découverte des mers, fondent des établissements sur les rivages de la mer Rouge et de l'océan Indien. E n mer Arabique les premiers phares font leur apparition, entretenus par une caste de prêtres voués au feu continu, qui servent de boîte à lettres pour les navigateurs de l'époque et de bibliothèque parlée, qui reçoivent tous les renseignements sur les routes suivies, les dangers rencontrés, les techniques de navigation employées, les formes des côtes, les régimes des vents et des courants. Des écoles sont fondées où s'enseigne l'art de naviguer et de tracer une route à partir des observations astronomiques. C'est la mer Méditerranée qui sert réellement de berceau à cette prodigieuse 1. Cet article, rédigé sans que l'auteur ail eu connaissance de celui de M , Deacon, publié dans cette m ê m e revue il 7 a quelques mois (vol. IX (1958), n° 2) comporte quelques analogies avec ce dernier — ce dontl'auteurs'excuse. 81 L'homme et la mer aventure humaine, celle qui conduit les h o m m e s sur les grandes voies océaniques, attirés d'abord par des buts purement lucratifs, ensuite par le seul besoin de connaissance désintéressée. Les Phéniciens qui essaiment d'est en ouest, après avoir passé les Colonnes d'Hercule, descendent vers le sud le long des côtes africaines et remontent vers le nord le long des rivages européens jusqu'à l'Angleterre, dans des régions où le froid, le brouillard, les vents violents et les forts courants de marée qui les déconcertent — car ils sont totalement inconnus en Méditerranée — et contre lesquels ils ne sont pas armés, les refoulent vers le sud. A cette navigation côtière, petit cabotage de marchands plus soucieux de l'intérêt de leur commerce que du développement de la géographie, succède bientôt l'ère des grandes explorations maritimes, ouverte par Pytheas le Marseillais, 330 ans av. J.-C. Géographe et astronome, celui-ci pousse jusqu'au cercle polaire et se trouve bloqué dans sa progression vers le nord par les glaces dérivantes devant lesquelles il fait demi-tour. Il semble avoir reconnu au passage la Grande-Bretagne, les îles Shetland et l'Islande o u la Norvège. Q u e rapporte-t-il de ce voyage? N i or, ni argent, ni rien qui se vende, mais une reconnaissance des abords des régions arctiques et une explication astronomique et rigoureuse du soleil de minuit. C e père des océanographes est le premier à recourir aux calculs astronomiques pour déterminer la position d'un lieu. Les grandes explorations maritimes entraînent dans leur sillage l'imagination de tous les intellectuels méditerranéens et les poussent à exercer leur sagacité sur tous les aspects de la géographie sensibles aux h o m m e s de cette époque. Pythagore déduit la sphéricité de la terre des récits des marins. Avec Hérodote, Aristote, Hipparque et Ptolémée, il jette les bases de ce qui sera un jour l'océanographie. O n sonde, o n trace des cartes, on détermine la position des ports, on calcule dans le ciel les distances parcourues. Les courants, les vents et les marées ne sont plus les manifestations terrifiantes de dieux en colère, mais des auxiliaires dont on a appris à se servir pour élargir les voies maritimes, le long desquelles coule leflotdes échanges humains et qu'utilisent tour à tour armées, idées, richesses. Est grand, fort et puissant le pays dont les ports sont les plus nombreux, les plus vastes, les plus c o m m o d e s et les mieux situés pour canaliser ceflotininterr o m p u de biens matériels, ressort de toutes les actions humaines, les routes qui y conduisent étant jalonnées d'un grand nombre de feux et de marques soigneusement entretenus. Il n'est point de puissance hors de la mer, sinon par et pour elle. L a paix romaine change tout cela; aux aventures océaniques, elle préfère les conquêtes continentales — et les vieilles frayeurs séculaires, les peurs superstitieuses renaissent au cœur des héritiers des premiers découvreurs. C e sont les Vikings et les Arabes qui entretiennent le feu sacré et tentent les premières traversées de l'Atlantique. Les seconds introduisent dans le 82 L'homme et la mer m o n d e occidental l'usage du gouvernail à étambot, de la boussole et de l'astrolabe. A partir de ces améliorations techniques, toutes les grandes navigations sont possibles. C'est sans elles cependant que les Vikings, dans des barques non pontées, aux voiles carrées, explorent la mer du Nord, atteignent la Gaule et le sud de l'Angleterre. Ils découvrent l'ouest de la Grande-Bretagne, puis l'Islande, le Groenland et débarquent en Amérique d u Nord. Quelques siècles plus tard, Henri le Navigateur lance ses caravelles à la découverte de la route du pays des épices et de l'or et, moins de cent ans après, Vasco de G a m a atteint les Indes. A cette progression des Occidentaux vers l'est répond, à peu près à la m ê m e époque, l'invasion d u Pacifique par les Polynésiens, qui confient leur vie à leurs frêles pirogues à balanciers et à la connaissance qu'ils ont des étoiles. Puis, Christophe C o l o m b ayant montré le chemin des Amériques, c'est la grande ruée à la recherche de routes inédites et directes vers l'Asie et à la découverte du seul continent qui soit encore à découvrir, le continent antarctique, auquel on attribue nettement plus d'attraits qu'il n'en possède en réalité. C'est Balboa qui découvre le Pacifique, Magellan qui fait le tour d u m o n d e et procède aux premiers sondages par grands fonds, C o o k , qui, à la place d'un continent antarctique, découvre u n océan couronnant la terre autour d u pôle, sillonne le Pacifique du nord au sud et d'est en ouest, suivi bientôt de Bougainville et de beaucoup d'autres, chasseurs de phoques et chasseurs de baleines en particulier. Finalement, c'est la recherche d u passage par le nord, dans laquelle s'illustrent surtout Davis, Hudson, Barentz et Bering. A u seuil du xixe siècle la terre est bien connue... ou presque; il ne reste plus à découvrir que quelques îles perdues dans l'immensité liquide et à explorer les pôles. Mais l'on ne sait rien des profondeurs océaniques, de la nature des fonds et de leurs formes. Géographie des mers et documents nautiques Quarante siècles au moins se sont écoulés depuis qu'un h o m m e , m û par la curiosité et le goût d u lucre, a pris la mer. Quel est le fruit de tant d'efforts? U n e Géographie physique de la mer, publiée en 1855 par le lieutenant Maurry, de la marine américaine; celui-ci rassemble les renseignements qui ont été accumulés jusqu'alors sur les vents et les courants et que des marins de toutes les nations ont bien voulu lui communiquer. L a synthèse qu'il en fait lui permet de publier des cartes qui, mises entre les mains des capitaines, les amènent à modifier les routes des grands parcours océaniques, raccourcissant par exemple de plusieurs dizaines de jours les traversées vers l'Australie ou par le cap H o r n . Ce sont les premières Instructions nautiques, actuellement livre de chevet de tout capitaine et de tout officier de navigation, contenant tous les détails connus sur la géographie physique des mers, les abords des côtes, les vents, les courants 83 L'homme et la mer et les marées, les dangers et les signes, sans lesquels plus d'un bateau se perdrait à vouloir aborder des côtes inaccessibles. Il est bien évident que de nombreux documents avaient été établis antérieurement à cette publication, par les capitaines soucieux de ne pas perdre le bénéfice de l'expérience acquise. Malheureusement tous ces renseignements, destinés à faciliter la navigation et ouvrant donc la porte de la richesse et d u pouvoir, avaient été soigneusement conservés dans le secret des cabinets des armateurs et des cabines des capitaines. Les portulans et les périples sont les plus anciens documents qui nous soient parvenus et nous permettent de juger des connaissances techniques des anciens marins. Les premiers étaient des cartes décrivant les atterrissages sur les côtes de la Méditerranée; ils accompagnaient les instructions nautiques de l'époque, tandis que les périples donnaient tous les détails nécessaires sur la forme des côtes, les abris et les possibilités d'approvisionnement. Puis parurent des cartes marines plus générales : les premières qui nous soient restées datent de la fin d u XVI e siècle; elles sont essentiellement consacrées à l'Europe occidentale et à l'Atlantique est. P e u à peu, les connaissances des géographes se généralisant, les cartes offertes au public s'améliorent et s'étendent; mais les meilleures sont, de très loin, celles qui sont établies par les soins des compagnies privées — telle la Compagnie des Indes — qui se sont attaché des hydrographes et qui disposent d'un jeu remarquable de cartes constituant un de leurs secrets professionnels les plus jalousement gardés. Il faut l'entrée en scène de Maurry pour que l'intérêt d'une mise en c o m m u n des connaissances nautiques devienne si évident que la voie aux Instructions nautiques modernes et aux cartes précises s'en trouve brusquement ouverte. Cependant, le domaine de la mer est assez vaste pour que l'esprit des h o m m e s se soit attaqué aussi à d'autres aspects de la physique du globe. A u x v n e siècle, Varenius publie une Géographie des terres et des mers, qui contient la s o m m e de toutes les connaissances de l'époque sur l'astronomie et la météorologie, ainsi que la première description scientifique des phénomènes périodiques dont la mer est le siège — phénomènes qui avaient déjà fourni à Léonard de Vinci l'occasion d'exercer son inépuisable curiosité. Par la suite, les mathématiques, dont l'essor est prodigieux, se saisissent de tout ce qui peut être soumis à leur analyse. N e w t o n et Laplace donnent la première explication scientifique des marées, Bernouilli jette les bases de l'hydrodynamique, qui permettra d'analyser les mouvements des fluides. Parallèlement se développe u n vif intérêt pour tout ce qui touche la mer. L a zoologie entreprend la description des animaux marins, alors que paraissent les premières collections zoologiques, et les géographes dessinent le fond des mers. Quand vient le xixe siècle, les h o m m e s de pensée et les h o m m e s d'action — qu'ils soient savants, économistes ou politiques — ont pris conscience de l'importance que revêt pour toutes les activités humaines le m o n d e des mers. 84 L'homme et la mer Il ne s'agit plus alors de découvrir de nouvelles routes et de nouveaux continents, de rechercher de nouvelles mines d'or ou d'autres sources de biens de consommation, mais d'étendre la mainmise de l ' h o m m e sur un univers fluide qui échappe totalement à son contrôle et qu'il n'arrivera à utiliser à ses propres fins qu'à partir de connaissances précises qui lui font totalement défaut. D e cette ignorance il a pris peu à peu conscience et ce sentiment va pousser les grandes nations maritimes à lancer de nombreuses expéditions scientifiques dans toutes les directions, à la suite du Challenger, battant pavillon britannique, premier navire océanographique parti étudier les océans pendant quatre ans. L'océanographie est née : o n découvre l'océan. Qu'est donc en réalité ce m o n d e auquel l'humanité va consacrer tant d'efforts? Les océans et leur univers Sur une surface terrestre de 510 millions de kilomètres carrés, l'eau salée en recouvre 361, soit 70,8 %, laissant aux continents la part modeste de 29,2 %. L a planète Terre est donc en réalité la planète Océan; d'autant plus que ces eaux, qui imposent leur présence sous tous les deux et à toutes les latitudes et que l'on a séparées arbitrairement, pour les besoins de la géographie, en mers et en océans, ne constituent en réalité qu'une seule entité, l'océan, continu du nord au sud et de l'ouest à l'est, cernant au sud notre geoide d'une couronne liquide, l'océan Antarctique, et lançant vers le nord trois énormes bras, les océans Atlantique, Pacifique et Indien, aux multiples tours et détours, qui sont autant de mers adjacentes, méditerranées ou marginales. Ces 70,8 % de la sphère terrestre occupés par l'océan sont couverts d'un volume total de 1 370 millions de kilomètres cubes d'eau, dont l'épaisseur moyenne est de 3 800 mètres, contre une hauteur moyenne des continents de l'ordre de 840 mètres. E n d'autres termes, c'est une épaisseur de 2 440 mètres d'eau qui recouvrirait la planète tout entière si, sur cette dernière, la matière solide était répartie selon une couche uniforme au lieu d'être craquelée, plissée, toute en bosses — les géosynclinaux — et en creux — les anticlinaux. D'autre part, contrairement à ce que l'on a p u penser pendant longtemps, l'océan n'a pas u n fond plat : 76 % du fond des mers sont à des profondeurs comprises entre 3 000 et 6 000 mètres et l'on y retrouve tous les traits essentiels du relief terrestre, à la seule différence que, placés à l'abri de l'érosion, ils ont encore la forme qu'ils reçurent au m o m e n t où ils furent formés, tout au moins pour les dorsales (c'est-à-dire les chaînes de montagnes sousmarines), les formes en creux ayant, pour la plupart, été comblées par les sédiments. L a mer est aussi une solution et, depuis que les méthodes analytiques se sont suffisamment affinées pour permettre la détermination de quantités 85 L'homme et la mer extrêmement petites, o n a découvert qu'elle contenait, dissous, pratiquement tous les éléments naturels connus de la classification de Mendeleieff. M ê m e dans les cas o ù la concentration de ces derniers est très faible, le volume énorme des eaux fait que l'océan reste la plus grande réserve de minéraux de toutes sortes de notre planète. D'autre part, la vie, se souvenant qu'elle a pris naissance au sein des eaux, bien avant le précambrien — il y a de cela près de deux mille millions d'années — a conservé pour ce milieu une prédilection marquée : 300000 espèces d'animaux peuplent la mer, répartis aussi bien dans les eaux littorales superficielles qu'au contact d u fond des fosses les plus profondes d u Pacifique, vivant dans les zones éclairées de la m e r aussi bien que dans les couches qui ne reçoivent jamais la lumière du soleil et qu'éclairent seulement, de temps à autre, les lueurs des photogènes des organismes abyssaux. O n y trouve des organismes microscopiques qui, répétés par milliards, forment le zooplancton, nourriture de prédilection des espèces les plus grosses, les baleines, qui atteignent aisément un poids d'une dizaine de tonnes. O n y rencontre des organismes m o u s — telles les méduses, qui, par la composition de leur être, semblent faire corps avec l'eau elle-même, s'y fondre totalement, au point qu'il est parfois difficile de distinguer l'animal du milieu — et d'autres qui sont de véritables forteresses. Il y a des herbivores et des carnivores, des êtres paresseux et d'autres actifs, certains sédentaires et d'autres nomades. L'océan, c'est enfin 250 000 kilomètres de côtes, avec ses havres et ses dangers, ses longues poussées vers l'intérieur des terres, fournissant les meilleurs ports, par les contacts fluviaux que ceux-ci ont avec l'arrière-pays, et les meilleurs abris, ses fines pointes rocheuses posées en sentinelles devant les continents, ses plages et ses falaises, tout un m o n d e pétrifié que les vagues remodèlent sans cesse pour le plus grand bien de l ' h o m m e , quand les parties comblées offrent de nouveaux c h a m p s d'activité à l'invention humaine, ou pour son plus grand mal, quand l'érosion s'attaque aux œuvres vives, aux ouvrages portuaires, aux ouvrages de défense. M o n d e physique aux pulsations rythmées, m o n d e animal à l'étonnante multiplicité de vie, l'océan s'impose à l ' h o m m e , m ê m e là où il n'est pas présent. E n effet, masse liquide ininterrompue d u pôle à l'équateur, il oppose au froid polaire c o m m e à la chaleur tropicale l'inertie thermique d'un énorme volant qui ne cesse de faire pression sur les climats en restituant aux régions froides une partie de la chaleur absorbée dans les basses latitudes. Recevant des grands fleuves terrestres u n débit de 13 millions de kilomètres cubes à l'heure, il les restitue à l'atmosphère, en un cycle perpétuel, cette dernière entraînant sous forme de nuages, dans la course folle des vents, la vapeur d'eau produite et la déversant dans les contrées les plus éloignées, en pluie ou en neige, sève de la terre issue du dialogue émouvant d u soleil et de l'océan. Banquier du m o n d e pour les ressources minérales, pour la vie, pour l'énergie solaire qu'il renferme sous forme thermique et dynamique, régulateur clima- 86 L'homme et la mer tique, dispensateur de toute l'eau douce, parrain de toutes les formes de vie tant terrestres que marines, l'océan est tout cela. D e quelles armes a-t-on disposé pour en faire l'inventaire? L'océanographie et son histoire L'arme, c'est l'océanographie dans la définition la plus générale qu'on en puisse donner, c'est-à-dire l'ensemble des sciences consacrées à l'étude de la m e r : la dynamique, qui étudie les déplacements horizontaux et verticaux, les m o u v e ments permanents ou temporaires, périodiques ou apériodiques; la physique, qui s'intéresse aux propriétés optiques, acoustiques, électriques, etc. ; la chimie, dont le domaine englobe la nature et les propriétés de la solution qu'est l'eau de mer, la variation de ces propriétés liée à des phénomènes dynamiques ou biologiques; la biologie, qui examine la nature des êtres vivants qui peuplent la mer et la bionomie, ou cycle biologique des différentes espèces; la géographie physique, la géologie et la géophysique, disciplines auxquelles ressortissent la morphologie des côtes et d u fond, la nature des sédiments ainsi que la nature du sous-sol marin. L'océanographie est née réellement au cours de l'expédition du Challenger, aboutissement de toutes les croisières intéressées ou désintéressées qui, depuis Christophe C o l o m b et Magellan, avaient petit à petit soulevé le voile de superstitions et d'ignorance qui recouvrait la mer. Pendant quatre ans, le Challenger, corvette à quatre mâts, dotée d'une machine auxiliaire, parcourt l'océan et, sous la conduite des savants les plus éminents de Grande-Bretagne, entreprend des recherches dans tous les domaines des sciences de la mer, pour rapporter à Edimbourg une moisson extraordinairement riche et abondante d'échantillons et de spécimens de toutes sortes d'espèces, d'observations et de mesures, dont l'étude, l'analyse et la description fourniront la matière de quarante volumes considérés, pendant de longues années après leur publication, c o m m e le document océanographique de base, ouvrant tous les principaux chapitres de l'océanographie, en particulier la morphologie sous-marine, la physique, la chimie de la mer et la géologie sous-marine. Ces chapitres, que les recherches ultérieures ont contribué à compléter, les études actuelles et futures se proposent de les achever. L a voie étant tracée, les croisières ultérieures n'ont fait que la suivre; jusqu'à la seconde guerre mondiale, des expéditions allemandes, françaises, américaines, russes, Scandinaves sillonnent les mers, y recherchent les plus grands fonds, y découvrent des fosses—celles de Porto Rico, de Mindanao, du Japon, des Mariannes, des Tonga-Kermadec, etc. — dont les profondeurs oscillent entre 8 000 et 10 000 mètres, remontent à la surface des espèces vivantes, collectées à des profondeurs de plus en plus grandes, commencent à percevoir les principaux traits d u relief océanique, accumulent les observations sur la nature des sédiments marins. A u fur et à mesure que s'affinent les méthodes de mesures physiques et chimiques, tant en m e r qu'au labora- 87 L'homme et la mer toire, la connaissance de la physique et de la chimie de la mer se précise. E n particulier, des propriétés physiques, telles que la densité, la chaleur spécifique, sont rapidement connues, alors que celles qui dépendent de la dynamique des eaux en mouvement, c o m m e la viscosité et la transparence, livrent leurs secrets moins vite. L a composition de l'eau de mer est déterminée avec précision vers 1880; vingt ans plus tard, o n découvre la constance relative de cette composition, c'est-à-dire u n des faits les plus importants en océanographie physique, puisque la majorité des analyses de sels publiées jusqu'à ce jour sont fondées sur la relation entre la teneur en chlorure de sodium et la quantité totale de sels dissous. Puis o n analyse l'intervention de sels minéraux, faiblement concentrés dans les couches superficielles de la mer, dans les premiers maillons d u cycle alimentaire, et le rôle qu'ils jouent dans la photosynthèse des algues marines — rôle identique à celui des engrais d u sol. Les recherches biologiques sont, au départ, consacrées presque totalement à la description des multiples espèces qui peuplent la mer. D a n s la mesure o ù les groupes taxonomiques sont de mieux en mieux définis et où leur structure est parfaitement connue, les travaux s'orientent ensuite vers les relations complexes des organismes entre eux et avec le milieu o ù ils vivent. Enfin, la dynamique de la mer se précise; non seulement, l'étude directe des grands courants océaniques permet d'en déterminer le cours et l'importance, mais l'application à la mer de la mécanique desfluideset des théories élaborées pour l'analyse de la circulation atmosphérique donne une base mathématique solide à nos connaissances sur les déplacements des masses d'eau; la description des vagues, des marées et des ondes internes progresse parallèlement, à partir d u développement de l'hydrodynamique. U n e telle évolution des recherches et u n pareil enrichissement de nos connaissances n'ont été rendus possibles que par les améliorations considérables introduites dans les techniques d'observation et de prélèvement en mer. Sans parler de l'apparition de la navigation à vapeur, les progrès les plus spectaculaires sont, sans aucun doute, ceux qui sont intervenus dans les méthodes de sondage par grands fonds; du sondage ponctuel au p l o m b à main, l'on est passé au sondage au p l o m b avec des machines à sonder, puis au sondage continu par le son, qui exécute en quelques secondes ce que la machine faisait en plusieurs heures. Les échantillonnages de vase se font avec des dragues ou des ramasseurs plus ou moins efficaces; puis apparaissent les tubes carottiers, de plus en plus perfectionnés, qui prélèvent des boudins de sédiment dont la longueur atteint déjà quelques mètres. L a mesure des températures de l'eau à différentes profondeurs se fait avec une extrême précision, approchant d u centième de degré centigrade, grâce à des thermomètres spécialement conçus, dits thermomètres à renversement. D e m ê m e , il devient possible de collecter à n'importe quelle profondeur des échantillons d'eau d'un à deux litres, avec des bouteilles à renversement construites de manière telle que plusieurs bouteilles placées aux profondeurs voulues sur le câble de travail peuvent être déclen- 88 L'homme et la mer chées en chaîne et recueillent chacune un échantillon d'eau; u n thermomètre, couplé avec chaque bouteille, enregistre la température exacte du niveau de prélèvement. D e nombreux courantomètres sont construits, mesurant les courants in situ, à diverses profondeurs, et donnant soit le courant instantané, soit le courant global au bout d'une certaine durée de fonctionnement. Parallèlement, on fabrique des dragues, pour la collecte des organismes vivant sur le fond, et diverses formes defiletsapparaissent, permettant d'étudier la répartition de la vie animale microscopique à tous les niveaux. O n invente également desfiletsspéciaux pour l'étude des algues microscopiques du phytoplancton. La seconde guerre mondiale fait accomplir u n pas de géant à l'océanographie. Pour des raisons tactiques, il devient indispensable de mieux connaître les propriétés physiques de la mer et, en particulier, ses propriétés acoustiques, les méthodes de détection par le son et les ultra-sons prenant une importance primordiale du fait de la construction d'appareils tels que l'Asdic o u les sondeurs à ultra-sons à faisceau sonore dirigé. L a vitesse de transmission du son dépendant de la densité — c'est-à-dire de la température et de la salinité, le premier facteur jouant un rôle beaucoup plus important dans les couches superficielles, fréquentées par les sous-marins — il est nécessaire de pouvoir mesurer rapidement la variation continue de la température avec la profondeur. Le bathythermographe donnant, sur plaque de verre fumé, une représentation graphique de cette dernière jusqu'à 300 mètres est inventé, et les mesures se multiplient dans tous les océans. D e m ê m e les échosondeurs, installés sur de nombreux bâtiments militaires, fournissent une moisson inépuisable de sondages. L a stratégie des débarquements dépendant étroitement de la configuration des côtes, des marées et des courants qu'elles créent, de la nature des fonds, l'analyse des processus littoraux se généralise et de nouvelles techniques optiques et photographiques sont mises au point pour la poursuite des études sur les côtes ennemies. D a n s le m ê m e sens, la mécanique desfluidess'applique à préciser l'effet de la configuration des côtes sur la propagation de la houle, et l'action de l'atmosphère sur l'état de la mer. Après la guerre, les sondeurs à ultra-sons se perfectionnent, les faisceaux sonores devenant de plus en plus minces et de plus en plus directionnels, les mécanismes d'enregistrement des échos donnant une précision accrue, qui est maintenant de l'ordre de moins d ' u n mètre pour des profondeurs de plus de 5 000 mètres. Les tubes carottiers se transforment et il est possible de prélever des carottes de sédiments de vingt mètres de long et d'étudier, par conséquent, des sédiments vieux de quelque 150 millions d'années. Les méthodes de réfraction sismique permettent de mesurer avec précision l'épaisseur des sédiments; les études magnétiques et gravimétriques en mer donnent u n m o y e n de relier les anomalies d u c h a m p magnétique à certains caractères de la topographie sous-marine et de détecter des gisements de pétrole. Les engins de capture se perfectionnent eux aussi, offrant la possibilité de travailler avec 89 L'homme et la mer certitude dans n'importe quelle couche intermédiaire. L'emploi de bouées émettant des signaux radio ouvre la voie à l'étude directe et généralisée des courants marins, tant superficiels que profonds. Les traceurs radio-actifs fournissent de nouvelles méthodes pour l'analyse d u déplacement des sédiments, aussi bien que pour l'évaluation de la quantité de matière vivante produite dans les couches supérieures de la mer. L'électronique mise au service de la recherche en mer permet non seulement, grâce aux systèmes de radionavigation, de mieux situer les navires, mais aussi de déterminer en mer u n grand n o m b r e de variables et fournit des appareils mesurant d'une manière continue la variation de la température et de la salinité en fonction de la profondeur; on construit également u n appareil de mesure des courants superficiels instantanés à partir d'un navire en route. Bref, l'océanographie est devenue affaire d ' h o m m e s de science hautement spécialisés, appartenant à des disciplines aussi variées que la géophysique o u la chimie, l'électronique ou la m a t h é m a tique pure, et la recherche en mer est maintenant u n travail d'équipe, l'activité de chacun dépendant du travail de tous, chaque nouvelle avance dans une direction entraînant une amélioration des connaissances d'ensemble puisque, dans la mer, la plus petite particule en voie de sédimentation dans la fosse la plus profonde est liée, par son histoire, à de multiples phénomènes, dont certains n'ont rien à voir directement ni avec la géologie sous-marine, ni avec la sédimentation. OCÉANOGRAPHIE ET CIVILISATION A U X X e SIÈCLE Bien que la mer ait inspiré n o m b r e de poètes, de romanciers, de musiciens, il est évident que c'est dans le domaine des activités économiques qu'elle a exercé la pression la plus forte. N u l ne s'étonnera donc de constater que, lorsque l'océanographie a vu ses recherches prendre une direction pratique, c'est, en général, dans le sens d'une amélioration de l'économie mondiale que ces recherches se sont orientées — si l'on ne tient pas compte de l'influence des guerres sur le développement m ê m e des sciences de la mer. Parmi les activités humaines dépendant plus étroitement de l'océan et dans l'épanouissement desquelles la recherche a joué u n très grand rôle, il en est trois dont l'importance dépasse largement le cadre des nations strictement maritimes et qui se situent d'emblée sur le plan universel et mondial : ce sont la pêche, l'exploitation de la mer c o m m e source de matières premières et la navigation. U n e analyse rapide va nous permettre de dégager le rôle joué jusqu'à présent par divers aspects de l'océanographie dans l'exercice de ces trois activités humaines fondamentales. Océanographie et pêche Les statistiques annuelles des pêches de la F A O signalent qu'en 1954, 24,2 millions de tonnes de poissons, crustacés et mollusques furent péchés en mer. 90 L'homme et la mer L a pêche apparaît ainsi c o m m e l'industrie d'extraction des ressources de la mer la plus importante, en m ê m e temps que la plus ancienne. Certaines de ses caractéristiques en font cependant une industrie déséquilibrée. E n effet, bien que l'hémisphère sud contienne 57 % des mers du m o n d e , 72 % des pêcheries mondiales sont localisées dans l'hémisphère nord, où la concentration de la population est plus grande, où le niveau d'industrialisation atteint par les nations occidentales permet u n développement plus rapide des pêches industrielles et où les zones peu profondes, dans lesquelles se pratiquent les méthodes de pêche les plus intensives, c o m m e le chalut de fond, sont plus étendues. D'autre part, bien que la liste des espèces pêchées soit particulièrement longue, dans l'ensemble des gros pays producteurs — tels que le Japon, les États-Unis, la Grande-Bretagne, les pays Scandinaves — la majorité de la production, de l'ordre de 70 à 80 %, est représentée par u n très petit nombre d'espèces, parmi lesquelles on peut noter la morue, le merlu, l'églefin, le hareng, la sardine, l'anchois, le thon, la bonite et le maquereau. Il en