version light - Thomas Delord

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École Na)onale Supérieure des Arts Visuels de La Cambre
Op)on Scénographie
Scène de crime et scénographie
Représenta*ons de scènes de crimes
dans le spectacle vivant et les arts plas*ques
Mémoire présenté en vue de l’obten)on du )tre de Licencié en Arts plas)ques, visuels et de l’espace
Promoteur interne : Véronique Leyens
Promoteur externe : André Helbo
Année académique 2010-­‐2011
Thomas Delord
www.thomasdelord.com
[email protected]
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Remerciements
Je ,ens tout d’abord à remercier Véronique Leyens, me:eur en scène et scénographe, professeur de scénographie à La Cambre et André Helbo, professeur de sémiologie dans les arts du spectacle vivant à l’ULB et membre de l’Académie Royale de Belgique, pour leurs conseils éclairés, leur disponibilité, leur intérêt et leur confiance tout au long de ce travail.
Je remercie Françoise Colomès, auteur et dramaturge, enseignante aux Beaux-­‐Arts, au Conservatoire Na,onal de Région et à l’Université des Arts du spectacle vivant de Bordeaux, pour ses renseignements précieux et son sou,en de longue date; Olivier Bas,n, architecte et scénographe, maître architecte de la ville de Bruxelles, pour nos entrevues passionnées sur le lien entre architecture et scénographie; Anne Leriche, chef d’établissement de l’Ins,tut Na,onal de Criminologie et de Criminalis,que (Bruxelles) et enseignante de médecine légale et criminalis,que à l’ULB pour avoir répondu à mes nombreuses ques,ons.
Je remercie également Caroline Mierop, directrice de l’école, Jean-­‐Luc Me:en, directeur adjoint, l’ensemble du personnel non enseignant ainsi que les professeurs et assistants de l’atelier scénographie (Chris,ne Mobers, Jean-­‐Claude de Bemels, Chris,an Halkin, Nathalie Maufroy…) et d’ailleurs (Alain Van der Hofstadt pour son séminaire passionnant, et ses conférenciers, Philippe Jespers, Chady Torbey…) pour la qualité et l’ouverture de leurs enseignements.
Enfin, je remercie mes grand-­‐parents, mes parents et ma sœur, pour leur sou,en incondi,onnel, qui m’ont accompagné tout au long de ce travail et ces années d’études.
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Sommaire
INTRODUCTION GÉNÉRALE
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CHAPITRE I -­‐ PANORAMA
I.1. DEFINITIONS :
I.1.1. Le crime
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I.1.2. La scène de crime
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I.1.3. La recons)tu)on
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I.1.4. La crédulité
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I.2. HISTORIQUE :
I.2.1. La Tragédie : focus sur la vengeance élisabéthaine, XVIe-­‐XVIIe siècle.
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I.2.2. Le Théâtre de la cruauté : au XVIIe siècle.
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I.2.3. Le Mélodrame : de la révolu)on au début du XIXe siècle.
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I.2.4. Le théâtre du Grand-­‐Guignol.
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I.2.5. Et dans le théâtre contemporain ? Entre drame et postdrame.
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CHAPITRE II -­‐ POINTS DE VUES
INTRODUCTION AUX CAS TRAITÉS
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II.1. Un crime fragmenté : le cas Woyzeck.
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II.2. Expérience à l’opéra : Parsifal, mis en scène par Roméo Castellucci.
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II.3. Première scène de crime : une star dans le garage.
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CONCLUSION GÉNÉRALE
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CHAPITRE III -­‐ FOCUS (le cas Cobain, interprétaBon plasBque du lieu des faits).
Photographies de l’installa)on
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ANNEXE
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TABLE DES ILLUSTRATIONS
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BIBLIOGRAPHIE
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Introduction générale
La scénographie est une discipline ar)s)que riche, qui regroupe plusieurs spécialités, embrassant la quasi totalité des domaines ar)s)ques contemporains : la scénographie de spectacle vivant (théâtre, danse, performance, musique, cirque, opéra, opérehe…), la scénographie de l’image en mouvement (cinéma, télévision), la muséographie (dans l’art d’exposer de manière temporaire ou permanente des œuvres, un contenu historique, ou pédagogique), mais aussi, racine du mé)er au sens étymologique (du grec skene scène et graphein écrire), la scénographie d’équipement (parfois liée à l’architecture, créa)on de salles de spectacles au sens large : salles de théâtre, d’opéra, de cinéma, plateaux de télévision…). Le théâtre de rue par exemple, lorsqu’il n’est pas joué dans une scénographie qui se définit comme telle, n’en demeure pas moins lié à cehe discipline : il prend la rue, l’architecture, la ville ou le paysage en décor. La scénographie va de pair avec l’évènement. Elle est au service de quelque chose qui a pu, qui est en train de, ou qui va se produire. Il me semble difficile, en tant que futur scénographe, de concevoir l’un sans l’autre. En effet, la scénographie est une ma)ère à part en)ère à laquelle de nombreux «non-­‐ini)és» se sont heurtés, et se heurtent encore aujourd’hui, réduisant parfois cehe discipline, au regard du grand public, à de simples actes techniques. La scénographie demande une connaissance approfondie des spécialités auxquelles elle s’applique. Le théâtre par exemple, implique une sensibilité par)culière à son histoire, à son esthé)que ainsi qu’à l’œuvre dans son en)èreté.
Antoine Vitez écrit, à propos du théâtre comme art mais aussi comme lieu, dans L'abri ou l'édifice, qu’il est «un art violemment polémique. Il ressemble à la guerre. La représenta,on est toujours le simulacre d'un conflit». Un débat ne peut s’installer que dans une opposi)on d’idées, de discours, et même au-­‐delà des mots, de gestes. Ceci est encore plus vrai si celui-­‐ci devient «violemment polémique». La façon dont Vitez aborde ici le rôle du théâtre laisse donc supposer qu’il n’y a qu’une issue possible à cehe «guerre» : un gagnant et un perdant, un bourreau et une vic)me… L’avènement du crime, au sens large, semble alors être la seule issue. En amenant le spectateur à adhérer pour un temps à des codes de lecture, un régime de croyance spécifique, le spectacle tend à créer une rupture dans le regard que le spectateur porte sur le monde.
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Le crime (meurtre, viol, inceste, contrebande…) est un élément récurent, voire omniprésent, tant dans la lihérature que dans les médias. Sa présence dans les œuvres n’est pas nouvelle, mais celle-­‐ci s’est fortement accrue depuis quelques années. Il nous semble intéressant d’aborder ici la ques)on de sa représenta)on, la recherche se limitant au spectacle vivant.
L’objec)f de ce mémoire est donc d’esquisser les bases d’un champ de recherche, qui pourrait s’élargir si celle-­‐ci est poursuivie, à la ques)on des représenta)ons de scènes de crimes. Nous tenterons de regrouper ici les no)ons directes ou adjacentes, permehant de mieux appréhender les ques)ons soulevées dans ce propos, avec distance et esprit cri)que.
Même s’il n’existe aujourd’hui aucun ouvrage de synthèse permehant de répondre directement à ces ques)ons, nous u)liserons de nombreuses paru)ons qui y seraient liées de près ou de loin, afin de mehre en lumière les tendances actuelles à ce sujet. Ce mémoire s'ar)cule en deux par)es, de la théorie à la mise en pra)que, afin de confronter mes interroga)ons sur la défini)on et la représenta)on d'une scène de crime dans le spectacle vivant. La première par)e fait état des entrées (étymologiques, scien)fiques, historiques…) par lesquelles il me semble per)nent de débuter la recherche. Dans un deuxième temps, au travers de trois expériences personnelles menées cehe année et des)nées à ce travail d'écriture, j’observe, à la manière d'un enquêteur, plusieurs manières d'installer dans le drame les condi)ons du crime jusqu'à son avènement, sous le regard (ou non) du spectateur.
Nous vous invitons donc à apprécier la scène de crime aux travers de ses «mises en scène» et appréhender toute l’importance d’en envisager les divers modes de représenta)ons.
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CHAPITRE I.1. : DÉFINITIONS
Après avoir défini le crime et les termes adjacents, il s’agit de retracer une brève histoire de sa représenta)on dans les arts vivants, de la vengeance élisabéthaine à aujourd’hui. Nous aborderons ainsi la ques)on de la représenta)on du crime tant au niveau de la police scien)fique qu’au niveau spectaculaire.
I.1. Défini*on du crime et des termes adjacents I.1.1. Le crime
Du la)n crimen, qui signifie accusa,on, grief, le mot crimme ou crimne d’où, finalement, crime, fut u)lisé pour la première fois au début du XIIe siècle. Nous définissons aujourd’hui le crime de la manière suivante : Manquement très grave à la morale, à la loi. […]
Grand Robert de la langue Française , 2001.
Nous lui adjoignions bon nombre de qualifica)fs, ainsi ce mot est rarement employé seul : crime affreux, crime de parjure, crime poli)que, crime de guerre, crime passionnel, crime de sang… La défini)on donnée ci-­‐dessus exprime clairement la rela)on du crime à un système de valeurs, défini par une société. D’un état à l’autre l’apprécia)on d’un manquement très grave à la loi peut varier, puisque celle-­‐ci varie, jusqu’à modifier considérablement la peine encourue par le criminel. Il existe ainsi plusieurs approches et défini)ons du crime, qu’il faut aborder comme un phénomène complexe. Nous pouvons essayer de définir le crime «en creux», c’est-­‐à-­‐dire comme tout ac)on grave prévue mais non permise par la loi. Il semble alors légi)me de se demander :
Qu’est-­‐ce que le crime, au-­‐delà de ses défini,ons légales ? Pourquoi l’homme est-­‐il toujours et partout un être criminel ? Que signifient ces châ,ments, aux formes diverses, que la société inflige à ceux qu’elle condamne ? Tout le savoir accumulé ne sa,sfait pas le ques,onneur sauf s’il accepte la réponse mythique ou mys,que, assurément riche de sens, mais autre que celle recherchée.
Robert Badinter, Crime et châ,ment, 2010.
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D’un point de vue juridique, le droit pénal français, par exemple, définit le crime comme étant l’infrac)on pénale la plus grave. Le crime se dis)ngue du délit, considéré comme moins grave. Nous pouvons dis)nguer plusieurs sortes de crimes, et des peines encourues :
• contre les personnes : viol, proxéné,sme, torture, condi,ons de travail inhumaines, esclavage, homicide, génocide, crime contre l'humanité, etc…
• contre les biens : vol avec violence, recel, etc…
• contre l'État : complot, a:entat, crime contre la sûreté de l'État, intelligence avec une puissance étrangère, trahison, espionnage, déser,on, faux-­‐monnayage, etc…
• dans le cadre d'une organisa,on : Crime organisé, Mafia.
• crime sans vic,me (ou crime dans l'accord mutuel)
Introduc)on générale au droit pénal, portail officiel du droit français sur wikipedia, 2011.
Les différentes manières d’aborder le crime, dans toute sa complexité, impliquent parfois la nécessité de traduire et de synthé)ser visuellement ces approches ainsi que nous pouvons l’observer dans l’exemple ci-­‐dessous.
ill.1 : Le prisme du crime dans What is crime ?, redessiné et traduit de l’anglais (voir original en annexe), Stuart Henry et Mark Lanier, 2001.
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D’un point de vue sociologique, le crime est un phénomène qu’il convient également d’aborder de plusieurs manières :
Partant du postulat que le crime est un comportement que le droit peut saisir en menaçant son auteur d’une peine, la sociologie du crime doit nécessairement aborder trois volets si elle veut rester crédible : une sociologie de l’incrimina,on (primaire), une sociologie de la transgression criminelle et enfin, une sociologie de l’interven,on pénale.
Compte-­‐rendu du livre de Philippe Robert La sociologie du crime, par Jean-­‐François Cauchie, La Découverte, Paris 2005.
I.1.2. La scène de crime
Le crime, une fois commis, est étudié afin de récolter un maximum d’informa)ons suscep)bles de mieux le comprendre, et de l’élucider. Au début du XXe siècle, les méthodes d’inves)ga)ons vont connaître une révolu)on, avec la naissance de la police technique (Alphonse Ber)llon, en France, avec l’u)lisa)on du signalement anthropométrique et de l’empreinte digitale) puis la police scien)fique (Rodolph A. Reiss en Suisse et Edmond Locard en France, qui créent les premiers laboratoires de police scien)fique). La criminalis)que )re profit des recherches en psychologie qui remehent fortement en cause la fiabilité de la mémoire qui reconstruit plus qu'elle n'enregistre et donc, de la preuve tes)moniale :
De telles conclusions sont fort embarrassantes pour le monde de la jus,ce qui prise tant la preuve tes,moniale. […] Ce problème crucial, ce sont les criminalistes qui se chargent de le résoudre par,ellement en ,rant profit du discrédit qui entache désormais la preuve tes,moniale pour promouvoir leur nouvelle discipline. […] Ces nouveaux experts criminalistes présentent leur savoir sous l'angle de l'objec,vité: se penchent-­‐ils sur une trace ou une empreinte, ils la mesurent, la localisent avec précision; ont-­‐ils à traiter une scène de crime, ils en dressent le plan ou u,lisent la photographie métrique qui leur permet de calculer les distances et les dimensions réelles à par,r du cliché pris sur les lieux, sans même devoir se rendre à nouveau sur place.
Nicolas Quinch, Le théâtre du crime, Rodolphe A.Reiss, Ins)tut de police scien)fique de Lausanne, 2009.
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La scène de crime est le lieu sur lequel se sont produits un ou plusieurs crimes. Celle-­‐ci peut être composée de plusieurs lieux, s’étendant parfois sur plusieurs kilomètres, incluant des lieux dans lesquels des actes liés au crime se seraient produits. Appelée aussi Scène(s) de l’infrac,on ou lieux des faits on considère la scène de crime comme :
• Le lieu où une infrac)on a été commise, intégralement ou en par)e ainsi que l’accès à cehe zone.
• Le lieu où un objet lié à l’infrac)on a été dissimulé ou abandonné (un véhicule, une arme…).
• Le lieu où se trouvent des traces et des preuves poten)elles, y compris au niveau des accès.
• Le lieu où le corps de la vic)me a été abandonné et le corps (corpus delic,), du suspect.
• Le lieu où on a découvert des éléments rela)fs à la prépara)on de l’infrac)on.