résulte que, pour ces espèces activement pourchassées, le taux d'exploitation est près d'atteindre la limite à partir de laquelle une pêche intensive crée une surexploitation et une disparition des stocks. Enfin, si des tonnages appréciables de poissons capturés ne sont pas destinés à la consommation humaine directe mais à la transformation en farines alimentaires pour le bétail et en huiles industrielles (c'est le cas du hareng scandinave et du menhaden des États-Unis), d'autres espèces existent en grandes quantités mais ne sont pas exploitées, faute de débouchés, la commercialisation des poissons sur les grands marchés mondiaux n'intéressant qu'un petit nombre d'espèces. Finalement, les grandes pêches sont toutes concentrées dans les zones littorales des continents, dans les mers de faible profondeur, sur le plateau continental; seule la pêche du thon pélagique, dans le Pacifique, fait exception à cette règle. Néanmoins, cette industrie progresse à pas de géant. D e 1948 à 1955, le tonnage péché dans le m o n d e a augmenté de 40 %, passant de 19,4 à 27,7 millions de tonnes. Cette progression est évidemment due à l'augmentation d u nombre de bateaux; mais elle est également liée à une amélioration des techniques de pêche employées — amélioration qui accompagne l'accroissement de nos connaissances sur la biologie des espèces exploitées et sur le milieu dans lequel elles vivent. Par exemple, dans le cycle alimentaire de la mer, qui conduit des algues minuscules, dérivant à la surface des eaux et constituant l'équivalent marin de l'herbe des prairies, aux poissons prédateurs vivant d'une multitude de proies aux dimensions les plus variées et victimes finalement de l'activité humaine, on trouve un nombre de maillons beaucoup plus élevé que dans le cycle terrestre; chaque passage d'un niveau biologique au niveau supérieur, mieux organisé, se fait avec des pertes énormes de rendement. D'autre part, 91 L'homme et la mer en admettant, ce qui est le cas actuellement, que la quantité de matière organique produite par photosynthèse dans la m e r est équivalente à celle qui est produite sur terre, le fait que la photosynthèse en mer soit réalisée sur une surface deux fois plus grande que celle des continents et sur une profondeur variant entre 20 et 100 mètres selon les latitudes, alors que, sur terre, elle est limitée à la couche superficielle, implique une plus grande dispersion de la matière vivante d'origine marine, donc une plus grande difficulté de récolte. D ' u n autre côté, la photosynthèse épuise rapidement les sels nutritifs en solution dans les couches superficielles de la mer (ces sels jouent u n rôle identique aux engrais terrestres) et, après quelques cycles, la production de matière organique à partir de l'énergie solaire et de la chlorophylle des algues ne devient possible que si les sels nutritifs utilisés dans les cycles précédents sont régénérés en quantités suffisantes. Les mécanismes de régénération sont de trois sortes : a) mélange de couches superficielles avec des couches profondes plus riches, entraînées en direction de la surface par u n mouvement ascendant des eaux; u n tel mouvement se produit le long des côtes ou à la surface de séparation de deux masses marines nettement différentes, lorsque des vents assez forts entraînent au loin les eaux superficielles et que celles-ci sont remplacées par des eaux profondes; il se produit alors ce que les océanographes appellent u n upwelling o u une divergence; b) refroidissement des eaux superficielles qui, devenues plus lourdes que celles des couches sous-jacentes, plongent sous ces dernières et sont remplacées en surface par des eaux profondes plus riches; c) turbulence verticale intense, provoquée par le contact de deux courants océaniques permanents. Ces phénomènes, que l'on peut appeler les mécanismes d' « autolabourage » de la mer, permettent aux eaux superficielles touchées par l'énergie solaire d'entretenir une forte population d'algues, qui favorisent elles-mêmes la présence d'organismes animaux microscopiques, constitutifs d u zooplancton, nourriture de base des poissons. D u point de vue océanographique, c'est donc dans les régions de divergence intense que des pêcheries industrielles ont les plus grandes chances de se développer. Pratiquement, c'est ce qui s'est produit, puisque les upwellings dus au vent ont favorisé l'apparition de pêches très importantes de la sardine, le long de la côte californienne, en Afrique du Sud, et le long des côtes du M a r o c , et du thon, le long de la côte Pacifique du continent américain et, plus particulièrement, le long des côtes d u Chili et du Pérou, où se produit l'un des upwellings les plus intenses d u m o n d e , dont une des importantes conséquences est l'industrie d u guano, résultat de la capture annuelle, par les oiseaux, d'un tonnage de poissons de l'ordre de plusieurs millions de tonnes. Le refroidissement hivernal est à l'origine des pêches de la morue, d u hareng, de l'églefin à Terre-Neuve, dans la région de l'Islande, d u Groenland, d u Labrador, de la mer de Barentz, et de la baleine dans la zone antarctique; cette région est, en effet, fertilisée par l'eau arctique ayant coulé dans le nord de l'Atlantique et ayant accompli le voyage d u nord au sud, le 92 L'homme et la mer long du fond, en s'enrichissant en sels nutritifs au fur et à mesure de sa progression en direction du pôle sud. L a rencontre de deux courants — le chaud Gulf Stream et le froid Labrador en Atlantique, le chaud Kuroshivo et le froid Oyashivo le long des côtes du Japon — favorise également des pêches intensives (sardine d u Maine, sardine et hareng du Japon). Si l'on est en mesure, actuellement, d'expliquer scientifiquement l'existence des grandes pêcheries, l'apport de l'océanographie ne se borne pas à une interprétation passive des faits. L'exemple le plus frappant en est la découverte de nouvelles zones de pêche d u thon dans la région equatoriale d u Pacifique, à la limite des courants équatoriaux nord et sud et du contre-courant - ^ région que les recherches océanographiques ont fait apparaître c o m m e particulièrement productive, donc pouvant nourrir une importante population de prédateurs, et où les essais ultérieurs ont révélé de gros stocks de thons pélagiques. U n autre rôle que peut jouer l'océanographie vis-à-vis de la pêche est, d'abord, l'explication des fluctuations qui interviennent dans les tonnages péchés annuellement d'une espèce déterminée, puis la prévision de ces fluctuations, permettant de modifier, en conséquence, les techniques de pêche et de déplacer éventuellement les zones d'exploitation. E n effet, le rendement d'une pêche est lié à l'abondance de la population mise en exploitation. Cette dernière dépend de l'équilibre qui s'établit entre la croissance et la reproduction de la population, d'une part, et la mortalité naturelle ou due à la pêche, d'autre part. Lorsque, pour une densité géographique donnée, les deuxièmes termes excèdent les premiers, le stock décroît et les rendements de pêche diminuent. Cependant, croissance et reproduction, qui ressortissent à la bionomie de l'espèce, sont toutes deux fonctions d u milieu, car elles dépendent de l'adaptation de l'organisme aux conditions physiques, telles que température et salinité, et de la quantité d'aliments disponibles — laquelle, nous l'avons vu, est liée à la dynamique des masses d'eau. Que, pour des raisons météorologiques bien précises, le climat physique du milieu se trouve brusquement modifié, qu'il se produise une diminution du taux de réapprovisionnement des couches superficielles en sels nutritifs, et l'équilibre de la population s'en trouve totalement bouleversé, entraînant des changements catastrophiques dans les taux de capture et, en conséquence, dans l'économie de toute une région côtière. U n exemple caractéristique d'un tel mécanisme est la disparition quasi totale, et qui dura plusieurs années, des sardines d u voisinage des côtes californiennes vers 1950. Cette disparition réduisit à presque rien une activité portant, les années précédentes, sur des centaines de milliers de tonnes. Elle était due à une légère modification du régime des vents responsables de Yupwelling de Californie; celui-ci se trouva réduit dans des proportions telles que la reproduction de la sardine fut presque complètement stoppée, la population tombant à u n niveau tellement bas que toute exploitation industrielle en était impossible; cette situation se maintint jusqu'au m o m e n t o ù , le régime des vents étant 93 2 L'homme et la mer redevenu normal, il se recréa, le long des côtes, u n upwelling intense. L a connaissance détaillée d'un tel mécanisme dans lequel l'aspect météorologique agit sur l'aspect océanographique, qui, lui-même, pèse sur l'aspect biologique, permet de prévoir des évolutions de cet ordre et de prendre les mesures de conversion indispensables au maintien de l'équilibre économique de la zone considérée. U n autre aspect de la liaison entre la pêche et le milieu est le fait que, pratiquement, toutes les grandes pêches dépendent des migrations trophiques o u de prématuration des espèces exploitées. U n e connaissance intime des habitudes sexuelles des poissons et de la biologie des proies dont ils se nourrissent, ainsi que du lien existant entre ces dernières et le milieu, permet de prévoir largement à l'avance les périodes de déplacement des bancs, leur profondeur et les zones de plus grande concentration. Ceci, conjugué avec l'amélioration des techniques de pêche, en particulier avec l'emploi d'échosondeurs localisant très précisément les bancs, autorise une exploitation plus rationnelle et, surtout, plus efficace des innombrables ressources vivantes que la mer recèle en son sein. La mer, source de matières premières et d'énergie E n rappelant que l'eau salée est pratiquement une solution de tous les éléments connus, en plus o u moins grande concentration, mais contenant en général quelque 35 g de sels par litre d'eau, et que le volume global des mers est voisin de 1 300 millions de kilomètres cubes, ce qui porte les réserves de chlorure de sodium ou sel de cuisine à l'impressionnant tonnage de 38 millions de milliards de tonnes — on aura signalé l'un des aspects les plus essentiels de l'océan, considéré c o m m e banquier de l'humanité en ce qui concerne de nombreuses matières premières, plus abondantes là que partout ailleurs, mais banquier un peu usuraire car, pour beaucoup de corps, les taux de concentration sont tellement faibles que le coût de l'extraction, dans l'état de nos techniques, dépasse largement la valeur des denrées extraites. C'est l'expérience que fit Haber, chimiste de l'expédition du Météor, qui, de 1924 à 1928, sillonna l'Atlantique. Ayant conçu le projet d'aider l'Allemagne à payer ses dettes de guerre grâce à l'or qu'il extrairait de la mer, il entreprit de laborieuses études sur la concentration des métaux précieux et sur la meilleure manière de les séparer des autres éléments. Si la réserve d'or de la mer est énorme (10 milliards de tonnes), et la réserve d'argent 50 fois supérieure, les concentrations sont tellement basses — 0,0003 m g par litre dans le premier cas et 0,000006 m g par litre dans le second — que le coût d u traitement (concentration et extraction) est rapidement apparu c o m m e prohibitif. Haber renonça donc à son projet. L a mer n'est cependant pas toujours aussi avare. La consommation mondiale de sel est de l'ordre de 25 millions de tonnes par an, et tout ce sel est d'origine 94 Vhomme et la mer marine, soit qu'il ait été produit directement par les nombreux marais salants qui ceinturent les côtes des pays chauds et dont la production moyenne est 10 millions de tonnes, soit qu'il ait été extrait des mines de sel g e m m e , reliquat d'anciennes mers évaporées. C e chlorure de sodium, dont chaque habitant de la terre c o n s o m m e 8 kilogrammes par an, est aussi une matière première de base de l'industrie chimique pour la fabrication des carbonates et bicarbonates de soude, de l'acide chlorhydrique, des hypochlorites et des Perchlorates. L a magnésium, métal clef de l'industrie aéronautique, est presque entièrement extrait de l'eau de mer, qui en contient plus d'un kilogramme par mètre cube. Il en est de m ê m e de la potasse, qui, sous forme de sels, est utilisée c o m m e engrais ainsi que dans l'industrie chimique, du b r o m e , dont 99 % des réserves mondiales sont contenues dans la m e r et qui entre dans la préparation des antidétonnants ajoutés aux essences à haut indice d'octane, ainsi que dans celle de nombreux sédatifs, produits colorants et produits photographiques. Les algues, couverture vivante de beaucoup de rives, sont, elles aussi, une source inépuisable de richesses, puisqu'elles se reconstituent au fur et à mesure de la récolte. Divisées en trois groupes essentiels — les algues vertes, les algues brunes et les algues rouges — o n en collecte près de 500 000 tonnes par an. Utilisées parfois c o m m e nourriture, surtout aux îles Hawaii et au Japon, où l'on c o n s o m m e les algues vertes, autrefois principal fournisseur de soude pour les industries du verre et d u savon, de potasse et d'iode, elles sont devenues d'importantes sources de produits de base. E n particulier, o n extrait des algues brunes une matière colloïdale, semblable à la cellulose, que l'on appelle algine, et qui est u n excellent émulsionnant et gélifiant ayant trouvé de nombreuses applications dans les industries alimentaires, pharmaceutiques et textiles; les algues rouges fournissent des hydrates de carbone utilisés dans l'industrie alimentaire, de l'agar-agar o u gélose, utilisé en pharmacie c o m m e excipient et en bactériologie c o m m e support de culture, et également des produits gélifiants et émulsionnants. L'application des méthodes de prospection géophysique en mer a, d'autre part, rendu possible, dans certaines zones particulièrement favorables du plateau continental, l'inventaire des dépôts sédimentaires dans lesquels le pétrole et les gaz naturels sont susceptibles de s'être accumulés. Les trois techniques les plus couramment employées sont la gravimétrie, qui cherche à déterminer les anomalies de la pesanteur liées à la distribution de roches de densités différentes, le magnétisme, qui, par la mesure des anomalies du c h a m p magnétique terrestre, permet également de définir la forme de la distribution sedimentale, et la prospection sismique, qui, par l'analyse de la vitesse de propagation d'ondes sismiques artificiellement produites, donne un m o y e n d'aborder l'étude de la nature et de l'épaisseur des différentes couches sédimentaires. Ces recherches, pratiquées à grande échelle dans le golfe d u 95 L'homme et la mer Mexique, au large de la Californie, dans le golfe Persique, dans la m e r Caspienne et dans la mer Noire en particulier, ont ouvert la voie à l'exploitation d u pétrole sous-marin, qui est devenue pratique courante dans certaines régions, c o m m e le long des côtes d u Texas, de la Louisiane et de la Californie. L a présence d'une stratification thermique marquée dans les couches supérieures de la mer, surtout aux latitudes moyennes et basses, ouvre, en outre, de nouvelles perspectives en ce qui concerne l'extraction de vastes quantités d'énergie connue sous le n o m d'énergie thermique des mers. L a possibilité d'actionner une turbine avec de faibles pressions de vapeur, de l'ordre de quelques centièmes d'atmosphère, ayant été démontrée, o n peut envisager l'utilisation de la différence de température entre les couches superficielles de la mer dans les régions tropicales où l'eau atteint toujours une température supérieure à 20° C et les couches sous-jacentes, où, très rapidement, la température est inférieure à 10° C . Il est possible, en effet, d'évaporer, sous vide partiel, une eau de m e r superficielle dégazéifiée et d'utiliser la vapeur ainsi fabriquée dans une turbine fonctionnant sous vide, la condensation s'effectuant au contact de l'eau froide p o m p é e à la profondeur voulue. U n e partie de l'énergie produite par la turbine est dissipée dans le système de dégazage, dans les pompes à vide et dans celles qui établissent la circulation de l'eau chaude superficielle et de l'eau froide profonde, le reliquat étant disponible pour une utilisation industrielle. L e bas prix de revient de l'installation, dans les régions côtières dont la configuration et le régime hydrologique sont tels qu'il est possible de pomper sans trop de difficultés de l'eau du fond, fait que l'on dispose là d'une source de puissance extrêmement intéressante, et ceci d'autant plus qu'elle n'est tributaire d'aucun minerai condamné à l'épuisement à plus o u moins longue échéance, puisque la présence d u soleil est u n gage certain de la permanence de la stratification thermique de l'océan c o m m e de celle de la houle, des vagues et des marées, qui représentent également des sources inépuisables d'énergie. Les deux premières ont fait l'objet de nombreuses tentatives d'utilisation artisanale ou industrielle, qui ont toutes plus ou moins échoué, compte tenu de l'intermittence de ces manifestations périodiques et des quantités énormes d'énergie mises en jeu par les vagues de tempête, capables de déplacer sans grande difficulté des blocs de plusieurs centaines de tonnes. Il n'en est pas de m ê m e de la marée qui, en certains points privilégiés, peut provoquer des variations considérables d u niveau de la mer, c o m m e dans la baie de Fundy, dans l'estuaire de la Severn o u dans la baie d u Mont-Saint-Michel, o ù des dénivellations de l'ordre de 10 mètres sont courantes. Ces dernières se reproduisant deux fois par jour et tout au long de l'année, la tentation était grande d'essayer de les utiliser à desfinspratiques. Le pas a été franchi lorsqu'on a décidé de construire une usine marémotrice de 18 groupes de 20 000 kilowatts chacun dans l'estuaire de la R a n e e ; c'est également la France qui a poursuivi les 96 V homme et la mer premiers essais d'utilisation industrielle de l'énergie thermique des mers, en construisant une centrale électrique de 7 000 kilowatts à Abidjan. Il est bien évident que l'apparition d'une nouvelle utilisation de la mer et de ses réserves a posé beaucoup de problèmes d'ordre scientifique et technologique et a été l'aboutissement d'une longue série d'études. L'extraction d'une matière première chimique implique une connaissance parfaite de ce milieu très complexe qu'est l'eau de mer. La création d'une usine marémotrice perturbant le régime normal de propagation de la marée le long des côtes nécessite de délicates recherches sur les répercussions de cette installation sur le régime côtier voisin. Toute création industrielle située au contact de l'eau de mer soulève les questions de la corrosion, auxquelles il n'est pas facile de répondre. Les études sur la physique de la mer, la chimie, la géologie, la dynamique et bien d'autres branches de l'océanographie, qui ont connu un développement prodigieux ces dernières années, ont seules autorisé une telle évolution des techniques d'exploitation des ressources de toutes sortes que la mer tient en réserve. La mer principale route commerciale du monde L'histoire d u m o n d e est liée à celle du développement du commerce international, qui, de tout temps, a emprunté la voie maritime, non seulement pour les échanges intercontinentaux, mais aussi pour le petit et m o y e n cabotage entre régions d'un m ê m e pays, car partout la mer a devancé la route et a ouvert aux nations souveraines la voie de l'épanouissement économique et politique. Si l'évolution des transports maritimes a longtemps dépendu de l'amélioration de nos connaissances sur la mer, la topographie côtière, le régime des vents et des courants, par beaucoup d'aspects elle se confond avec le développement de l'océanographie, et cette dernière est encore appelée à jouer un rôle déterminant dans l'exploitation des grandes routes commerciales du m o n d e . E n effet, le prix de revient d'une journée de m e r pouvant atteindre des s o m m e s considérables, aucun cargo ou aucun paquebot n'entreprend une traversée intercontinentale sans tenir compte, dans le tracé de sa route, d'une part, de la nature, de la force et de la direction des grands courants océaniques qu'il peut rencontrer au cours de son voyage et qui risquent de lui faire gagner ou de lui faire perdre de précieuses heures, voire m ê m e des journées entières, d'autre part, des conditions météorologiques établies, de leur évolution probable et de leur action sur l'état de la mer que l'on peut évaluer, au m o m e n t du départ, avec une certaine exactitude. L'océanographie, en s'appliquant à étudier les grands courants tels le Gulf Stream, le Labrador, les courants équatoriaux, à déterminer leurs causes, leur cours, leur fluctuation, a donc rendu un service inestimable au commerce international. C e dernier ne serait pas aussi intense si la Providence, dans sa générosité, n'avait pas taillé, dans des côtes en général battues par la houle et les vagues, 97 L'homme et la mer des havres de paix sous la protection desquels les navires peuvent se livrer, en toute sécurité, aux opérations de chargement et de déchargement. Partout o ù la nature s'est montrée trop parcimonieuse et où les activités humaines réclamaient des wharfs, des quais, des docks, l ' h o m m e a créé ces abris. Ainsi sont nés les ports naturels et artificiels, contre lesquels houle, vagues et courants s'acharnent, tantôt détruisant les ouvrages de protection, tantôt transportant des alluvions et les déposant dans les bassins, dans les chenaux, tendant soit à faire du port une cité continentale, soit à le noyer sous l'assaut furieux des flots. Il a donc fallu mettre au point toute une science de la protection des côtes, en construisant des jetées et des épis, en modifiant la forme des ouvrages, partout où il se révèle nécessaire de détourner u n courant, de provoquer u n envasement artificiel, de réfracter une houle. D e tels aménagements sont fondés sur une profonde connaissance de la dynamique côtière, d u régime des marées et des courants qui y sont associés, du régime de la houle et des vagues, dont la propagation est modifiée par chaque haut fond ou avancée de terre dans la mer et qui sont intimement liés au régime météorologique dominant et à l'interaction entre l'atmosphère et la mer. Météorologie et dynamique, hydraulique et sédimentation sont des facteurs essentiels d u problème de l'aménagement des côtes. Celles-ci d'ailleurs ne doivent pas seulement offrir des ports adaptés au trafic qu'ils permettent; il est nécessaire qu'elles soient saines pour la navigation, c'est-à-dire que tous les dangers et écueils qu'elles présentent pour des bateaux de tonnages variés soient parfaitement connus, inventoriés et localisés. C'est, en général, le travail des divers services hydrographiques nationaux, qui ont la responsabilité d'établir des cartes détaillées des abords des côtes, contenant tous les renseignements nécessaires sur les courants, les hauts fonds, les amers, etc. Autrefois, ces cartes étaient dessinées d'après de laborieux sondages à main. L'introduction des sondeurs à ultra-sons permet une exécution beaucoup plus rapide du travail. Cependant, si certaines côtes sont particulièrement bien cartographiées, parce qu'elles servent depuis très longtemps de support à u n intense trafic maritime, d'autres — celles des pays sous-développés pour la plupart — nécessitent u n énorme travail que seules des méthodes révolutionnaires permettent de mener à bien rapidement. D e telles méthodes existent et elles ont été développées pendant la guerre. Elles consistent, pour des fonds sableux, à étudier sur des photographies la variation de la brillance d u sable vu à travers la couche d'eau — la brillance étant fonction de la profondeur — ou, pour des côtes quelconques, déterminant les caractéristiques des vagues au large, à déduire la profondeur de la modification de la hauteur de celles-ci et de leur vitesse de translation, ces deux données dépendant de l'intensité du frottement sur le fond, donc de l'épaisseur de l'eau. Le technicien, là encore, a trouvé des applications inattendues, mais non sans intérêt économique, à des études purement théoriques, que l'océanographie a développées au cours des dernières années. 98 Uliomme et la mer PERSPECTIVES D'AVENIR L'océanographie, science moins que centenaire, tributaire pendant longtemps de la curiosité de quelques riches nations maritimes, ayant, c o m m e beaucoup de branches de la technologie, largement bénéficié des circonstances créées par les deux dernières guerres mondiales, peut porter néanmoins à son actif de belles conquêtes techniques et une amélioration certaine d u niveau de vie mondial. L à cependant ne s'arrête pas sa contribution au bien-être de l'humanité et les perspectives d'avenir sont plus brillantes encore, dans la mesure où il nous est loisible de prévoir que la société moderne évoluera dans un sens tel qu'il sera fait de plus en plus appel à la m e r en tant que source de nourriture, de matières premières industrielles et d'énergie. Les réserves alimentaires et leur exploitation N o u s avons vu que l'océanographie est intervenue à plusieurs reprises dans l'évolution des pêches, aussi bien en précisant la biologie des espèces capturées qu'en définissant les rapports qui peuvent exister entre ces dernières et le milieu. L a science des pêches est essentiellement l'étude des espèces susceptibles de faire l'objet d'une exploitation intensive, la description générale de l'ensemble de la population de chaque espèce et de la manière dont elle réagit vis-à-vis des modifications qui interviennent dans le milieu ou qui sont dues à la pêche elle-même; son objectif est de trouver une réponse pratique à des questions portant sur le type de la population, sa localisation, son importance et ses réactions vis-à-vis de différents stimuli. D a n s le domaine de la zoogéographie marine et, plus particulièrement, de la répartition du poisson, nos connaissances des zones largement exploitées sont assez bonnes, mais elles sont pratiquement nulles pour le reste de l'océan, c'est-à-dire pour la plus grande partie de ce dernier. O r des régions qui ont été considérées pendant longtemps c o m m e parfaitement stériles peuvent receler des stocks considérables d'organismes commercialement exploitables. Tel a été récemment le cas pour la mer de Bering, qui fournit des crabes en quantité, pour le golfe du Mexique où l'on exploite des crevettes, pour les eaux profondes du Pacifique equatorial, où l'on trouve des thons. Il appartient donc à l'océanographie de faire l'inventaire complet des ressources marines, de décrire les caractères des masses d'eau pouvant exercer une influence sur la répartition des différentes populations et de fournir au biologiste des pêches toutes les données nécessaires sur l'évolution de ces conditions, afin que ce dernier ait u n m o y e n de prévoir les réactions d u poisson vis-à-vis d u milieu. Les caractères physiques, chimiques et biologiques doivent permettre également de mieux suivre les variations de l'abondance du poisson. Celle-ci est évidemment liée aux conditions du milieu qui déterminent la productivité 99 L'homme et la mer d'une région. Cette dernière dépend des conditions météorologiques, de l'état des eaux et de leur dynamique. Des études générales devraient donc fournir u n m o y e n d'évaluer à l'avance les chances d'une région de nourrir une population définie. Mais les variations du stock sont également déterminées par l'équilibre qui s'établit entre le taux de reproduction et de croissance et le taux de mortalité. Reproduction et croissance dépendent de facteurs génétiques et de facteurs externes. L'océanographie interviendra dans l'étude des disponibilités alimentaires, de la croissance des populations, de l'évolution des groupes d'âge, du taux de production de matière organique. Toutes ces données entrent en jeu pour la prévision de l'évolution des stocks. L a pêche s'orientera dans le sens d'une exploitation m a x i m u m des ressources marines. Mais celles-ci, d u moins en ce qui concerne les organismes, ne sont pas inépuisables; elles appartiennent à la catégorie de ce que l'on pourrait appeler les ressources « auto-équilibrées », dans la mesure o ù le renouvellement des stocks dépend d u milieu physique et de la taille de la population elle-même, cette dernière étant liée au taux d'exploitation. L'océanographie aidera à définir, pour chaque population d'espèce, les taux limites de capture marquant la frontière entre la sous-exploitation et la sur-exploitation, c o m m e il a été fait pour la baleine; par une étude systématique de la répartition de la vie en mer, elle définira de nouvelles zones o ù la pêche est possible. Elle a m é liorera les rendements en développant des méthodes de prédiction de l'époque et de la localisation des concentrations. Enfin, en facilitant la mise au point des méthodes de pêche, elle aidera à la création de nouvelles exploitations. Car — faut-il le rappeler? — à part l'équipement électronique de radionavigation et de détection des bancs de poissons, le matériel et les techniques ont peu évolué au cours des siècles. U n e des conséquences les plus frappantes de cet état de fait est que, compte tenu de l'inefficacité relative des appareils de capture, seules les populations à forte densité sont normalement exploitées. O n estime que, dans le contexte c o m m e r cial actuel, les concentrations économiques rentables sont de l'ordre de 10 à 50 grammes de matière vivante par mètre carré. D e telles concentrations sont relativement rares et limitées à des zones côtières parfaitement définies, ce qui explique la répartition anormale des grandes pêcheries, que l'on a évoquée précédemment. Il est très probable que les espèces qui vivent en concentrations inférieures à la concentration critique et qui ne peuvent être utilisées c o m m e r cialement maintenant, représentent une biomasse, c'est-à-dire une population vivante globale, ou bien supérieure à celle que constituent les espèces particulièrement grégaires. Leur exploitation deviendra possible lorsque, par exemple, on aura développé des techniques permettant de grouper les poissons de manière que les procédés classiques soient utilisables. L a création, en m e r , de champs magnétiques, électriques ou acoustiques semble offrir la solution d'avenir, mais pour le m o m e n t on sait peu de choses sur les réactions des organismes à de telles excitations. 