La criminalis)que commence sur la scène de l’infrac)on, d’où l’importance de la qualité de l’interven)on de la police. La scène de crime cons)tue en effet une source fondamentale d’éléments matériels de l’infrac)on. L’analyse et la collecte des preuves sur les lieux du crime sont des manipula)ons prioritaires auxquelles il faut accorder le temps et la capacité nécessaires. La scène de crime est gelée afin d’être préservée car chaque personne présente sur la scène cons)tue une source poten)elle de destruc)on des traces et de contamina)on. Ainsi on considère qu’une enquête se gagne ou se perd en grande par)e sur les lieux du crime.
ill.2 : La scène de crime, cours de Criminalis)que et médecine légale, Anne Leriche,
ULB, Faculté de droit et criminologie, 2011.
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I.1.3. La reconsBtuBon
La men)on recons,tu,on apparaît parfois à l’écran, dans le coin d'une émission de télévision. Il peut s’agir d’une mise en scène enregistrée avec ou sans comédiens, illustrant de manière crédible et réaliste une situa)on, ac)on ou événement dont on n'a pas d'image. Dans le cas d’une enquête policière, une recons)tu)on peut être demandée pour vérifier dans le temps et dans l’espace la cohérence des faits, des différentes preuves et témoignages.
Ac,on de recons,tuer une chose disparue. Recons,tu,on d’un crime, d’un accident : répé,,on des gestes accomplis par le coupable, par les protagonistes sur les lieux même du crime.
Grand Robert de la langue Française, 2001.
ill.3 : Extrait vidéo. Reportage soir 3, sur l’affaire Gregory. Archives de l’INA, Recons)tu)on du meurtre de Bernard Laroche, 1985.
Recons)tuer une scène de crime peut servir à comprendre, voir ressen)r les évènements passés. Frances Glessner Lee, criminaliste, fonde le département de médecine légale à Harvard en 1936. Quelques années plus tard, elle va se mehre à construire, pendant une dizaine d’années, des dollhouse crime scenes (maisons de poupées scènes de crimes) basées sur des affaire réelles non élucidées, pour entraîner ses détec)ves à la recherche de preuves visuelles. Elle in)tule cehe série de maquehes les Nutshell Studies of Unexplainded Death (lihéralement, études des «coquilles de noix» de la mort inexpliquée).
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Une série de 18 maquehes sera réalisée à l’échelle 1:12e (échelle standard des maisons de poupées, encore u)lisée aujourd’hui). Elle poussera le réalisme dans les moindres détails (un stylo posé sur une table, le )tre du journal, l’usure autour d’un interrupteur, les ombres d’une fenêtre…). Corinne May Botz photographie ces maquehes en détail et, en jouant des cadrages et de l’éclairage, arrive à recréer un sen)ment de réalité par)culièrement troublant.
ill.4 : Frances Glessner Lee travaillant sur sa collec)on ill.5 : Kitchen crime scene, maquehe 1:12, «Nutshell», de 1940 à 1950
Photographie de Corinne May Botz
Glessner House Museum, Chicago, Illinois.
Office of the Chief Medical Examiner, Bal)more, Maryland.
Son legs le plus durable est peut-­‐être la construc,on de ces objets fantas,ques […]. Tout comme Poe a inventé la figure du détec,ve avant qu'il n'y ait d'agences de détec,ves, Lee semble avoir an,cipé une école de la photographie post-­‐moderne en créant des environnements où le réalisme sinistre et la fantaisie enfan,ne entrent en collision. David Levinthal, Laurie Simmons, James Casebere, et Thomas Demand font par,e de ceux qui ont exploré l'ar,fice délirant des modèles réduits et des jouets mondes.
(Traduit de l’anglais) Richard B. Woodward à propos de Frances G. Lee, The Nutshell Studies of Unexplained death, 2004.
L’ar)ste Thomas Demand, cité plus haut, u)lise cehe technique de recons)tu)on dans son travail. Il construit des modèles dont l’échelle demeure inconnue, recons)tu)ons d’intérieurs (bureau, salle de bain, appartement…) ou d’extérieurs (rue, architecture…) qu’il photographie ensuite. Le spectateur n’a accès qu’à ces photographies.
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Au second coup d’œil, ces espaces, la plupart du temps déserts, se révèlent comme étant des modèles et une ques,on surgit : quel est l’original, quelle est la copie et quelles sont les limites de la simula,on ?
Raimar Stange, à propos de Thomas Demand, Art Now, Taschen, 2005.
Nous pouvons également citer, à propos de la recons)tu)on et du rapport à l’échelle, l’ar)ste Charles Mahon (1931-­‐2008). Ce dernier, peintre d’abord, puis photographe, sculpteur, cinéaste mais aussi scénographe, s’intéresse au mystère de l’apparence du monde. Il ressent rapidement la nécessité de passer au volume, en recons)tuant de façon extrêmement réaliste, à échelle réduite (ces fameuses boîtes, au 1:7e), des espaces de son quo)dien (Le Grand Lon -­‐ 26e rue, le Café de Flore,…) des espaces connus (ateliers d’ar)stes de Francis Bacon, Alberto Giacome|…) ou hypothé)ques (la chambre d’une femme en désordre, l’atelier d’un sculpteur de nourrissons,…). Jean Baudrillard dira au sujet de son travail que ces recons,tu,ons de lieux, ce theatrum simulacrum […] créent une illusion tenace. […] la justesse des formes est autre quand les choses se livrent, réduites mais non serviles, à nos regards, et la recherche menée par le créateur sur le changement d'échelle est une re-­‐créa,on qu'aucun pantographe ne saurait dupliquer : installées entre trois murs, les prétendues réduc,ons d'objets réels ont été revues, repensées, affinées ou au contraire rebondies, leurs formes et leurs couleurs exacerbées par l'ar,ste.
Sylvie Mahon in Charles Ma:on, Emboîtements, Flammarion, 2010.
ill.6 : Charles Mahon, autoportrait, dans le modèle Le Grand Lo5, 26e rue, installa:on n°III, 1986.
ill.7 : Charles Mahon, Chambre d'une femme désordre, technique mixte, 52x76,5x65,5cm, 1991.
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I.1.4. La crédulité
Les ques)ons soulevées par ces différentes manières d’u)liser la recons)tu)on en réduc)on, de scènes connues ou non, nous amènent à nous interroger sur ce qui fait qu’un tel trouble de la percep)on devient possible. Charles Mahon, cité plus haut, écrit les vertus d’un tel travail, quant au regard qu’il porte sur le monde :
J'ai assez vite ressen, que l'analyse des apparences à laquelle la miniaturisa,on me soume:ait m'était salutaire, voire thérapeu,que, pour comba:re ce:e impression terrifiante d'inconsistance des choses, de ce qui est là, de ce qui semble là, plus exactement.
Charles Mahon, note personnelle, 1er janvier 2002.
En d’autres termes, l’acte de recons)tuer sert ici à luher contre sa propre incrédulité, pour retrouver une rela,on plus tangible avec les apparences. Le réel est ainsi exploré pour être mieux compris, alors donné à voir au spectateur sous un angle nouveau. Le regard face à ce disposi)f, du spectateur normalement habitué à de tels espaces (ou leurs représenta)ons, au cinéma par exemple), est ainsi appelé à re-­‐découvrir et donc, à mehre pour un temps son scep)cisme de côté. Samuel Taylor Coleridge écrivain britannique au début du XIXe siècle, également cri)que et poète, fut un des premiers auteurs à aborder la ques)on en ces termes :
[...] il fut convenu que je concentrerais mes efforts sur des personnages surnaturels, ou au moins roman,ques, afin de faire naître en chacun de nous un intérêt humain et un semblant de vérité suffisants pour accorder, pour un moment, à ces fruits de l'imagina,on ce:e suspension consen,e de l'incrédulité, qui cons,tue la foi poé,que.
Samuel Taylor Coleridge, in Biographia Literaria, 1817.
Cehe suspension consen)e de l’incrédulité, que nous nommons aussi fréquemment en anglais «willing suspension of disbelief», ou encore dénéga,on, semble ainsi s’appliquer à la fic)on lihéraire, mais aussi à l’art et au spectacle vivant. Le spectateur est invité à adhérer à un régime de croyances déterminé par l’ar)ste, pour le temps de son œuvre. Dans ce cas, la capacité de l’ar)ste à rendre «crédule» (naïf?) son spectateur détermine bien souvent le succès de son œuvre. Pour cehe raison, nous pouvons supposer que la recons)tu)on trouble le regard du spectateur car elle l’incite, non sans succès, à mehre son scep)cisme de côté grâce aux ou)ls de la fic)on (modèle, miniaturisa)on…) et dans le même temps, se revendique inspirée, voire extraite du réel.
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CHAPITRE I.2. : HISTORIQUE
Au regard des défini)ons données plus tôt, nous allons maintenant, au travers de l’histoire du théâtre, mehre l’accent sur une série de périodes historiques significa)ves quant à l’u)lisa)on du crime en scène : cinq moments où il devient même la ma)ère d’un genre dramaturgique. Le mo)f du crime dans d’autres domaines (le cinéma, la télévision…) ne sera pas développé dans ce chapitre, bien qu’il soit évoqué à plusieurs reprises.
I.2.1. La Tragédie : focus sur la vengeance élisabéthaine
Le théâtre élisabéthain désigne l’ensemble des pièces écrites et interprétées en Angleterre, et en par)culier à Londres, pendant le règne d’ Elisabeth 1re et de Jacques I, sur la deuxième moi)é du XVIe siècle et le début du XVIIe siècle. Cehe période est une des plus importantes dans l’histoire du théâtre, âge d’or du théâtre anglais, nous laissant comme héritage de nombreuses œuvres fréquemment interprétées encore aujourd’hui, partout dans le monde. Nous comptons, parmi les auteurs les plus connus de cehe période, le célébrissime William Shakespeare, mais aussi, parmi ses prédécesseurs ou contemporains, Christopher Marlowe, Thomas Kyd, John Lyly, Robert Greene, George Peele, Thomas Nashe… Pas moins de 200 auteurs, travaillant souvent en équipes, ont été répertoriés pour cehe période, pour plus de 600 pièces recensées. C’est une société tout en)ère qui s’exprime au travers des textes du théâtre élisabéthain et en par)culier, Shakespeare. Ce théâtre s’inspire de tout ce qui l’a précédé, avec une forte influence du théâtre de Sénèque et donc, des tragédies grecques, dans un climat propice à l’avènement d’une tragédie originale.
Les personnages shakespeariens sont possédés par le crime, Richard III ou Macbeth, et plus encore Hamlet. Mais le crime s'enracine dans le mythe ou l'histoire, il habite les temples ou les palais.
Robert Badinter in Crime et châ,ment, Gallimard, 2010.
Les sujets, issus de la mythologie ou de l’histoire, et la poésie, n'empêchent pas de voir se développer une variété de personnages joués : de fous, de monarques dépravés et de criminels. L’expérience sur scène d’un personnage imaginaire chargé d’émo)ons du présent devient ainsi inquiétante. Dans l’œil du puritain de l’époque, se tenant à l’écart de ce théâtre, la nature humaine est poussée à l’extrême : on lui injecte la passion à l’état sauvage, on fait des expériences sur cehe humanité malade. L’expérience de l’excès et la transgression dans 17
le théâtre élisabéthain sont à l’ordre du jour. Le mariage, le pouvoir, la foi, l’amour permis, et enfin, la tenta)on du viol et de l’inceste, hantent les scènes.
Le crime appelle le crime. Ces excès, considérés comme non légi)mes, sont rapidement suivis dans la dramaturgie par un châ)ment tout aussi criminel, voire même plus terrible et plus sanglant encore : la vengeance. Les héros sont des vengeurs, ils pra)quent une jus)ce sauvage et punissent par le sang et la mort. Chez Kyd, le père venge le fils dans la Tragédie espagnole (1586). Chez Shakespeare, les fils vengent les pères dans Hamlet (env. 1601). Chez Tourneur, l’amant venge sa fiancée trahie dans la Tragédie du vengeur (1607, texte également ahribué à Thomas Middleton). D’une façon générale, la tragédie de la vengeance est un genre très présent pendant la période élisabéthaine. Celle-­‐ci se base sur des intrigues, des secrets, des interven)ons de l’au-­‐delà et de la violence.!!
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La Tragédie du vengeur est une œuvre significa)ve quant au traitement du crime. Cyril Tourneur a longtemps été considéré comme l’auteur de cehe pièce, mais la cri)que l’ahribue aujourd’hui plutôt à Thomas Middleton. Celle-­‐ci a été écrite au début du XVIIe, dans la période jacobéenne. Elle décrit l’histoire d’un héros vengeur, Vindice, qui va se mehre au service du duc qui a empoisonné sa fiancée, dans une ville d’Italie où la cruauté et la débauche sont monnaie courante. Vindice va jouer le jeu du duc jusqu’à l'accomplissement de sa vengeance. La mise en scène, le jeu, mais aussi les accessoires et les costumes, à comprendre comme déguisements, rendent cehe pièce singulière, notamment par l’usage des masques, mais aussi pour la célèbre scène de la mort du Duc (III.5.). Vindice ne cherche pas seulement à venger un crime commis contre lui ou les siens, il désire aussi purifier la société malade en supprimant ses membres corrompus. En faisant appel au théâtre dans le théâtre, couramment employé dans le théâtre élisabéthain, le héros devient meheur en scène de sa propre stratégie de vengeance. Un paradoxe s’installe, incarné par le héros, entre l’immoralité de l’acte criminel de vengeance et la volonté d’une société purifiée de ces déviances.
Vindice met en scène la mort du Duc et le meurtre se déroule secrètement. Il l’aver)t des supplices qu’il va subir, non pas après la mort, mais avant, sur terre, de sorte que ce dernier se sente déjà en enfer. Ainsi, la vengeance de Vindice a déjà commencé lorsqu’il décrit les tortures qu’il lui infligera.
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Dans Hamlet (pièce originellement in)tulée «La vengeance de Hamlet» avant de devenir «La Tragédie de Hamlet») le génie de Shakespeare est d’avoir réussi à s’approprier le ressort conven)onnel de la Revenge Tragedy : de façon originale, puisque la vengeance peine à s’accomplir tout au long de la pièce. En fait tout se passe comme si le dramaturge se jouait des poncifs du genre afin d’introduire une réflexion complexe sur le sens et la représenta)on de la vengeance. Certes on trouve dans l’intrigue tous les procédés et thèmes ahendus : fantôme, poison, sang, corrup)on de la Cour… Mais Hamlet ne semble pas s’habituer à son statut de vengeur, peut-­‐être parce que dès le début il s’interroge sur le caractère – réalité ou hallucina)on -­‐ de l’appari)on qui lui commande son ac)on (son père qui lui demande de le venger), ou bien parce que son caractère mélancolique est un obstacle naturel. Il doit donc passer par des projec)ons intermédiaires plus sophis)quées, espionnage, pièges, représenta)ons déguisées (pantomime et «play within the play» qui fonc)onne comme «mouse-­‐trap»). Hamlet ne se décide pas à aller droit au but, la vengeance de son père, comme le fait au contraire Laërte, vengeur archétypal, ce qui provoquera en défini)ve un véritable carnage. Par le biais de la répé))on, Shakespeare souligne la contradic)on entre vengeance et théâtre, et rend au théâtre sa fonc)on sacrificielle. La pièce s’achève donc par la dispari)on de tous les protagonistes, innocents comme coupables, et par l’avènement d’un autre cycle. «And the rest is silence»…
La scénographie du théâtre élisabéthain demande au spectateur un effort d’imagina)on important. L’espace de jeu est rudimentaire, une plateforme sur des tréteaux, plus profonde que large avec, au fond, deux portes pour les entrées et sor)es des acteurs, et une arrière-­‐
scène fermée par un rideau. Au-­‐dessus de cehe arrière-­‐scène, on trouve en général un étage servant parfois de balcon ou de rempart. La scène est généralement couverte d’un toit. Le public est répar) au parterre et sur des balcons, disposés sur trois étages, autour de la scène. Les théâtres d’extérieur sont généralement de forme polygonale ou circulaire. Les pièces se jouent la plupart du temps à ciel ouvert, dans une cour d’auberge par exemple et donc, dans cehe configura)on, l’acteur se trouve entouré par les spectateurs. Il est, de fait, physiquement plus engagé dans son jeu que sur une scène frontale à l’italienne, ce qui implique plus de gestes, de codes, qu’une intériorisa)on sub)le du personnage. Les espaces mul)ples permehent des changements de séquences et de lieux plus rapides. Ceux-­‐
ci sont évoqués par quelques accessoires réalistes, par les costumes ou par le texte.
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ill.8 : Intérieur du Théâtre du Cygne, Dessin d’Arend van Buchell,
d’après les indica)ons et un croquis de Johannes De Wih, 1596.
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I.2.2. Le Théâtre de la cruauté
L’expression «théâtre de la cruauté» nous vient d’Antonin Artaud, en 1935, qui cherche alors à désigner une forme d’art drama)que total. Ce terme s’applique aujourd’hui à un genre théâtral, assez éloigné au départ d’Artaud dans son sens théma)que, présent en France de la fin du XVIe au milieu du XVIIe siècle. Longtemps méprisée des spécialistes de la lihérature, cehe période connait depuis peu grâce à Chri)an Biet un regain d’intérêt et jouit d’une nouvelle notoriété, probablement dû au retour du sang et de la violence sur la scène du théâtre contemporain ces dernières années.
Œuvres marginales aujourd’hui exhumées, longtemps reléguées au rang d’art mineur, les pièces du genre étaient considérées comme irrégulières et juste bonnes à amuser le peuple. À l’époque, le spectacle violent fascine autant qu’il interroge le spectateur. Les textes, dans leur forme lihéraire mais aussi sur les scènes, sont imprégnés d’une forme d’écriture nouvelle. Le spectacle cruel offre à la fois de l’Histoire et du quo)dien, et interroge la représenta)on elle-­‐même. Les fic)ons ainsi développées induisent une dimension spécifique du drama)que, dans sa façon d’agencer l’histoire, et du tragique, dans son ques)onnement sur l’humain.
Ces écrits, non sans rela)on avec leurs voisins élisabéthains, regorgent de meurtres, tortures, viols et exécu)ons. Les crimes se succèdent dans une dynamique qui dépasse les fron)ères et dont le moteur n’est autre que la vengeance. Au sor)r des guerres de religion, la France s’interroge au travers de ces textes sur le rapport du droit et de la violence. Le privilège de traiter du cycle infernal de la violence n’appar)ent donc pas totalement aux contemporains d’outre-­‐Manche. Marlow rapporte dans The Massacre at Paris (1593), entre autres événements de l’histoire de France, l’assassinat d’Henri III et, quelques temps plus tard, dans le genre du théâtre de la cruauté, Jacques de Fonteny publiera Cléophon (1600), tragédie mehant l’accent sur le meurtre de ce roi par Jacques Clément. L’usage des codes de la tragédie humaniste et les restes de formes médiévales témoignent d’une ambi)on esthé)que liée à l’histoire et la poli)que.
Des textes du genre, moins codifiés, plus proches du quo)dien, peuvent apparaître plus universels. La violence interroge l’homme et ses passions, mais aussi la Jus)ce et ses limites. La réac)on provoquée chez le spectateur appelé à par)ciper suscite des émo)ons et des jugements qu’il ne rechigne pas à exprimer durant les représenta)ons. 21
L’écriture prend en compte ce paramètre et joue de la sensibilité du public, mais ceci n’est pas sans soulever la probléma)que de fond qui réside dans ce genre : engager la subjec)vité du spectateur dans un ques)onnement qui dépasse le drame. Ainsi les auteurs se gardent-­‐ils bien d’apporter un verdict à leur histoire, incitant le spectateur à délibérer en faveur de l’une ou l’autre des par)es. Une grande part des textes n’ont pas de lien de temps ou d’espace avec une réalité, ce qui rend leur caractère de vérité universelle d’autant plus fort. Le disposi)f dramaturgique est minimal et finalement, grâce à tout cela, très efficace. Aucune significa)on supérieure à l’ac)on n’est donnée au spectateur, qui s’en trouve de fait remis à lui-­‐même, l’effet spectaculaire jouant le rôle de ques)onnement. Dans cehe période de transi)on, les salles de théâtres ont besoin d’être remplies et, commerce oblige, l’appé)t de violence du spectateur, à la fois consommateur et juge, ne demande qu’à être comblé. Les fic)ons sont remplies de situa)ons concrètes excessives, donnant ma)ère à former le jugement cri)que. Les pièces ne témoignent pas d’une théorie dramaturgique ou d’une esthé)que spécifique, elle se contentent d’exposer l’horreur aux yeux du spectateur, qui appréhende chaque représenta)on comme une expérience inédite. Celui-­‐ci est impliqué dans le drame comme témoin, interpellé et dans l’ahente d’interpréter. Le théâtre de la cruauté, outre son caractère sanglant, est aussi fondamentalement ludique. Ce théâtre lie abstrac)on et pra)que et offre au spectateur, devenu inventeur, des paysages vierges et mystérieux.
Dans La Tragédie du more cruel (1613, auteur anonyme), le More qui veut se venger des coups que son maître lui a infligés, assassine la femme et les enfants de celui-­‐ci. Il annoncera à plusieurs reprises son programme de vengeance, rendant le public complice. Le réalisme psychologique n’est pas ce qui fait la crédibilité de l’acteur, mais plutôt sa force de parole et sa façon d’exposer l’horreur. Celle-­‐ci n’est pas défaussée mais on ne peut réellement violer, torturer ou tuer sur scène, au risque de basculer dans l'obscénité plutôt que la cruauté. La mise à distance nécessaire n’implique pas pour autant que l’on parodie la mort et le sang, mais plutôt qu’on leur rende leur théâtralité, par les ar)fices du théâtre. Le théâtre de la cruauté bénéficie, comme le théâtre en général, des moyens les plus simples et les plus visiblement fac)ces.
Les probléma)ques de représenta)on du crime dans le théâtre de la cruauté ne peut donc se résoudre, d’une part, qu’avec la mise à distance du spectateur, et d’autre part, par un langage scénographique propre : en premier lieu, l’échafaud. Sorte de scène sur la scène, au sens propre ou figuré, cehe construc)on place d'emblée le comédien en surexposi)on.
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Ainsi, Chris)an Biet définit l’échafaud de la manière suivante :
Le public est donc face à un pra,cable installé en hauteur, face à un échafaud ainsi qu'on le nomme à l'époque, autrement dit à un espace scénographique déjà vu et conçu en référence à l'échafaud des places publiques. L'échafaud est en effet avant tout un disposi,f scénographique surélevé des,né à perme:re au public de mieux voir ce qu'on lui donne à voir, qui indique d'abord le lieu du supplice, puis la scène, mais aussi l'autel. […] Il est l'espace sur lequel se joue une "tragédie" (mot que l'on retrouve souvent en de tels cas puisque le tragique, en ce temps, est avant tout ce qui est sanglant) bien réelle. […] Entre les deux se situe la scène qui assure à la fois la représenta,on d'un sacrifice et le passage d'un corps de comédien à l'en,té d'un personnage. […] Ce faisant, l'exécu,on capitale sur l'échafaud ne peut être séparée du jeu du comédien de tragédie tant l'analogie apparaît dans le texte, et tant la référence est commune lorsqu'on emploie le terme pour parler du théâtre. […]
Chris)an Biet, in Théâtre de la cruauté et récits sanglants
Théâtre de l'expérimenta)on, théâtre de l'excès : l'échafaud mortel. p. XXIX-­‐XXX.
ill.9 : Le More Cruel, auteur anonyme français, 1613. Mise en scène et scénographie Jean-­‐Philippe Clarac et Olivier Delœuil, dramaturgie Chris)an Biet, 2009.
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I.2.3. Le Mélodrame : de la révoluBon au début du XIXe siècle
C'est à dater de la Restaura,on que le crime va hanter jusqu'à l'obsession la li:érature et l'art. Ce:e révolu,on culturelle est l'un des apports du roman,sme. La li:érature classique n'a pas ignoré le héros criminel, celui des mythes fondateurs de la tragédie grecque, Œdipe ou Oreste, ou celui de l'histoire romaine, Néron ou Caligula. […] Un changement dans la procédure pénale amené par la Révolu,on va exercer une influence décisive sur l'entrée du crime dans l'art : la publicité des audiences. Jusqu'en 1789, la jus,ce criminelle demeurait secrète. Non seulement l'enquête et l'instruc,on, mais le procès criminel, n'étaient qu'un face-­‐à-­‐face à huis clos entre l'accusé et ses juges. Le public de l'Ancien Régime n'avait jamais vu ce spectacle incomparable : une audience criminelle. Robert Badinter in Crime et châ,ment, Gallimard, 2010.
On entend sous le terme de mélodrame, au-­‐delà du sens étymologique «drame avec musique» diverses formes de théâtre populaire très vivantes au long du XIXe siècle, aux ressorts pathé)ques, aux valeurs manichéennes, et aux situa)ons extrêmes. Des)né à un public sans culture, le mélodrame a un caractère fortement spectaculaire (comme le cinéma «catastrophe») et use de procédés simplistes pour provoquer des réac)ons ayant tout de même quelque rapport avec la «terreur» et la «pi)é». Issu non pas des grands genres classiques mais de la tradi)on foraine, le théâtre de mélodrame se développe dès la période révolu)onnaire sur des scènes spécialisées, par)culièrement sur le boulevard (du Temple) où se succèdent de pe)ts établissements de variétés et ahrac)ons.
Charles Nodier qui lui-­‐même écrira des mélodrames au début de la période roman)que, est le premier à avoir a|ré l’ahen)on sur la rela)on entre le genre et le contexte sanglant de la Révolu)on : « À ces spectateurs solennels qui sentaient la poudre et le sang, il fallait des émo)ons analogues à celles dont le retour à l'ordre les avait sevrés. Il leur fallait des conspira)ons, des cachots, des échafauds; des champs de bataille, de la poudre et du sang.
[...]». Le mélodrame profite aussi de la vogue «noire» qui a habitué les lecteurs de romans depuis la fin du XVIIIe aux effets terrifiants (Walpole, Mrs Radcliffe, Lewis), et au suspens qui accompagne les aventures d’innocentes vic)mes d’abominables scélérats. Plus tard les grands feuilletonnistes jouent aussi de ce registre, de Eugène Sue à Ponson du Terrail. 24
Avec le temps cependant le mélodrame perd de son «innocence» primi)ve, le public pouvant devenir complice amusé des personnages pa)bulaires, tel le fameux Robert Macaire incarné par la vedehe du boulevard du Crime, Frédérick Lemaître.
Le genre et ses diverses expériences ont leur spécialiste : Jean-­‐Marie Thomasseau , qui a bien montré comment sa caractéris)que principale est de déplacer le point d’applica)on de la mimesis théâtrale du théâtre de texte vers le spectaculaire et de ménager un accueil large à «une concep)on émo)onnelle et largement socialisée de la représenta)on». C’est même pour cehe raison qu’il a subi un durable discrédit auprès de la cri)que. Il a cherché à le réhabiliter (comme avait pu le faire sous forme poé)que le tandem Carné-­‐Prévert dans «Les Enfants du Paradis»), et surtout à expliquer comment son histoire est un miroir de l’histoire sociale et poli)que du XIXe siècle, des valeurs héritées de la Révolu)on jusqu’à leur contesta)on et leur parodie.
Dans le mélodrame tout époques confondues le thème de la violence est central. Il y a toujours un «traître», criminel avéré ou poten)el, qui menace une vic)me, laquelle triomphera à la fin des machina)ons des)nées à la mehre au ban de la société. Toute l’ac)on consiste, au long de «coups de théâtre», à faire d’abord éclater la paix régnant dans une communauté soudée, à susciter dans le groupe une hos)lité à l’égard de la vic)me sacrificielle – dont la vertu est faussement accusée – et finalement par un retournement à ressouder la société contre le véritable criminel démasqué. Les analyses de René Girard éclairent admirablement ce processus du bouc émissaire ici idéalement simplifié.
Il n’est pas ques)on d’énumérer dans ce cadre toutes les variétés du genre mélodrama)que qui se promène dans tous les milieux, les époques et les pays. Signalons au moins une catégorie tardive (deuxième moi)é du siècle), celle du mélodrame «policier et judiciaire», qui doit autant à l’influence des Misérables qu’au succès des enquêtes de Conan Doyle. Xavier de Montépin est le principal pourvoyeur de ce type qui inventait des intrigues mais adaptait aussi des romans et des faits-­‐divers célèbres parfois restés sans résolu)on judiciaire claire (affaires Fualdès, du Courrier de Lyon..). Sarcey a mis en lumière la structure récurrente du mélodrame policier : «un crime préparé au premier tableau, exécuté au second; puis une instruc)on judiciaire et les soupçons de la jus)ce s’égarant sur un innocent que les circonstances accusent» . Cehe catégorie connaîtra dans le cinéma une postérité importante et diverse (policier, film noir, thriller, mais aussi parfois western).
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Ce genre réputé mineur dont madame de Staël disait : «n’importe-­‐t-­‐il pas de savoir pourquoi les mélodrames font plaisir à tant de gens ?» a aussi suscité ahachement et nostalgie chez des grands pra)ciens de la scène, de Antoine à Jouvet. Ce dernier le jus)fiait ainsi : «Le mélodrame a pu exister parce qu’il y avait des comédiens extraordinaires. Il faut pour jouer cela, une convic)on considérable, en même temps qu’une technique étonnante».