100 L'homme et la mer D a n s tous les cas, l'objectif n'est plus une capture due au hasard, mais une récolte systématique. L a notion de récolte peut d'ailleurs s'appliquer également au plancton. Si l'on tient compte du fait que, dans le cycle alimentaire de la mer, les neuf dixièmes ou les dix-neuf vingtièmes de la nourriture c o n s o m m é e à chaque niveau sont utilisés uniquement pour le métabolisme basai, le dixième ou le vingtième restant étant stocké, on arrive à la conclusion que la valeur alimentaire d u poisson ne représente guère plus que le millième ou le dix millième de celle des algues du phytoplancton, dix à vingt fois plus abondantes que le zooplancton. C e dernier peut donc être considéré, quantitativement parlant, c o m m e une source possible non négligeable de protéines d'origine animale, la démonstration de sa valeur alimentaire ayant été faite par l'expédition d u Kon-Tiki et par le docteur Bombard, qui ont corroboré la preuve fournie par l'existence de baleines ne vivant que de ces organismes minuscules. Récolter le plancton afin d'éliminer les pertes énormes qui se produisent à chaque stade de la chaîne alimentaire apparaît donc c o m m e une idée particulièrement séduisante qui, si elle ne semble pas réalisable immédiatement à cause de la grande dispersion de l'objet à récolter, pourra être reprise sérieusement lorsque la technologie aura mis au point des méthodes permettant defiltreréconomiquement de très gros volumes d'eau. E n effet, la répartition en poids de zooplancton est si infime que l'extraction d'un kilogramme de ce dernier nécessite lefiltragede mille tonnes d'eau environ. U n e autre possibilité d'avenir est l'intervention directe de l ' h o m m e à la base du cycle alimentaire. N o u s savons que, pour se développer, les algues microscopiques ont besoin de lumière et de gaz carbonique — ces deux éléments étant toujours présents dans les couches superficielles en quantités suffisantes — ainsi que de sels nutritifs tels que phosphate, nitrate, silicate, qui sont en quantités très faibles et qui arriveraient rapidement à l'épuisement total si des mécanismes de renouvellement n'entraient pas en jeu. Seules sont fertiles les régions dans lesquelles fonctionnent, de façon particulièrement active, de tels mécanismes, tributaires soit d'un régime spécial de vents, soit d'un refroidissement hivernal intense qui provoque un upwelling (remontée d'eau profonde en surface). E n produisant des upwellings artificiels, on multiplierait d'autant les zones riches de la mer. O n pourrait créer, par exemple, un réchauffement local des eaux profondes qui, allégées, tendraient à remonter en direction de la surface; on a déjà suggéré l'emploi, c o m m e source de chaleur, de réacteurs nucléaires immergés. U n enrichissement des eaux superficielles, permettant de faire de 1' « aquiculture », peut, dans certains cas, être réalisé par l'addition à l'eau des sels nutritifs nécessaires. Cette opération n'est cependant rentable que si elle porte sur de faibles volumes d'eau, c'est-à-dire sur des lacs et des baies relativement fermées et de profondeur réduite ou sur des régions côtières où le régime dynamique est tel que les eaux stagnent pendant assez longtemps. 101 L'homme et la mer Les réserves énergétiques et minérales L a découverte du pétrole sous-marin a donné un essor considérable à la prospection géophysique d u plateau continental, c'est-à-dire de la partie pratiquement plate d u socle des continents qui s'étend de la ligne de rivage à la profondeur de 200 m — celle-ci marquant, en général, l'apparition d'une rupture de pente et d'une plongée d u talus vers les grandes profondeurs. Ce plateau, prolongement marin des terres émergées qui ont été, tour à tour, soulevées et submergées, a la m ê m e structure que ces dernières et recèle, par conséquent, les m ê m e s ressources minérales. O n estime qu'il contient u n volume de sédiments pétrolifères de l'ordre de 120 millions de kilomètres cubes, détenant une réserve d'huile brute de l'ordre de 400 milliards de barils, soit près de 40 milliards de tonnes. Cela équivaut au tiers des réserves totales du m o n d e , à 45 fois la consommation énergétique de 1956 et à près de 5 % des réserves totales en énergie fossile. O n voit donc que le potentiel pétrolier de la mer est loin d'être négligeable et que son exploitation se développera au fur et à mesure de l'amélioration des techniques de forage en mer à des profondeurs de plus en plus considérables — le seul obstacle actuel à cette activité étant l'effet de la corrosion, de la houle et des vagues sur du matériel qui n'est pas prévu pour travailler dans des conditions aussi dures. D'autre part, l'aménagement des côtes va ouvrir de nouvelles possibilités en ce qui concerne l'exploitation d'usines marémotrices. Le coût de fonctionnement de telles usines étant bas, il est probable que, dans certaines conditions, il sera plus intéressant de faire appel à la marée plutôt qu'à l'atome, là o ù la configuration côtière rend de telles installations relativement aisées. L e projet d'aménagement de l'estuaire de la Severn devant fournir 2,3 milliards de kilowattheures, celui de la baie de Cobscook (dans la baie de Fundy) 340 millions de kilowattheures, et celui d u Mont-Saint-Michel 12,5 milliards de kilowattheures, o n voit quelles réserves formidables de puissance sont encore disponibles dans la mer. D'autres réserves sont aussi stockées sous forme d'énergie thermique et n'attendent que quelques progrès technologiques pour faire leur apparition sur le marché. Ces ressources sont d'autant plus importantes qu'elles appartiennent à la catégorie des ressources permanentes de la mer, qu'aucune exploitation n'épuisera jamais. Le développement spectaculaire, au cours de ces dernières années, de la géologie sous-marine et des techniques de photographie des grands fonds a permis de mettre en évidence que de vastes régions du fond de la mer sont couvertes de concrétions métallifères, que l'on appelle des nodules et qui sont composées essentiellement d'oxydes de fer et de manganèse mélangés à des métaux plus rares, tels que le nickel, le cobalt et le cuivre, en quantités n o n négligeables. L'immense superficie susceptible d'être couverte de tels nodules donne aux minerais stockés de cette manière une valeur inestimable; on envisagera sans doute de les exploiter après épuisement des gisements terrestres. Ces 102 L'homme et la mer réserves sont disponibles sur-le-champ et seuls des problèmes techniques en empêchent l'exploitation immédiate. D'autres ressources minérales de la mer prendront aussi une grande importance lorsque des procédés économiques de concentration de l'eau de m e r auront été mis au point. L a saumure résiduelle des marais salants fournit du sulfate de sodium, du chlorure de potassium, d u chlorure de magnésium et de l'oxychlorure de magnésium. Des mers fossiles, telles que le lac Searles en Californie, on extrait d u borax, d u brome, d u lithium, des sels de potassium et de sodium. Il en est de m ê m e de la mer Morte, dont la concentration en sels est dix fois plus élevée que celle de l'océan. C e que la nature a fait au cours des siècles et tout au long de l'histoire géologique de la Terre, l ' h o m m e peut tenter de le reproduire en utilisant toutes les sources d'énergie qu'il trouve à sa disposition. C'est ainsi que, dans la recherche de la fertilisation de zones actuellement désertiques faute d'eau, on peut être amené à utiliser l'énergie nucléaire pour la préparation d'eau douce à partir d'eau salée, le coût de l'opération étant réduit par la récupération, dans les saumures résiduelles, de matières premières industrielles c o m m e celles qui ont été évoquées plus haut, o u m ê m e de l'uranium qui est en solution dans l'eau de mer, en concentration telle que sa fission totale fournirait cent fois l'énergie nécessaire à l'évaporation de l'eau. Néanmoins, quand o n fait le bilan d'une telle opération, q u ' o n le compare à l'action d u soleil sur la mer et à l'énergie dépensée à la surface de l'océan pour l'évaporation de ses couches superficielles — celle-ci étant à peu près dix mille fois supérieure à l'énergie totale utilisée par l ' h o m m e sous forme de charbon, de pétrole o u d'énergie hydro-électrique — o n constate que nos moyens d'intervention sont très réduits et notre c h a m p d'activité extrêmement limité. Et pourtant, l'idée se fait jour, petit à petit, que cet équilibre énergétique qui règle les rapports entre la mer et l'atmosphère et qui fait que les climats sont tels que nous les connaissons, est métastable, dans la mesure où quelquesuns des processus atmosphériques le sont. U n e légère pression sur un phénomène local pourrait amener des modifications sur une grande échelle. Lorsque l'on connaîtra parfaitement les mécanismes contrôlant le temps et les climats, il sera possible, sans doute, de déterminer dans ces derniers les points névralgiques sur lesquels pourrait porter une intervention humaine en vue de modifier le régime atmosphérique dans u n sens voulu. Par exemple, l'emploi de l'énergie nucléaire pour faire fondre une partie de la calotte glaciaire arctique qui obstrue les voies de communication maritimes de la Sibérie devrait faire l'objet d'un examen sérieux et approfondi, étant donné q u ' o n pense qu'il pourrait en résulter u n accroissement exagéré des glaciers européens et nordaméricains; actuellement on rejette une telle expérience, car il est possible que les vents du nord, qui sont secs, s'humidifient en soufflant sur un océan Arctique débarrassé de ses glaces et vident leurs nuages sur les montagnes déjà enneigées 103 L'homme et la mer de l'hémisphère nord, amenant insensiblement une baisse de température. Par contre, c'est vers une hausse de cette dernière que conduirait, de nos jours, l'excessive consommation de charbons, pétroles et autres combustibles, déversant dans l'atmosphère d'énormes tonnages de gaz carbonique, dont une partie est absorbée par l'océan, mais dont le reste enrichit l'atmosphère et peut provoquer, à la longue, une augmentation de 1 à 2° C de la température de l'air, en emprisonnant au niveau d u sol les radiations à grande longueur d'onde. Il pourrait se déclencher, de cette manière, une réaction en chaîne dont le termefinalserait la fusion des glaces et l'immersion d'une bonne partie des terres actuellement émergées. Le sort de l'humanité dépend des capacités d'absorption de la mer en ce qui concerne le gaz carbonique et du cycle dynamique amenant successivement en surface toutes les couches profondes. L à encore, l'intervention humaine pourrait tenter de redresser l'équilibre que les agissements inconsidérés de l ' h o m m e ont compromis. Enfin, l'avenir énergétique de l'humanité étant lié à l'application industrielle de l'énergie thermonucléaire, il ne faut pas oublier que l'océan est la plus grande réserve d'hydrogène d u m o n d e . Les transports maritimes et leur évolution Dans le présent, de nombreux facteurs limitent le développement des transports maritimes. Parmi ces facteurs, les plus importants semblent être la taille des navires, la difficulté de navigation dans les glaces, la capacité réduite des installations portuaires et les techniques de manipulation d u fret (conditionnement plus o u moins rationnel, embarquement et débarquement). E n ce qui concerne la taille des navires, l'application de l'énergie atomique à leur propulsion, une meilleure connaissance de l'action de la mer sur les coques et la mise au point de revêtements mettant ces dernières à l'abri des salissures marines qui grèvent assez considérablement leur coût d'exploitation permettront sans doute de faciliter et d'accélérer les échanges par voie maritime. U n e autre perspective d'avenir est l'emploi de brise-glaces m u s par des moteurs atomiques et dont l'utilisation généralisée, libérée d u coût du carburant, donnerait la possibilité de maintenir toujours ouvertes certaines voies que l'hiver soustrait actuellement au trafic. L'exploit d u Nautilus, enfin, laisse présager qu'un jour la navigation sous-marine, soustrayant le bâtiment à l'agitation superficielle, donc le libérant des servitudes météorologiques, et permettant également l'utilisation de la voie par le pôle Nord, qui réduit, dans certains cas, de moitié la route à parcourir, pourra prendre une importance économique considérable. Le rendement d'un bateau dépend également des techniques de manipulation du fret, ainsi que nous l'avons signalé plus haut, et il est lié aux capacités des installations portuaires. Celles-ci sont tributaires de la nature des sites dans lesquels les ports ont été créés; que ces derniers soient naturels o u artificiels, 104 L'homme et la mer ils sont sans cesse soumis aux pressions de la mer, qui tend à modifier et à détruire ce que l ' h o m m e a construit. S'opposer à l'action dévastatrice de l'océan est une nécessité qui s'impose aux ingénieurs, les techniques de construction et de protection des ouvrages étant appelées à évoluer en fonction des acquisitions de l'esprit humain dans le domaine des processus côtiers. La mer, poubelle des industries Il a toujours semblé tout naturel que les déchets des villes côtières soient déversés dans la mer. Il est apparu, cependant, peu à peu que l'utilisation inconsidérée de la m e r c o m m e poubelle pouvait avoir des conséquences catastrophiques pour la faune et la flore, dans la mesure où les conditions locales ne permettaient pas u n mélange rapide des eaux résiduelles avec l'eau de m e r et une dispersion de l'eau ainsi polluée. Tout déversement d'égout dans la mer doit donc être précédé d'une étude complète du régime des marées et des courants, de la distribution de la densité en fonction de la profondeur, des taux de mélange, de la vitesse de disparition des bactéries dangereuses, et les résultats de ces études doivent conditionner le choix d'un emplacement. Ce problème prend d'ailleurs une importance aiguë en ce qui concerne les déchets radio-actifs des industries nucléaires. Ces résidus extrêmement dangereux, dont la production croît sans cesse, ne peuvent être ni détruits, ni atténués, ni utilisés à aucune fin et les sites terrestres o ù ils peuvent être abandonnés sans danger pour l'humanité sont rares. O n a donc envisagé de les noyer dans des blocs de béton et d'immerger ces derniers dans les fosses océaniques, o u partout où l'on peut considérer que l'eau est stagnante. Cette technique n'est applicable qu'à la condition que l'eau soit effectivement stagnante ou que la vitesse de déplacement soit lente, au point que les eaux profondes, mettant plusieurs milliers d'années avant de réapparaître à la surface où elles servent de support à la vie animale et végétale, y parviennent complètement débarrassées de toute forme de radiation dangereuse pour l'humanité. CONCLUSION C o m m e M . Jourdain faisait de la prose sans le savoir, pendant de longs siècles les marins ont été océanographes sans s'en douter. Si l'océanographie, science coûteuse entre toutes, influençant de nombreuses activités humaines, n'a jamais bénéficié de la publicité accordée à d'autres manifestations de l'esprit inventif des h o m m e s , il n'en reste pas moins que l'ensemble des h o m m e s qui ont quelque responsabilité dans l'orientation de l'évolution économique d u m o n d e prennent mieux conscience, jour après jour, d u rôle que la m e r est appelée à jouer dans u n avenir relativement prochain. Les besoins, en matières industrielles de base et en énergie, d'une humanité qui s'oriente, dans l'ensemble, vers une élévation accélérée de son niveau de 105 L'homme et la mer vie, se développant selon un rythme qu'il nous est facile d'évaluer, on sait que les ressources naturelles terrestres ne pourront faire face pendant longtemps à une demande accrue de protéines d'origine animale et végétale, de charbon et de pétrole, tout autant que de minerais de toutes sortes. L a mer inépuisable sera donc la première source extracontinentale de ces denrées à laquelle il devra être fait appel, bien avant que la lune ou quelque autre planète hypothétique soit en mesure de les fournir en quantités appréciables. O n péchera davantage et plus rationnellement, o n extraira sans doute de gros tonnages de protéines d'origine planctonique, o n développera, dans des zones privilégiées, 1' « aquiculture ». Les champs d'algues exploités méthodiquement produiront aliments et denrées industrielles. L a mer domptée fournira de l'énergie à bas prix à des contrées dépourvues de ressources énergétiques naturelles, hydrauliques ou fossiles. U n e partie de l'énergie disponible sera utilisée à l'exploitation des ressources minérales dissoutes dans l'eau de m e r o u prisonnières de la vase des fonds marins. C e tableau, qui n'a rien de futuriste, ne prendra cependant forme que lorsqu'un certain nombre de conditions auront été remplies. D'abord, les outils dont disposent les océanographes — laboratoires, navires, matériel d'équipement et d'études — doivent être améliorés en qualité et en quantité. Comparés à la tâche à accomplir, ce qu'ils sont aujourd'hui paraît en effet dérisoire. Certains pays l'ont compris, qui ont créé des instituts nationaux d'océanographie disposant de fonds considérables, prélevés sur divers chapitres d u budget national (défense, industrie, commerce) et dotés de grosses unités pour le travail en mer. C'est le cas, entre autres, d u Japon, de l ' U R S S et des États-Unis; ces pays ont mis en œuvre des m o y e n s avec lesquels aucun autre pays ne peutrivaliseret consacrent à ces recherches des s o m m e s qui eussent paru extravagantes il y a seulement quelques années : c'est ainsi que les États-Unis prévoient, pour 1960, un budget océanographique de 58 millions de dollars. Ensuite et surtout, la mer universelle, baignant des rivages de toutes nationalités et posant des problèmes de tous ordres et ressortissant à de multiples sciences, aucune nation ne peut prétendre en saisir seule le sens profond et en comprendre la vie. Les travaux de recherche, tendant toujours vers une plus grande efficacité, devront donc inéluctablement s'organiser sur une base internationale. Les travaux conjoints, dont le Pacifique septentrional et equatorial furent l'objet de la part de navires canadiens, américains, japonais et français, la coopération internationale instituée à l'occasion de l'Année géophysique internationale sont autant d'exemples de la voie qui deviendra celle de l'océanographie dans les années à venir et qui fournira aux nations maritimes une occasion supplémentaire de mieux se comprendre et de s'entraider plus efficacement. 106 L'OPTIQUE DE LA MER par YVES LE G R A N D Docteur es sciences, professeur au Muséum national d'histoire naturelle et à l'Institut océanographique de Paris depuis 1949, Y. Le Grand a deux spécialités scientifiques : l'optique de la vision et l'optique de la mer. Il est représentant français au S C O R (Special Committee on Océanographie Research), du Conseil international des unions scientifiques. Le rayonnement d u soleil constitue la source principale d'énergie sur notre globe : grâce à la photosynthèse, les plantesfixentune partie de cette énergie sous forme de composés hydrocarbonés; les animaux herbivores, en mangeant les plantes, et les animaux carnivores, en dévorant des proies herbivores, ne font que distraire à leur profit une fraction de cette énergie. Finalement, plus ou moins directement, toute vie dépend du soleil. O n sait, d'autre part, que les océans recouvrent à peu près les trois quarts de la surface terrestre ; ils offrent en outre u n habitat dont la troisième dimension est importante, puisque la profondeur m o y e n n e des mers est quatre kilomètres, tandis que, sur la terre et dans les airs, l'altitude moyenne est bien moindre. Le volume offert à la biologie marine est donc beaucoup plus important que celui qui s'offre à la biologie terrestre. Il en résulte que le problème de la pénétration des mers par les rayons solaires est une question essentielle pour l'économie générale de la vie sur notre planète. D'autre part, l'étude par des moyens visuels directs (bathyscaphe) ou indirects (photographie, télévision) des profondeurs océaniques s'est beaucoup développée récemment. Pour ces raisons il nous a semblé utile de présenter ici les données actuelles sur l'optique de la m e r , c'est-à-dire sur les modalités de pénétration, d'absorption, de diffusion, de polarisation, etc., des radiations électromagnétiques dans les océans. TRANSPARENCE Sous une épaisseur de quelques mètres, l'eau est à peu près opaque à toute radiation, pour des raisons qui diffèrent d'ailleurs selon la longueur d'onde : les ondes longues de T.S.F. O U m ê m e celles, déjà plus courtes, d u radar sont immédiatement absorbées par l'eau salée à cause de sa conductibilité électrique; les rayons infrarouges sont, eux aussi, absorbés très vite, non plus à cause des ions conducteurs, mais par les molécules d'eau elles-mêmes; les 107 V optique de la mer courtes longueurs d'onde, ultraviolet lointain, rayons X et g a m m a , sont freinées par les électrons o u par les noyaux atomiques. Finalement, à part peut-être certains rayons cosmiques très pénétrants, les seules radiations pour lesquelles l'eau soit transparente sont celles du spectre « visible » et du proche ultraviolet. Ce rapprochement entre le domaine de transparence des mers et le très petit groupe de rayonnements qui affectent la rétine de l ' h o m m e c o m m e celle des animaux n'est certainement pas une pure coïncidence : la biologie comparée nous apprend qu'il y a pratiquement une seule lumière qui soit perçue par les organes sensoriels de la vue dans toute la série animale, à de petites variations près (par exemple les insectes voient plus loin dans l'ultraviolet que les vertébrés parce que les yeux composés des premiers ne risquent pas d'être gênés par l'aberration chromatique due à l'ultraviolet, laquelle altère la netteté dans les yeux à image), et ce phénomène n'est pas très surprenant si l'on admet que la vie a sans doute pris naissance dans les océans. C'est probablement dans la m ê m e voie qu'il faut chercher l'origine d u phénomène de Purkinje : on désigne ainsi, en optique physiologique, le déplacement vers les courtes longueurs d'onde de la sensibilité rétinienne quand l'œil s'adapte aux faibles lumières; or, pour des êtres terrestres, le sens de ce déplacement semble paradoxal, puisque les lumières crépusculaire et lunaire sont au contraire plus riches en grandes longueurs d'onde qu'en courtes; dans la mer, au contraire, cela s'explique bien : quand un poisson descend en profondeur, la lumière baisse et en m ê m e temps s'enrichit en courtes longueurs d'onde à cause du m a x i m u m de transparence de l'eau dans le bleu-vert. Pour nous autres h o m m e s , mammifères aériens, l'effet Purkinje est peut-être un souvenir héréditaire de très vieux ancêtres évolutifs qui vivaient dans les océans... LUMIÈRE ET PROFONDEUR O n pose souvent la question : jusqu'à quelle profondeur dans la mer la lumière pénètre-t-elle? Avant de répondre, il faut préciser un peu le problème. A l'intérieur m ê m e d u spectre visible, les diverses radiations sont inégalement absorbées ; loin des côtes, c'est dans le bleu, pour une longueur d'onde un peu inférieure à 0,5 ¡z, que l'eau est le plus transparente, tandis que, dans les eaux côtières, les pigments en suspension déplacent souvent ce m a x i m u m dans le vert. Pendant l'expédition de VAlbatross en 1948 sous la direction de Pettersson, des mesures nombreuses et minutieuses de transparence océanique furent réalisées par Jerlov au m o y e n d'un photomètre photo-électrique pourvu de filtres qui isolaient des bandes spectrales étroites. Dans les mers les plus pures, telles que la mer des Sargasses ou la Méditerranée orientale, les eaux du large présentent leur transparence m a x i m u m vers 0,47 \L et, dans cette région spec- 108 L'optique de la mer traie, l'eau de m e r est étonnamment transparente, presque autant que l'eau distillée. S'il n'existait dans la mer que de l'absorption vraie, c'est-à-dire une transformation d'une fraction de l'énergie du rayonnement en chaleur, la loi d'affaiblissement de la lumière serait une fonction exponentielle décroissante de la profondeur, puisque des épaisseurs en progression arithmétique absorberaient le rayonnement suivant une progression géométrique, chaque mètre d'eau arrêtant le m ê m e pourcentage de l'énergie qui l'atteint. Mais à l'absorption vraie s'ajoute la diffusion, qui éparpille dans diverses directions la lumière sans la transformer en chaleur; elle n'est pas perdue, mais déviée; de ce fait, la loi d'affaiblissement n'est plus exponentielle, m ê m e si les propriétés de l'eau de mer restaient les m ê m e s à toute profondeur, ce qui n'est évidemment vrai qu'en gros. L a théorie et l'expérience s'accordent cependant à montrer qu'à partir d'une certaine profondeur, de l'ordre d'une centaine de mètres dans les eaux claires, on retrouve sensiblement une décroissance exponentielle qui permet de définir u n facteur d'absorption par mètre, sensiblement constant, et dont la valeur m i n i m u m est voisine de 3 % (pour l'eau bidistillée o n aurait 2 %, soit presque le m ê m e pourcentage). Maintenant nous sommes en mesure de répondre à la question : A quelle profondeur le jour est-il encore visible? Puisque, en toute rigueur, l'énergie tend vers zéro à mesure qu'on s'enfonce, mais d'une manière asymptotique, c'est la sensibilité d u récepteur employé qui limitera la profondeur à laquelle le rayonnement du soleil est encore décelable; le calcul montre que, pour une plaque photographique, avec les emulsions les plus sensibles actuellement connues et un temps de pose de l'ordre de l'heure, on pourrait descendre à 700 mètres environ, bien entendu dans les eaux les plus limpides dont nous avons parlé plus haut. L'œil humain, dans les conditions les plus favorables, percevrait encore une faible lueur à une profondeur un peu plus grande (en fait, près des Bermudes, Beebe voyait encore vers 600 mètres, mais les conditions optimums n'étaient probablement pas réalisées; bien entendu, il ne passe qu'une bande étroite dans le bleu, région de transparence m a x i m u m c o m m e nous l'avons vu). Avec une cellule photo-électrique à multiplicateur d'électrons, qui constitue le récepteur le plus sensible actuellement connu, on pourrait descendre jusqu'à mille mètres environ. Évidemment ces valeurs représentent des limites théoriques, et, dans la plupart des mers d u globe, les profondeurs réelles seraient bien moindres; en outre, les animaux marins émettent eux-mêmes par phosphorescence animale une lumière qui, rapidement, devient plus intense que les résidus de la lumière diurne; Houot et W i l m , les premiers explorateurs d u bathyscaphe, étaient émerveillés de la féerie lumineuse des grandes profondeurs; pour en profiter, les poissons des grandes profondeurs ont souvent des yeux énormes, aussi gros que ceux de l ' h o m m e pour un corps d'une vingtaine de centimètres de longueur. 