Aujourd’hui le mélodrame peut être redécouvert, comme nous l’avons vu précédemment pour le Théâtre de la cruauté du début XVIIe, pour ses images scéniques, et les interac)ons entre le texte et sa mise en espace. Même s’il est avant tout «grand public» le mélodrame a son esthé)que de l’extrême, suscep)ble d’intéresser la contemporaine. Ainsi Artaud proposait-­‐il dans son programme du Théâtre de la Cruauté d’introduire «un ou plusieurs mélodrames roman)ques où l’invraisemblance devient un élément ac)f et concret de la poésie».
ill.10 : Le Drame, peinture d’Honoré Daumier,
Nouvelle Pinacothèque de Munich, 1860.
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I.2.4. Le théâtre du Grand-­‐Guignol Oscar Méténier, dramaturge et romancier français, également secrétaire d’un commissaire de police parisien, achète en 1894 un théâtre au bout d’une impasse à Pigalle. Il y produira ses pièces naturalistes, alors controversées. Son théâtre était le plus pe)t mais aussi le plus atypique des théâtres de Paris. Le théâtre du Grand-­‐Guignol, lihéralement «grand spectacle de marionnehes» prend son nom à la célèbre marionnehe française «Guignol», qui incarne la posture de commentateur social, porte-­‐parole des ouvriers. Les premiers spectacles de Guignol ont d’ailleurs souvent étés censurés par la police de Napoléon III. Méténier a lui-­‐même été à plusieurs reprises la cible de la censure pour avoir eu l’audace de dépeindre le milieu des enfants de rue, des pros)tuées, des vagabonds, et des criminels, qui n’était jusque là jamais apparu sur scène, et pour avoir osé laisser s’exprimer ses personnages dans leur propre langage. Une des premières pièces présentée au Grand-­‐
Guignol, Mademoiselle Fifi (1896) fut temporairement interdite par la police car celle-­‐ci montrait pour la première fois une pros)tuée sur scène. L’année d’après, le dramaturge monte Lui ! (1897), réunissant dans une chambre d’hôtel une pros)tuée et un meurtrier. Son théâtre rencontre un franc succès, et peu à peu, va devenir un genre à part en)ère, qui vivra pendant plus d’un demi-­‐siècle.
Max Maurey succède à Méténier en 1898. Maurey est inconnu du cercle ar)s)que mais a l’expérience du théâtre. C’est lui qui transforme le théâtre du Grand-­‐Guignol, de 1898 à 1914, en maison de l’horreur. Il mesure le succès de ses pièces au nombre de personnes qui s’évanouissaient pendant les représenta)ons et, pour publicité, embauche un médecin pour soigner les spectateurs fébriles. C ’est aussi lui qui fit découvrir au grand public le dramaturge et romancier André de Lorde, surnommé «Le Prince de la Terreur». Sous l’influence du dramaturge, qui collabore régulièrement avec son thérapeute, le psychologue expérimental Alfred Binet, la folie devient le thème par excellence du Grand-­‐Guignol. À une époque où la folie commence tout juste à être étudiée scien)fiquement, le théâtre expérimente toutes sortes de «goûts spéciaux». L’homme de la nuit (1921) d’André de Lorde et Léo Marches, par exemple, présente un nécrophile, qui ressemble étrangement à François Bertrand, suicidé en 1850 après avoir exhumé des cadavres de femmes dans plusieurs cime)ères en France, et commis des actes de nécrophilie et de cannibalisme sur ses vic)mes. L’horrible passion (1934) d’André de Lorde et Henri Bauche, dépeint une jeune nounou qui étrangle les enfants à sa charge. Comme Méténier, de Lorde était souvent la cible de la censure, par)culièrement en Angleterre où deux de ses tournées sont annulées. Le théâtre du temps se délecte de Vaudeville et théâtre bourgeois et ne peut supporter la vue du sang sur scène.
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La peur de l’autre apparait dans le Grand-­‐Guignol dans de nombreuses variantes : peur de l’inconnu, peur du prolétaire, peur de l’étranger, peur de la contamina)on. Les héros de Gardiens de phare (1905) de Paul Au)er et Paul Cloquemin et Le Beau Régiment (1912) de Robert Francheville avaient la rage. Lèpre, syphilis et autres maladies mystérieuses sont également présents dans quan)té d’autres pièces. Mais ce qui propulse le théâtre du Grand-­‐
Guignol au sommet de sa gloire est d’avoir franchi le seuil de l’état d’hypnose ou la conscience altérée par des drogues. Perte de contrôle, perte de conscience, panique sont des thèmes auxquels le public du théâtre peut facilement s’iden)fier. La plupart des dramaturges du Grand-­‐Guignol s’intéresse de près à la guillo)ne et aux dernières convulsions du condamné. Comme si la tête du condamné pouvait con)nuer à penser sans son corps. C’est bien ici le nœud du genre : le passage d’un état à un autre. Camille Choisy dirige le théâtre de 1914 à 1930 et apporte avec lui quan)té d’effets spéciaux, visuels et sonores. La scénographie et la mise en scène prennent le pas sur le texte. Il engage en 1917 l’actrice Paula Maxa qu’on surnomme rapidement «la femme la plus assassinée au monde». Vic)me des crimes les plus inimaginables, elle subit des métamorphose peu habituelle. La réac)on de la cri)que et du public est unanime : «Deux cents nuits de suite, elle s’est simplement décomposée sur scène devant un public qui n'aurait pas échangé son siège pour tout l'or de l’Amérique. L'opéra)on dure deux bonnes minutes, pendant lesquelles la jeune femme est peu à peu transformée en un cadavre abominable.»
Pour permehre au spectateur de faire tomber la tension inspirée par la peur et la folie, une soirée au théâtre du Grand-­‐Guignol alterne drame et comédie, pour créer un effet de «chaud froid». Si le théâtre du Grand-­‐Guignol devient populaire, aussi bien auprès des habitants du quar)er que des habitués de la Comédie Française, cela ne devient pas une affaire publique. Certains spectateurs préfèrent ne pas être vus lorsqu’ils se rendent au théâtre.
Jack Jouvin dirige le théâtre de 1930 à 1937 et le répertoire vire du gore au drame psychologique. Pour avoir le contrôle total du théâtre, Jouvin congédie Paula Maxa, qui d’après lui, lui volait la vedehe. L’ambi)on de Jouvin a provoqué le déclin du théâtre, en essayant de parodier son propre genre. L’abondance d’éléments terrifiants dans le jeu l’a rendu moins crédible. Après les horreurs de la seconde guerre mondiale, la réalité dépasse la fic)on et le public se fait plus rare. À la fermeture du théâtre en 1962, Charles Nonon explique lors d’une interview qu’ «[ils] ne peuvent pas rivaliser avec Buchenwald. Avant la guerre tout le monde croyait que ce qui se passait était purement imaginaire; maintenant nous savons, pour le pire, que ces choses sont possibles».
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ill.11 : Dessins descrip)f de certains effets pour le spectacle «Grand-­‐Guignol», de Chris)an Fechner au Théâtre de l'Européen, par James Hodges, 1974.
ill.12 : Photographie. Façade du Théâtre du Grand Guignol.
ill.13 : Affiche du spectacle Du Sang dans les ténèbres.
Un laboratoire de criminalis,que est un lieu privilégié pour connaître des scénarios dont un nombre infime deviendra le Grand-­‐Guignol des assises.
Edmond Locard : préface de la malle sanglante de Millery, gallimard 1934,
cité par Agnès Pierron, les nuit blanche du Grand-­‐Guignol, 3 octobre 2002.
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I.2.5. Et dans le théâtre contemporain ? Entre drame et postdrame.
En 1999, Hans-­‐Thies Lehmann publie, pour la première fois en Allemagne, Le théâtre postdrama,que. Dans cet ouvrage, l’auteur étudie l’évolu)on des formes textuelles et scéniques rejetant le théâtre classique bourgeois, des avant-­‐gardes au début du XXe siècle, jusqu’à l'émergence, dans les années 1980-­‐1990, d’un théâtre qu’il qualifiera de «postdrama)que». L’auteur tente de démontrer l’émergence d’un théâtre, sur lequel il convient alors de mehre un nom, en opposi)on au théâtre du drame, en Occident, du théâtre élisabéthain à nos jours. Le drame, comme texte pré-­‐écrit, prédes)ne les décors, costumes, et autres effets visuels ou sonores, ainsi que la mise en scène, à mehre en avant le texte, porté par le jeu et la voix du comédien. C’est ce schéma narra)f, dont s’inspirent aujourd’hui bon nombre de séries télévisées et de films, qui est remis en ques)on dans le théâtre postdrama)que, à la recherche d’alterna)ves et de formes nouvelles.
Au début du XXe siècle, le texte, qui commence à devenir fragmentaire, est u)lisé comme une ma)ère brute, mêlée sur scène à d’autres médiums. Certains textes d’auteurs tels qu’Arthur Adamov, rahaché au théâtre de l’absurde, ou Samuel Beckeh avec La Dernière bande (1958), sont des exemples de cehe écriture fragmentaire. Les figures du meheur en scène et de l’auteur se confondent progressivement, pour privilégier parfois jusqu’à l’écriture en scène. Avec l’évolu)on des nouvelles technologies, à par)r de la moi)é du XXe siècle, une nouvelle esthé)que qualifiée de «transversale» voit le jour, basée sur la recherche d’une certaine osmose entre les différents médiums sur scène. Le jeu du comédien s’en trouve désaffectée, moins psychologique. Ainsi, le message et le rôle ne sont plus la priorité du meheur en scène, intégrant le texte poé)que à la mise en espace, pour faire naitre chez le spectateur des émo)ons signifiantes. La redéfini)on des statuts implique d’avantage l’auteur/meheur en scène dans les choix esthé)ques. Remarquons qu’il est fréquent de voir des meheurs en scène contemporains rahachés au théâtre postdrama)que, tels que Jan Fabre ou Roméo Castellucci, devenir leurs propres scénographes.
Lehmann, en proposant la dénomina)on «théâtre postdrama)que» soulève la polémique, accusé de regrouper sous cehe appella)on, parfois à l’excès, les esthé)ques spectaculaires. De nombreux auteurs, meheurs en scène et chorégraphes belges tels que Jan Fabre, Anne Teresa De Keersmaeker, Jan Lauwers, sont ainsi qualifiés de postdrama)ques. Des voix s’élèvent depuis quelques années contre ce genre théâtral et la polémique qu’il suscite, allant jusqu’à revendiquer le retour en force du drame. Thomas Ostermeier, par exemple, évoque cehe période comme étant révolue. Nous pouvons remarquer qu’il ne s’agit pas pour 30
autant pour Ostermeier de ne plus faire usage d’œuvres fragmentaires comme matériau textuel, tel que sa mise en scène de Woyzeck nous le montrera. Nous étudierons dans un prochain chapitre l’élabora)on dramaturgique faite par le meheur en scène autour de ce texte.
Il apparaît de plus en plus difficile d’établir une dis)nc)on franche entre théâtre drama)que et postdrama)que. L’ar)ste Jan Lauwers dans La Chambre d’Isabella, par exemple, montre par ses disposi)fs combien l’énoncia)on d’un texte mis en musique sur du Jazz, devient sons, et provoque l’émo)on du spectateur au-­‐delà des mots. De même, le travail de Jan Fabre ne peut être strictement classé dans cehe catégorie, tantôt typiquement postdrama)que dans L’Ange de la mort (2008), tantôt drama)que dans Le Roi du plagiat (2004). Roméo Castellucci, sans s’affirmer comme tel, semble être un des plus forts représentants du genre postdrama)que. Interviewé par Laurence Liban en 2008, ce dernier dira d’ailleurs qu’[il] représente une forme de théâtre contemporain qui peut être vécu comme une menace pour le théâtre de texte. Résolument tourné vers l’expérience vécue par le spectateur, parfois extrême, ses spectacles font appel aux combinaisons de technologies les plus avancées, pour produire un choc visuel et sonore, dont le spectateur ne sort pas toujours indemne.
Bon nombre de ces meheurs en scène contemporains font de la violence et de la souffrance des éléments récurrents de leurs spectacles. Chris)an Biet s’interroge sur les raisons, et d’éventuelles prédisposi)ons, à cet emploi, non sans ironie : Ainsi, ces derniers temps, toutes sortes de discours s’emparent de la violence et de la souffrance, tranchent les des,ns du bourreau et des vic,mes et portent un jugement général, moral, qui englobe toutes les violences et toutes les souffrances pour raisonner à par,r de concepts simples, non historicisés et, finalement, dire platement que la violence en général est à rejeter. Belle nouvelle : la part noire de l’homme existe. Autre scoop : elle fascine. Et surtout : ce n’est pas bien.[…]
Chris)an Biet, Théâtre de la cruauté, Bouquins, Paris, 2006.
L’ambiguïté du sang, présent dans plusieurs de ces mises en scène, est la trace d’un crime qui semble dépasser l’échelle de sa propre représenta)on. Dans The Crying Body, Jan Fabre use à l’extrême de la violence en scène, donnant à voir au spectateur des corps sanglants de danseurs brutalisés et humiliés. Dans Sanguis/Man,s, il écrit lui-­‐même sur les murs avec son propre sang. Dans Sonic Boom, Wim Vandekeybus se rend compte que le spectateur n’est pas prêt à assumer tous les risques lorsque son comédien s’entaillera (vraiment) le torse avec un tesson de bouteille pendant une représenta)on au Théâtre de la Ville de Paris…
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ill.14 & 15 : Je Suis sang, Jan Fabre, Photo Wonge Bergmann. ré-­‐créa)on en 2003.
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ill.16 : Br.#04 Bruxelles, Tragedia Endogonidia, Roméo Castellucci,
Photographie de Luca del Pia, 2003.
ill.17 : B.#03 Berlin, Tragedia Endogonidia, Roméo Castellucci,
Photographie de Luca del Pia, 2005.