109 3 L'optique de la mer L'ULTRAVIOLET L a pénétration de l'ultraviolet dans la mer pose u n problème qui intéresse spécialement les biologistes. Avec Bernai, certains d'entre eux lui attribuent l'origine de la vie : par analogie avec les autres planètes d u système solaire, ils supposent que l'atmosphère initiale de notre globe contenait surtout de l'hydrogène, d u méthane, d u gaz ammoniac et de l'hydrogène sulfuré; la solidification progressive de l'écorce y déversa d u gaz carbonique, tandis que l'hydrogène s'évaporait peu à peu dans le vide interplanétaire. Les océans contenaient alors en solution d u carbonate et d u sulfure d ' a m m o n i u m et c'est à partir de ces corps que l'ultraviolet solaire de courte longueur d'onde, alors très intense, aurait pu réaliser la synthèse des composés azotés qui, par polymérisation, fournirent la matière première des substances organiques. Ces produits, de faible concentration à l'origine, se seraientfixéset accumulés dans les dépôts d'argile des littoraux marins. Depuis cette époque lointaine, cet ultraviolet solaire n'atteint plus la surface de la terre; en effet l'assimilation chlorophyllienne des plantes vertes, sous l'effet de la lumière, aurait peu à peu éliminé la presque totalité d u gaz carbonique de l'atmosphère en le remplaçant par de l'oxygène, constituant ainsi l'air que nous connaissons; dans la haute atmosphère, une partie de cet oxygène se transforme en ozone qui constitue une barrière opaque à l'ultraviolet solaire lointain qui, s'il a été nécessaire à l'apparition de la vie, serait devenu fort dangereux pour des organismes plus évolués. L a question de la transparence de la mer à l'ultraviolet solaire actuel fut longtemps mal élucidée; les premiers expérimentateurs, vers 1930, avaient décrit une quasi-opacité qui fut ensuite contestée ; la question fut reprise par Jerlov avec des cellules au sélénium pourvues defiltresspéciaux; les mesures furent limitées à la couche superficielle (15 mètres) d u Pacifique ouest et de la Méditerranée; pour l'ultraviolet proche du visible (0,37 u.) les mesures conduisirent à une bonne transparence (absorption de 5 % par mètre seulement) qui ne décroissait que lentement vers les courtes longueurs d'onde à 0,31 \L, soit l'extrémité d u spectre solaire sensiblement (les longueurs d'onde plus courte sont arrêtées par l'ozone de la stratosphère) l'absorption n'était encore que de 14 % par mètre; il est vrai qu'il s'agissait d'eaux très propres; dans le Skagerrak, selon Kalle, l'absorption aurait atteint 90 % par mètre pour cette m ê m e longueur d'onde, peut-être à cause d'un pigment coloré provenant des algues côtières. D e s différences analogues ont été mises en évidence par J. Lenoble (1954-1957) grâce à une méthode précise, comportant l'utilisation d'un spectrographe en quartz, placé en caisson étanche et télécommandé; à la longueur d'onde 0,35 ¡x par exemple, l'absorption par mètre était d'environ 15 % en Méditerranée et 40 % dans la M a n c h e . Ces résultats montrent que, dans les eaux propres, l'ultraviolet solaire pénètre avec une énergie appréciable jusqu'à une cinquantaine de mètres 110 L'optique de la mer de profondeur au m a x i m u m ; o n sait d'autre part l'importance biologique de l'ultraviolet pour lafixationdu calcium par l'intermédiaire des sterols produits dans l'épiderme par l'irradiation ultraviolette, chez les êtres terrestres; l'insuffisance de la dose irradiée risque de causer d u rachitisme. Évidemment, le mécanisme de la fixation d u calcium est différent chez les êtres marins, mais, près de la surface il est possible que l'ultraviolet intervienne d'une façon non négligeable. LUMIÈRE ET PRODUCTIVITÉ Ces problèmes de transparence des océans, tant dans le spectre visible que dans l'ultraviolet, sont importants n o n seulement pour les physiciens à qui ils enseignent le bilan thermique des mers, cet énorme volant de chaleur qui régularise la température sur notre planète, mais plus encore peut-être pour les biologistes : la productivité d u carbone organique dans la mer par photosynthèse est u n phénomène d'une énorme ampleur, c o m m e l'ont démontré récemment les mesures réalisées par des techniques radio-actives (celle d u carbone-14 en particulier) : on admet actuellement que chaque molécule de gaz carbonique de l'atmosphère, au bout d'un temps de six à sept années, vient s'intégrer dans le cycle de la vie soit terrestre soit marine, avec une probabilité presque deux fois plus grande dans le second cas. L a productivité est loin d'être constante en tout point de la surface des mers : il existe des déserts marins, telle la m e r des Sargasses dont la productivité au mètre carré est trois fois moindre que la valeur moyenne; il existe aussi des Édens surproductifs, tel le courant qui lèche la côte orientale d'Afrique. Ces différences sont encore mal expliquées, et la transparence n'en est qu'un des facteurs. Mais, quoi qu'il en soit, l'immense réserve de vie, et par conséquent de nourriture possible pour l ' h o m m e , que constituent les océans est sous la dépendance directe de la pénétration de l'énergie solaire dans l'eau de mer. Diffusion Outre l'existence, à laquelle je viens de faire allusion plus haut, de véritables matières colorantes (sans doute biologiques d'origine, car les sels dissous dans l'eau de mer sont transparents dans le spectre visible, et ce n'est que dans l'ultraviolet que les ions calcium et magnésium peuvent manifester une certaine absorption propre), l'eau de mer contient des particules diffusantes très nombreuses et d'origines variées : près des côtes, dépôts terrigènes et vases qui souillent les mers peu profondes c o m m e la M a n c h e o u la mer du N o r d ; partout, micelles colloïdales o u particules plus grosses (hydroxyde de fer en particulier) ; enfin, cellules vivantes qui constituent le plancton, si abondant parfois qu'aux feux des projecteurs d u bathyscaphe, il simule de fins flocons de neige qui pullulent à certaines profondeurs. 111 L'optique de la mer Toutes ces particules jouent un rôle essentiel dans l'optique de la m e r , tout c o m m e une brume ou u n brouillard dans l'atmosphère, en diffusant la lumière dans toutes les directions. Mais il faut tout de suite insister sur u n e différence essentielle entre l'air et l'eau : quand il fait beau et que l'air est bien transparent, il subsiste une diffusion importante causée par les molécules d'air elles-mêmes et qui, c o m m e Rayleigh l'a montré le premier, est l'origine du bleu du ciel; en effet des particules très petites au regard de la longueur d'onde de la lumière, c o m m e c'est le cas des molécules d'oxygène et d'azote de l'atmosphère, diffusent la lumière en raison inverse de la quatrième puissance de la longueur d'onde, le bleu du spectre est donc diffusé avec beaucoup plus d'intensité que le rouge, et le ciel paraît en effet d'autant plus bleu que cette diffusion moléculaire est seule en cause; les molécules d'eau s'agglomèrent dans l'air en minuscules gouttelettes, m ê m e par beau temps, et le bleu se lave alors de blanc; quand ces gouttes atteignent des dimensions voisines de la longueur d'onde (brume et brouillard), tout bleu disparaît, la lumière est diffusée d'une façon à peu près indépendante de sa longueur d'onde et reste donc blanche. Dans la mer, si l'on peut dire, il ne fait jamais beau temps; certes, la diffusion moléculaire (causée cette fois par les molécules d'eau elles-mêmes) existe toujours, et elle suit bien la loi de Rayleigh (inverse de la quatrième puissance de la longueur d'onde). Mais elle est tout à fait négligeable vis-à-vis des autres diffusions dues aux particules qui flottent; u n calcul simple montre que, si la diffusion moléculaire était seule en cause dans la mer, celle-ci serait étonn a m m e n t transparente (il faudrait descendre à une profondeur de près de deux kilomètres pour que l'énergie d u milieu d u spectre visible soit réduite au dixième de sa valeur en surface !). L'examen au microscope d'échantillons d'eau de mer révèle que les particules les plus nombreuses qui y sont en suspension ont moins de 2,5 ¡ji de diamètre; ce ne seraient donc ni des grains de sable, ni des bulles d'air, ni d u plancton, mais peut-être de l'argile très finement divisée o u des micelles colloïdales diverses. Bien entendu, la loi de Rayleigh ne s'applique plus : dès que le diamètre des particules atteint la moitié de la longueur d'onde, l'exposant tombe de la valeur 4 aux environs de 2 ; pour les particules relativement grosses dont nous parlons, il n'y a plus de sélectivité (exposant zéro), c'est tout à fait l'analogue d ' u n brouillard dans l'atmosphère. Ces particules en suspension dans la m e r n'intéressent pas seulement le physicien océanographe, à cause de la diffusion optique qu'elles produisent, le biologiste doit aussi s'en occuper parce que la production de matière vivante et la fertilité des mers sont fonction de la nature et de l'abondance de ces particules; aussi a-t-on récemment consacré de nombreuses études à ces problèmes, mettant en jeu des techniques variées dont nous voudrions donner un aperçu. La méthode la plus directe consiste évidemment à recueillir des échantillons 112 V optique de la mer d'eau à une profondeur connue, par les bouteilles classiques de prise d'eau, puis àfiltrercette eau et à examiner lefiltrat.Par exemple Atkins et ses collaborateurs utilisent c o m m efiltresdes m e m b r a n e s de collodion dont les pores ont un diamètre voisin du micron; une fois séché et calciné, le résidu a un poids qui, selon la pureté de l'eau, varie entre u n e fraction de g r a m m e et quelques grammes par mètre cube d'eau de mer. C'est habituellement près de la surface que la teneur est la plus forte, parfois vers 25 mètres; il se manifeste aussi une variation saisonnière, en relation avec le développement d u plancton. U n second procédé, déjà plus élaboré, consiste à mesurer l'effet Tyndall, c'est-à-dire l'intensité de la lumière diffusée, sur des échantillons d'eau ramenés à bord d u navire océanographique. Inaugurée par Kalle, cette technique a fait l'objet de nombreuses déterminations par Jerlov; bien entendu, surtout quand les eaux sont propres, il faut bien veiller à éviter des contaminations parasites qui altéreraient les résultats; il faut aussi que les mesures suivent aussi vite que possible la remontée de l'eau, afin de ne pas laisser le temps aux processus bactériens de modifier la limpidité d u spécimen. D a n s ces conditions, Jerlov a constaté que l'effet Tyndall ne variait que très peu avec la longueur d'onde : la lumière diffusée est à peine plus intense (de 5 à 10 % seulement) dans le bleu que dans le rouge, ce qui confirme la grosseur des particules par rapport à la longueur d'onde de la lumière. Il a remarqué aussi que les eaux possédaient u n e individualité par leur teneur en matières en suspension, individualité q u ' o n peut parfois suivre sur de longues distances; c'est ainsi qu'on reconnaît très bien en profondeur, dans l'Atlantique, l'eau méditerranéenne qui a traversé le détroit de Gibraltar. L a distribution en profondeur des matières en suspension dépend de n o m breux facteurs. C o m m e une partie importante est d'origine biologique, elle doit prendre naissance dans la zone photique, voisine de la surface, où l'intensité de la lumière favorise la vie. Ces détritus, u n e fois morts, coulent lentement, mais d'autant plus vite que la température de l'eau est plus élevée parce que la viscosité qui freine la descente diminue à mesure que croît la température; bien entendu, les mouvements verticaux de l'eau jouent u n rôle essentiel s'ils existent. Aussi les mesures en profondeur de la distribution des particules sous les courants équatoriaux reflètent-elles assez exactement les mouvements turbulents qui naissent de ces déplacements d'eau. Parfois o n observe en profondeur des m a x i m u m s locaux de turbidité, de véritables nuages sousmarins qui se déplacent avec les courants locaux; leur origine est incertaine, mais leur importance biologique est peut-être considérable, car, en m e r profonde, les particules en suspension servent de noyaux d'absorption pour les phosphates, dont dépend la fertilité du milieu marin; les substances radioactives semblent aussi affectionner cette matière où elles s'adsorbent; un tout récent congrès à M o n a c o a permis d'attirer l'attention sur les dangers de la 113 L'optique de la mer contamination des mers par les déchets de l'industrie nucléaire, et, dans ce problème inquiétant, les matières en suspension jouent un rôle prépondérant. Enfin, une dernière technique pour l'étude des particules en suspension consiste à opérer in situ, en envoyant à la profondeur qu'on veut étudier u n appareil de mesure; o n évite ainsi tous les inconvénients inhérents à la prise d'eau, à sa remontée et à l'évolution bactérienne éventuelle. Dès 1934, Pettersson avait construit u n appareil ingénieux qui mesurait la lumière diffusée par les matières en suspension, grâce à une lampe et à une cellule photoélectrique montées dans un m ê m e caisson étanche; mais on ne pouvait utiliser ce dispositif que pendant la nuit; il permit de mettre en évidence une stratification parfois extraordinairement fine, les m a x i m u m s de turbidité n'ayant que quelques décimètres d'épaisseur. Ivanoff a récemment construit un photomètre sous-marin qui mesure l'effet Tyndall sur place, et peut fonctionner m ê m e en plein jour; c'est probablement dans cette voie que les mesures de matières en suspension se feront de plus en plus. LA LUMIÈRE SOUS-MARINE D u fait de la coexistence de l'absorption vraie et de la diffusion, le problème de la distribution de la lumière au sein du brouillard sous-marin est étonnamment difficile. Par le calcul, on se heurte tout de suite à de grandes complications; c o m m e la mer est un milieu fortement trouble, o n n'a pas le droit de négliger les diffusions multiples, c'est-à-dire les rayons qui ont subi plusieurs changements de direction entre leur entrée dans l'eau et le m o m e n t où ils atteignent l'observateur; d'autre part, il faudrait connaître ce que les physiciens appellent 1'« indicatrice de diffusion », la courbe qui représente la façon dont la lumière diffusée par une particule se répartit ensuite dans l'espace, en partageant son énergie entre les diverses directions ; pour les particules petites par rapport à la longueur d'onde, cette indicatrice est connue et l'on sait qu'elle est s y m é trique : il y a autant de lumière diffusée vers l'arrière que vers l'avant, et deux fois moins à angle droit de la direction incidente. Q u a n d les particules grossissent, le problème se complique; en théorie, l'indicatrice pourrait se calculer, si l'on connaissait le diamètre des particules et leur indice de réfraction, par une théorie électro-magnétique due à M i e , et dont les résultats ont fait l'objet de tables numériques, depuis que des calculatrices électroniques ont permis d'abréger de fastidieux calculs. Mais, dans la mer les particules ne sont pas forcément sphériques; en outre, leurs diamètres se répartissent sur toute une gamme! Enfin, last but not least, l'équation intégrale qui réglerait la répartition de la lumière n'est soluble que par approximations... U n e ingénieuse méthode a été donnée par Chandrasekhar et appliquée à la mer par J. Lenoble, qui a pu, dans divers cas relativement simples, pousser les calculs jusqu'à u n e 114 L'optique de la mer approximation suffisante pour les comparer avec l'expérience; dans une mer homogène, on arriverait à u n équilibre en profondeur, ce qui signifie q u ' à partir d'une certaine distance de la surface, la répartition angulaire de l'énergie se fixe en valeur relative et reste la m ê m e si l'on s'enfonce davantage (mais, bien entendu, en valeur absolue, l'énergie diminue à mesure que la profondeur croît). Il semble qu'on possède maintenant la méthode pour résoudre ces difficiles problèmes de propagation dans les milieux troubles, et qu'avec l'aide de machines calculatrices modernes il soit possible, au moins en principe, de prévoir toute l'optique sous-marine si les paramètres physiques (absorption vraie, diffusion et indicatrice) étaient connus en chaque point et pour chaque longueur d'onde, ainsi que les conditions aux limites (éclairement à la surface de la mer, propriétés d u fond). Mais actuellement il est encore préférable de s'en remettre à l'expérience; quelques mesures optiques ont été effectuées en sous-marin et en bathyscaphe, mais c'est plutôt en envoyant sur place des photomètres sous-marins q u ' o n résout le problème; les résultats sont parfois enregistrés dans l'appareil, plus souvent transmis à bord d u navire d'accompagnement par u n câble électrique. C o m m e nous l'avons dit plus haut, le récepteur actuellement le plus utilisé est la cellule photo-électrique avec amplification dans la cellule m ê m e par multiplication des photo-électrons. U n dispositif de ce genre a été construit par J. Lenoble à l'occasion de l'Année géophysique internationale; dans le caisson étanche, des petits moteurs c o m m a n d é s par le câble qui vient d u navire permettent d'interposer devant la cathode de la cellule des absorbants neutres, afin que le régime d'utilisation soit toujours le plus favorable, ainsi qu'unfiltreinterférentiel à bande passante étroite, choisi dans u n jeu de seizefiltresqui couvrent tout le visible et le début de l'ultraviolet (l'infrarouge ne présente pas d'intérêt, puisqu'il est arrêté dès les premiers décimètres d'eau à la surface). Avec des appareils de ce genre, on constate, c o m m e nous le savons déjà, que, dans les eaux pures du large, le m a x i m u m de transparence se situe vers 0,47 \x tandis que, près des côtes, il y a u n déplacement vers les grandes longueurs d'onde, parfois jusqu'à 0,53 ¡A; il est d'autre part possible de mesurer la lumière diffusée qui remonte d u bas vers le haut, et aussi la répartition en direction de la lumière à toute profondeur. LA COULEUR DE LA MER C'est la diffusion moléculaire qui explique le bleu d u ciel, et beaucoup de gens pensent qu'il en est de m ê m e pour la m e r ; ce n'est pas certain, loin de là. E n fait, le problème est double; tout d'abord la couleur de la mer vue par u n observateur situé dans l'air est la résultante de deux facteurs, la lumière réfléchie à la surface de l'eau et provenant d'une région d u ciel, soit bleue soit couverte; puis la lumière diffusée qui remonte et sort de l'eau. Cette dernière lumière est la seule qu'on perçoit quand onflotteen surface et qu'on regarde 115 L'optique de la mer dans l'eau avec des lunettes de plongée, et nous ne nous occuperons que d'elle. S'il n'existait que la diffusion moléculaire et si l'on pouvait négliger les diffusions multiples, on démontre aisément qu'une mer de grande profondeur serait incolore; l'absorption vraie et les diffusions multiples compliquent le problème, mais il semble bien que la couleur bleue des eaux d u large soit principalement u n résultat de l'absorption vraie des grandes longueurs d'onde par l'eau ( m ê m e pure). C e serait donc u n mécanisme tout différent d u bleu d u ciel : le ciel est bleu un peu c o m m e les fumées de cigarettes, par diffusion sur de très petites particules; la mer est bleue c o m m e de l'encre de stylographe, parce que le rouge y est retenu et transformé en chaleur. Près des côtes, les substances jaunes dissoutes, et originaires des algues probablement, font virer le bleu au vert, c o m m e on le voit en particulier sur les côtes de Bretagne. Enfin, il se peut que des matières en suspension donnent parfois à la mer une teinte différente, jaunâtre, laiteuse, parfois rouge; certains micro-organismes ou certains éléments colorés y contribuent; ainsi, dans une eau rouge de Floride, Collier a mis en évidence des teneurs importantes en titane et en zirconium, en liaison évidemment avec la dissolution de roches côtières colorées. CARACTÈRES OPTIQUES DES EAUX Les océanographes caractérisent depuis longtemps les eaux de m e r par leur température et leur salinité (teneur en sels dissous, le plus abondant étant, bien entendu, le chlorure de sodium); depuis quelques années, la composition isotopique a donné lieu également à des expériences (teneur en deuterium, en oxygène de masse 18, etc.) mais les mesures sont délicates et nécessitent l'emploi d'appareils coûteux tels que les spectrographes de masse. O n s'est souvent d e m a n d é si les propriétés de transparence et de diffusion ne permettraient pas, elles aussi, de reconnaître la provenance et le transport des eaux océaniques. N o u s avons déjà montré c o m m e n t l'étude d u changement de la turbidité avec le temps fournissait une mesure de la turbulence et des déplacements verticaux. L'océanographe allemand Joseph pense que l'étude de l'absorption de l'eau permet, elle aussi, grâce à une étude synoptique suffisamment étendue, de reconnaître l'étendue, les limites et les mouvements des diverses eaux; l'optique, combinée à l'hydrologie classique (température salinité) permettrait de préciser nos connaissances dans le difficile problème des transports océaniques par les courants, transports dont l'importance a toujours été reconnue en surface, mais qui l'est maintenant en profondeur depuis qu'on a décelé dans les grands fonds des mouvements d'eau appréciables. Tout récemment, une nouvelle propriété optique de la lumière sous-marine a été proposée pour l'identification des masses d'eau : l'état de polarisation de la lumière. O n sait depuis longtemps que la lumière du ciel bleu est polarisée 116 L'optique de la mer de façon rectiligne et partielle; la lumière qui provient de la voûte céleste doit donc, dans ce cas, continuer à transporter sous l'eau u n rayonnement partiellement polarisé; en outre, et le phénomène se produira m ê m e par ciel complètement voilé de nuages, la diffusion de la lumière dans l'eau polarise aussi la lumière : d'où un ensemble de phénomènes compliqués. Ivanoff, qui s'est attaqué depuis quelques années à ce problème, a d'abord mesuré l'effet global par une méthode photographique comportant l'emploi d'un appareil mis en œuvre par un plongeur; les premiers résultats, obtenus près de la Corse, ont conduit à de fortes polarisations quand l'eau est propre. Afin de prolonger les mesures à des profondeurs supérieures à la limite de plongée. Ivanoff a construit u n appareil photo-électrique qu'il a utilisé aux Bermudes, où il travaillait en liaison avec des biologistes intéressés par la lumière polarisée (il semble en effet que certaines espèces marines pourraient utiliser la polarisation de la lumière c o m m e boussole, c o m m e le font les abeilles). D ' u n e façon générale, la polarisation augmente avec la limpidité de l'eau et semble le critérium physique le plus sensible de cette limpidité. Il est possible qu'un diagramme « optique », dont les variables seraient l'absorption et la polarisation de la lumière dans l'eau, pourrait jouer pour caractériser une eau u n rôle analogue à celui du diagramme classique température-salinité. VISION DES OBJETS IMMERGES Après avoir exposé les données essentielles sur l'optique de la mer, nous allons maintenant passer en revue les principales applications pratiques qui en découlent. La première est relative à la vision d'un objet immergé par u n observateur aérien (d'un bateau ou d'un avion); essentiellement militaire, ce problème a donné lieu à beaucoup de recherches, qui n'ont pas conduit à des résultats bien étonnants; la profondeur de visibilité est évidemment fonction de la limpidité de l'eau, et a m ê m e fourni la plus ancienne et la plus simple mesure de cette transparence (disque de Secchi), mais aucun artifice n'altère sensiblement la vision naturelle; o n peut évidemment camoufler légèrement l'objet sous-marin en le peignant en gris-bleu, ou au contraire le rendre u n peu plus visible en le peignant d'un jaune-orange clair et vif qui contraste avec la couleur bleue de la m e r (les parachutes d'aviateurs, les bouteilles hydrographiques et d'autre engins sont peints d'après ce principe). Tout cela ne va pas bien loin. N o u s s o m m e s également désarmés devant le problème de la vision lointaine du plongeur : les vieilles gravures de notre enfance, où nous admirions le capitaine N e m o contemplant, en scaphandre, de vastes panoramas sous-marins, sont, hélas, remplacées en réalité par un brouillard bleu, u n m u r lumineux qui noie tous les détails à une quinzaine de mètres de distance. A u c u n artifice defiltrepolarisant ou coloré n'améliore cette b r u m e ; si parfois, dans un brouil- 117 L'optique de la mer lard terrestre, quelques « fenêtres » restent ouvertes dans telle ou telle région de l'infrarouge, il n'y a rien de tel ici puisque l'eau absorbe l'infrarouge. Et, quand le plongeur s'éclaire lui-même en emportant ses lampes, c'est plutôt pire, tout c o m m e l'automobiliste dans le brouillard, qui voit encore moins avec ses phares que pendant le jour. Il n'y a rien à faire parce que la diffusion dans la mer est sensiblement indépendante de la longueur d'onde. Le sous-marin qui cherche l'ennemi ne le verra donc pas avec de la lumière visible, pas plus qu'avec des ondes électro-magnétiques de radar qui s'absorbent très vite; son seul outil est sonore, ou plutôt ultra-sonore ; les ondes élastiques peuvent traverser des centaines de mètres, des kilomètres m ê m e dans l'eau, et c'est ainsi qu'on sonde les fonds, en déterminant le temps d'écho de ces vibrations, que l'eau absorbe beaucoup moins que la lumière. Il y a pourtant, en théorie, une solution optique, mais que la technique actuelle ne permet pas encore d'appliquer : supposons que le sous-marin émette des éclairs lumineux extrêmement brefs, d'un milliardième de seconde par exemple, ce qui n'est pas inconcevable; chaque éclair, en se propageant dans l'eau, n'éclaire qu'une tranche de quelques décimètres, et par conséquent si l'on observe au retour la lumière réfléchie sur u n obstacle, elle attendra l'observateur avec u n décalage appréciable dans le temps par rapport à la lumière diffusée par les tranches d'eau interposées en avant de cet obstacle; par conséquent, si l'observation se fait à travers un « obturateur » qui ne s'ouvre, lui aussi, que pendant u n milliardième de seconde, on pourra séparer lumière diffusée et lumière utile. Pour le m o m e n t c'est u n rêve, mais nous ne s o m m e s peut-être pas tellement éloignés de sa réalisation. LA PHOTOGRAPHIE SOUS-MARINE L a transparence de la m e r s'est trouvée liée, pendant la dernière guerre, à une intéressante méthode de mesure des faibles profondeurs d'eau au voisinage des côtes, par photographie aérienne; il s'agissait de préparer un débarquement, non sur les côtes françaises pour lesquelles existent d'excellentes cartes, mais en Extrême-Orient, o ù le littoral est mal connu et où les péniches auraient risqué de s'échouer trop loin du rivage. L'avion vole vers 1 500 mètres d'altitude et photographie verticalement la plage avec deux appareils identiques, actionnés simultanément, et pourvus l'un d'unfiltrevert et l'autre d'un filtre rouge. U n e relation générale, simple et suffisamment exacte, entre les absorptions par l'eau de mer des deux radiations qui traversent cesfiltrespermet de déterminer la profondeur d'eau à partir de simples mesures de noircissements photographiques sur les deux clichés. Pour faire comprendre la nécessité de deux photographies différentes, on peut dire encore que l'effet d'écran joué par l'eau interposée entre l'observateur et le fond de sable dépend de deux variables, à savoir l'épaisseur de l'eau et ses propriétés absorbantes; il faut donc deux mesures pour éliminer cette seconde variable et connaître la pro- 118 L'optique de la mer fondeur. Cette méthode est rapide, mais naturellement elle ne s'applique qu'aux fonds de 10 à 15 mètres qui se voient encore sous l'eau ; la précision est de 10 % environ. Cette méthode pourrait rendre des services pour le lever rapide des côtes en pente douce et l'étude des mouvements de sable. La photographie sous-marine à proprement parler, c'est-à-dire réalisée avec des appareils de prise de vues immergés, est ancienne puisque, dès 1893, Boutan avait obtenu à Banyuls d'excellents clichés avec un caisson étanche renfermant l'appareil photographique; depuis la dernière guerre, l'extraordinaire développement de la plongée, soit sportive, soit plus technique et scientifique avec u n scaphandre autonome, a donné lieu à une floraison de caissons étanches qui permettent aisément la photographie; en plein jour et sans apport de lumière artificielle, on peut opérer jusqu'à 50 mètres de profondeur en blanc et noir au 1/50 et avec une ouverture f-3,5, et jusqu'à 30 mètres en couleurs au 1/25 avec la m ê m e ouverture. L a seule particularité optique des clichés ainsi obtenus est que, d u fait de l'indice de réfraction de l'eau (4/3 au lieu de 1 pour l'air), les images sont agrandies dans ce rapport tandis que le c h a m p , en angle et en profondeur, est réduit dans la m ê m e proportion; c'est ennuyeux parce que la diffusion de la lumière dans l'eau, en noyant de brume les lointains, empêche de s'écarter d u sujet et rend donc nécessaire un c h a m p aussi large que possible; on peut remédier à cet inconvénient par l'emploi d'un hublot correcteur, au lieu d u verre plan, afin de ramener c h a m p et grandissement aux valeurs qu'ils auraient dans l'air. La photographie sous-marine en couleurs est un peu décevante tant qu'on se contente de la lumière du jour; les rouges, orangés et jaunes ont disparu dès 10 mètres de fond, et au delà tout apparaît uniformément bleu-vert; autant opérer en noir et blanc et teindre ensuite l'image en bleu-vert! A u contraire, une source de lumière artificielle révèle une extraordinaire richesse de couleurs dans le m o n d e sous-marin; les inventeurs se sont donné carrière dans ce domaine : lampes à incandescence,flashesélectroniques ou chimiques, une variété considérable d'appareils existent et permettent au chasseur d'images sous-marines de satisfaire toutes ses exigences. Pour le biologiste, la « macrophotographie » sous-marine, c'est-à-dire une prise de vues très rapprochée où tous les détails apparaissent, fournit u n instrument de documentation et de travail remarquable. L a richesse des coloris qu'on enregistre ainsi pose d'ailleurs u n problème : n'est-il pas paradoxal que la nature ait revêtu d'une si riche parure des animaux ou des plantes qui vivent en permanence à une profondeur telle que les rayons bleu-vert du jour soient seuls à les atteindre? E n particulier à quoi servent ces rouges vifs magnifiques qu'aucun œil n'avait vu avant que l ' h o m m e apportât à ces profondeurs une source de lumière artificielle? Il ne faut pas vouloir à tout prix trouver une justificationfinalisteaux fantaisies de la nature; mais il m e semble qu'on pourrait répondre ceci : l'homochromie entre l'animal et le fond sur lequel il vit est une défense bien 119 L'optique de la mer connue contre les prédateurs; dans l'air, cette homochromie est difficile à réaliser, car il faut que l'animal se vête de couleurs appariées au fond à la fois en teinte et en clarté; dans la mer, le problème se simplifie, seule la clarté importe, et, c o m m e le souci de la teinte a disparu, la nature peut sans inconvénient se permettre une g a m m e étendue de pigments; en s o m m e , la richesse de couleurs d u m o n d e sous-marin existerait parce qu'elle est sans danger tandis qu'à l'air une telle profusion de couleurs aurait peut-être provoqué la disparition de ces êtres trop beaux. Bien entendu, on peut compléter la photographie sous-marine par du cinéma, les problèmes sont les m ê m e s , sauf que les caissons étanches des cameras sont un peu plus volumineux, et que les sources artificielles doivent éclairer plus longtemps. Les magnifiques vues desfilmsdu commandant Cousteau sont trop connues pour que nous ayons besoin d'insister sur la qualité à la fois documentaire et artistique de ce m o n d e nouveau ouvert à l ' h o m m e , m o n d e de silence, de mystère, où la pesanteur a disparu et où, bien mieux que dans l'air, nous pouvons réaliser ce vieux rêve de nous déplacer dans trois dimensions au lieu de rester collés à la surface du globe par l'attraction newtonienne. PHOTOGRAPHIES AUTOMATIQUES Au-delà d'une cinquantaine de mètres, le plongeur doit céder la place soit au bathyscaphe, qui a permis quelques belles photographies des grands fonds, fort émouvantes et mystérieuses avec ces « taupinières » dont o n ignore les habitants; soit à l'appareil automatique, descendu au bout d ' u n câble, et qui prend à l'aveuglette ce qui se trouve, dans le champ, éclairé bien entendu par une source artificielle. A u x États-Unis, Eggerton a mis au point des cameras qui résistent aux pressions des plus grandes profondeurs et qui, d'autre part, permettent de connaître, par u n signal ultra-sonore, la distance qui sépare le fond de l'appareil; on peut ainsi s'arrêter à quelques mètres d u fond, à