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CHAPITRE II : TROIS EXPÉRIENCES
Après avoir tenté de définir la scène de crime, et complété la recherche d’un bref historique des principaux genres qui en font régulièrement usage, du théâtre élisabéthain à nos jours, il s’agit maintenant d’observer au travers de trois expériences la place de celle-­‐ci dans le déroulement du drame. Les cas choisis permehent d’aborder l’écriture du drame dans le temps, de la fin du XIXe à aujourd’hui. Ces trois approches permehent également d’envisager la ques)on de la représenta)on de la scène de crime sur différentes scènes ar)s)ques : théâtre/cinéma, opéra et finalement, art plas)que. Pour mémoire, avant tout. Introspec)on. Au commencement de mes recherches pour l’écriture de ce mémoire, j'ai ressen) le besoin de mener préalablement une réflexion de fond sur ma propre pra)que et mon intérêt pour la scénographie à son commencement (Gibier du Temps, pièce de 9 heures en trois actes écrite par Didier-­‐Georges Gabili, mis en scène par Gérard Laurent en 2006, à Bordeaux). Pour se faire, j'ai choisi de concevoir un site internet, en tant qu’ou)l* me permehant à la fois d'archiver, de classer et de communiquer mes travaux de manière interac)ve. Véritable «travail sur soi», je considérais cehe étape de mise à distance nécessaire pour pouvoir porter un regard global et cri)que sur mon propre travail. Cet ou)l m'a offert la possibilité de classer de façon exhaus)ve ces expériences passées. Celles-­‐ci sont re-­‐situées dans le temps et complétées de nombreux documents (visuels, photos, vidéos, textes…). Les projets en cours y sont également publiés, pour communiquer leur état d'avancement et échanger avec d'autres personnes sur les sujets traités.
Premier cas, en scène. Une fois cet «état de ma pra)que» réalisé, il m'a paru possible et nécessaire d'entrer en ma)ère par une étude concrète, mais cehe fois-­‐ci, non personnelle. Woyzeck, pièce de Büchner, m'a semblé par)culièrement embléma)que quant à la ques)on de la représenta)on du crime «en scène» et donc, de la probléma)que de la cons)tu)on d'une scène de crime. Le prétexte à cehe étude était un exercice sur l'adapta)on d'une œuvre, d'un médium vers un autre, que j'ai choisi de m'approprier pleinement pour traiter du sujet en y ajoutant une étude du drame d'origine : les 4 manuscrits faisant de Woyzeck un texte inachevé, apprécié des dramaturges contemporains pour sa modernité, par son caractère «fragmentaire». Cehe étude vise à observer comment deux adapta)ons, au théâtre et au cinéma, convergent (ou divergent) dans leur manière de construire la scène du crime qui vient clôturer le drame, sous l'œil du spectateur.
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Deuxième cas, hors scène. Après avoir étudié la manière dont est construite et représentée la scène du crime dans Woyzeck, il m'a semblé intéressant d'étudier la place du spectateur comme témoin de l'acte criminel. Le travail de Roméo Castellucci avait été plusieurs fois évoqué comme référence pour mon travail et, lorsque l'occasion s'est présentée d'assister à sa créa)on de Parsifal au Théâtre de la Monnaie cehe année, j'ai sauté sur l'occasion. J'ai mo)vé ma demande, en insistant sur l'intérêt que je porte à l'opéra mais aussi l'intérêt d'une expérience aussi inédite : Castellucci, plas)cien, venant du monde des Beaux-­‐Arts, puis homme de théâtre, cinéaste, auteur… met en scène pour la première fois un opéra. Ma demande a été acceptée ce qui m'a permis d'assister à plusieurs répé))ons et représenta)ons. Ce deuxième cas est décrit sous la forme d'un témoignage, illustré et agrémenté de remarques du meheur en scène.
Troisième cas, entre réalité et fic8on. Ces premières expériences se sont finalement déroulées comme un jeu de «cache-­‐cache» entre la scène de crime et moi : dans le premier cas, j'étais l'observateur extérieur d'un crime qui se déroulait dans le drame, dans le deuxième cas j'étais le témoin du processus de mise en scène d'un crime qui se déroulait en dehors du drame… Ce constat est venu renforcer la nécessité de réaliser une troisième expérience qui m'impliquait à la fois comme témoin et constructeur de la scène de crime. J’ai choisi de m’intéresser à un fait divers, le suicide de l’idole du Grunge, Kurt Cobain, et de travailler à la recons)tu)on du lieu des faits. Mes mo)va)ons premières pour travailler sur les circonstances de la mort du chanteur ne sont pas ra)onnelles. Il s’agit d’un souvenir de jeunesse. Cobain, fondateur du groupe Nirvana, m’a impressionné par sa musique mais aussi par sa posture. Pour parler de cehe expérience je reprends les mots de Charles Mahon à ma façon : «J'ai assez vite ressen, que l'analyse des apparences à laquelle la [recons)tu)on] me soume:ait m'était salutaire, voire thérapeu,que, pour comba:re ce:e impression terrifiante d'inconsistance des choses, de ce qui est là, de ce qui semble là, plus exactement.»
*Basé sur l'applica)on web indexhibit (Belgique) pour la créa)on et la modifica)on instantanée de sites internet : www.thomasdelord.com.
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UN CRIME FRAGMENTÉ :
LE CAS WOYZECK
II.1.
ill.18 : Extrait du film Woyzeck, de Werner Herzog. Woyzeck tue Marie.
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Introduc*on
Il s’agit dans un premier temps de travailler sur une œuvre existante, par)culièrement significa)ve quant à la ques)on de la représenta)on du crime, puisqu’elle est elle-­‐même inspirée d’un fait divers contemporain à l’auteur. Nous allons ici analyser et comparer deux adapta)ons de cehe œuvre pour voir comment les condi)ons du crime (un meurtre) sont amenées, progressivement, tantôt au cinéma et tantôt au théâtre.
Prélude, la pièce de Büchner
Woyzeck est la dernière pièce de Georg Büchner. Son écriture a été interrompue par la mort prématurée de son auteur en 1837. Celui-­‐ci n'avait pas encore vingt-­‐quatre ans, laissant derrière lui une œuvre inachevée. Elle se présente alors sous forme de quatre manuscrits, versions plus ou moins abou)es mais jamais prêtes pour l'édi)on, et elle sera publiée pour la première fois une quarantaine d'années plus tard, en 1879. C'est à ce moment-­‐là qu'elle prendra le nom de Woyzeck. Celle-­‐ci est recomposée d'après un modèle supposé, ne laissant pas apparaître cet état d'inachèvement. Ce n'est qu'en 1967 que Werner Lehmann publie les manuscrits bruts, donnant ainsi à voir l'œuvre sous un angle nouveau, qui fait le bonheur des dramaturges jusqu'à aujourd'hui : une pièce écrite en quatre fragments (dont une version principale), avec des hésita)ons et des reprises, révélant les inten)ons de l'auteur comme étant encore plus riches, et plus complexes.
Ainsi Woyzeck apparaît comme une pièce de statut ambigu, ne pouvant que fasciner les meheurs en scène par cet état d’œuvre ouverte et par le caractère abrupt de son écriture. Et peu importe que cehe modernité soit due à l’interrup)on du travail ou que Büchner ait eu conscience d’écrire complètement en rupture avec les tradi)ons rhétoriques du roman)sme.
Rupture tout d’abord en ce sens que Woyzeck est la première tragédie moderne ayant pour «héros» (ou an)héros) un prolétaire. Elle fut inspirée à son auteur par un fait-­‐divers très récent : un crime passionnel dont il avait pris connaissance dans une revue. Nous traiterons plus loin du «cas Woyzeck» (cf: III.1.2. Etat des lieux).
Le personnage, à la différence du véritable Woyzeck chômeur et vagabond, n’est pas un être rongé par l’inac)vité mais un soldat accablé de travail qui pour augmenter sa maigre solde et faire vivre sa compagne et son enfant, accepte les besognes les plus dégradantes. Il aliène son corps même, servant de cobaye aux expérimenta)ons cruelles et grotesques d’un 39
médecin, et se laisse humilier par son capitaine, autre représentant imbécile de l’ins)tu)on. Ainsi opprimé, épuisé dans son corps et son esprit, il est la proie d’angoisses et d’hallucina)ons. Découvrant que son seul bien, son amour, le trahit, il la tue.
Woyzeck poursuit la ques)on de la fameuse lehre sur le fatalisme : «Qu’est-­‐ce qui en nous ment, assassine, vole ?». L’opposi)on des pauvres et des riches, esquissée dans les autres pièces de Büchner, est centrale. Woyzeck est le pauvre absolu, que l’on assassine par le travail, que l’on exploite et dégrade, celui surtout qui ne maîtrise pas le langage et dont l’esprit torturé se heurte aux barreaux de la cage des mots. Être d’ins)nct, non pas stupide mais dont les cris rentrent dans sa gorge et l’étouffent. Marie elle-­‐même n’est qu’une pauvre fille aux sen)ments obscurs, ins)nc)ve et fataliste. Face à eux les figures du pouvoir sont des pan)ns maîtrisant apparemment le langage mais dont les discours ne sont que pla)tudes édifiantes et vues pédantes sur le déterminisme, par lesquels Büchner ridiculise l’ordre moral et la pseudo-­‐science. La scène de la baraque de foire avec le singe et le cheval savant apporte un éclairage grotesque à cehe comédie du monde…
Si démuni qu’il soit, Woyzeck voit plus loin que ses persécuteurs, parce qu’il sent plus naturellement (au point de troubler le capitaine par ses réponses), et parce que le monde lui envoie des signes. Et c’est à lui que Büchner réserve d’exprimer sa convic)on sur la nature humaine : «Tous les hommes sont des abîmes. On a le ver)ge quand on regarde dedans.». Mais cehe conscience se déchire en hallucina)ons, dans la discon)nuité du cauchemar.
L’éclairage sur le personnage varie bien évidemment selon l’ordre adopté dans les séquences. Si par exemple on fait commencer la pièce par la scène où Woyzeck rase son capitaine en terminant sur le policier, on portera l’accent sur l’aliéna)on sociale et sur la répression. En commençant par la scène en rase campagne, c’est davantage l’aliéna)on mentale qui apparaît dans les hallucina)ons, et qui conduit Woyzeck, suffoqué d’angoisse et de dégoût, au dédoublement (le «ça» qui dit sans arrêt «tue, tue») et à la folie homicide. Avec en début la scène du bonimenteur («Voyez la créature telle que Dieu l’a faite ! ce n’est rien, absolument rien !») c’est la comédie grotesque du monde qui domine. Plus tard la présence de l’idiot, et le conte de la grand-­‐mère -­‐ apparemment sans lien fort avec l’ac)on centrale -­‐ donnent un accent shakespearien : angoisse du néant (ciel vide et astres pourrissants) et sen)ment de dérélic)on. Comme une histoire «pleine de bruit et de fureur, racontée par un idiot, et qui ne signifie rien».
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Mais quel que soit l’ordre adopté, la modernité de la dramaturgie éclate dans le rythme heurté, dans l’amorce du principe du drame à sta)ons expressionnistes, dans la coexistence de la structure éclatée et de tout un système d’images qui relient, soutenu par les chansons et commentaires (système choral). Enfin et surtout la rupture se situe dans le langage brut, nu, qui se résout souvent en balbu)ements, pour s’opposer plus fortement au bavardage humain. Dans l’univers sans repères de Woyzeck, le langage a une fonc)on purement émo)onnelle, il vient comme il vient, d’un fond enfoui, d’un gouffre.
Le texte est aujourd'hui régulièrement mis en scène au théâtre, mais également adapté au cinéma ainsi qu'à l'opéra (par Alban Berg sous le )tre de Wozzeck). Nous nous intéressons ici à deux adapta)ons majeures de la pièce : la mise en scène de Thomas Ostermeier, présentée pour la première fois à la Schaubühne de Berlin en 2003 (capta)on réalisée au Fes)val d'Avignon en 2004) et l'adapta)on filmique de Werner Herzog, présentée au Fes)val de Cannes en 1979.
Vingt-­‐quatre années séparent ces deux adapta)ons. Celles-­‐ci apparaissent pra)quement an)nomiques au premier abord tant les par)s pris du réalisateur et du meheur en scène semblent diverger. Le lien entre les deux œuvres existe pourtant, dans les deux cas l'héritage ambigu laissé par l'œuvre inachevée renvoie directement à son origine propre : la ques)on du crime et son contexte.
Nous allons voir ici en quoi ces deux adapta)ons semblent se rejoindre et s'éloigner, et ce que leur étude comparée fait émerger de l'œuvre. Dans un premier temps, nous allons replacer chaque œuvre dans son contexte de produc)on.
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État des lieux
Du vrai Woyzeck au Woyzeck de Büchner
L'œuvre est donc essen)ellement inspirée d'un fait divers pour lequel Büchner s'est passionné : l'histoire de Johann Chris)an Woyzeck, ancien soldat qui, le 2 juin 1821, assassine sa maîtresse, Johanna Chris)ane Woost. Le rapport produit par l'expert Johannes Chris)an August Clarus sur l'état psychique de Woyzeck, qui conduira ce dernier à être exécuté en 1824, représente la source d'inspira)on principale de Büchner. Il semble également s'inspirer pour la fin du drame, de l'affaire J. P. Schneider (avril 1816). Également ancien soldat, Schneider assassine à coups de couteau un ouvrier à qui il devait de l'argent puis se rend non loin de là, maculé de sang, dans une auberge. Il retourne ensuite sur la scène du crime pour vérifier que sa vic)me est bien morte et se lave dans l'étang qui se trouve à proximité. Le lendemain, le corps est retrouvé par un barbier qui prévient les autorités. Celles-­‐ci iden)fient rapidement l'assassin qui, une fois arrêté, sera exécuté.
Büchner avait peut-­‐être aussi connaissance du cas Schmolling* traité par Hoffmann (1817, Berlin), voire même de l'affaire française, de grand reten)ssement, du parricide Pierre Rivière (1835). Dans tous ces cas la ques)on de la responsabilité ahénuée (par l'état de folie temporaire) avait été longuement débahue.
* Daniel Schmolling alors âgé de trente-­‐huit ans, poignarde sa jeune amante Henrie:e Lehne, alors enceinte de lui. Il déclare à son audi,on l'avoir toujours aimée. Ils n'auraient jamais eu d'accrochage. Schmolling était indifférent à la grossesse de son amante. Il déclare que, alors qu'il était en train de travailler, la penser de tuer Lehne lui vint à l'esprit, et qu'il était étonné d'avoir eu ce:e pensée. Devenue obsession, ce:e idée ne le lâcha plus et, lors d'une promenade nocturne, il la tua. L'exper,se du médecin Mertzdorff révéla une a:aque d'amen,a occulta, expliquant que Schmolling aurait été privé de sa raison au moment de sa décision de tuer. Il fut néanmoins exécuté, la jus,ce refusant la thèse que Schmolling n'eût pas été responsable de ses actes.
C'est dans un contexte poli)que et social tumultueux que Büchner engage son travail d'écriture. Culturellement, l'Allemagne est en plein roman)sme, contrepoint à la philosophie des Lumière et au classicisme. À la fin du XVIIIe siècle, le Sturm und Drang, mouvement 42
précurseur du roman)sme allemand dans le théâtre, se focalise sur un personnage à l'âme tourmentée. Ceci nous voudra, par exemple, l'embléma)que Faust de Goethe. À la fin du XIXe siècle, un mouvement réaliste s'installe, mehant en avant le drame social. Face à cela apparaît le drame psychologique, que l'on ahribue ici à la pièce de Büchner : Woyzeck.