coup sûr. Les résultats ont été un peu décevants, en ce sens que sur les dizaines de milliers de clichés pris ainsi, il est bien rare d'apercevoir u n poisson; et pourtant on sait que ces grands fonds sont peuplés, sans doute moins que près de la surface, mais tout de m ê m e avec une densité de vie importante. C e paradoxe s'explique si l'on imagine ce que serait la m ê m e expérience dans l'air : une camera approchant d u sol sous u n ballon ou un parachute ferait certainement fuir le bétail, le gibier, m ê m e les humains, et de l'examen des clichés on déduirait que le sol est quasi inhabité; il faut penser que les animaux marins sont spécialement sensibles aux vibrations élastiques d u milieu liquide, et que les « clics » de l'appareil d'Eggerton, qui annoncent l'approche du fond, doivent les apeurer et les éloigner. Pour les géologues au contraire, les vues du fond de la mer, prises ainsi sous des kilomètres d'eau, apportent une documentation prodigieuse; en particulier, on voit souvent des ripple-marks, ces rides de sable que tous connaissent sur nos plages à marées; autrefois on 120 L'optique de la mer croyait que ces ripple-marks témoignaient d'une agitation de surface; il n'en est pas question bien entendu dans ces abîmes, mais ces rides décèlent des mouvements de l'eau profonde qui sont u n des arguments à l'appui d'une vie dynamique de ces fonds, contrairement au sommeil et au repos qu'on leur prêtait gratuitement autrefois. U n autre procédé ingénieux de photographie automatique a été récemment mis au point par le commandant Cousteau; il s'agit d'un traîneau sous-marin, une sorte de troïka, qui peut être remorqué au bout d'un câble par un bateau, m ê m e par des fonds de plusieurs centaines de mètres; ce traîneau porte une camera de cinematographic, synchronisée avec unflashélectronique qui donne un éclair vingt-quatre fois par seconde; les films ainsi obtenus, et dont certains ont été présentés en septembre dernier au I er Congrès international d'océanographie à N e w York, sont fort émouvants; on a vraiment l'impression d'assister assis dans ce traîneau, à une promenade féerique dans le m o n d e des grandes profondeurs. N o u s disions plus haut que les ripple-marks étaient une première preuve que l'univers des grandes profondeurs n'était pas immobile et quasi mort. Les êtres qui fuient devant la troïka en sont une autre. Et puis on voit devant soi un sol qui, bien souvent, n'est pas ce triste manteau de vase auquel on s'attendait; des petits cailloux très nombreux y jalonnent le terrain; d'où viennent-ils? Peut-être certains ont été amenés par des courants qui se créent de temps à autres sous l'influence d'un séisme par exemple; ces « courants de turbidité » sont de vrais torrents sous-marins qui coulent à une vitesse atteignant parfois 15 nœuds, dévalant les pentes et érodant le terrain sur leur passage. Et puis il pleut des pierres sans arrêt dans la mer : par an il tombe trois mille tonnes environ de spherules cosmiques; ces météorites de fer et nickel ont beaucoup intrigué les géologues sous-marins; ce phénomène existait déjà à l'ère tertiaire, mais il semble avoir pris beaucoup d'importance depuis la dernière période glaciaire. ÉCOLOGIE ET PHOTOGRAPHIE E n dehors des recherches physiques qu'ont permises ces techniques de photographie et cinematographic sous-marines, l'écologie océanique a récemment mis à profit ce merveilleux outil de travail. Ainsi le professeur Drach à Roscoff a conjugué les méthodes du scaphandre autonome et de la macrophotographie en couleurs pour fixer des documents écologiques d'une valeur inestimable qui permettent ensuite, dans le calme du laboratoire, d'étudier le peuplement de la zone côtière sous-marine; bien entendu, o n ne peut ainsi fouiller que jusqu'à une profondeur d'une quarantaine de mètres; pour descendre plus bas et défricher scientifiquement la plate-forme continentale, qui s'enfonce jusqu'à 200 mètres environ, le commandant Cousteau a mis au point un petit sous-marin très maniable, la « soucoupe plongeante », où, à côté d u pilote, 121 L'optique de la mer un observateur peut prendre place, inspecter et photographier à loisir, sous le feu de projecteurs, la végétation et l'habitat de ce m o n d e encore si mal connu et qui peut-être, dans l'avenir, constituera la réserve de nourriture de l'humanité. La télévision U n e autre méthode permettant d'aller voir ce qui se passe sous l'eau, sans y descendre soi-même, consiste à immerger une camera de télévision, accompagnée, bien entendu, des projecteurs nécessaires à l'éclairage. Cette technique est évidemment u n peu plus difficile que la photographie, ne serait-ce que parce qu'il faut remonter l'image à bord du navire d'accompagnement au m o y e n d'un câble coaxial. Les premiers essais datent de l'explosion nucléaire de Bikini, il y a quelques années; pour d'évidentes raisons de sécurité, il était impossible d'envoyer des plongeurs dans les eaux de l'atoll, contaminées par la radio-activité, et ce sont des cameras sous-marines de télévision qui remplacèrent l'œil humain pour voir les effets en profondeur de l'explosion. Depuis cette date, la télévision sous-marine s'est répandue, au point qu'elle rend maintenant des services pour les travaux publics tels que les constructions de digues ou d'ouvrages dans la mer. Mais jusqu'ici son apport scientifique à l'océanographie est resté faible. Il n'en sera peut-être pas de m ê m e à l'avenir; prenons u n exemple : o n a beaucoup discuté récemment de l'intérêt que présenterait le forage, sous plusieurs kilomètres d'eau, de la couche de sédiments qui, pour des raisons d'isostasie, est plus mince sous les océans qu'en terre ferme; ce forage pourrait atteindre l'intérieur d u globe et permettre aux géologues de savoir vraiment c o m m e n t est fait l'intérieur de notre planète (notre seul outil pour le m o m e n t est cette sorte d'auscultation que permettent les ondes sismiques, mais les données ainsi obtenues sont indirectes et d'une interprétation délicate). Les progrès considérables réalisés pour les forages profonds dans l'industrie d u pétrole permettent de penser que ce projet n'est pas aussi chimérique qu'il peut sembler; évidemment, des difficultés considérables subsistent, ne serait-ce que l'immobilisation d u navire d ' o ù s'effectuerait le travail; il est probable que la télévision sous-marine serait ici d'une grande utilité pour commencer le forage, et voir ce que l'on fait au contact du fond, sous l'océan. Certains océanographes se sont demandé s'il ne serait pas possible d'élargir les applications de la télévision sous-marine en y remplaçant les ondes lumineuses par une autre forme de rayonnement qui traverse mieux les eaux océaniques; la mer est en effet terriblement absorbante, c o m m e nous l'avons dit, à toute radiation électro-magnétique et cette opacité est la raison fondamentale de notre retard dans la connaissance des mers (si l'atmosphère était opaque, notre science serait sans doute toute différente, ne serait-ce que parce que l'astronomie, mère des disciplines exactes, commencerait seulement à 122 L'optique de la mer naître grâce à la radio-astronomie!). Mais il existe une forme d'énergie qui pénètre relativement bien à travers l'eau, ce sont les vibrations élastiques des ondes sonores et ultra-sonores; jusqu'ici, on n'en a guère tiré que des possibilités de sondage ou de guidage par les chenaux sonores, mais les applications pourraient certainement en être étendues. O n a commencé déjà l'étude des sédiments marins au moyen de « tops » ultra-sonores extrêmement brefs et dont le spectre est assez large, c'est-à-dire se compose d'un groupe assez large de fréquences (un « bruit » et non u n son pur); en analysant l'écho en fonction de la longueur d'onde, on discerne facilement la réflexion des hautes fréquences à la séparation de l'eau et des sédiments, et celle des basses fréquences qui pénètrent plus ou moins profondément à l'intérieur de ces sédiments avant de revenir en arrière. Mais on pourrait sans doute faire mieux et balayer le fond de la mer avec un faisceau ultra-sonore étroit et analyser l'image ainsi reçue, par une technique analogue à la télévision; on verrait sur un écran une sorte d'image acoustique d u fond, dont la « couleur » changerait suivant la dureté et l'épaisseur des sédiments; la difficulté technique de cette méthode provient évidemment de ce que la longueur d'onde acoustique est relativement grande, surtout si l'on désire traverser une importante épaisseur d'eau; et que par conséquent les appareils optiques, tels que lentilles ou miroirs, destinés à concentrer l'énergie d'un tel rayonnement, devraient, pour être efficaces, posséder des dimensions représentant un nombre important de longueurs d'onde, ce qui les rendrait encombrants; mais cette difficulté n'est peut-être pas insurmontable. COUCHE DIFFUSANTE PROFONDE U n problème où semble intervenir la transparence des océans est posé par l'existence de la célèbre D S L (deep scattering layer : couche diffusante profonde) découverte pendant la dernière guerre au moyen des sondeurs ultra-sonores. Au-dessus d'un fond d'un ou plusieurs kilomètres, o n observe un écho parasite à une profondeur qui est de 300 mètres en moyenne, et peut descendre à 500 mètres dans les eaux très claires; cette couche remonte vers la surface au crépuscule, pour reprendre sa place au lever du jour. C e mouvement diurne suggère une origine biologique due à des organismes ayant un mouvement de migration lié à la pénétration du rayonnement solaire et s'accumulant à une profondeur fixe en quantité suffisante pour produire un écho par réflexion partielle des ondes ultra-sonores. A vrai dire ce mouvement diurne ne suffit pas à prouver l'origine vivante de cette couche, puisque on observe dans la haute atmosphère des déplacements diurnes des couches ionisées qui règlent la propagation des ondes électromagnétiques et que, dans ce cas, il s'agit évidemment d'un phénomène purement physique. Cependant, certains dragages corroborent l'explication biologique de la D S L ; de plus en immergeant pendant la nuit des récepteurs sensibles de rayonnement à son niveau, o n peut 123 L'optique de la mer déceler une émission biologique de lumière qui révèle une densité vivante importante dans cette couche. APPLICATIONS DIVERSES N o u s avons, au cours de cet exposé, passé en revue les diverses applications de l'optique de la m e r , tant sur le plan scientifique que sur celui de la technique; il nous reste à signaler ce qui se passe à la surface m ê m e de séparation de la mer et de l'atmosphère, car, là aussi, l'optique a son mot à dire. E n effet, la réflexion de la lumière lors du passage de l'air à l'eau est à l'origine de reflets que les photographes connaissent bien car ils en tirent des effets de contre-jour classiques; mais l'étude scientifique de ces reflets n'est pas sans intérêt. Elle fournit une méthode assez simple pour étudier les mouvements de cette surface, et décomposer ces mouvements en ses composantes temporelles, en un m o t pour analyser ce que les océanographes appellent maintenant par analogie à l'optique le « spectre du niveau de la mer ». Pendant la dernière guerre, des physiciens britanniques, en particulier Longuet-Higgins, ont rénové ce vieux problème, et l'étude de la réflexion de la lumière sur les rides et vaguelettes leur a fourni de très intéressantes données. O n sait que l'état d'agitation de la surface de la mer dépend d u vent, et d'autre part de la tension superficielle de l'eau; or cette dernière varie fortement d'un point à l'autre à cause de films parfois monomoléculaires de matière organique qui se répand à la surface et donne lieu à ces régions plates, sans rides, que tout le m o n d e a p u apercevoir par temps calme à la surface de l'eau. U n problème d u m ê m e genre a trait aux pertes d'énergie à la surface de la m e r ; une fraction appréciable du rayonnement venu du soleil et de la voûte céleste est arrêté dans les premiers décimètres d'eau; bien sûr c'est le cas de l'infrarouge, et il n'y a pas là de mystère : mais à l'intérieur du spectre visible, la cause en est mal connue : o n a invoqué l'écume, les bulles d'air qui transforment le voisinage de la surface en emulsion laiteuse, que sais-je encore? E n réalité nous hésitons encore sur la réponse exacte à donner. Peut-être qu'à la fin de cet exposé, dont le titre avait sans doute paru au lecteur ne recouvrir qu'un domaine bien étroit, notre meilleure conclusion sera d'avouer notre ignorance dans de nombreux domaines de l'océanographie. Et c'est en particulier le cas de l'étude des radiations. D'ailleurs, en juillet et août 1960, à Helsinki, l'Association internationale d'océanographie, sous le patronage de l'Unesco, organisera u n colloque sur « L'énergie radiante dans la mer » ; c'est le signe que, malgré des progrès rapides, au cours des dernières décennies, grâce surtout au développement de nouvelles méthodes techniques, il reste encore beaucoup à faire dans ce domaine et qu'une collaboration internationale est urgente pour accélérer les progrès et nous familiariser davantage avec ce m o n d e de la lumière sous-marine, si important pour l'écologie et m ê m e l'économie de notre planète. 124 L ' H Y D R O P S I S : S E S B A S E S SCIENTIFIQUES E T S E S APPLICATIONS Navigation, pêche, météorologie par T. LAEVASTU Membre de la sous-division de la biologie des pêches de la F A O , Taivo Laevastu est un spécialiste de l'hydrographie des pêches et de l'océanographie chimique. Il a publié plusieurs études détaillées sur les oligo-éléments de la mer et sur diverses autres questions d'océanographie, allant de l'analyse des matériaux d'origine extraterrestre dans les dépôts des mers profondes à l'écologie du saumon de l'Atlantique. Il est l'auteur ou le coauteur d'une série de monographies sur l'océanographie régionale, le plancton et le benthos. INTRODUCTION C o m m e toutes les activités humaines, la navigation et l'utilisation des ressources biologiques des mers exigent, pour la sécurité et le succès des opérations, qu'on puisse prédire le comportement des vents, des eaux et des organismes vivants. L a prédiction, qui est l'un des principaux objectifs de la science en général, est rendue possible par l'application de méthodes descriptives et expérimentales à des systèmes naturels o u artificiels et par l'interprétation de vastes ensembles de données, recueillies sur le terrain ou en laboratoire. C'est seulement sur la base de descriptions, d'analyses et d'interprétations de ce genre qu'il est possible de reconnaître des rapports et d'élaborer des systèmes de prédiction. E n ce qui concerne les mers, ce travail de description, d'analyse et d'interprétation est si vaste qu'il a fallu plus d'un siècle d'efforts pour pouvoir aborder maintenant le stade de la prédiction. Actuellement, seules les prédictions limitées sont possibles; mais il est clair que l'océanographie se développera à l'avenir c o m m e l'a fait la météorologie, avec une branche de la recherche fondamentale, et la branche appliquée des observations et prévisions courantes. Pour désigner l'océanographie synoptique, qui est l'objet de la branche appliquée, et peut être comparée à la météorologie synoptique, L y m a n a proposé le terme à'hydropsis ( = hydro synopsis). L'hydropsis peut être définie c o m m e le dépouillement et l'interprétation de données résultant d'observations de quelques jours se référant à de plus vastes ensembles, propres à des zones déterminées, et conduisant à des prédictions des conditions qui caractériseront vraisemblablement la période suivante. D a n s les textes, il conviendra d'utiliser ce terme de la m ê m e manière que l'expression « météorologie synoptique ». 125 ! L'hydropsis : ses bases scientifiques et ses applications L a forme adjectivale est hydroptique. L'hydropsis concernera en premier lieu la structure thermique et dynamique de l'océan. L y m a n a également proposé le terme hydroclime pour désigner les conditions hydrographiques moyennes, déterminées par le traitement statistique de données — par exemple mensuelles — relatives à de nombreuses années. Des prévisions sont établies depuis longtemps, parfois avec beaucoup de succès, pour des phénomènes océanographiques tels que les marées et les vagues. Depuis quelques années, o n s'efforce d'étendre le c h a m p des prévisions à d'autres phénomènes; certains de ces travaux sont analysés dans le présent article. N o u s nous occuperons surtout ici des couches supérieures des océans, car les modifications qui intéressent les conditions physico-chimiques dans les couches profondes (au-dessous de 200 mètres) sont relativement faibles et généralement lentes; en outre, ces conditions sont d'ordinaire affectées par celles qui se manifestent à la surface, et n'influent sur les activités humaines que dans des cas très spéciaux. Il convient toutefois de souligner que la connaissance fondamentale des eaux profondes est, à longue échéance, aussi importante que celle des eaux superficielles pour l'explication des interactions complexes qui se produisent dans la m e r . QUE FAUT-IL PRÉVOIR AU SUJET DE LA MER? S'il est vrai que la compréhension complète des processus naturels et la prévision de tous les phénomènes constituent u n objectif de la science, il est nécessaire, pour des raisons pratiques et économiques, de limiter les programmes de recherches appliquées à la prédiction des phénomènes qui influent directement sur les activités humaines. D'autre part, ces recherches ne peuvent porter que sur des éléments facilement observables et mesurables, dont les rapports avec les phénomènes à prédire soient nettement démontrés. Les plus anciennes prédictions ont eu pour objet les marées. Si les méthodes de prédiction des marées dans les régions littorales ont atteint une perfection absolue, il n'existe encore aucune bonne méthode applicable aux zones de haute m e r . Pourtant, la prédiction des courants de marée et des m o m e n t s d'étalé est nécessaire en haute m e r . Les marées provoquent des fluctuations dans l'épaisseur d u thermocline (couche où la température varie relativement vite avec la profondeur). Les courants de marée influent sur la navigation et l'utilisation des engins de pêche. Les périodes d'étalé, et l'oscillation verticale, déterminent le comportement de la faune pélagique de surface (formation de bancs, migrations verticales, etc.). Les caractéristiques de la marée en haute mer qu'il est le plus utile de prédire, pour des points déterminés, sont : a) les m o m e n t s d'étalé, et b) les vitesses maximales des courants de marée. Les prévisions concernant les vagues permettent aux navigateurs de choisir la route la plus rapide et d'améliorer la sécurité et le bien-être en mer. Les données concernant les vagues servent aussi à déterminer la profondeur 126 Vhydropsis : ses bases scientifiques et ses applications moyenne de la couche d'eau superficielle mélangée. Il existe actuellement, pour la prévision des vagues, plusieurs formules légèrement différentes, qu'on pourrait facilement combiner. L a caractéristique principale à prévoir est la hauteur significative (hauteur m o y e n n e d'un tiers de toutes les vagues dans u n spectre de la houle), qui doit être plus ou moins en rapport avec d'autres caractéristiques de la hauteur et avec la longueur de la lame. O n n'a pas encore établi de formules simplifiées pour la prévision de la houle (longues vagues produites à distance par le vent o u les tempêtes). Dans le passé, o n s'est relativement peu préoccupé de prédire les courants de surface réels, bien que de nombreux travaux théoriques aient été consacrés aux grands systèmes de circulation océanique. L a connaissance des courants de surface est utile aux navigateurs; mais elle est surtout importante pour la pêche, ainsi que pour la prévision de la structure effective des températures en un point donné et des transports de chaleur en longitude. Les courants sont d'origines et de natures diverses. N o u s avons déjà m e n tionné ceux de marée. Les grands courants océaniques, dits « courants permanents », sont dus principalement à des différences de densité des eaux. Ces courants subissent des variations saisonnières provoquées par des variations saisonnières dans la répartition des densités et dans l'intensité des autres forces qui déplacent les eaux : régimes des vents et répartition des échanges thermiques. Ces changements saisonniers peuvent être prédits quelques semaines à l'avance, sur la base de données météorologiques et océanographiques. Enfin, se superposant aux courants de marée et aux courants permanents, il existe des courants d'origine éolienne, qui varient au jour le jour et doivent être prédits d'après les données concernant les vents. Les caractéristiques des courants qu'il faudrait prédire sont les suivants : a) pour les courants de marée : vitesse maximale, dimensions de l'ellipse de la marée et sens de la rotation; b) pour les courants permanents : direction et vitesse; c) pour les courants d'origine éolienne : direction et vitesse pour u n vent donné; direction et sens de la rotation; et variations de la vitesse correspondant aux variations d u vent. L a température est u n des facteurs d u milieu qui est le plus facile à mesurer, et l'on dispose de données sur la température de toutes les parties des océans. O n s'est donc efforcé d'établir des corrélations entre cette température et ses variations et la plupart des autres éléments et facteurs d u milieu marin. D e s rapports directs ont p u effectivement être décelés. L a température de la m e r est directement fonction des échanges thermiques entre cette dernière et l'atmosphère, échanges qui sont e u x - m ê m e s déterminés par des facteurs météorologiques. E n outre, la situation thermique dépend, à certains égards, des transports thermiques par advection. Les autres éléments et facteurs du milieu marin (processus de mélange, production de plancton, etc.) sont en général en rapports étroits avec les précédents, et sont prévisibles par déduction. 127 Vhydropsis : ses bases scientifiques et ses applications PRÉCÉDENTS ESSAIS DE PRÉVISIONS CONCERNANT LA MER L a prédiction des marées dans les régions littorales est pratiquée depuis l'antiquité. Pendant la seconde guerre mondiale et immédiatement après, des méthodes de prévision des vagues ont été mises au point; elles sont couramment utilisées dans certains pays. Depuis des dizaines d'années, les pays nordiques établissent pour la pêche et la navigation des précisions concernant la dérive des glaces. Les autres facteurs ne font l'objet de prédictions que très irrégulièrement. O n n'a pratiquement jamais tenté d'établir une hydropsis complète. Les océanographes norvégiens Helland-Hanseb et Nansen ont analysé les causes des grandes variations qui se produisent d'une année à l'autre dans la température des eaux superficielles de la m e r de Norvège. Ils ont reconnu que ces variations sont dues essentiellement à celles de la radiation solaire, que des changements de température atmosphérique précèdent ceux de la température des eaux superficielles, et que les vents sont la cause principale des variations de température dans les couches superficielles. L e vent a également pour effet d'accumuler les eaux superficielles le long des côtes, si bien qu'il existe sur les côtes d'Europe une corrélation positive entre le niveau de l'eau et sa température. O n a constaté depuis longtemps, au Japon et ailleurs, que la température de la m e r conditionne celle de l'atmosphère au-dessus des terres avoisinantes et influe ainsi sur les rendements agricoles. A u cours d'un été frais au Japon, l'hydrographe japonais Suda a relevé des températures basses dans les eaux superficielles de tout le Pacifique nord — région où un refroidissement s'était produit au cours de l'hiver précédent qui avait été particulièrement rigoureux. Le phénomène inverse a été observé lors d'une année de bons rendements agricoles. Il a été proposé en conséquence d'étudier les mouvements et la répartition d u « Kisomizu » (eaux à basse température) afin d'établir des prévisions concernant les températures estivales. Les prévisions relatives à la température des eaux peuvent être classées en deux catégories : les prédictions par corrélation et étude des tendances à longue échéance, et les prévisions à court terme par étude d u bilan thermique de la mer. A u Japon, Watanabe et Hirano, appliquant la méthode des « tendances à longue échéance », ont déterminé une corrélation entre la ressemblance et les anomalies de la température dans quatre zones situées à l'ouest d u Japon central et méridional. A u Canada, McLellan et Lauzier ont étudié le cycle des variations de température pendant les années passées pour tout l'est d u Canada; ils ont conclu que les tendances à longue échéance peuvent être prévues avec quelque certitude. Ils ont également examiné la possibilité de modifier les lieux de pêche dans certaines eaux canadiennes, en cas d'abaissement prévu de la température de l'eau. 128 L'hydropsis : ses bases scientifiques et ses applications Millar, étudiant statistiquement les modifications de température dans les grands lacs de l'Amérique du N o r d , a montré les possibilités et les limites des prévisions statistiques hebdomadaires de la température fondées sur une seule observation passée et sur l'examen de la courbe annuelle normale. Il a conclu que ces prédictions pourraient être améliorées par l'étude d'un plus grand nombre d'observations et par l'application d'une formule de régression complexe. O n peut conclure de ces essais que les prédictions faites à partir de courbes annuelles ne sont pas satisfaisantes et n'ont pas la précision voulue parce que, c o m m e l'ont signalé Heiland-Hansen et Nansen, il se produit, d'une année à l'autre, des variations considérables dont il faudrait tenir compte. Plusieurs chercheurs, de différentes régions, ont utilisé, avec des résultats satisfaisants, la méthode du bilan thermique pour prédire des moyennes saisonnières, et parfois m ê m e pour faire des prévisions à court terme. Ils ont employé des formules à peu près identiques. COMMENT PRÉVOIR LES CONDITIONS EN MER O n dispose, certes, d'une masse considérable de données océanographiques, mais relativement peu d'entre elles sont directement utilisables pour l'hydropsis, parce qu'elles ont été recueillies et élaborées à d'autres fins. Les techniques de prévision actuellement applicables risquent donc d'être assez grossières d u point de vue scientifique. L'aptitude des spécialistes à prédire les tendances devient ainsi l'un des principaux espoirs de l'hydropsis. L'essentiel en la matière est de pouvoir prédire les variations des eaux superficielles qui sont provoquées par les modifications quotidiennes des conditions météorologiques. Il est souvent difficile d'évaluer, dans chaque cas, l'intensité de l'influence exercée par les facteurs qui tendent à modifier la température de l'eau ou à agir sur les courants, parce qu'il est malaisé d'effectuer des expériences contrôlées en mer et coûteux d'y recueillir des données. L'effort principal devra viser à mettre au point des formules empiriques, fondées sur le principe physique des rapports de cause à effet et permettant des prédictions pratiques. Ces formules font intervenir des éléments et des facteurs pouvant être mesurés à l'occasion d'observations météorologiques et océanographiques courantes ou aisément déduits à partir de telles mesures. L a prédiction de la houle est une tâche relativement facile. Les principales variables sont, dans ce cas, la vitesse et la durée d u vent, et elles peuvent être évaluées d'après les cartes météorologiques synoptiques établies quotidiennement ou à intervalles de cinq jours. L a longueur m o y e n n e du fetch est calculée d'après les cartes, compte tenu d u point considéré et de la direction d u vent. Les tendances correspondant aux modifications dans la force et la direction du vent doivent être évaluées d'après des rapports empiriques simplifiés. Les données relatives aux vents peuvent également servir à évaluer les 129 Vhydropsis : ses bases scientifiques et ses applications courants d'origine éolienne, lorsque les rapports empiriques correspondants sont bien établis. L a question de la déviation d u courant par rapport à celle d u vent est encore quelque peu controversée. Cette déviation est toutefois largement influencée par la topographie locale et par les courants permanents. Il semble que la meilleure méthode pour prédire les marées en haute m e r consisterait à prédire les moments d'étalé, d'après les données relatives aux marées côtières et les lignes des marées simultanées. L a direction de la rotation des courants de marée est généralement connue pour la plupart des points. L a forme de l'ellipse de la marée et les forces maximales des courants de marée doivent être évaluées à partir de mesures directes effectuées à l'aide de courantomètres appropriés, dans certaines conditions idéales (par exemple, pendant une période de force minimale des courants d'origine éolienne), en certains points; elles peuvent également être évaluées sur la base d'études modèles. Les hauteurs des marées doivent, s'il est nécessaire, être évaluées d'après les indications de manomètres mouillés en profondeur. N o u s ignorons encore à quel point les ondes de marée profondes, qui provoquent en toutes régions des fluctuations dans l'épaisseur du thermocline, sont liées aux ondes de marée de surface. Il est nécessaire que cette question soit éclaircie d'urgence par des observations directes. L'amplitude desfluctuationsde l'épaisseur d u thermocline sous l'effet de la marée demande aussi à être précisée. L'expérience semble montrer que cette amplitude est fonction : de l'épaisseur d u thermocline, de la rapidité avec laquelle la température y décroît, et de la stabilité de l'eau. D a n s certains cas, l'influence des marées météorologiques — provoquées par des modifications de la pression atmosphérique et par l'accumulation des eaux sous l'effet du vent — s'ajoute à celle des marées astronomiques — provoquées par l'attraction de la lune. D a n s les mers à marées très faibles, c o m m e la Baltique et la Méditerranée, seules les marées météorologiques font varier le niveau de la m e r et l'épaisseur d u thermocline. Ces marées météorologiques peuvent être évaluées d'après certains rapports établis empiriquement. L a prédiction de la structure des températures est une tâche complexe; mais les connaissances dont on dispose sont suffisantes pour q u ' o n essaie de l'entreprendre. L a méthode rationnelle à suivre pour établir des prévisions de température comporte quatre étapes principales et une série de mesures complémentaires : 1. Calcul des échanges thermiques entre la mer et l'atmosphère, compte tenu des éléments météorologiques qui influent sur les variations locales de la température de l'eau (insolation, rayonnement, evaporation, échanges thermiques par convection, etc.). 