Büchner est connu comme un auteur drama)que mais aussi comme un homme poli)que engagé, au bagage intellectuel conséquent, allant de la philosophie aux sciences. Dans la pièce, il dépeint une société de la pauvreté, aux mul)ples facehes, portrait aggravé par la misère et la déprava)on. En la considérant comme le premier drame dont le personnage principal est un homme du peuple, nous pouvons imaginer les raisons qui pousseront Brecht à faire connaître la pièce au XXe siècle. En revanche, nous ne pouvons que supposer les inten)ons de Büchner, ainsi que nous l'avons déjà indiqué, mais la significa)on poli)que est clairement en rapport avec ses textes-­‐brûlots publiés dans le Messager hessois : «Ne sommes-­‐nous pas dans un état de perpétuelle violence ? Parce que nous sommes nés et avons grandi au cachot, nous ne remarquons même plus que nous sommes dans le trou, les mains et les pieds ahachés, un bâillon sur la bouche... Qu'est-­‐ce que la légalité ? Une loi qui réduit la grande masse des citoyens à l'état de bête de somme (...) cehe loi est une violence perpétuelle et brutale faite au droit et au bon sens, et je la combahrai par tous les moyens, chaque fois que possible». 43
Sur les adapta*ons
Werner Herzog, familiarité et anachronisme
Werner Herzog est un cinéaste allemand, né à Munich en 1942. Il a à son ac)f une trentaine de films et con)nue à en réaliser encore aujourd'hui. Il se fait connaître en 1972 avec Aguirre, la colère de Dieu alors diffusé pour la première fois dans les salles françaises. Plusieurs tournages difficiles, dont celui-­‐ci, lui vaudront d'être surnommé «le cinéaste de l'impossible». En 1978 il réalise Nosferatu avec dans le rôle principal Klaus Kinski, et peu de temps après avec le même acteur, Woyzeck. Contrairement aux autres tournages, celui-­‐ci se déroule bien : quinze jours de tournage et quelques semaines de plus pour le montage et le final cut.
Werner Herzog tourne un Woyzeck en)èrement fidèle et personnel, à tel point qu'on ne peut s'empêcher en le commentant de parler autant de Büchner que du réalisateur. Cehe promiscuité fait la réussite du film, sa simplicité laissant transparaître tout son génie. Herzog adapte assez fidèlement la pièce posthume de Büchner : Franz Woyzeck, soldat dans une pe,te ville de garnison en Allemagne, au siècle dernier, est rudoyé par son capitaine, persécuté par le médecin local, qui l'u,lise comme sujet d'expériences, trompé enfin par sa femme Marie. Apprenant son infortune, qui débonde toute la douleur accumulée au cours de sa vie, il tue Marie et se suicide.
E. Carrère, Werner Herzog, 1982.
Dans le film, la marque de fabrique habituelle de Herzog -­‐ la splendeur -­‐ est absente, ceci pouvant expliquer son rela)f insuccès. Le film est tourné en quinze jours avec un budget réduit. Herzog se refusant toute forme de séduc)on, tourne le dos au pihoresque ainsi qu'à la poésie, qui émane d'habitude de ses films avec une telle aisance. La recons)tu)on historique est réduite à son minimum, de manière à ne tomber ni dans l'actualisa)on, ni dans l'intemporalité. La photographie évite, dans sa simplicité, le basculement vers l'esthé)que sordide plaquée si fréquemment sur le drame de Büchner. Ainsi Herzog semble-­‐
t-­‐il ne pas surenchérir en évitant de «situer cehe tragédie de la merde dans une décharge». La chambre de Marie, le cabaret et la caserne sont propres et nets, remplis d'une lumière d'après-­‐midi. Herzog se refuse au sinistre mais aussi à trop de poésie contempla)ve, bien que les occasions ne manquent pas.
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ill.19 : Woyzeck, (la scène du crime),
film réalisé par Werner Herzog, 1979.
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Le drame de Büchner est essen)ellement humain et urbain. Les quelques épisodes de la pièce, qui se prêtent par)culièrement à un certain lyrisme, se déroulent d'ailleurs hors de la ville : Woyzeck et Andrès coupant du bois pour le capitaine. Le soir tombe sur la ville au loin, comme si le monde était mort. Woyzeck a des hallucina)ons. Au détour de ce moment suspendu, Herzog ne semble pas succomber à la tenta)on d'y adjoindre une vision. La caméra reste focalisée sur les deux hommes puis, à la fin du dialogue, fait apparaître la ville au lointain. C'est bien la vision de Woyzeck, le fait qu'il puisse y croire et en être effrayé, qui intéresse ici le réalisateur. Ainsi l'esthé)que du plan ne témoigne aucunement de cet état de folie. Le meurtre de Marie et la noyade de Woyzeck à la fin du film rendent également compte de cet ascé)sme. Quand ils sont tous les deux prês de l'étang et que Marie regarde la lune rouge, on ne voit aucune lune rouge, la caméra restant braquée sur Marie. Lors de la noyade de Woyzeck, la caméra tourne en plan fixe une nuit sans mystères, les éclairages de cinéma ne faisant rien pour se dissimuler. Pas de cri terrible provenant de l'étang.
La musique est elle-­‐même réduite à son strict minimum, interprétée par un quatuor d'archets, visible dans la scène de la taverne, chargé d'exprimer l'ironie stridente du film.
Ainsi le film est-­‐il dépourvu des ahributs de la grâce et de la poésie. L'homme occupe constamment le premier plan, mehant de côté la fusion avec la nature. Herzog marque ici la volonté de réaliser un documentaire humain, comme nous pouvons le remarquer dès le générique, au travers d'un Woyzeck gibier, au regard hagard.
Klaus Kinski est admirable pendant tout le film. Il joue avec son corps et son visage dans une puissance con)nue. Le visage est constamment expressif, tant dans la psychologie, par l'usage de mimiques bouleversantes dans les moments de tendresse, que dans la physionomie, veines saillantes, au point de paraître écorché au sens propre, et figuré. Sculpture tétanisée au moment du meurtre de Marie, il culmine alors dans son rôle, amplifié par le ralen) de la scène, interminable, la caméra braquée sur lui. Il joue aussi de son corps et de sa pe)te taille, rendant son pauvre diable déchirant. Ses gestes avec Marie, Andrès ou son enfant, aussi bien qu'avec ses supérieurs, sont raides et robo)ques.
Grâce à cehe véritable incarna)on de Woyzeck, dans le corps et dans le verbe, le personnage trouve dans cehe mise scène une force inégalable. C'est un cri des plus essen)els jamais poussés par un ar)ste et un homme, cri poussé par une autre gorge un siècle et demi plus tôt. Ainsi la démarche de Herzog nous amène à nous interroger sur le rapport entre le cinéaste et le dramaturge. Herzog et Büchner se ressemblent ici, dans leur caractère et leur démarche. Ils partagent l'amour de la nature, la tragédie du paysage, mais 46
aussi une sensibilité qu'on retrouve dans leurs écrits respec)fs. Herzog est aussi très sensible à l'humain. Woyzeck devient l'archétype même, ressuscité des textes de Büchner, du personnage sans dignité à qui seule reste la mort comme des)n inévitable.
On remarque des ressemblances plus précises entre la pièce et le film. L'aspect fragmentaire de la pièce semble tout à fait convenir au style du cinéaste, peu coutumier d'une dramaturgie linéaire. Contrairement à Alban Berg qui en fera une œuvre quasi architecturale en trois actes, Herzog reste du côté du texte inachevé de Büchner. En se rapprochant de ce dernier dans le mode de récit, Herzog résout de manière cri)que tous les problèmes d'ordre formels que l'on peut constater dans certains de ces films. Car il est de ces ar,stes qui gagnent plus à persévérer dans leurs propres erreurs, à cul,ver leurs carences, qu'à leur appliquer un remède forcément plaqué et inopérant. E. Carrère, Werner Herzog, 1982.
La ressemblance n'est pas seulement sur les modalités du récit. À l'instar des personnages secondaires chez Büchner, lointains, ceux-­‐ci semblent échappés du film de Herzog. L'a|tude et les phrases de ces personnages obéissent à un principe de réalisme et d'incongruité. Ainsi le traitement par les fèves du docteur sur Woyzeck est plus poé)que que pra)que. De la même manière les propos sans réelle logique par)cipent à l'effet de cruauté de l'anecdote. L'ironie de Büchner dénonçant la pompe et l'exalta)on du roman)sme trouve aussi son écho.
Tout, en somme, renvoie ici à Büchner, mais aussi à Herzog. D'où l'équa,on : Herzog plus Büchner, dans le respect total, égalent Herzog au carré. Rarement l'iden,fica,on entre deux ar,stes aura été aussi complète et féconde.
E. Carrère, Werner Herzog, 1982.
Cehe fécondité pose le problème de l'anachronisme, non pas dans des ques)ons d'antériorité de l'œuvre, mais dans la ques)on de l'iden)té absolue de cehe dernière. L'adapta)on peut être infidèle, en espérant que cehe infidélité soit source de créa)on, ou entretenir une rela)on plus étroite. Dans ce cas, c'est le regard contemporain sur l'œuvre passée qui nous intéresse. La fidélité lihérale peut nous ques)onner sur la distance qui sépare de l'œuvre, au point que cehe proximité revendiquée puisse sembler paradoxale. Un regard plus engagé sur l'œuvre antérieure marque aussi une distance. Il s'agit de révéler ce 47
que l'œuvre recèle d'actuel. Il existe aussi cehe a|tude plus risquée qui vise non pas la recons)tu)on, mais la familiarité. Ainsi Herzog ne porte pas un œil d'aujourd'hui sur le roman)sme allemand, mais plutôt le regard d'un roman)que allemand sur son époque. Ce Woyzeck semble plus être un avatar de l'œuvre de Büchner qu'une adapta)on lihéraire, à ce point iden)que qu'elle pose la ques)on suivante : comment peut-­‐on être à ce point anachronique ? Nous pouvons esquisser une réponse en deux axes. D'un côté, nous pouvons constater, au travers de cehe familiarité entre les deux auteurs l'éternel jeunesse du grand art, et de l'autre, l'éternelle jeunesse du malheur ici vérifiée.
Thomas Ostermeier : l'expérience Woyzeck
Thomas Ostermeier u)lise le texte de Büchner comme celui d'un auteur drama)que, a contrario d'un théâtre radical, qualifié aussi de postmoderne, qui s'intéresse à son aspect fragmentaire comme simple matériau de créa)on. En maintenant le texte et son pouvoir comme lien au monde, Ostermeier ne s'affirme pas dans la rupture, mais dans un legs sélec,f, et un affranchissement insoumis. Il voit en Woyzeck le premier drame social, la pièce offrant, selon lui et son dramaturge Marius von Mayenburg, plusieurs fronts pour engager leur art dont ils re)endront celui de la ques)on sociale. La coïncidence des sensibilités est ici remarquable tant les propos de Büchner résonnent familièrement aux oreilles du meheur en scène. Malgré cela, Ostermeier semble garder un certain op)misme quant au rôle du théâtre se ralliant à la tradi)on allemande du réalisme engagé, hérité du théâtre poli)que, dans un esprit de post-­‐brech)en. Le meheur en scène, à travers cehe pièce, affirme le souhait d'élargir le public en confrontant les enjeux historiques de l'époque de l'auteur, à ceux d'aujourd'hui. La pièce met ainsi en scène la faune contemporaine des banlieues de l'ex-­‐
Berlin Est, non sans évoquer les pages les plus noires de l'histoire allemande.
Ostermeier ajoute un niveau supplémentaire à l'écriture de Büchner par le biais de nombreuses scènes muehes. À cehe ligne très rigoureuse viennent s'ajouter des inters)ces sur lesquels nous pouvons nous interroger. Le drame semble être dilué dans un scénario plus complexe, interrompant son déroulement linéaire. L'ahen)on semble alors portée sur l'aspect fragmentaire ou discon)nu des dialogues, révélant la modernité du drame, qui produit des creux, ou silences, eux-­‐mêmes démul)pliés par l'amplitude de la scénographie.
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ill.20 : Woyzeck, (la scène du crime),
mis en scène par Thomas Ostermeier, 2004.
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Le texte est radicalement actualisé, sans lien direct avec le fait divers de 1821 dont s'inspira Büchner. La scénographie hyperréaliste, sorte de grande cuve surplombée d'immenses panneaux publicitaires aux abords d'une banlieue anonyme berlinoise, semble tout indiquée pour y commehre un crime. Par son format, sa défini)on et son éclairage, la scénographie place le spectateur comme au cinéma. Le rythme et l'enchainement de tableaux, brefs, et parfois quasi vidéoclips, ajoutent à cehe percep)on cinématographique. Les images se succèdent, laissant apparaître le réel comme une infrac,on à sa propre absence.
Ostermeier nous donne à voir un corps social instable, une luhe de pouvoirs et des malversa)ons qui, portés par un réalisme amplifié, font du théâtre social promesse tenue. Sur scène, le corps est )raillé entre sa représenta)on (sur les panneaux publicitaires) et sa présenta)on (la réalité des comédiens), elle-­‐même remise en cause. Par son a|tude, Woyzeck semble constamment épié, l'univers sonore et visuel suggérant la présence oppressante d'un BigBrother qui le pousse à la schizophrénie. Pris dans l'arène, Woyzeck est à la merci aussi bien de ses tor)onnaires que du spectateur-­‐voyeur. À l'excep)on de la scène du crime, Woyzeck est, jusque dans son infortune, épié par au moins un ou deux personnages sur le plateau. Cehe surveillance omniprésente et les mises en abyme placent le spectateur comme témoin au second degré.
Des moments de «vraies réalités» surgissent comme des effrac)ons à la représenta)on théâtrale jusqu'à aheindre son paroxysme avec la scène très controversée de la démonstra)on du rappeur français et des quatre danseurs de hiphop. Cehe rupture dans le déroulement de la pièce, plutôt de l'ordre de la performance, semble placée là comme une ironie. L'usage de tubes pop est familier à la généra)on de meheurs en scènes tels qu'Ostermeier, qui exploite à outrance le kitsch musical. L'effet est assuré mais l'insistante ironie semble finir par perdre de son effet. On remarque cependant la présence de Woyzeck nu sur son piédestal grotesque, à son tour témoin de l'ac)on. Ostermeier semble vouloir ainsi confronter la (re)présenta)on pure du comédien à la performance.
Les chorégraphies grotesques jalonnent la pièce. Réjouissantes et désespérantes, oscillant entre étrangeté et réel qui, lorsqu'ils se rencontrent, provoquent des hasards fer)les. Dans le règne des apparences, dominant par les panneaux publicitaires, le caractère disgracieux de Woyzeck est démul)plié, mais pas autant que celui de son fils illégi)me, joué par un adulte nain, bébé-­‐voyou qui semble alors prendre une place centrale.
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Toute l'animalité présente dans le texte de Büchner -­‐ les scènes du discours forain et la démonstra)on médicale du docteur avec le chat -­‐ est ici transposée dans le tambour-­‐major en veste de cuir, non comme rituel conduisant vers la mort, mais comme séduc)on ludique. C'est un Woyzeck fiévreux qui poignarde Marie dans une transe suivie d'une danse macabre sur fond de rock industriel. Il se dresse fier et furieux de son acte libérateur puis, par la présence inahendue de Käthe qui remarque ses taches de sang sur le bras, se confronte à nouveau à la réalité inquiétante.
Par son par) pris, Ostermeier nous donne à voir un spectacle hybride et unifié par la dominante physique, traduisant une volonté de s'inscrire dans un présent éclaté. Face à une réalité inabordable de front, il semble doubler l'idéalisme moderne d'une conscience cri)que, témoignant d'une lecture vigilante du texte de Büchner. Ainsi, sans prendre le risque d'une emprise trop directe sur le )ssu social, le drame de Büchner paraît convenir aux effrac)ons et aux détours commis par le meheur en scène qui, sans tomber dans le simple diver)ssement, fait dévier la trajectoire du texte vers l'inahendu. 51
Analyse comparée par ordre d'évènements
Deux rythmes, une parBBon
Nous pouvons observer, dans le découpage de chacune des adapta)ons, que le rythme n'est pas traité de la même manière. Dans le film d'Herzog, les scènes et les ac)ons s'enchainent de façon fluide et linéaire, et les plans de façon presque monotone. La structure du film semble correspondre dans les grandes lignes à la version recomposée du texte de Büchner. Ostermeier en revanche, joue sur un é)rement du texte. Ces scènes semblent avoir été clairsemées au milieu d'un plus grand nombre d'ac)ons. La con)nuité n'est pas pour autant remise en cause. Le meheur en scène crée une ahente, rendant en quelque sorte le texte nécessaire au spectateur pour comprendre le déroulement du drame. Dans les deux cas le sen)ment d'un décor clos et unique (le village chez Herzog, le terrain vague chez Ostermeier) est constamment présent. Aucune échappée ne semble possible. Ainsi nous pouvons remarquer que, même si le nombre d'ac)ons varie, la forte présence du lieu unique confirme qu'il s'agit bien d'une seule est même œuvre ici traitée.
IntroducBon, présentaBon du décor.
Werner Herzog
Thomas Ostermeier
Deux départs pour une desBnaBon
Chez Ostermeier, au commencement du spectacle, le spectateur découvre un décor gigantesque. La scénographie de Jan Pappelbaum, à mon sens, recons)tue de façon hyperréaliste un paysage familier des bords d'autoroutes : un bassin de réten)on d'eau. En cas de pluies diluviennes, les autoroutes devenant de véritables rivières, ces bassins servent à protéger les cultures et les villages alentours d'inonda)ons destructrices. Vide, ce bassin devenu terrain vague semble indiquer que la pièce se passe en période de grande chaleur. Seul un tuyau en béton préfabriqué laisse s'écouler péniblement quelques gouhes, formant ainsi une maigre flaque d'eau croupissante. L'ambiance sonore et les trois panneaux 52
publicitaires disposés en fond de scène rappellent la proximité de la ville. Le spectacle commence ainsi : un pe)t garçon et une pe)te fille sont seuls sur scène et dessinent dans le sable une marelle. Les personnages entrent en scène les uns après les autres, à commencer par Andrès. C'est le ma)n, le terrain vague prend vie. S'en suivent une série d'ac)ons qui contribuent à «poser le décor». Ce n'est qu'à par)r de la douzième minute que nous entendons le texte de Büchner : Marie parle avec son acolyte (la voisine) des Tambour-­‐
majors qu'elles reluquent (III.2a)*. Woyzeck, quant à lui, apparaît plus tôt, au bout de la cinquième minute, mais ne parlera que plus tard (au bout de dix-­‐sept minutes de spectacle).
Scène III.2 : Marie et la voisine regardent les tambour-­‐majors.
Werner Herzog
Thomas Ostermeier
On peut remarquer que le meheur en scène prend la liberté de couper la scène III.2, en y intercalant la scène du dialogue entre Woyzeck et Andrès (III.1). Ainsi la fin de cehe scène, le dialogue entre Marie et Woyzeck, vient après (III.2.b). Le spectateur fait donc connaissance avec un personnage muet, dont l'a|tude et les gestes sont une somme d'indices qui laissent supposer qu'il s'agit de Woyzeck. Nous n'en avons cependant la preuve défini)ve que lorsque Andrès le nomme par son prénom, Franz, quand ce dernier commence à avoir des hallucina)ons (III.1). La mise en scène met ainsi l'accent sur la condi)on sociale d'un personnage oppressé et humilié par des tambour-­‐majors qui le rouent de coups, après que celui-­‐ci ait tenté d'interpeller Marie, en vain.
Remarque : en référence au manuscrit les fragments seront indiqués par des chiffres romains (I, II, III, IV) et les scènes par leurs numéros (1, 2, 3, etc.). Le découpage de chacune des deux adapta,ons se trouve en annexe.
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Herzog insiste au début de son film, de la même manière qu'Ostermeier, sur l'importance du lieu, au travers de plusieurs plans panoramiques du village. Le décor semble également vide. Le réalisateur présente ensuite un Woyzeck tout aussi muet. Son iden)fica)on est cependant plus aisée : le )tre du film, Woyzeck, apparaît pendant le générique en superposi)on du visage de Klaus Kinski qui interprète ce rôle. Herzog le présente comme un être apeuré, essoufflé, contraint à un entrainement militaire violent. La scène suivante se déroule en intérieur, Woyzeck dans son rôle de barbier, avec le capitaine. Nous entendons pour la première fois le texte de Büchner, au bout de la quatrième minute (III.5). Herzog modifie l'ordre des scènes. Le capitaine s'adresse à Woyeck à la troisième personne et l'humilie, ainsi pouvons-­‐nous supposer que Herzog souhaite d'abord mehre l'accent sur la condi)on basse du personnage. Scène III.5 : Chez le barbier. Dialogue entre Woyzeck et le capitaine.
Werner Herzog
Thomas Ostermeier
La scène qui traite de la folie de Woyzeck vient en effet après, au bout de la dixième minute : Woyzeck et Andrès coupent du bois pour le capitaine, et Woyzeck a des visions (III.
1). La scène où Marie et la voisine regardent les tambour-­‐majors, et où Woyzeck fait érup)on toujours dans cet état de folie, vient ensuite (III.2).
Scène III.1 : Woyzeck et Andrès coupent du bois. Woyzeck a des hallucina)ons.
Werner Herzog
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Thomas Ostermeier
Scène IV.1 : Sur la place. Le docteur, la foule et Woyzeck. Le docteur lance le chat.
Werner Herzog
Thomas Ostermeier
Ainsi nous pouvons remarquer que la structure de chacune des deux adapta)ons débute de la même manière : présenta)on muehe du lieu clos et vidé; présenta)on de Woyzeck en mehant l'accent sur sa condi)on (Chez Herzog, l'entraînement militaire et l'humilia)on par le capitaine. Chez Ostermeier, Marie qui s'intéresse à un autre homme et humilia)on de Woyzeck roué de coups); puis présenta)on de la folie et des visions de Woyzeck. Là ou Herzog met l'accent sur la condi)on sociale du personnage, Ostermeier met d'abord l'infidélité de Marie en avant, se dessinant à l'horizon comme seul avenir proche pour Woyzeck.
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Développement des personnages et trahison
Dans le film d'Herzog, Woyzeck est de nouveau humilié, par le docteur cehe fois, dans une scène où il est également ques)on de ses visions (III.8). Il est intéressant de remarquer qu'à ce stade du film nous avons alors déjà fait connaissance avec les acteurs principaux. Le réalisateur révèle ainsi, en une dizaine de minutes, leurs iden)tés, ce qui lui permehra de développer la psychologie de ses personnages, et en par)culier celle de Woyzeck, pendant le reste du film.
Scène III.8 : Dans le bureau du docteur. Dialogue entre Woyzeck et le docteur.
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Thomas Ostermeier
Même si tous les personnages apparaissent rapidement dans la mise en scène d'Ostermeier, nous ne pouvons en revanche les iden)fier que tardivement, au compte gouhes. Le meheur en scène semble vouloir brouiller les pistes ou du moins, ne pas tout donner comprendre d'un seul coup d'œil. Il faut ahendre la douzième minute de spectacle pour commencer à entendre le texte de Büchner. De plus les costumes font clairement appel à des codes ves)mentaires contemporains, ne rendant pas l'iden)fica)on plus aisée. Le personnage du tambour-­‐major, par exemple, est démul)plié. Ceci rend les dialogues d'autant plus nécessaires à son iden)fica)on défini)ve, notamment lors de la scène de la trahison (III.
6), au bout de la première heure de spectacle.
Scène II.3,II.5 : Sur la place, stands forains. Woyzeck, Marie, puis le tambour-­‐major.
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Thomas Ostermeier
Herzog, quant à lui, donne à voir la trahison de Marie avec le tambour-­‐major bien plus tôt (III.6). Nous nous trouvons maintenant, juste après le dialogue entre Woyzeck et le médecin, sur la place avec les stands forains. Le réalisateur donne à voir Woyzeck, Marie et l'enfant comme une véritable pe)te famille. Il ne tarde pas à juxtaposer à cehe vision ce qui se trame entre Marie et le tambour-­‐major par le regard, puis le geste. Les condi)ons du passage à l'acte sont installées, la trahison est commise sans plus ahendre dans la scène suivante.
Scène III.6 : Dans l’appartement, la trahison : Marie avec le tambour-­‐major.
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Thomas Ostermeier
Ostermeier suggère, comme nous l'avons vu plus tôt, cehe a|rance entre Marie et le(s) tambour-­‐major dès le début des dialogues. Il met le spectateur dans l'expecta)ve qui, conscient de cehe tension éro)que, apprécie la scène de la trahison comme quelque chose qui devait arriver, sans surprise. Herzog fait part de cehe tension, présente dans le texte, mais ne lui donne aucun temps de matura)on. Marie et le tambour-­‐major semblent-­‐ils alors s'être précipités chez elle en se moquant des qu'en-­‐dira-­‐t-­‐on. Ainsi, même si le spectateur est aver) par des indices, l'effet de surprise est présent.
Il en va de même pour la clairvoyance de Woyzeck face à la trahison. Chez Herzog, celui-­‐ci ne semble y voir que du feu jusqu'à ce que le docteur et le capitaine qui, rappelons le, sont les responsables de sa condi)on sociale, lui apprennent cruellement la rumeur (III.9). La mise en scène d'Ostermeier laisse supposer que Woyzeck est au courant dès que Marie commence à prononcer son texte. Dans la scène III.2, Marie et la voisine parlent des tambour-­‐majors alors que Woyzeck s'est enfermé dans les toilehes, juste à côté. Ses soupçons et sa jalousie sont renforcés lorsqu'il est avec Marie et qu'il l'interroge sur la provenance de ses boucles d'oreilles (III.4). La scène où le docteur et le capitaine lui apprennent la rumeur vient alors comme la confirma)on qu'il ne s'agissait pas, cehe fois-­‐ci, d'une hallucina)on.
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Scène III.4 : Appartement. Marie et l’enfant. Woyzeck l’interroge sur ses boucles d’oreilles.
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Une fois que Woyzeck apprend la trahison, nous pouvons remarquer que Herzog et Ostermeier u)lisent le même enchainement de scènes (III.7, III.10, III.11, et III,12). Ostermeier fusionnera la scène des forains (II.3, II.5, traitée chez Herzog plus tôt dans le film) avec la scène de la danse dans la taverne (III.11). Dans cehe avalanche de scènes, Woyzeck ne semble plus vraiment chercher de preuves (III.7, le silence de Marie est déjà suffisamment révélateur), mais une riposte, ou disons plutôt, une solu)on. Celle-­‐ci lui sera dictée par ses visions : tuer Marie.
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Une scène de crime toute en en longueur La façon dont s'accommode Woyzeck de ce des)n funeste varie de Herzog à Ostermeier. Herzog fait évoluer la psychologie du personnage, qui tend à se vider (Marie était tout ce qu'il avait de tangible), rendant les raisons de cet acte meurtrier obscures. Ostermeier, au contraire, jus)fie cela par un glissement de la jalousie vers la démence. Ainsi nous présente-­‐
t-­‐il un Woyzeck joueur, qui ne cesse d'insinuer son plan macabre auprès d'Andrès (I.8). De la même manière Herzog donne à voir un Andrès inquiet pour l'état mental de son ami, alors qu'Ostermeier laisse supposer que ce dernier comprend la gravité de ce qui se prépare, sans trop vouloir s'en mêler.
Scène III.9 : Sur la place. Le docteur, le capitaine puis Woyzeck. Il apprend la trahison.
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Marie, chez Herzog, semble chercher la rédemp)on (III.16, elle lit la bible). Ostermeier supprime tout simplement cehe scène, rendant le péché beaucoup moins scrupuleux, d'une Marie (plus Carmen ?) à peine entachée du remords de faire preuve de peu de savoir vivre.
Ainsi les condi)ons du meurtre, la scène de crime qui se construit, dans les deux adapta)ons, semblent emprunter deux chemins dis)ncts. Herzog présente un Woyzeck déterminé, mais aussi secret. Lorsqu'il va chercher Marie pour l'emmener près du lac (I.14), nous savons qu'il a acheté un couteau chez le juif (III.15), mais ses inten)ons n'en demeurent pas moins obscures. Klaus Kinski joue un Woyzeck possédé par une force qui vient de l'intérieur, une force qui cherche à jaillir, physiquement visible, tant l'acteur contracte les muscles de son visage et de son corps. Lorsque Marie et Woyzeck se retrouvent seuls au bord du lac, l'intrigue n'est pas encore résolue. À ce stade, nous pouvons imaginer que leur dialogue, devenu crucial, puisse changer le déroulement de l'histoire. Ce n'est qu'à la fin de ce dialogue que Woyzeck semble convaincu, une fois de plus, par le silence de Marie (I.14, à propos de leur rela)on : Woyzeck : tu sais combien de temps ça fera encore ?, Marie : Il faut que je parte, la rosée tombe.).