2. Calcul de l'absorption des radiations à diverses profondeurs de la mer. 3. Évaluation de la structure des températures en u n point donné, telle qu'elle est déterminée par la température antérieure, les facteurs 1 et 2 ci-dessus, et les mélanges par turbulence. 130 Vhydropsis : ses bases scientifiques et ses applications L'épaisseur moyenne du thermocline sera évaluée d'après les données relatives aux vagues. L'amplitude desfluctuationset les moments de position extrême devront également être déterminés en temps opportun. 4. Calcul des variations de température additionnelles causées par l'advection, d'après les données dont on dispose sur les courants. Les mesures complémentaires concernent divers autres facteurs : variations de température provoquées dans les eaux littorales par le ruissellement, chaleur produite par la dispersion de l'énergie des vagues, effets des variations d u niveau de la mer, glaciation, mouvements de convergence et de divergence des courants (et barrières thermiques correspondantes). Les petites variations de température dans les eaux profondes (de 200 à 1 000 mètres) peuvent, s'il est nécessaire, être évaluées d'après des courbes saisonnières. Quant aux variations saisonnières et aux variations à longue échéance, elles peuvent être évaluées d'après les variations à longue échéance des conditions météorologiques et d'après les données fournies par u n petit n o m b r e de stations océanographiques convenablement réparties. Pour le calcul des échanges thermiques entre la mer et l'atmosphère, et des gains o u pertes de chaleur correspondant aux variations de température en u n point donné, il faut tenir compte des éléments suivants : insolation (radiations de courte longueur d'onde du soleil et d u ciel), chaleur géothermique d u fond de la mer, chaleur produite par la dispersion de l'énergie éolienne et m a r é m o trice, chaleur transférée par les ruissellements d'eau douce, chaleur dégagée par les processus chimiques, transfert de chaleur par condensation de vapeur d'eau, rayonnement effectif de grande longueur d'onde de la mer, pouvoir réfléchissant (albedo) de la surface de la m e r , convection de chaleur, perte de chaleur par evaporation, transport de chaleur par les précipitations et chaleur transportée vers la région ou hors de la région par les courants. L a chaleur géothermique du fond de la mer, la chaleur fournie par la dispersion de l'énergie éolienne et marémotrice et la chaleur dégagée par les processus chimiques représentent des quantités très inférieures, dans la plus grande partie des océans, à un pour cent du taux d'insolation; elles peuvent donc, pratiquement, être négligées. Les transports de chaleur par les eaux douces peuvent être négligés en haute mer. Les transports de chaleur par les précipitations doivent être pris en considération si les précipitations sont importantes o u si leur température est très différente de celle de la surface de la mer (neige ou grêle, en particulier). L'insolation quotidienne est calculée à l'aide d'une formule empirique, d'après la hauteur d u soleil à midi, la durée d u jour et la nébulosité (type et disposition des nuages). Lorsque l'insolation est mesurée sur un navire o u au m o y e n de bouées à enregistrement et signalisation automatiques, cette formule permet d'évaluer la nébulosité soit à l'aide d'instruments, soit, en cas de nébulosité élevée, d'après la visibilité. L a réflexion est évaluée c o m m e u n pourcentage de l'insolation, ou déter- 131 Vhydropsis : ses bases scientifiques et ses applications minée directement d'après la hauteur du soleil. L e rayonnement effectif de la mer est évalué au m o y e n d'une formule synthétique, tenant compte de la température de la surface de la mer, de l'humidité relative et de la nébulosité. L'évaporation est évaluée à l'aide d'une formule de Dalton modifiée, d'après la vitesse du vent et la différence entre la tension de la vapeur d'eau saturée à la température de la surface de la mer et la tension réelle de la vapeur d'eau de l'air à la hauteur de la passerelle d u navire (c'est-à-dire à 8 mètres). D a n s le cas de valeurs négatives, cette formule donne la quantité de vapeur condensée à la surface de la mer. Les quantités réelles d'évaporation sont multipliées par la chaleur latente d'évaporation, ce qui donne la perte thermique. Les transferts de chaleur par convection vers la surface et à partir de la surface de la mer sont calculés au m o y e n d'une formule dérivée de la formule d'évaporation, compte tenu des quantités d'air qui ont p u être directement en contact avec la surface de la mer. D a n s le cas des mers recouvertes de glaces, certains facteurs supplémentaires des échanges thermiques doivent être pris en considération, c o m m e la conductivité et le pouvoir réfléchissant de la glace. Il est en outre évident que les conditions de stabilité de l'air qui influent sur la vitesse d u vent à la surface ne doivent pas être négligées dans une évaluation de l'évaporation et des transferts de chaleur par conduction. Avant d'étudier l'absorption d'énergie dans la mer, il convient de considérer les propriétés optiques de l'eau, qui influent sur cette absorption. C o m m e o n dispose rarement de données précises sur ce point, il est c o m m o d e de définir certaines grandes masses d'eau, correspondant approximativement aux masses d'air de l'atmosphère, d'après les caractéristiques suivantes : propriétés optiques, température, salinité, amplitude des variations saisonnières, influences terrestres. Il est facile de distinguer les eaux littorales des eaux d u large d'après leurs caractéristiques générales. Ainsi : Eaux océaniques : à) étendues d'eau situées à l'extérieur d u plateau continental (profondeur supérieure à 200 mètres) et (ou) b) eaux océaniques de salinité normale, n o n modifiées par les influences terrestres (ruissellement et turbidité). Eaux littorales : a) étendues d'eau d u plateau continental et (ou) b) eaux littorales de faible salinité, influencées par le ruissellement. Généralement de turbidité élevée. O n peut également différencier les masses d'eaux océaniques sur une base géographique, d'après la salinité, la température et les variations saisonnières. O n peut distinguer ainsi (les valeurs ci-après représentent des normes moyennes approximatives) : les régions polaires (eaux de basse température — moins de 8° C — et de faible salinité — moins de 3 4 % 0 — variations saisonnières relativement faibles de la salinité et de la température); les régions boréales (eaux de température et de salinité moyennes, variations saisonnières relativement importantes); les régions tropicales (eaux de température élevée — 132 Vhydropsis : ses bases scientifiques et ses applications plus de 20° C — et de salinité généralement élevée — plus de 35 % 0 ; toutefois, dans les calmes équatoriaux, la salinité des eaux de surface peut être relativement faible du fait des précipitations; faibles variations saisonnières). Divers termes sont employés pour désigner les mélanges de masses d'eau différentes. Pour les besoins de l'hydropsis, o n peut retenir les suivants : eaux subpolaires (mélange de masses d'eaux polaires et boréales); eaux subtropicales (mélange de masses d'eaux boréales et tropicales); eaux boréales, type mixte (mélange de masses d'eaux polaires et tropicales); eaux de pente (mélange de masses d'eaux d u large et d'eaux littorales). Pour calculer les variations de température, il est nécessaire de savoir dans quelles proportions les radiations sont absorbées par les diverses couches des différentes masses d'eau. A cet effet, il convient de classer ces derniers d'après les propriétés optiques. Ces propriétés constituent u n indice de la productivité des eaux, et parfois de leur origine. Signalons qu'une classification très précise n'est possible que si l'on dispose de mesures réelles, et que les propriétés optiques des masses d'eau peuvent changer relativement vite jusqu'à un certain point (par exemple sous l'effet de la «floraison» du plancton, de la remontée ou de la sédimentation d'éléments minérogènes en suspension, etc.), ce qui rend inutile une classification détaillée. Mais il est utile d'identifier, d'après les propriétés optiques, les cinq masses d'eau suivantes : a) eaux océaniques claires (eaux océaniques « anciennes » et claires des régions faiblement productives, notamment aux basses latitudes); couleur de l'eau : 0 à 2 selon l'échelle de Forel; b) eaux océaniques normales (eaux océaniques de productivité moyenne aux latitudes moyennes et basses); couleur de l'eau : de 2 à 5 ; c) eaux océaniques troubles et eaux littorales claires (régions océaniques de productivité élevée, notamment lors de lafloraisondu plancton; eaux littorales tropicales, notamment au-dessus des bas-fonds); couleur de l'eau : de 5 à 8 ; d) eaux littorales normales (eaux littorales normales de productivité moyenne et eaux se trouvant au-dessus de hauts-fonds); couleur de l'eau : de 8 à 10); é) eaux littorales troubles (eaux littorales et eaux des estuaires aux périodes d'intensefloraisond u plancton, et eaux proches des côtes où d'abondants sédiments sont soulevés par les vagues); couleur de l'eau : 10. Connaissant le coefficient d'extinction des eaux et le bilan thermique (mesuré c o m m e il est indiqué plus haut), on peut calculer les pertes ou les gains de chaleur pour différentes couches. Mais les couches supérieures sont généralement bien mélangées, et les principales variations thermiques se produisent à ce niveau. La profondeur de cette couche d'eau dépend surtout de deux facteurs : le brassage par convection, lorsque le bilan thermique est négatif, et l'action des vagues. Ces facteurs sont également utilisés pour évaluer l'épaisseur de cette couche. D a n s certains cas, le mélange qui se produit sous l'action des courants peut également être important. Les transports horizontaux de chaleur par les courants doivent être évalués d'après les données relatives à ces derniers et le gradient thermique horizontal. 133 L'hydropsis : ses bases scientifiques et ses applications L'évaluation du m o u v e m e n t horizontal des limites des courants (divergences et convergences) ne peut actuellement être effectuée que par des méthodes empiriques. U n ensemble de prévisions hydroptiques doit être calculé pour une aire de 5 degrés de côté au m a x i m u m . U n e telle surface permet d'observer les variations locales des éléments à étudier; d'autre part, plusieurs calculs d'échanges thermiques doivent être faits pour une zone plus vaste. Si l'on veut prévoir les variations de température en un point donné, il convient de tenir compte des effets de l'advection thermique par les courants; pour cela, il faut déterminer les directions suivant lesquelles peut se faire l'afflux de masses d'eau dans les zones hydroptiques choisies, et évaluer séparément les échanges thermiques pour chacune des régions contiguës à partir desquelles peut se produire l'advection. Bien que la plupart des formules de prévisions soient établies pour des périodes de vingt-quatre heures, on utilisera pratiquement le plus souvent une période plus longue — de préférence, une semaine — car la mer réagit beaucoup plus lentement que l'atmosphère aux variations de température (les caractéristiques de l'atmosphère se modifient à peu près aussi vite en u n jour q u e celles des couches supérieures de l'océan en une semaine). Les calculs hydroptiques sont généralement faits pour des périodes de sept jours; par conséquent, pour établir des prévisions météorologiques à assez longue échéance (cinq jours par exemple) il faudra tenir compte des variations quotidiennes de température provoquées par l'advection dans l'atmosphère et à la surface de la mer. Les tendances saisonnières générales peuvent généralement être définies d'après les atlas météorologiques maritimes et hydrographiques; et elles peuvent servir de base à l'évaluation des tendances des éléments météorologiques ce qui dispense, dans une certaine mesure, de faire des prévisions météorologiques à longue échéance. A u cours de la période de l'hydropsis, u n nouveau calcul pourra être effectué chaque jour sur la base d'observations météorologiques quotidiennes afin de corriger la prévision hydroptique originale. D e telles corrections sont particulièrement nécessaires lorsqu'on ne dispose pas chaque semaine, dans la région de l'hydropsis, de données de stations hydrographiques o u d'autres observations de la mer. Elles permettent d'être assuré, jusqu'à u n certain point, qu'au début de la prochaine période hydroptique, les conditions prévues seront très proches des conditions réelles. Les résultats de l'hydropsis peuvent être présentés sur des cartes, transcrits en code pour en faciliter la transmission, ou rédigés en clair. Ils peuvent être formulés de façon à décrire les conditions existantes ou prévisibles dans une région d'intérêt limité, par exemple sur u n lieu de pêche. Il est possible d'indiquer la répartition des éléments et des facteurs dans une vaste zone, et assez facile d'en prédire l'évolution pour la semaine à venir. L'hydropsis peut fournir des indications précises intéressant la pêche et la navigation : prédiction des 134 Vhydropsis : ses bases scientifiques et ses applications arrivées de poisson dans les frayères; délimitation des profondeurs et des zones où certains poissons ayant une valeur commerciale devraient se trouver en grandes quantités, etc. QUEL DEGRÉ D'EXACTITUDE PEUT-ON ATTENDRE DES PRÉVISIONS HYDROPTIQUES? L'exactitude des prévisions dépend essentiellement de trois éléments : précision des formules; identification correcte des facteurs qui interviennent dans ces formules et existence des données correspondantes; précision des observations concernant les variations des facteurs météorologiques. Dans la plupart des cas, les formules et les rapports existants, ou pouvant être établis, sont suffisamment précis (de l'ordre de ± 10 %). L a valeur des facteurs météorologiques (direction et vitesse d u vent, humidité, etc.) est mal connue dans la plupart des régions. Les valeurs devront donc, au début, être représentées par des moyennes mensuelles, complétées à l'aide de quelques observations. Le n o m b r e des points d'observation pourra être multiplié si les navires-laboratoires opérant sur les lieux de pêche et les bateaux de pêche effectuent des observations et en transmettent les résultats par télécommunication. E n outre, des progrès rapides sont réalisés dans la fabrication de bouées qui enregistrent et transmettent automatiquement des observations; de telles bouées pourraient être mouillées à des emplacements clefs (par exemple, sur la trajectoire des courants et aux limites des courants, etc.) où les variations des conditions météorologiques et océanographiques exercent une influence déterminante sur l'évolution de la situation dans d'autres régions. Le troisième élément — observation précise des variations des conditions météorologiques — est étroitement lié à l'amélioration des prévisions météorologiques lointaines. Cette amélioration dépend elle-même, pour une large part, des possibilités de coopération entre les services de prévision océanographique et de prévision météorologique. AVENIR DE LA PRÉVISION OCÉANOGRAPHIQUE L a recherche fondamentale nous a déjà permis de comprendre, dans une certaine mesure, les processus d'interaction des facteurs naturels, et l'on peut s'attendre à de nouveaux progrès dans ce domaine. Lorsque la prévision océanographique sera effectivement pratiquée à l'échelle internationale, d'autres questions se poseront à la science pure, dont l'importance sera d'autant mieux reconnue. Actuellement, la prévision océanographique n'est pratiquée que dans une mesure limitée, par quelques pays maritimes. Depuis quelques années, on se rend compte de la nécessité d'une collaboration internationale dans ce domaine, et des mesures ont été prises par certaines organisations internatio- 135 L'hydropsis : ses bases scientifiques et ses applications nales — c o m m e la commission de la météorologie maritime de l'Organisation météorologique mondiale, et le comité hydrographique du Conseil international pour l'exploration de la mer — en vue d'instaurer une telle collaboration. Les progrès seront nécessairement lents au début, et, de toute évidence, seuls retiendront l'attention les aspects les moins coûteux et économiquement les plus rentables de la prévision. Il est normal que les instituts de météorologie, d'océanographie, de biologie marine et de navigation collaborent étroitement à la réalisation de programmes internationaux de ce genre, et les services océanographiques doivent être organisés sous une forme analogue à celle des services météorologiques actuels. Il est permis de penser que la mise au point d'instruments et d'appareils d'analyse spéciaux — notamment de bouées à enregistrement et à signalisation automatiques — accélérera considérablement les progrès dans ce domaine. 136 IMPORTANCE DE LA CONNAISSANCE DU RELIEF SOUS-MARIN POUR LES OUVRAGES EN PRISE A LA MER par A. G. de ROUVILLE A . G . de Rouville est inspecteur général des ponts et chaussées e.r., directeur honoraire des phares et balises. Il est professeur honoraire à VÉcole nationale des ponts et chaussées (cours de travaux maritimes) et membre et ancien président de VAcadémie de marine. Q u a n d l'Unesco nous a demandé, en juillet 1959, un article faisant ressortir l'influence de la m e r sur la société, nous n'avons surmonté notre embarras qu'en lui proposant de modifier son point de vue et d'accepter u n sujet plus terre à terre (si l'on peut dire), que résume le titre ci-dessus. Il s'agit là d ' u n aspect de la lutte que m è n e l ' h o m m e pour défendre ses rivages et ses lieux d'échange contre la violence destructrice des océans, ces parties les moins stables du globe, si bénéfiques, par ailleurs, pour la santé des masses humaines qui viennent sur leurs bords se retremper dans leur milieu originel et si précieuses, d'autre part, pour les transports économiques. Longtemps, o n a exposé des digues ou des défenses de rives à l'assaut des vagues avec u n empirisme désinvolte, sans procéder à des calculs de résistance, d'ailleurs plus o u moins vains, il faut bien l'avouer, dans l'état des connaissances hydrauliques des siècles passés. L'imitation des types d'ouvrages ayant tenu dans certaines situations ou l'extrapolation à partir de ces types suffisait, et ces méthodes empiriques ne doivent pas aujourd'hui être systématiquement rejetées, en une matière où leflairet le coup d'oeil de l'ingénieur sont encore des valeurs appréciables. Mais on enregistrait quelques accidents dont o n ne comprenait pas exactement la cause, et l'on recommençait sur des bases renforcées. N o u s ne faisions pas mieux au Service des phares et balises : si les grandes tours en mer n'ont jamais donné lieu à des catastrophes parce que leur solidité était calculée très largement pour répondre à leur objet — supporter de gros appareils gardés à vue — il n'en a pas été de m ê m e des tourelles-balises, plus modestes, construites avec u n plus grand souci d'économie, et qui, fichées au bord des plateaux rocheux, en prise aux lames de plein fouet, n'ont parfois acquis une bonne stabilité qu'après trois ou quatre échecs et au prix de renforcements successifs. Si nous en venons à l'époque moderne, nous n'avons pas à remonter très 137 Le relief sous-marin et les ouvrages en prise à la mer haut dans le temps; en effet nous pouvons considérer que lafloraisonde publications sur la houle et son action dynamique n'est guère antérieure à la seconde guerre mondiale, abstraction faite de quelques précurseurs toujours en avance sur leur temps et comparables aux lames sourdes qui précèdent les grosses tempêtes. Mais cette bibliographie excéderait sans doute à elle seule l'étendue impartie à notre article, les auteurs et les lecteurs de ces lignes nous excuseront donc de n'y faire que de brèves allusions et de courts emprunts. U n e o u deux communications sur la mathématique de la houle, de son action sur les côtes et les ports, ont suffi à en déclencher u n grand nombre d'autres qui les ont plus souvent complétées que contredites. Ces productions ont rencontré des sceptiques c o m m e tout apport nouveau qui dérange les idées reçues, voire l'absence d'idées, en tout cas, les habitudes de ceux qui, pour rédiger leurs ouvrages, ne faisaient appel qu'à leur sens naturel de la mer. C e dévoiement mathématique a c o m m e n c é sans doute avec les théories sur la réflexion des ondes quasi pures devant des ouvrages verticaux qui résistaient mieux, c'est-à-dire avec peu d'avaries mineures, et moyennant un moindre volume, ou un moindre prix, par grandes profondeurs. Et il faudrait se reporter aux théories successives sur le clapotis total ou partiel de Bénézit, Sainflou, Lira, C o e n Cagli, Iribarren, illustres ingénieurs du x x e siècle. Calculer des digues verticales, leur accoler sur le papier une épure de polygone des forces, a paru peu à peu admissible, mais on réservait tout l'empirisme aux ouvrages en talus où la mer brise et perd son énergie dans des conditions qui échappent au calcul. Plus récemment, au Congrès de navigation de R o m e (1953), on a introduit discrètement ( M M . Iribarren et Larras notamment) u n peu d'appareil mathématique dans la préparation de ces derniers ouvrages en formulant les conditions d'équilibre d'un bloc soumis à son poids, d'une part, à l'assaut de la mer sur sa surface, de l'autre; et cette petite innovation a quelque peu déconcerté les empiristes. L'influence de l'inclinaison des talus sur la résistance de tels ouvrages, la densité des blocs ont été, à cette occasion, fort heureusement mises en lumière, de m ê m e que dans l'énergie des vagues intervient non seulement leur amplitude (ou leur creux), mais aussi leur longueur d'onde, qui les fait déferler plus ou moins vite quand elles « sentent le fond », ce qui amène une distinction dans les formules hydrauliques selon qu'on est au large ou sur une ligne de profondeur égale à la demi-longueur d'onde. N o u s plaçant d'abord dans le cas idéal où les lignes bathymétriques (ou d'égale profondeur) sont, jusqu'au rivage, parallèles entre elles et à l'ouvrage attaqué, nous voyons les vagues assaillir ce dernier synchroniquement sur tout son développement, ce qui est une circonstance très défavorable, car ses différentes parties font corps dans une certaine mesure et résistent mieux 138 Le relief sous-marin et les ouvrages en prise à la mer si elles sont heurtées successivement avec u n léger décalage, rappelant en cela, si l'on peut dire, le combat des Horaces et des Curiaces. C'est alors qu'une bonne inclinaison des plans d'aval de l'ouvrage, adaptée à l'effort des lames et se prolongeant au-dessous du niveau de forte atteinte des déferlements, qu'une bonne imbrication des éléments de surface, en m ê m e temps qu'un pouvoir d'absorption d'une partie de l'énergie par les anfractuosités d u massif de blocs concourront à la résistance de l'ensemble d'une digue à talus. Depuis quelques années, on use de l'un ou l'autre des artifices ci-après pour améliorer cette imbrication. O n a constaté que des blocs de béton dits « tétrapodes », à quatre larges têtes divergentes partant d'un m ê m e s o m m e t , se séparent et s'échappent moins aisément d'un talus que des blocs ordinaires et surtout que des blocs parallélépipédiques arrimés; ce qui permet, toutes choses égales d'ailleurs, de ne pas exagérer le poids des blocs à manutentionner ( m a x i m u m : 50 tonnes) et de raidir u n peu l'une des faces (celle d'aval) de l'ouvrage, réalisant ainsi un gain en volume. O n projette u n agglomérat de sable et bitume dans les vides d u talus, d'où collage des éléments et adhérence malgré les mouvements de tassement et de roulement. Le prix de premier établissement est sensiblement augmenté, mais on perd moins de matériaux par la suite. Bien entendu, sur une digue de protection à parement vertical, c'est la profondeur à laquelle peut plonger ce parement dans l'eau à son niveau le plus bas (deux fois au moins le creux des plus grandes lames) qui constitue le facteur essentiel de sa résistance; en effet, si cette profondeur est suffisante il y a vraiment réflexion ou formation de clapotis et n o n déferlement partiel, c o m m e dans certains ouvrages en eaux moyennement dures où la superstructure seule, jusqu'aux environs du niveau des basses mers, est à peu près verticale. L a prévention des affouillements au pied d u massif inférieur de répartition en enrochements est également à considérer; elle est obtenue naturellement sur fonds rocheux; sur les autres, elles peut l'être par plateaux de fascinages ou tapis de pierrailles. Les dispositions recommandées pour les digues à talus sont partiellement applicables aux défenses longitudinales, dont u n rivage consistant en plages balnéaires, ou un front de m e r d'agglomération, doivent malheureusement être pourvus à grands frais lorsque la mer les attaque presque de bout et qu'aucun transport appréciable de matériaux pulvérulents ne permet d'espérer protéger le cordon littoral par des chambres d'épis et de les remplir de ces matériaux. La pente de ces ouvrages de défense doit être adaptée, c o m m e celle d'une digue en talus, à la puissance de la mer; elle devrait être comprise entre 3 et 6 (aux Pays-Bas) de base pour 1 de hauteur; mais, c o m m e ils sont généralement appliqués sur un noyau en matériaux meubles et affouillables (sable de dune), il y aurait danger à laisser la vague pénétrer jusqu'à lui; il faut donc rendre 139 Le relief sous-marin et les ouvrages en prise à la mer le parement aussi étanche que possible ou le superposer à des lits successifs de pierraille de dimension décroissante vers la terre; il est m ê m e de bonne précaution, quand on le peut, d'intercaler, outre un lit de déchets de carrière, une couche d'argile ou de paille; mais, pour être étanche, le parement doit pouvoir résister longtemps à l'action mécanique et erosive de la mer et des matériaux qu'elle projette (sable, voire galets). D ' o ù dans de tels parements le bon effet de l'incorporation à des dalles de béton, de galets durs o u d'un hérisson en fûts de balsate (aux Pays-Bas, ceux-ci viennent de l'Eifel allemand) o u d e piquets fichés, briseurs de houle. Mais ces parements, souhaités étanches et en quelque sorte cémentés, devraient cependant suivre les mouvements inévitables d'une construction apposée sur o u contre des couches meubles et mouvantes, sous la triple action du vent, des vagues et des courants; les grands dallages en béton armé sont, à cet égard, néfastes; ils périssent vite parfissurationet dissociation; ils alimentent l'arsenal de projectiles de la mer. Il vaut mieux de plus petits éléments, moellons naturels ou parallélépipèdes de béton, blocs de basalte (Pays-Bas) ou autres matériaux denses tels que l'ophite (près des Pyrénées), au besoin rejointoyés, n o n au ciment — les lits casseraient sans espoir de recollage — mais au bitume, que certaines entreprises savent maintenant bien doser et appliquer à chaud. Bien entendu, il faut veiller à ce que le pied de tels talus soit protégé aussi longtemps que possible contre les affouillements, en m ê m e temps que leur faible pente doit éviter d'en produire qui abaisseraient ou ruineraient la plage dont la protection était précisément escomptée, grâce à cette intervention humaine. O n réduira au besoin encore la pente de ce revêtement à la base en le faisant pénétrer dans le sol de la plage, on en garnira encore le pied de quelques enrochements, en évitant tout ce qui pourrait offrir à la vague une cause supplémentaire d'affouillement par réflexion sur une surface verticale mise à n u contre toute attente. Il sera prudent, en tout cas, de ne pas risquer d'exposer des digues verticales, nous ne disons pas en d'assez bonnes profondeurs (15 à 30 mètres) puisque c'est la condition de leur travail en réflexion, mais trop près de fonds beaucoup plus considérables qui amèneraient les grosses et longues lames d u large à heurter de front ces parois relativement minces simplement posées sur leur soubassement sous-marin. O n voit quelle connaissance de l'abaissement plus ou moins rapide des fonds marins doit posséder l'ingénieur, car la déclivité de ce talus au large est la mesure de la violence de l'action de la mer sur des ouvrages de protection ou de défense. O n s'étonnera moins aujourd'hui des formidables coups de poing assénés sur telle digue quand on aura constaté au préalable et parfois, 140 Le relief sous-marin et les ouvrages en prise à la mer aujourd'hui encore, a posteriori, la présence d'une remontée brusque des fonds à peu de distance en avant d u port à protéger. O n s'est longtemps contenté de sondages autour de l'emplacement des digues, et l'on devait se réjouir, d'un certain point de vue, de la proximité des grands fonds qui assure u n heureux accès, sans dragages appréciables, aux plus grands navires, alors que l'ingénieur chargé ensuite de l'entretien de telles digues pourra apprécier différemment une telle situation. O n s'étonnera également moins de la facile résistance et de la faible constitution de tels autres ouvrages également en prise à la mer dans des conditions apparentes semblables; c'est qu'un large plateau sous-marin à faible profondeur aura usé les vagues en en réduisant la longueur et la hauteur (Ymuiden). Mais il se peut, paradoxalement, que par sa présence, il gonfle les mers de vent et m ê m e la marée, selon l'échelle, et envoie donc des ondes grossies sur les ouvrages côtiers en certaines circonstances ou certains concours de circonstances (ce fut le cas en mer du N o r d en février 1953), la tranche d'eau pouvant agir se trouvant démesurément épaissie. Q u a n d les lignes bathymétriques demeurent, jusqu'à proximité du rivage, nettement obliques à la ligne de côte, et que, par conséquent, les crêtes de vagues demeurent longtemps obliques à celle-ci, quand, par suite, la direction de l'attaque marine forme avec une défense longitudinale u n angle notable, le problème de résistance est u n peu plus facile à résoudre, car cette obliquité m ê m e est un gage de la réduction de la poussée, les parties de l'ouvrage s'épaulant un peu mieux entre elles; en outre, elles ont des chances de recevoir sur l'estran des matériaux meubles en transit si la mer peut en arracher au fond, et u n système d'épis peut être garni en ses chambres par lesdits matériaux formant un matelas protecteur. L a m ê m e chance ne peut favoriser une digue portuaire de protection qui serait par hypothèse oblique à l'attaque des lames (ce qui n'est d'ailleurs pas, en principe, le tracé le plus ménager d u volume d'ouvrage puisqu'il faut l'allonger en proportion de l'angle d'attaque pour obtenir la m ê m e surface protégée) ; car le bouillonnement qui se constate au pied du talus de la digue n'est guère propre à laisser u n dépôt de sable s'y former (à l'exception du petit port du Cros-de-Cagnes dans le Var par suite de la surabondance des galets charriés). Néanmoins il y a une certaine atténuation dans l'agression d'une mer oblique sur une digue. Celle-ci doit toutefois être prévue pour une attaque frontale qui peut correspondre, ou non, au m a x i m u m de violence de la mer, selon la pointe du diagramme des vents o u la distance sur laquelle ils ont soufflé ou peuvent souffler (fetch). Seul l'examen des lignes de niveau sous-marines, combiné avec celui des roses de vent et de houle, peut guider l'ingénieur dans la prévision des chances d'attaque frontale ou oblique des lames et de leur m a x i m u m d'agressivité. 141 s Le relief sous-marin et les ouvrages en prise à la mer Ces notions sont connues depuis assez longtemps déjà. Plus récente est la connaissance des concentrations o u des atténuations des forces agressives c o m m e conséquence de la disposition en plan des lignes bathymétriques. Abordant cette dernière notion par son petit côté, nous citerons une expérience personnelle de faible portée qui nous avait frappé sur la plage de Berck (Pas-de-Calais) où nous recherchions le mécanisme de la formation des rides, fort variées en ce point : à haute mer, la lame attaquait frontalement la ligne de côte, sauf en u n court secteur intercalé o ù elle atteignait obliquement et plus fortement; l'explication s'offrait d'elle-même à basse mer o ù les premiers bancs littoraux, découvrant à peine, laissaient voir u n hiatus dans leur ligne, et c'est par cette passe u n peu plus profonde que la m e r oblique, redressée par réfraction sur les bancs voisins, arrivait de plein fouet en conservant à peu près sa direction. Depuis, de nombreuses reconnaissances ont été effectuées avec des moyens puissants, avec tout l'appareil théorique et m ê m e mathématique q u ' o n a p u y appliquer. Q u a n d les lignes d'égale profondeur d u plafond sous-marin près des côtes ne sont pas régulièrement espacées ni sensiblement parallèles, une partie des crêtes de lames se trouvent ralenties dans les fonds les plus faibles; elles se courbent, se réfractent en changeant légèrement de direction par rapport aux parties se propageant en eaux plus profondes; o n peut dire que la lame « sent le fond » plus o u moins vite selon la cote négative de celui-ci. D ' u n e manière générale, elle tend à épouser les lignes de niveau par rapport auxquelles le hasard des directions d u vent l'avaient orientée d'une façon indépendante tant qu'elles n'étaient pas sensibles par son pied. Et alors, on obtient u n « plan de vagues » selon l'heureuse formule d u célèbre ingénieur espagnol M . R a m ó n Iribarren Cavanilles, qui en a donné les détails pratiques de construction. Sur ce plan, on peut dessiner quelques trajectoires, courbes o u droites, toujours normales en chacun de leurs points aux crêtes de lames déformées par les réfractions successives. O n peut admettre en première approximation que les vagues ne se réfléchissent guère sur des fonds naturels peu inclinés en général et qu'aucune énergie ne franchit ces orthogonales. L'image devient alors très parlante à l'œil et à l'esprit, car on voit littéralement les orthogonales se rapprocher vers les caps o u les seuils sous-marins et s'espacer dans les baies et les vallées sous-marines (voir plans p . 156-157). C'est en m ê m e temps la mesure de l'énergie que la mer transmet à la terre, énergie dont on peut trouver la formule, conditionnée notamment par la réfraction, énergie dont la répartition correspond bien à l'idée que s'en fait le modeste observateur de la mer o u celui qui pratique la navigation la plus primitive, puisque c'est aux caps que l'agitation est la plus vive et parfois la plus désordonnée du fait de la rencontre de deux trains d'énergie convergents, aux 142 Le relief sous-marin et les ouvrages en prise à la mer caps également que l'érosion de la terre est la plus rapide, ne respectant la conservation de ces saillants que grâce à la dureté des roches constituantes ou à la conjonction des apports meubles. C'est dans les baies où les orthogonales s'épanouissent qu'on trouve d'abord un calme relatif pour le mouillage des navires, et que les ouvrages, d'autre part, sont plus faiblement battus et exposés, au moins dans certains gisements. Q u a n d ces concentrations d'orthogonales traversent une défense foraine ou rencontrent une défense littorale, c'est alors que les lames les frappent dur. Il faudrait d'ailleurs multiplier ces plans de vagues pour les diverses directions de lames les plus courantes ou pour diverses périodes de houle, car on trouverait des dispositions des crêtes assez différentes. Mais le phénomène de la réfraction rapprochant ces crêtes des lignes de niveau pratiquement immuables, les diverses origines des lames tendent à les aligner et à former les « longues crêtes » qui se coupent ensuite plus près d u rivage1. L'énergie moyenne transmise à travers l'unité de longueur d'une crête pendant une période est proportionnelle au carré de l'amplitude locale de la houle et à la vitesse locale d u groupe de vagues, elle-même fonction du rapport de la profondeur à la longueur d'onde de la houle. Par ailleurs, une houle abordant obliquement une côte — ce qui suppose des fonds assez accores à son voisinage puisqu'elle ne s'est pas encore alignée — et n'ayant pas de plateau suffisant pour s'aligner sur les lignes de niveau, o u une houle contournant u n abri relatif de la côte, donne lieu à des courants littoraux par différence entre l'action de cette houle dans sa partie la plus active et son action atténuée. D'autres phénomènes peuvent encore être analysés en liaison avec la configuration o u la nature des fonds sous-marins. L'origine des seiches, ces palpitations lentes des plans d'eau portuaires o u des rades assez fermées, qui sont fort gênantes pour les amarrages des navires et leurs opérations de manutention, est restée longtemps mystérieuse. Mais, depuis qu'on étudie u n peu plus systématiquement le problème, notamment en modèle réduit, o n diagnostique que certaines seiches sont dues à des interférences de houles se réfléchissant partiellement sur les côtes encadrant les baies ou adjacentes aux ports, si d'autres, qui ne nous intéressent pas ici, proviennent d u déferlement périodique de trains de houles sur des plages voisines. A u premier type semblent appartenir les seiches de Tamatave (Madagascar), Table Bay (port du C a p ) ; au second, celles d'Alger. Néanmoins, il faut toujours analyser de près les diverses ondes composant 1. D'après une description de M . Lacombe, ingénieur hydrographe en chef, dans Y Annuaire du Bureau des longitudes de 1959. p. 526. 143 Le relief sous-marin et les ouvrages en prise à la mer une houle résultante, parce que de leurs interférences peuvent résulter des « trains » plus ou moins régulièrement périodiques : si ces ondes ou leurs trains correspondent directement ou par multiples à la période propre de l'oscillation d'une masse d'eau enfermée dans un bassin, ils peuvent y déterminer des seiches perturbatrices. L a plupart des problèmes qui se posent de ce fait dans les ports du m o n d e ne sont pas encore assez approfondis pour qu'on puisse préciser les relations de cause à effet esquissées ci-dessus et concernant exactement notre sujet. Le Comité des efforts dus aux lames, de l'Association internationale des congrès de navigation, a inscrit ce phénomène dans son programme de travail. Les mouvements des matériaux de fond aux abords des côtes et des ports sont, parmi les phénomènes océanographiques, l'un des plus importants pour les ingénieurs maritimes. Nous ne nous étendrons cependant sur leur processus que dans la mesure où il résulte plus ou moins de la configuration des fonds. Quand les grandes profondeurs s'approchent beaucoup du rivage, entraînant une mer très dure à son assaut, il doit y avoir relativement peu de matériaux en mouvement le long des plages, car il faut u n plateau sous-marin à bonne profondeur pour leur servir de véhicule o u de plate-forme. Nous rappellerons pour mémoire que les vagues obliques à une plage y font translater le sable ou les galets par u n mouvement en dents de scie o ù le lancer de l'onde se compose avec la pesanteur tendant à ramener vers le large ce qui vient d'être projeté, le tout pouvant être combiné avec un léger courant longitudinal qui entraîne dans son sens les matériaux en suspension ou en mouvement et en accentue ou en réduit les déplacements selon les cas. Les grands mouvements de sable se produisent surtout au-dessous des laisses de basse-mer, quand les lames sont assez fortes pour eroder sensiblement les fonds qu'elles atteignent. U n e action éolienne peut s'ajouter à ces actions purement marines sur les dunes bien entendu, mais aussi sur les hautes plages o ù le sable reste sec o u s'assèche rapidement. Tout cet ensemble se traduit par u n garnissage unilatéral, ou bilatéral, à des niveaux quelquefois différents, des chambres d'épis et leur vaut, là o ù l ' h o m m e en a établi pour défendre une plage, des effets parfois un peu incohérents en apparence. Sur les 200 à 250 points des seules côtes françaises qui constituent des « cas » hydrographiques, on en trouverait un nombre à peu près égal qui relèvent d'une ou de plusieurs des préoccupations dont traite cet article. Signalons notamment : l'influence d u voisinage des grandes profondeurs pour les ports et les côtes menacés; l'action de la mer sur les fonds meubles par d'assez grandes profondeurs; les mouvements de bancs parallèles au rivage et leur influence sur les courants et sur les ports qu'ils abritent; l'observation des points sensibles dans ces lignes de bancs; les dispositions locales influençant les courants o u 144 Le relief sous-marin et les ouvrages en prise à la mer contre-courants de baies; l'action combinée d u courant et des lames sur l'entretien d'un chenal; les conditions de pénétration des lames au fond des golfes; le contournement des lames par les pointes; l'action d'une pointe sur les courants; l'érosion habituelle des caps o u , exceptionnellement, leur engraissement; le phénomène connexe des flèches, celui des graus; l'importance d'une roche ou d'un banc isolé aux abords d'un port ou d'un chenal, ou pour la réduction d'une érosion littorale; l'action d'un ouvrage d'accostage continu sur les conditions de l'entrée d u port ou de l'avant-port; le problème des estuaires et surtout des deltas; l'action des lames sur les barres ou les bancs d'estuaires; la formation de ces obstacles; l'orientation d'un ouvrage de protection de port ou d'une passe et d'une entrée par rapport aux lames, aux courants et aux vents; l'action d'un brise-lames de protection isolé; la couverture d'un port ou d'un havre par des bancs littoraux; la pénétration de la houle dans les ports, les réflexions, les interférences et les effets de seiche, avec les divers moyens de les réduire; plages naturelles ou artificielles, saillants plus ou moins lointains, orientation des ouvrages de protection, dispositions des ouvrages intérieurs; la pénétration lente o u massive des sables ou galets dans une enceinte protégée; l'influence à cet égard du voisinage d'un fleuve à fort charriage, de courants littoraux; en sens inverse, l'utilisation d'un débouchéfluvialpour le curage ou l'entretien d'un exutoire de port; les afflux vaseux ou les formations de vases instantanées en certains havres ou dans de grands estuaires ; les affouillements de plage en rapport avec la construction d'ouvrages trop accores élongés parallèlement à la côte, et maints autres phénomènes d'érosion de côtes, à titre de démonstration de l'action réciproque des œuvres humaines et des œuvres de la nature. Outre les nombreux exemples de ce dernier risque qu'offre le littoral français, M . F . A . Allen, directeur de la station de recherches hydrauliques de Wallingford, nous en signale un à Wallasey (Cheshire), o ù le m u r du boulevard maritime Kin's Parade a provoqué un abaissement de la plage, parce qu'il empiétait sur la laisse des hautes mers. C'est le m o m e n t d'illustrer à l'aide de quelques autres exemples certains des « cas » énumérés ci-dessus; c'est aussi celui de remercier certains de nos collègues du Comité des efforts dus aux lames et des seiches qui travaillent avec nous sous l'égide de l'Association internationale des congrès de navigation; ils nous ont fourni de précieux éléments J . Le grand problème de la conservation des entrées de ports ou m ê m e des avant-ports et des passes a donné lieu à une littérature abondante et peut être illustré à l'aide de nombreux exemples. O n en compterait une centaine rien qu'en France et dans la C o m m u n a u t é . O n nous en signalait un dernièrement qui montre avec quelle attention 1. Signalons que les travaux de ce comité paraissent périodiquement dans le bulletin semestriel de l'association précitée. 60, rue Juste-Lipse à Bruxelles. 145 Le relief sous-marin et les ouvrages en prise à la mer il faudrait suivre l'évolution des fonds mobiles près d'un port : Dunkerque est en équilibre d u point de vue des apports, malgré Tassez bon abri que lui procurent, contre les vents du nord et de l'ouest, six lignes de bancs parallèles entrecoupés de passes; les vents d'est ou de nord-est enfilent davantage sa rade, créant dans son avant-port partiellement à claire-voie une agitation salutaire pour le maintien en suspension des vases soulevées. Les courants de marée alternent tout naturellement dans cette rade élongée aux deux passes extrêmes. S'il survenait quelque changement dans les ouvertures des lignes de bancs, ce pourrait être une cause de perturbations dans les directions de courants et des occasions d'atterrissements accolés au rivage, qui modifieraient sérieusement les conditions d'accès en fonction desquelles ont été tracés les ouvrages de protection actuels. Heureusement, les bancs des Ridens de la m e r du N o r d sont plus stables que leur constitution et leur origine ne le feraient craindre. Port-Maria de Quiberon, sur la face sud de la presqu'île du m ê m e n o m (Morbihan), est un petit centre de pêche, de caractère local, mais actif; il était très agité et sa passe était parfois infranchissable, surtout à certains états de marée. Il comportait d'ailleurs deux passes, circonstance parfois favorable pour l'écoulement de l'agitation. Mais, en l'occurrence, après des essais très m i n u tieux sur modèle réduit, on a tout de suite reconnu la nécessité, à titre de première mesure d'amélioration, de fermer l'une d'elles, la plus étroite, dite passe d u sud. Les combinaisons d'agitations qui désolent ce havre proviennent, non seulement d'une mer de l'ouest assez forte que n'atténue pratiquement pas la pointe sud-ouest de la presqu'île, mais aussi d u fait que la digue principale, isolée entre les deux passes, avait été établie tout naturellement par esprit d'économie sur u n plateau sous-marin élongé dans une position convenable; les crêtes de lames se succédant d'abord presque perpendiculairement à cet ouvrage dévient jusqu'à épouser presque exactement les courbes de niveau du plateau en question, puis le contournent avec l'extrémité de la digue et se retournent à l'intérieur jusqu'à lui redevenir presque perpendiculaires. Elles interfèrent alors avec celles qui sont entrées par la passe sud. Les deux systèmes s'affrontent et se superposent par endroits donnant lieu à un clapotis, tandis qu'ailleurs les crêtes résiduelles vont jouer au billard sur les diverses faces du port, de ses différents autres ouvrages et de la côte rocheuse; cela, concurremment avec un banc de sable tendant à s'accumuler vers le centre et à contribuer aux brisants, rend le port difficile d'accès et peu propice aux mouillages. D'autre part, les orthogonales des crêtes de lames révéleraient une concentration d'énergie sur une notable partie de la digue du large, ce qui explique les nombreuses avaries dont elle a souffert. E n dehors de la fermeture de la passe sud, d'autres remèdes ont été conseillés, tels que le prolongement de la digue d u large, plus ou moins coudé, la cons- 146 Le relief sous-marin et les ouvrages en prise à la mer truction d'un nouveau môle assez long vers l'est. Mais cela déborde notre propos qui était surtout de faire ressortir l'influence des formes de courbes de niveau aux abords d'un port et l'intérêt d'études sur modèle qui permettraient de bien préciser le processus des interférences de lames. La fosse du Cap-Breton, célèbre dans la littérature hydrographique, est marquée, à 9 milles au nord de l'embouchure de l'Adour (Basses-Pyrénées), par une pénétration des lignes de fond depuis celle d'un millier de mètres jusqu'à celle des 50 mètres qui est déviée de 3 milles environ au point de pénétrer, à 600 mètres du rivage, sous une largeur de canyon de 900 mètres environ. Les orthogonales des crêtes de houle s'écartent alors de part et d'autre de l'axe de la fosse où elles maintiennent u n calme incroyable au milieu du bouillonnement de la côte d'Argent, tandis qu'elles se concentrent de part et d'autre, surtout au nord où elles ne rencontrent qu'une côte de dunes, naguère inhabitée. La côte française de la Méditerranée présente des singularités remarquables et d'ailleurs différentes de part et d'autre d u méridien de Toulon : A l'ouest, jusqu'à Port-Vendres, le professeur Bourcart a tracé les formes d'un assez grand nombre (dix-sept, sauf erreur) de canyons très creux et très étroits qui conduiraient les lames dans leurs prolongements sur les côtes o u leurs ouvrages de protection, au grand d a m de ces derniers, si ces gorges sous-marines ne s'arrêtaient pas à peu près le long de la courbe des fonds de 100 mètres. Mais il peut exister des situations analogues et plus directement m e n a çantes en d'autres points d u globe. D a n s la baie des Anges ou de Nice, les études faites pour la protection de la promenade des Anglais ou le débouché des égouts ont montré que certains points de la conque étaient plus attaqués que d'autres; l'examen des formes des lignes bathymétriques, avec leurs saillants et rentrants, du côté du Carras, à l'enracinement est de l'aéroport de Nice—Côte d'Azur, l'expliquerait à défaut d'observation directe. Le wharf de Port-Bouet, aujourd'hui abandonné immédiatement à l'est du fameux Trou sans fond et du nouveau port d'Abidjan, avait la réputation d'être u n peu plus agité en ses abords que les points précités et que la côte d u golfe de Guinée s'allongeant dans l'est, où elle comporte d'ailleurs d'autres wharfs. O n peut expliquer ce phénomène par le fait que la forme des courbes épousant dans le nord-est le Trou sans fond doit diriger des lames renforcées et redressées plus près de la perpendiculaire de la côte, sur cet ancien ouvrage. La connaissance de cette forme et de ses conséquences aurait pu déterminer un recul du wharf vers l'est si d'autres considérations n'avaient dû intervenir. O n pourrait encore citer, en France o u en Afrique d u Nord, de nombreux exemples de l'action de la forme des fonds d u large sur u n rivage ou l'entrée d'un port, notamment : à Grandcamp (Calvados, baie des Veys), protégé par 147 Le relief sous-marin et les ouvrages en prise à la mer son accore briseur de lames; à l'île de Groix, abritant l'entrée de Lorient et lui évitant une barre; à Sfax (Tunisie), ouvert au large où veille la vaste étendue herbue des îles Kerkenna; à Porto-Vecchio (Corse), dont le golfe se trouve mieux abrité par u n resserrement et des formes contournées que les golfes similaires d'Ajaccio, de Valinco ou de Saint-Florent; à Port-Vendres, à Calvi (Corse), à Saint-Jean-de-Luz o ù les grandes profondeurs, des bancs trop immergés, ne suffisent pas à arrêter la pénétration ou l'assaut de la mer vers les constructions à terre; à Djidjelli (Algérie), à Mazagran (Maroc), où une double avancée formant équerre ou un épanouissement des petits fonds au large suffisent à accentuer la destruction des brisants ou à les détourner. D ' u n e manière générale, une avancée naturelle, associée à une plage très douce où se brise la houle au-delà de l'entrée d'un port, constituent un ensemble de circonstances fondamentales très propices à l'établissement d'un port dont elles réduisent le prix de revient et auquel elles peuvent en outre éviter un effet de seiche. Il nous a été signalé qu'à L a Havane, la baie et son port, séparés du large par u n étranglement bordé d ' u n chapelet de plages, étaient assez calmes en dépit de vents soufflant du nord-ouest au nord-est ; mais on a voulu substituer à ces plages, faisant évidemment fonction de brise-lames amortisseurs en cascade, un boulevard présentant un simple m u r de défense qui a remplacé les plages bénéfiques par un plan réfléchissant; celui-ci a admirablement transmis depuis une trentaine d'années l'agitation causée principalement par les forts vents de nord-ouest. Mouillage et opérations portuaires s'en trouvent compliqués ; et la plage, c o m m e on aurait dû le prévoir, s'est affaissée. A Eyemouth, en Ecosse, ce sont les faibles profondeurs au large d u briselames qui réduisent de 20 à 14 pieds les vagues du large jusqu'au m o m e n t où elles viennent briser1. U n e étude portugaise, parue dans la revue Tecnica de juin 1958 (p. 643) sous la plume de M . M . Fernando Vasco Costa et Jose Fuiza Perestrello, suggère de placer au fond de la mer, par exemple devant l'entrée d'un port qu'on veut protéger de l'assaut de lames trop fortes, u n ouvrage immergé, mais fortement vaillant, o u a u contraire une fosse de dragage qui couperaient le pied des lames ou modifieraient leur amplitude, ou qui, par un effet d'obliquité et de réfraction, dirigeraient celles-ci en dehors de la zone des accès. Cette idée ingénieuse implique, d'une part, qu'on dispose d'un grand excès de profondeurs au large d'une entrée, ce qui n'est pas toujours le cas, qu'une saillie laissant u n tirant d'eau suffisant aux navires exposés à talonner sur le fond dans l'agitation du large (par exemple 12 à 14 mètres pour un grand port) agirait d'une façon appréciable sur l'amplitude du mouvement rythmé, enfin que la dépense correspondante ne serait pas prohibitive. O n sait en effet, par les études de M . Iribarren (Espagne), qu'il a obtenu à 1. W . i. Reid. « Eyemouth Harbour, a tidal model investigation », Bulletin n° 48 de l ' A I P C N ; signalé par M . F . A . Allen, directeur de la station de recherches hydrauliques de Walltngford, Berks. 148 Le relief sous-marin et les ouvrages en prise à la mer bon compte d'intéressantes atténuations de l'agitation et surtout du ressac périodique dans certains petits ports du Guipúzcoa en en creusant certaines zones, ce qui modifiait la période propre d'oscillation de la caisse de résonance des mouvements du large qu'ils constituaient. Il ne faut donc pas sous-estimer la valeur d'une telle idée. Toutefois, ce qui peut agir pour un havre de faible profondeur, surtout quand il s'agit de creuser et non d'élever un obstacle, est moins certain sur le parcours de grands navires. Si ce sont les grandes profondeurs qui transmettent bien les grandes longueurs d'onde, il semble que la plus grande fraction de l'énergie qu'elles transportent se localise près de la surface. Couper le pied des lames sur une épaisseur de 10 mètres par fonds de 20 mètres, par exemple, risquera de maintenir encore une notable part de la violence des lames en amont d'un tel obstacle, à en juger du moins par deux exemples d'origine empirique ( M . Miche ou le Laboratoire dauphinois d'hydraulique, alias S O G R E A H ) , exemples qui gagneraient à être confirmés par des expériences sur modèle et par des calculs théoriques : A Mers el-Kébir (près d'Oran), on avait songé par souci d'économie à constituer l'un des ouvrages de protection (celui de l'est) en forme de massif sous-marin. Mais en remontant progressivement, en modèle réduit, la saillie artificielle sur le fond, on a constaté à regret qu'une réduction de deux tiers de la profondeur (20 sur 30 mètres) ne produisait aucune atténuation appréciable, qu'une réduction de cinq sixièmes était encore insuffisante, qu'il fallait arriver à une réduction de quatorze quinzièmes pour obtenir le résultat recherché, ce qui rendait la combinaison caduque. A vrai dire, il est probable que la largeur de l'obstacle jouerait un rôle dans l'effet d'atténuation au moins autant que sa hauteur, et qu'il n'est guère économique alors de constituer artificiellement un ouvrage sous-marin ayant de fortes dimensions en tous sens. C'est ce que corrobore le bon effet d'une ligne de bancs, m ê m e largement noyés, au large d'une côte, et surtout l'effet encore plus net de lignes successives de bancs presque constamment submergés (six à Dunkerque). Devant la promenade des Anglais (à Nice), on a étudié sur modèle un ouvrage sous-marin, par conséquent invisible des promeneurs, élongé à quelques dizaines de mètres au large; on a constaté le bon effet d'un tel ouvrage pour diminuer les projections d'embruns et m ê m e de galets sur la promenade, et pour engraisser un peu la plage fort étroite qui s'offre au brunissage des torses des baigneurs ; mais il ne fallait pas laisser subsister une tranche d'eau supérieure à 1 mètre ou 1,50 mètre, par des fonds de 5 mètres environ pour obtenir le résultat désiré. Les ennuis que les ingénieurs belges ont rencontrés au port en plage de sable de Zeebrugge proviennent d'une fosse (Appelzak) correspondant à un ancien bras de l'Escaut (le Z w y d ) , dont o n escomptait qu'elle servirait longtemps de réceptacle aux grands quantités de sable charriés le long de la côte par le 149 Le relief sous-marin et les ouvrages en prise à la mer courant deflotde l'ouest, prépondérant près de la côte par rapport au jusant; or, cette fosse dont o n n'avait p u surveiller assez longtemps l'évolution, se comblait lentement depuis le début d u x x e siècle; o n a chiffré ce recul par l'épaississement de l'isthme de séparation de la fosse et du port à 1 400 mètres en seize ans sur la courbe des fonds de (— 6,00). L'île de Sylt, la plus septentrionale de l'archipel frison allemand, est très attaquée par la mer d u Nord en son attache centrale occupée, sur le front de mer, par la capitale de l'île Westerland et en ses antennes très minces élongées vers le nord et le sud. Le front urbain est particulièrement menacé parce que la progression des sables paraît diverger de part et d'autre, formant lesflèches-antennesprécitées, tandis qu'il n'en reste rien pour couvrir l'ouvrage de protection central en nature de boulevard. L a forme des lignes bathymétriques qui, au droit de l'agglomération, l'enveloppent d'une vaste courbe ayant son centre loin à l'intérieur, doit contribuer à concentrer les lames vers ce point, qu'elles viennent légèrement au nord o u légèrement au sud de l'ouest. A Port de San-Pedro (au sud de Los Angeles) et Long Beach 1, on trouve l'exemple classique américain d'une concentration des énergies de vagues par la disposition des lignes de fonds et avec certaines directions de lames. Il a été particulièrement étudié parce que des d o m m a g e s sévères ont été causés, en 1930, à une jetée d'enrochements en vrac (sans superstructure arrimée). Les lignes des 200, 150 et 50 brasses forment une gibbosité de 5 milles de flèche (pour 10 milles d'ouverture) au sud de Long Beach; et cela suffit à expliquer la concentration des orthogonales sur l'ouvrage d u large et leur espacement à l'ouest (vers une des entrées d u port) et à l'est. Le fait est surtout sensible pour les lames venant d u sud et d u sud-sud-est; il l'est moins pour les lames venant du sud-sud-ouest et du sud-ouest parce que, d'une part, deux îles distantes de 2 0 à 40 milles et longues d'une quinzaine de milles, dans le 190° du port, abritent celui-ci de certaines directions de houle et que les vagues venant plus près de l'ouest ne se déforment sur la gibbosité précitée qu'au détriment d'un secteur plus méridional que Long Beach (Seal Beach). C'est ainsi qu'une houle de longue période (20 sec), et de plus de 600 mètres de longueur, résultant d'une dépression d u Pacifique sud, n'offrant que des ondulations de 70 mètres au large, et passant à peu près inaperçue v u sa cambrure de 1/900, voit son amplitude multipliée par 7 du fait et de la diminution des profondeurs (multiplicateur 2 environ) et de la réfraction (multiplicateur 3, 5 environ). Il n'est pas surprenant que la jetée ainsi attaquée en souffre, tandis que, sur les plages voisines, le déferlement n'est nullement anormal 2 . 1. Voir bulletin du Beach Erosion Board de janvier 1950. 2. Voir M . Lacombe. Bulletin du COEC. mai 1950. P. 185. 150 he relief sous-marin et les ouvrages en prise à la mer D e telles oppositions d'effets laissent confondus ceux qui ne croient pas à l'utilité d'étudier au préalable la configuration des fonds sous-marins. U n e autre concentration de lames se rencontre à l'embouchure de VHudson, à l'extrémité nord de L o n g Branch, qui en forme la lèvre de rive droite; elle est due surtout au canyon de l'Hudson orienté nord-sud vers son extrémité de terre, puis sud-sud-est plus au large. L a rencontre par les lames de cet encuvement détermine de légers changements de direction, u n peu convergents d'ailleurs, en sorte que le dédoublement des crêtes recrée une certaine concentration d'énergie destructrice sur l'extrémité susmentionnée de Long Branch. Le pier de Segundo, exploité par la N e w Standard Oil, en Californie, est placé vis-à-vis d'un accore de 12 brasses de profondeur; les vagues longues se gonflent sur cet accore, se concentrent sur l'ouvrage qui est exposé à des creux de 20 pieds, alors que, de part et d'autre, on rencontre seulement des lames de 6 pieds 1. C e ne sont là que quelques exemples. Il y en a bien d'autres qu'on pourrait dégager des connaissances acquises, sans parler de ceux qui devraient être encore décelés dans le monde. Mais leur multiplication lasserait le lecteur plus qu'elle ne le convaincrait de la quantité de cas semblables ou de la variété de leurs espèces. N o m b r e u x , en outre, parmi ces exemples, seraient ceux qui montreraient de quelle durée devraient être les études préalables d'un nouveau port avant qu'on puisse être quelque peu affirmatif sur son avenir et ses meilleures conditions de conservation. Car il s'agit de phénomènes dont le cycle d'évolution n'est pas annuel, mais couvre des dizaines d'années. Or, si lents que soient, en certains régimes politiques, les délais d'aboutissement des débats et de la procédure administrative parallèle, on ne doit cependant pas compter qu'ils puissent attendre la clôture d'observations hydrographiques à si longue échéance. Par conséquent, on serait amené à brusquer les conclusions qu'on peut tirer de leurs débuts, au risque de commettre quelque erreur et de se créer des surprises à retardement. Heureusement, nous pouvons profiter, depuis peu d'années, des laboratoires d'hydraulique et des modèles réduits, ainsi que de l'expérience de leurs ingénieurs. O n peut ainsi accélérer le rythme des marées, des houles, reproduire en quelques heures l'action de plusieurs années; on arrive m ê m e à reconstituer l'histoire d'un estuaire c o m m e la Seine (à Grenoble), ce qui donne confiance dans le prolongement d'une action des phénomènes naturels et des correctifs humains déduite du modèle. Ces études sont délicates, nécessitent un matériel de mesures et de génération de la houle et des marées compliqué et coûteux et la collaboration de maints savants spécialisés chacun dans une branche de la physique, en sorte qu'il ne 1. K . D . Peel. « Location of Harbourg », première conférence de Coastal Engineering 1950, signalé par M . Allen, directeur des Hydraulics Research. 151 Le relief sous-marin et les ouvrages en prise à la mer faut pas trop improviser de telles études dans des pays neufs qui peuvent par contre bénéficier de l'aide des pays plus évolués; ceux-ci sont généralement disposés à orienter, sur place par des observations, à distance par leurs laboratoires d'hydraulique, des études qui, faute de telles consultations, eussent été dépouvues de valeur. C'est là un aspect assez particulier de l'aide mutuelle internationale si justement recommandée et organisée par l'Unesco. Cette coopération peut s'exercer de façon encore plus active et sur un plan supérieur : O n a vu les erreurs pratiquement irrémédiables qui, si l'on ne tient pas compte des leçons de l'océanographie, risquent d'être commises dans la conception d'un port nouveau ou dans la modification d ' u n port ancien d u fait des attaques destructrices d'une houle concentrée sur une section de digue, de la suppression inconsidérée de brise-lames naturels, de la réflexion de la lame sur des ouvrages nouveaux ou transformés et de maintes autres causes secondaires énumérées avant les exemples que nous avons rassemblés ci-dessus. U n tel mépris est moins pardonnable aujourd'hui, où l'océanographie s'est constituée en science et est dotée de plus de moyens d'investigation. Mais nous estimons que l'attention, si émoussée soit-elle encore parfois, est suffisamment alertée dans les pays de vieille civilisation possédant d'assez longue date u n enseignement maritime convenable, une documentation bien répertoriée et une bonne expérience. C'est cette expérience qui, sur la recommandation d'un organisme international notamment, peut être mise à la disposition de pays jeunes, dotés encore de rares points d'échange abrités. D'ailleurs une condition préalable s'impose; avant de concevoir de bons ports, il faut être convaincu de l'utilité d'en construire, et l'on s'est trop longtemps contenté, dans les pays neufs, par suite de la préférence accordée aux routes ou aux chemins de fer, plus spectaculaires, plus vite réalisés, animés et vivants, d'opérations en pleine côte, o ù les destructions de marchandises étaient importantes, où l'attente des navires se prolongeait d'une manière prohibitive, o ù la terreur des passagers et surtout des passagères novices détournait de la mise en valeur d'un pays, o ù les assurances, d'ailleurs coûteuses, ne couvraient pas tous les d o m m a g e s , où seuls les entrepreneurs de transbordement et d'accorage trouvaient peut-être quelque profit. U n e étude économique, m ê m e rapide, suffit à montrer qu'à beaucoup moins de 100 000 tonnes de trafic par an, on a intérêt à substituer un ouvrage sommaire dans une baie abritée, au vieux procédé de jet à la côte, des ouvrages de protection nécessairement plus coûteux n'étant à préconiser, évidemment, que pour des chiffres de trafic plus élevés. U n e aide internationale pourra se révéler utile, eu égard aux s o m m e s mises en jeu qui excèdent les ressources de pays cherchant à se développer. Il faudra m ê m e se pencher sur l'entreprise de simples études portuaires o ù 152 Le relief sous-marin et les ouvrages en prise à la mer risquent d'achopper les meilleures et plus modestes intentions, car nous connaissons tel pays, qui souhaitait s'assurer de meilleurs ports ou refuges mais avait d u mal à trouver les faibles ressources en devises nécessaires à l'établissement des plans et des programmes. Mais si cette notion d'un port plus ou moins développé peut pénétrer maintenant les esprits des conseillers techniques et financiers des pays n o n encore pourvus d ' u n tel équipement, si les conditions de semblables installations peuvent se déduire assez scientifiquement de l'enseignement magistral et des études pratiques qu'il recommande, il n'en va pas encore de m ê m e pour la protection de cette frêle ligne intermédiaire entre la mer, domaine propre de l'océanographie, et la terre qui assure la nourriture matérielle et intellectuelle, ainsi que le développement social des multitudes humaines en trop rapide accroissement. C'est sur cet aspect, mais envisagé à l'échelle des petites collectivités, voire de l'individu, que nous voudrions insister en terminant. N o u s avons cité maints exemples de plages détruites par la légèreté humaine, par l'érection de beaux murs, supports de boulevards littoraux, propices naguère au défilé des équipages et aujourd'hui à la ruée des automobiles, ou aux flâneries nocturnes des estivants. Ces créations splendides et imprudentes entraînent trop souvent l'abaissement o u la disparition de la plage de sable qui les sépare de la laisse des bassesmers; attaquée par une force proportionnelle à la seconde puissance de l'amplitude de la houle au large et à sa longueur qui est environ trente fois plus forte, cette mince pellicule de sable, qui avait toutes les faveurs des adultes pour les bains de soleil et des jeunes pour leurs ébats, fait alors place à u n rocher hérissé semé de flaques o u u n banc argileux toujours humide, également impropres aux jeux de tous les âges. Et la désaffectation naît pour une plage qui n'est plus qu'un n o m , quelles que soient les attractions artificielles que des municipalités généreuses ou des entrepreneurs audacieux ont pu créer au-dessus d'elle. E n tout cas, l'effet salutaire pour les foules citadines de la cure saline et iodée s'évanouit. Ces foules, qui représentent une très forte densité humaine sur une m ê m e plage de grand renom, sont déjà par elles-mêmes un facteur de détérioration capable de compromettre u n équilibre inévitablement précaire; u n piétinement incessant agit dans le m ê m e sens que des tempêtes longtemps répétées; tout c o m m e les promeneurs de H y d e Park o u d u bois de Boulogne sont priés de respecter les pelouses en reconstitution, le manager d'une plage doit agüen bon jardinier soucieux de ses plates-bandes fleuries. Il faut voir avec quel soin les Néerlandais entretiennent le cuirassement de leur littoral, l'herbe rase sur la face aval de leurs dunes; ils chargent m ê m e de ce soin des moutons qui les tassent et les tondent, alors que les amusantes 153 e Le relief sous-marin et les ouvrages en prise à la mer glissades de nos gamins tracent sur nos dunes des stries fâcheuses et des amorces d'attaque; le petit m o n d e des enfants arase des seuils qui peuvent ouvrir aux invasions marines l'accès de bas terrains adjacents; nous avons perçu de telles menaces à Berck c o m m e à l'ouest de l'Odet (Finistère). Aujourd'hui les municipalités recourent parfois à des bulldozers pour recalibrer une plage que les tempêtes ont boursouflée de bâches et de bourrelets. N o u s avons vu naguère à Sainte-Adresse, avec les moyens que pouvait consacrer à ces travaux u n grand mécène, des gardes-plages reformer et ratisser les microfalaises de galets. Des épis, des défenses littorales, des adoucissements au pied des ouvrages accores, peuvent pallier, sans doute, les effets dominants de la mer ou les imprudences evitables de l ' h o m m e . Mais leur efficacité est limitée et toujours onéreuse. Encore faudrait-il coordonner leur conception, activer leur construction et réglementer leur entretien; celui-ci est trop souvent négligé, c o m m e s'il s'agissait d'ouvrages mineurs, par des collectivités à l'esprit étroit qui hésitent à s'associer pour acquérir des équipes exercées et vigilantes, dotées de moyens d'action matériels et financiers qui seraient des gages d'efficacité. Si l'on veut, contre toute prudence, tracer une voie bordant l'océan o u empiétant sur son domaine, il faut, à tout le moins, accepter de la construire en encorbellement ou au-dessus d'un portique à larges baies o ù la mer puisse s'étaler c o m m e avant, sans rencontrer d'obstacle qui la fasse prématurément déferler o u se réfléchir. U n e zone d'ombre en résultera, qui pourra être propice à la sieste des midis étouffants. Songeons à certaines plages, trop rares malheureusement, de la Méditerranée, que leur charmante bordure de pins parasols fait apprécier de ceux qui redoutent les insolations excessives! C'est là u n privilège réservé aux mers sans marée. Il faut signaler deux autres menaces : d'abord l'excès des constructions riveraines qui, au ras d u cordon littoral, dressent des clôtures pleines, génératrices d'affouillements à leur pied; o u , si elles surmontent des dunes, elles les écrasent de leur poids, les pourrissent de leurs déjections et les affaissent sous l'assaut des lames, c o m m e on voit, sur nos côtes, la mer avoir peu à peu raison des blockhaus d u trop fameux m u r de l'Atlantique. La seconde menace qui intéresse plus directement l'océanographie est le lent relèvement général d u niveau des mers (0,07 mètre environ depuis le début d u siècle) dû sans doute à la fusion des glaces des calottes polaires; cette surépaisseur des lames d'eau qui accentuent le trait de scie littoral peut bien expliquer l'aggravation de ces attaques depuis u n tiers de siècle, concurremment avec une fréquence sensiblement plus élevée des vents forts du large, que semble déceler une statistique sommaire récemment dégagée des documents disponibles. Voilà u n faisceau de phénomènes qui offrent à l'Unesco l'occasion de développer son action bienfaisante, en attirant l'attention des États trop insouciants 154 Le relief sous-marin et ¡es ouvrages en prise à la mer de ces problèmes ou non encore dotés d'une législation véritablement protectrice et efficace sur les dangers qui compromettent l'habitat saisonnier, l'équipement sanitaire et les loisirs de l ' h o m m e , de l ' h o m m e fatigué qui cherche une détente sur les rivages de cet océan d'où sont probablement issues toutes les espèces. Plan de vaques Aborda de Long Beach (Californie) T * 20 tec. ichelle en milles marins D»." &S.E. Marie s 0,60m. 0 1 i_ • 2 3 + S Profondeur} en brasses D'après le cours de M. H.LtCBHBE, Ingénieur Hydrographe en Chef 155 Le relief sous-marin et les ouvrages en prise à la mer D'aprii le tours </t li. H. LiCOMSl .¡naimtvr Hfdrvjrofh* en Chef 156 Tj I fj X-^ A V-** > - » (T p ^J H J—/ X ^ .1—/ Rédacteur en chef : Roger CAILLOIS INTERNATIONALE DES SCIENCES T^PS criPMi-P«! HUMAINES Sommaire du numéro 29 (janvier-mars 1960) A L F R E D STERN L'irréversibilité de l'histoire KENNETH L. LITTLE Louis R E N O U HEINRICH FICHTENAU SALO K. BARON La ville dans l'Ouest africain L'énigme dans la littérature ancienne de l'Inde La morale politique au moyen âge en Occident Etapes de l'émancipation juive Chroniques RICHARD N . FRYE V. Y A N I N E Correspondance R O M A N INGARDEN Parthes et Sassanides: une nouvelle perspective? Méthodes modernes en archéologie (les fouilles de Novgorod) Notes sur l'objet de l'histoire de la philosophie Rédaction et administration : 9, place de Fmtenoy. Parls-T (SUFfren 9S-70") Reme trimestrielle paraissant en maire laitues : anglais, arabe, espagnol, trancáis. L'édition française est publiée par la librairie Gallimard. S. rue Sébastlen-Bottln, Parls-7'. Les abonnements sont souscrits auprès de cette maison ÍCCP169-33 Parisi. Prix de lente au numéro : 2.60 NF. Tarifs d'abonnement : France. 9J0 NF; étranger. 12 NF. EUROPA-ARCHIV Publication de l'Association allemande de politique étrangère Directeur : Wilhelm Cornides Articles publié« dans les numera« récents : G Ü N T E R H E N L E : Gegenwartsfragen der Entwicklungsländer A . A . I. W A R M E N H O V E N : Der Beitrat der Niederlande zur technischen Hilfe für die Entwicklungslinder J E A N - L O U I S SERVAIS : Die Rolle Belgien» in der unterentwickelten Welt von morgen H E R B E R T PETERSEN : Schweden und die Entwicklungsländer O E O R O E P E N D L E : Batista. Fidel Castro und die Wachstunisprobleme Kubas K A R L H E I N Z K U N Z M A N N : Die Bandung-Staaten in der Vollversammlung der Vereinten Nationen. 10.-13. Sitzungsperiode (1956-1958). W E R N E R K Ö D D E R I T Z S C H : Planung in Entwicklungsländern F R A N Z J. V O O E L : Die Nationalisierung niederländischen Eigentums In Indonesien La revue E U R O P A - A R C H I V , actuellement dans sa quinzième année d'existence, contient des articles et des documents portant sur les relations internationales, une chronologie bimensuelle des événements d'importance mondiale ainsi que des notes bibliographiques sur les publications recentes. Abonnements d'un an (24 numéros) : 45 D M , frais d'expédition en sus. Numéros spécimens sur demande. Deutsche Gesellschaft für Auswärtige Politik. Vertriebsstelle 20, Myliusstraase, Frankfurt a m Main (Allemagne). Les comptes rendus de la Conférence internationale sur le traitement numérique de l'information qui a eu lieu à l'Unesco d u 15 au 20 juin 1959 paraîtront au mois d'avril. C e volume présentera u n intérêt exceptionnel puisqu'il comprendra : une introduction générale, le texte intégral (en anglais et en français) des 61 communications présentées en séances plénières, un résumé de chaque communication en allemand, anglais, espagnol, français et russe, les rapports introductifs et des résumés des discussions en anglais ou français, le résumé des 65 communications faites au cours des 12 colloques qui ont également eu lieu pendant la conférence, et un rapport général sur la conférence (en anglais et en français). Ce volume, relié en toile, publié conjointement par l'Unesco (Paris), Oldenbourg Verlag (Munich) et Butterworth Scientific Publications (Londres), comportera 600 pages, imprimées en typographie de format 2 1 x 2 9 , 7 c m . Le prix est de U S $ 2 5 . 0 0 ; 7.7.0 (stg); 100 N F ; 84 D M . Ces comptes rendus seront en vente à la Librairie de l'Unesco et chez tous les distributeurs des publications de l'Unesco (voir liste des agents en dernière page). BULLETIN OF THE ATOMIC SCIENTISTS RECENT A R T I C L E S H o w to live with the bomb—and survive Leo Szilard The dawn of a new decade In the keeping of unreason Eugene Rabinowitch J. Robert Oppenheimer The future of man Julian Huxley A case for the diplomats Douglas Hurd Yearly subscription: $5 BULLETIN O F T H E A T O M I C SCIENTISTS 5734 University Avenue, Chicago 37, 111. (USA) Announcing... the wealth of India A Dictionary of Indian Raw Materials and Industrial Products R A W M A T E R I A L S , Vol. V (H-K) Provides a comprehensive survey of published information on the distribution, availability and utilization of the plant, mineral and animal resources of India. N o . of entries, 318 Includes articles on Helianthus (sunflower), Hevea (para rubber), Hibiscus (mesta), Holarrhena (kurchi), Hordeum (barley), Indigofera (indigo), Ipomoea (sweet potato), Jasminum (jasmine), Juglans (walnut), and Juniperus (juniper); iron ores and kyanite; insects and insect pests. D e m y 4to, XXVIII + 332 + XII pp., 16 plates, 169 illustrations. Price Rs.30.00 (postage extra). Publications Directorate, C S I R , Old Mill Road, N e w Delhi 1. Synthèses Revue mensuelle internationale paraissant à Bruxelles sous la direction de Maurice L A M B Ì L L I O T T E Read SCIENCE A N D FILM Published quarterly by the International Scientific Film Association Current Issue Volume 8, N o . 1 Specimen free on request Memories of ISFA Festival by Soviet Film Director D. Yashnin N e w Guinea, 1904-1906. Early Film Research in Anthropology and Ethnology by Paul Spindler Business Manager: O n the Spot System of Commentary Synchronisation by Jan Jacoby Annual subscription: 12/6 Single copy: 3¡6 Post free V. SMITH, Clevedon Printing C o . Ltd. Six W a y s , Clevedon (Somerset) Catalogues reviewed. Film lists BIOLOGY AND HUMAN AFFAIRS Publication destinée aux membres d u corps enseignant et de l'assistance sociale. Aborde tout problème d'intérêt général humain sous l'angle de l'éducation et de la civilisation modernes Sommaire du numéro de février 1960 Editorial Comment: The Origin of Intelligence The New Molecular Genetics, by Prof. D . Lewis, F . R . S . The Genetics of Fungi, by E . A . Bevan, M . A . , P h . D . Genetics and Animal Evolution, by J. Maynard Smith, B . A . , B.Sc. Chromosome Mutations in Man, by Cedric Carter, B . M . , M . R . C . P . Elephants, by Arthur Peal Paraît trois fois par an : octobre, février, juin Abonnement annuel : 12s.6d. ($2) Adressez correspondance et abonnements à: The British Social Biology Council, 69 Eccleston Square, London, S W 1 . ETC. A REVIEW OF GENERAL SEMANTICS Edited by S. I. Hayakawa Volume X V I Number 1 Tactile communication LAWRENCE Psychotherapy and the paradox of the aesthetic CLYDE E. CURRAN Communication and the human community S. I. HAYAKAWA General semantics: its place in science ANATOL RAPOPORT The VICTOR M . VICTOROFF assumptions w e live by K. FRANK Book reviews: Vladimir Nobakov, Lolita LOIS MAYFIELD WILSON M a r k Harris, Bang the drum slowly JIM BROSNAN Bess Sondel, The humanity of words WALTER E. STUERMANN Annual subscription : $ 4 For free sample copy write to : INTERNATIONAL SOCIETY FOR GENERAL SEMANTICS 400 W . North Avenue Chicago 10, 111., U S A ASSOCIATIONS INTERNATIONALES 12 numéros, 1 000 pages par a n REVUE DES ORGANISATIONS mensuel illustré ET RÉUNIONS INTERNATIONALES des articles par des personnalités de la vie internationale, sur les méthodes et expériences des organisations internationales des études sur l'évolution et le fonctionnement de la vie internationale sur les relations d u secteur privé international avec le secteur public des chroniques nouvelles organisations internationales projets de nouvelles organisations internationales le calendrier des réunions internationales annoncées : date; lieu; n o m de l'organisation; type de réunion; référence à la notice descriptive dans l'Annuaire des organisations internationales; adresse d u comité d'organisation (un mois sur deux) mis à jour tous les mois deux fois par a n : calendrier complet de toutes les réunions annoncées, portant sur une période de six o u sept ans, avec index signalétique nouveaux périodiques internationaux échos de l'activité de l'organisation internationale privée informations officielles sélectionnées à l'intention des organisations n o n gouvernementales par les principales organisations intergouvernementales changements d'adresses complètent régulièrement, sous forme de fiches à insérer, VAnnuaire des organisations internationales bibliographie quelque 2 500 ouvrages signalés et un millier de recensions des numéros spéciaux consacrés à certains aspects o u à des secteurs déterminés de la coopération internationale quatre à cinq par an plus de cent pages chacun Cette revue est publiée par L'UNION DES ASSOCIATIONS INTERNATIONALES (Palais d ' E g m o n t , Bruxelles 1) organisation internationale n o n gouvernementale, à but scientifique, fondée en 1910. Statut consultatif auprès d u Conseil économique et social de l ' O N U (septembre 1951) et auprès de l'Unesco (novembre 1952) IL P O L Í T I C O RIVISTA DI SCIENZE POLITICHE DIRETTA DA BRUNO LEONI ARTICLES R É C E N T S L. S. G R E E N E . The Civil Service in U S A . La burocrazia negli Stati Uniti. E. K E R N . W h o Will Be the Administrators of Europe? Chi amministrerà l'Europa? Note e discussioni E . P E N N A T I . Per la storia delle idee a dei movimenti sociali. N . B A L A B K I N S . A Recent Soviet Assessment of American Economists. U n recente giudizio sovietico sugli economisti americani. R . J O U V E N A L . L e fonti dottrinali dell'internazionalisme. J. C . R E E S . S o m e Thoughts o n the 'Foundations' of Political Theory. Considerazioni sui fondamenti della teoria politica. J. F . LIVELY. Walter Bageshot and the English Constitution. Walter Bageshot e la Constituzione inglese. Attività degli istituti R . M . S C H U C H M A N . Wabash Conference on Economics and Freedom. Economia e libertà al convegno di Wabash. IV Congresso mondiale di sociologia. Programme d'études sur les communautés européennes. Abonnement annuel : 3 000 lires Adresser les demandes d'abonnement et la correspondance à la direction : ISTITUTO D I S C I E N Z E POLITICHE U N I V E R S I T A D I PAVIA, PAVIA (ITALIE) PUBLICATIONS D E L "UNESCO AFGHANISTAN Panuzal. Presa Department, Royal Afghan Ministry of Education, : AGENTS CHINE The World Book C o . , Ltd., 99 Chungking South Road, section 1, TAIPEH, Taiwan (Formose). KABUL. ALBANIE Ndermarrja Shteterore e Botimeve. « Nairn Frasberi », TntANA. A L L E M A G N E (Rep. Fed.) R . Oldenbourg. K . G . , Unesco-Vertrieb für Deutschland, Rosenheimerstrasse 145, MÖNCHEN 8. ANTILLES FRANÇAISES Librairie J. Bocage, 15, rue Ledru-RolUn, B.P. 208. F O R T - D E - F R A N C E (Martinique). ARGENTINE Editorial Sudamericana, S . A . , Aisina 500, BUENOS AIRES. AUSTRALIE Melbourne University Press, 369 Lonsdale Street, M E L B O U R N E , C . 1 Victoria. AUTRICHE Verlag Georg Fromme & C o . , Spengergasse 39, BRUXELLES 1; N . V . Standaard-Boekhandel, Belgiélei 151, ANTWERPEN. Pour « Le Courrier » : Louis de Lannois, 22, place de Brouckere, BRUXELLES. BIRMANIE S . P . C . K . (Burma). 549 Merchant Street, P . O . Box 222, RANGOON. BOLIVIE Librerìa Selecciones, avenida Camacho 369. casula 972, LA PAZ. BRÉSIL FundaçSo Getúlio Vargas, 186 praia de Botafogo, caixa postal 4081, D E JANEIRO. BULGARIE Raznolznos, 1 Tzar Assen, SOFIA. CAMBODGE Librairie Albert Portail, 14, avenue BouUoche. PHNOM-PENH. CANADA L'Imprimeur de la Reine. OTTAWA. Ont. CEYLAN Lake House Bookshop. P.O. Box 244, Lady Lochore Building, 100 Parsons Road, COLOMBO 2. CHILI Editorial Universitaria, S.A., avenida B . O'Higglns 1058, casula 10220, SANTIAGO. BOOOTÀ. C O R É E (République de) Korean National Commission for Unesco. P . O . Box Central 64. SEOUL. COSTA RICA Imprenta y Libreria Trejos S.A., apartado 1313, SAN JOSÉ. CUBA Libreria Económica, Pte. Zayas 505-7, apartado 113, LA HABANA. DANEMARK Ejnar Munksgaard, Ltd., 6 Norregade. K0BENHAVN K . RÉPUBLIQUE DOMINICAINE Libreria Dominicana, Mercedes 49, apartado de correos 656, C I U D A D TRUJILLO. WIEN V. BELGIQUE Office de publicité. S.A., 16, rue Marca, Rio COLOMBIE Libreria Central, carrera 6-A, n» 14-32, EQUATEUR Casa de la Cultura Ecuatoriana, Núcleo del Guayas, Pedro Moncayo y 9 de Octubre, casilla de correo 3542, GUAYAQUIL. ESPAGNE Librería Cientíñca Medinaceli, Duque de Medinaceli 4, MADRID. Pour « Le Courrier » : Ediciones Iberoamericanas, S.A., Pizarro 19, MADRID. ÉTATS-UNIS D ' A M É R I Q U E Unesco Publications Center, 801 Third Avenue, NEW Y O R K 22, N . Y . ; et, sauf pour les périodiques : Colombia University Press, 2960 Broadway, NEW Y O R K 27. N . Y . ETHIOPIE International Press Agency. P . O . Box 120. ADDIS A B A B A . FINLANDE Akateeminen Kirjakauppa, 2 Keskuskatu, HELSINKI. FRANCE Librairie de l'Unesco, place de Fontenoy, PARIS-7". Vente en gros : Unesco, section des ventes. place de Fontenoy, PARIS-7". GRÈCE Librairie H . Kauffmann, 28, rue du Stade, ATHÈNES. HAITI Librairie « A la Caravelle », 36, rue Roux, B.P. 111, PORT-AU-PRINCE. GÉNÉRAUX HONG-KONG Swindon Book Co. 25 Nathan Road, KOWLOON. HONGRIE Kultura, P . O . Box 149. B U D A P E S T 62. INDE Orient Longmans Private Ltd : 17 Chittaranjan Avenue. CALCUTTA 13; Indian Mercantile Chamber. Nicol Road, BOMBAY 1; 36a Mount Road, MADRAS 2; Gunfoundry HYDERABAD Road, 1; Kanson House, 24/1 Asaf Ali Road, P . O . Box 386, NEW D E L H I 1. Sous-dépâts : Oxford Book and Stationery Co., Sclndia House, NEW DELHI; Rajkamal Prakashan Private Ltd, Himalaya House. Hornby Road. BOMBAY 1. INDONÉSIE G . C . T . van Dorp & C o . . Dialan Nusantara 22. Postlrommel 85. DJAKARTA. IRAK McKenzie's Bookshop, BAGHDAD IRAN Commission nationale iranienne pour l'Unesco, avenue du Musée, TÉHÉRAN. IRLANDE The National Prest, 2 Wellington Road, Ballsbridge. DUBLIN. ISRAËL Blumstein's Bookstores Ltd. : 35 Allenby Road et 48 Nahlat Benjamin Street. TEL AVIV. ITALIE Libreria Commissionaria Sansoni, via Gino Capponi 26, casella postale 552, FIRENZE. JAMAÏQUE Sangster's Book R o o m , 91 Harbour Street, KINOSTON; Knox Educational Services, SPALDINOS. JAPON Maruzen Co., Ltd., 6, Tori-Nichome, Nihonbashi, P . O . Box 605, Tokyo Central, TOKYO. JORDANIE Joseph I. Bahous & C o . , Dar-ul-Kutub, Salt Road, P . O . Box 66, AMMAN. LIBÉRIA J. Momolu Kamara. 69 Front & Gurley Streets, MONROVIA. LUXEMBOURG Librairie Paul Brack. 33. Grand-Rue, LUXEMBOURG. PARAGUAY Agencia de Librerías de Salvador Nizza, calle Pte. Franco n.° 39-43. ASUNCIÓN. M A L A I S Œ (Federation de) SINGAPOUR Federal Publications Ltd., Times House, River Valley Road, et SINGAPORE. MALTE Sapienza *s Library, 26 Kingsway, VALLETTA. MAROC Centre de diffusion documentaire du BEPI, B . P . 211, RABAT. MEXIQUE EDIAPSA, Libreria de Cristal, apartado postal 8092, MEXICO 1, D . F. MONACO British Library, 30, boulevard des Moulins, MONTE-CARLO. PAYS-BAS N . V . Martinus Nijhoff, Lange Voorhout 9, 'S-GRAVENHAOE. PÉROU « ESEDAL - Oficina de Servicios », Dpto. de Venta de Publicaciones, avenida Tacna 3S9, ofle. SI, casula S77, LIMA. PHILIPPINES Philippine Education Co., Inc., 1104 Castillejos, Qulapo, P . O . Box 620, MANILA. POLOGNE Oárodek Rozpowszechnlania Wydawnictw Naukowych PAN, Palac Kultury i Nauki, WARSZAWA. PORTUGAL Dias SL Andrade Lda„ Livraria Portugal, rua do Canno 70, LISBOA. NICARAGUA Libreria Cultural Nicaragüense, calle IS de Septiembre 115, MANAOUA. NIGERIA C . M . S . (Nigeria) Bookshops, P . O . Box 174, LAGOS. NORVÈGE A . S. Bokhjernet, Stortingsplass 7, OSLO. CHRIST-CHURCH. PAKISTAN The West-Pak Publishing Co., Ltd., Unesco Publications House, P . O . Box 374. 56-N Gulberg Industrial Colony, LAHORE. PANAMA Cultural Panameña, Avenida 7.« n.° TI-49. apartado de correos 2018, PANAMÁ. ZÜRICH; Payot, 40, rue du Marchi, GENÈVE. TCHÉCOSLOVAQUIE Artia, Ltd., 30 Ve Smeckách, PRAHA 2. THAILANDE Suksapan Panit, Mansion 9, Rajdamnera Avenue, BANGKOK. TUNISIE Victor Boukhors, 4, rue Nocard, TUNIS. TURQUIE Librairie Hachette. 469 Istiklal Caddesi. Beyoglu. ISTANBUL. UNION SUD-AFRICAINE Van Schaik's Bookstore (Pty) Ltd., Libri Bullding, Church Street, P . O . Box 724, PRETORIA. RÉPUBLIQUE ARABE UNIE La Renaissance d'Egypte, 9, sh. Adly Pasha, CAIRO (Egypte) U.R.S.S. Mezhdunarodnaja Kniga. M O S K V A G-200. ROUMANIE Cartimex, Str. Aristide Briand 14-18, P . O . B . 134-135. BUCURESTI. URUGUAY Unesco, Centro de Cooperación Científica para America Latina, bulevar Artigas 1320-24, casilla de correo 859, MONTEVIDEO; ROYAUME-UNI H . M . Stationery Office, P . O . Box S69. LONDON, NOUVELLE-ZÉLANDE Unesco Publications Centre. 100 Hackthorae Road, SUISSE Europa Verlag, Rämistrasse S. S . E . 1. SALVADOR Manuel Navas & Cía., 1.« avenida Sur n.« 37. SAN SALVADOR. SINGAPOUR Voir Maialale (Federation de). SUÈDE A/B C E . Fritzes Kungl. Hovbokhandel. Fredsgatan 2. STOCKHOLM 16. Pour « Le Courrier » : Svenska Unescorâdet, Vasagatan 15-17, Oficina de Representación de Editoriales, plaza Cagancha 1342, 1." piso, MONTEVIDEO. VENEZUELA Libreria Politecnica, calle VillaOor, Local A , al lado General Electric, Sabana Grande, CARACAS. VIÊT-NAM Librairie-papeterie Xuän-Tbu, 185-193 rue T u - D o , B.P. 283. SAIGON. YOUGOSLAVIE Jugoslovenska Knjiga, Terazije 27. BEOORAD. STOCKHOLM C . B O N S D E LIVRES U N E S C O Utilisez les bons de livres Unesco pour acheter des publications de caractère éducatif, scientifique ou culturel. Pour tout renseignement complémentaire, veuillez vous adresser au service des bons Unesco, place de Fontenoy, Paris-7*