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Herzog u)lise alors, pour la première fois dans le film, un effet : le (très) ralen). Ces quelques plans seront doublés de la même musique stridente qu'au début du film (que nous avons, rappelons le, iden)fiée à la condi)on sociale du personnage). Woyzeck poignarde Marie dans une fureur incontrôlée. Son regard vide, semble indiquer qu'il ne sait pas ce qu'il fait. Marie, lorsqu'elle tombe à terre, passe rapidement dans le hors champ de la caméra. Ce n'est qu'à l'agonie que nous verrons brièvement son visage. Puis la musique s'arrête, le bruit de la nature refait surface et la physionomie de Woyzeck change à nouveau. Au bout de quelques secondes, une autre musique (Adagio C mineur, Benedeho Marcello) vient se superposer au regard pétrifié de Woyzeck : il semble réaliser qu'il n'a pas seulement détruit ce qui il y avait de mauvais en Marie, mais Marie toute en)ère.
Scène I.15 : Au bord du lac. Woyzeck tue Marie.
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Ostermeier, mise en scène oblige, n'emploie pas de ralen) mais joue également sur la longueur. Nous pouvons en effet remarquer que chez Ostermeier, comme chez Herzog, la scène du meurtre à elle seule dure cinq minutes. Le meheur en scène donne à voir une Marie qui comprend ce qui peut lui arriver, et cherche à s'échapper à la fin du dialogue (I.14). Woyzeck l'en empêche et la poignarde une première fois à ce moment-­‐là, rendant l'acte meurtrier conscient, même si il reste impulsif. Un bruit d'hélicoptère commence à se faire entendre, en crescendo. L'éclairage général devient bleu et froid. Au moment du deuxième coup de couteau, une chanson explosive envahie brutalement l'espace (The Ghost of Tom Joad, Rage Against The Machine, les bruits d'hélicoptère font par)e du début de la chanson). Woyzeck se déchaîne sur Marie, il la détruit lihéralement, dans un acte libérateur. Dans sa furie, il hurle, se déshabille et entreprend une danse macabre. Contrairement à Herzog, Ostermeier nous montre une Marie coriace, qui meurt difficilement. Woyzeck est résolument joueur, il s'agit bien ici de donner la mort à Marie. Une fois morte, il parle avec elle, s'amuse de son silence, et finit par la jeter à l'eau.
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Un dénouement pour deux fins
C'est bien Woyzeck, et lui seul, qui finira à l'eau dans le film d'Herzog. En voulant dissimuler le couteau de plus en plus loin dans le lac, il finira par disparaître dans les eaux obscures. Le corps de Marie quant à lui reste sur la berge. Sans vouloir sur-­‐interpréter le sens, nous pouvons remarquer une inversion totale dans le dénouement du drame chez Ostermeier : Woyzeck jehe d'abord le corps de Marie à l'eau puis, plus tard, le couteau. Il n'ira dans l'eau que pour laver ses taches de sang qu'il a sur le corps. Sur le plan dramaturgique, la scène du crime une fois établie, nous remarquons qu'Herzog et Ostermeier u)lisent exactement le même enchaînement de scènes (I.17, I.19, 1.20, I.18 et I.
21) : Woyzeck à l'auberge discute avec Käthe qui remarque ses taches de sang; il retourne sur les lieux du meurtre pour dissimuler son arme et se laver; le lendemain les enfants répandent la rumeur du meurtre; et les experts viennent analyser la scène du crime.
Scène I.21 : Au bord du lac. Les experts constatent le décès de Marie.
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Thomas Ostermeier
À la fin du film d'Herzog, Woyzeck semble se noyer dans le lac. À la fin du spectacle d'Ostermeier, Woyzeck s'enfuit. À ce propos, nous remarquons, plus tôt dans le drame, qu'Ostermeier fait l'impasse sur la scène où Woyzeck donne tout ce qu'il possède à Andrès (III.17). Dans le premier cas, Woyzeck meurt, dans le deuxième, il survit. La dramaturgie laisse en effet la possibilité à l'un ou l'autre des scénarios. Herzog choisit d'u)liser à nouveau le ralen) pour la dernière scène (I.21). Ainsi les trois experts errant sur la scène de crime sont muets. Le texte de Büchner apparaît en superposi)on de ce plan, comme un rapport d'exper)se établi ultérieurement. Ostermeier choisit ici de faire dire ce texte, les trois experts étant joués par le docteur, qui s'amuse de voir "Un bon, un vrai, un beau crime", le capitaine que cela n'amuse pas vraiment, et un tambour-­‐major, plus loin (qui n'est pas celui avec qui Marie a commis la trahison). 61
Conclusion
Ces deux adapta)ons différent tant par la dramaturgie que l'esthé)que, nous présentant, dans la mise en scène d'Ostermeier, un Woyzeck «de l'extérieur», imbriqué dans un système, et dans le film d'Herzog, un Woyzeck «de l'intérieur», psychologique. Le Woyzeck d'Herzog semble coller à l'œuvre, et opère pourtant un décalage troublant par rapport au texte de Büchner : l'importance donnée à l'acteur principal, le traitement de la scène du crime, recentrent le ques)onnement de l'œuvre autour de la psychologie du personnage, sur la fron)ère fragile entre la folie et la réalité. Les libertés prisent par Ostermeier quant à la dramaturgie semblent possibles dans la mesure où les rôles sont tantôt mul)pliés (le troupeau de tambour-­‐majors), et tantôt mul)ples (le médecin qui joue le forain II.5, le tambour-­‐major qui joue le juif, III.15). Finalement, son personnage de Woyzeck ressemble à un «monsieur tout le monde». Ainsi Ostermeier met-­‐il l'accent sur la contemporanéité du personnage face à la société. Le meheur en scène suggère que celui-­‐ci, en fuite, pourrait se trouver parmi nous. Le film d'Herzog nous donne à voir la proximité anachronique de Woyzeck avec son interprète, Klaus Kinski, mais aussi la proximité du réalisateur, dans la démarche, avec Büchner.
Nous pouvons remarquer dans les deux cas que, si l'équilibre de la dramaturgie est différent, les clés du drame social et psychologique n'en demeurent pas moins présentes.
Le texte de Büchner, ainsi inachevé, cons)tue un parfait exemple illustrant la dis)nc)on faite par Schechner entre le script et le drame*, autrement dit, entre le projet d'écriture et l'écriture elle-­‐même.
* Drama is the smallest and most intense circle. A drama is independent of the people who carry it, and it may be carried between places and ,mes. Even if the people who perform the drama do not comprehend it, the drama remains preserved. Script is all that can be transmi:ed between places and ,mes. The script is the code of events, and is transmi:ed between people. The transmi:er must know the script and be able to teach it to others.
Richard Schechner, extrait de Performance Theory, 2004.
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EXPÉRIENCE À L’OPÉRA :
PARSIFAL MIS EN SCÈNE PAR ROMÉO CASTELLUCCI
II.2.
ill.21 : Photographie. La blessure d’Amfortas. Répé))on orchestre, le vendredi 21 janvier 2011.
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Genèse d’une créa*on
Nous venons d’observer, dans le chapitre précédent sur Woyzeck, comment un meheur en scène ou un réalisateur peuvent installer, tout au long du drame, les condi)ons nécessaires à l’avènement du crime en scène, sous le regard du spectateur. Nous allons maintenant observer une approche de la scénographie de l’opéra Parsifal, dans lequel le crime n’est pas visible mais néanmoins bien présent.
Castellucci, Parsifal et la violence Roméo Castellucci monte Parsifal, son premier opéra, au Théâtre de la Monnaie au début de l’année 2011, à Bruxelles. J’ai pu observer l’évolu)on de la créa)on au cours de différentes étapes de travail : répé))ons pianos, répé))ons orchestres, filages, pré-­‐générale et conférence. Durant ces phases de créa)on, j’ai cherché à définir la place du crime dans la pièce de Wagner et dans le travail du meheur en scène. J’ai retranscrit le déroulement de ces répé))ons sous la forme d’un journal, comprenant des illustra)ons, dont j’u)lise ici quelques extraits. Ce travail décrit les évènements, les éléments de la scénographie, et plus généralement, l’ambiance durant ces séances de travail. Certains extraits choisis ne traitent pas directement de la ques)on de la représenta)on du crime mais témoignent d’une ambiance de travail, spécifique à la créa)on de cet opéra, et servent également à expliquer les différents éléments scénographiques mis en place pour la créa)on de ce spectacle. Piersandra di Maheo, dramaturge de Roméo Castellucci, a accepté de répondre à une série de ques)ons à propos de la créa)on de Parsifal (en anglais, voir annexe). Certains effets visuels n’apparaitront pas dans les représenta)ons publiques. Il s’agit ici de confronter mon expérience de Parsifal par Castellucci à la ques)on de la représenta)on du crime.
Castellucci considère le cerveau du spectateur comme le plateau où se joue la pièce de théâtre. Il souhaite que la supers,,on autour du théâtre comme seul lieu de représenta,on s’arrête car on est spectateur partout, même quand on ne le veut pas. Il souhaite pouvoir échapper à la significa,on univoque au théâtre, car celle-­‐ci tue l’image. Pour ce faire, il se réfère à l’étymologie du mot religion, selon Lactance au début du IVe siècle, religare signifierait «relier» ou «ce qui )ent ensemble». Il cite Foster Wallace à ce sujet car, dit-­‐il, «On est tout seul, tous ensemble» : C’est l’histoire de deux jeunes poissons qui nagent et croisent le chemin d’un poisson plus âgé qui leur fait signe de la tête et leur dit, « Salut, les garçons. L’eau est bonne ? » Les deux jeunes poissons nagent encore un moment, puis l’un regarde l’autre et fait, « Tu sais ce que c’est, toi, l’eau ? »
David Foster Wallace, Extrait de C ’est de l’eau, Diable Vauvert, paru le 26 août 2010.
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Parsifal, une communauté en crise
Parsifal est un opéra allemand écrit par Richard Wagner, composé à la fin du XIXe, et créé pour la première fois en 1882, au palais des fes)vals de Bayreuth. La pièce se décompose en trois actes et dure, selon les adapta)ons, de 3h40 à 4h50. Parsifal est, selon les mots de Wagner, un «Bühnenweihfestspiel», c'est-­‐à-­‐dire un «fes)val scénique sacré». Il est inspiré de l’épopée médiévale Parzifal de Wolfram von Eschenbach (1210), et de Perceval ou le Conte du Graal (1181), roman écrit par Chré)en de Troyes, resté inachevé.
L’intrigue se déroule sur les terres et au château de Montsalvat, et dans le palais du magicien Klingsor. Parsifal, fils de Herzeleide, est élevé dans une forêt isolée pour l’empêcher de suivre l’exemple de son père, Gamuret, par) en quête d’aventure héroïques et mort prématurément. Parsifal ignore tout du monde et grandit sans guide, dans l’innocence. Il prend goût à l’aventure lorsqu’il aperçoit un jour par hasard un groupe de chevaliers. Il supplie alors sa mère de le laisser par)r. L’acte I se déroule dans une forêt aux alentours du château du Graal, puis dans la halle du château. L’acte II situe l’ac)on dans le donjon du château magique de Klingsor. L’acte III se déroule à nouveau dans la forêt puis dans le château du Graal.
Bien que le crime ne soit pas le sujet central de l’œuvre de Wagner, l’intrigue démarre sur une succession d’actes criminels. Dans l’acte I, Amfortas, roi des Chevaliers du Graal, essaye de tuer le magicien Klingsor à l’aide de la Sainte Lance. Pendant qu’Amfortas succombe aux charmes d’une femme, Klingsor s’empare de la Lance et la lui plante dans le côté. Tenta)ves de meurtres, péché de luxure, vol font ici par) des fondements du récit. Nous pouvons remarquer qu’Amfortas ne meurt pas de sa blessure : le châ)ment est plus cruel encore, car celle-­‐ci ne guérit pas. Amfortas souffre tellement à la vue du Graal qu’il n’éprouve plus qu’un seul désir : mourir pour mehre fin à ses souffrances. Toujours dans le premier acte, Parsifal est capturé par la communauté des chevaliers et emmené au château pour avoir commis le sacrilège d’avoir tuer un cygne dans une enceinte où toute vie est sacrée. D’après Castellucci, la communauté des chevaliers dans Parsifal est à l’image de notre société : malade, lâche, endormie. […] Parsifal sauve la communauté parce qu’il la met en crise. Parsifal, comme sauveur, apporte ainsi la rédemp)on et libère la communauté du fardeau de ses crimes.
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Roméo Castellucci, le crime comme acte fondateur
Roméo Castellucci est meheur en scène et scénographe. Il fait par)e des fondateurs de la Societas Raffaello Sanzio, créée en 1981, en Italie. Il est formé aux Beaux-­‐Arts de Bologne et se lance à la recherche d’une forme de parole sensible, au-­‐delà du sens. Il dit lui-­‐même à ce sujet qu’il «représente une forme de théâtre contemporain qui peut être vécu comme une menace pour le théâtre du texte». Également considéré comme plas)cien, il a su imposer une esthé)que forte, dans un ensemble homogène, qui n’est pas sans rappeler l’opéra au sens premier, une œuvre d’art totale où le visuel et le sonore sont centrales.
Son théâtre est basé sur l’intensité, réunissant pra)quement toutes les formes d’expressions ar)s)ques, et sur l’expérience vécue par le spectateur. Les techniques visuelles et sonores u)lisées s’appuient aussi bien sur des équipements couramment employés au théâtre que sur les nouvelles technologies. Depuis la créa)on de la compagnie, de nombreux spectacles ont vu le jour dont, pour les plus connus : Hamlet (1992), Oresteia (1995), Giulio Cesare (1997), Genesi, from the museum of sleep (1999), Voyage au bout de la nuit (1999) et Il Comba€mento (2000). En 2001, le projet Tragedia Endogonidia est lancé et tournera partout en Europe sous la forme de 11 épisodes, portant le nom des villes dans lesquels ils ont été produits ini)alement : C.#01 Casena (2002), A.#02 Avignon (2002), B.#03 Berlin (2003), Br.#04 Bruxelles (2003) etc… Des exposi)ons sont également consacrées à son travail telles que To Cartage Then I came, fes)val d’Avignon (2002).
Dans le spectacle Genesi (1999), Castellucci se confronte aux origines bibliques, faisant du crime l’acte fondateur :
A.S : Votre lecture de la Genèse, dans laquelle le crime devient l'acte originel, l'acte fondateur par excellence, peut-­‐elle être rapprochée des analyses de René Girard ou des œuvres de Dostoïevski ?
R.C. : Oui, surtout quand le crime devient un moyen de renaissance, un moyen de se repenser. En ce sens, les personnages sont typiquement dostoïevskiens : ils tuent sans savoir pourquoi et, à par,r de ce crime, Caïn, dans le troisième acte, se reconsidère lui-­‐même… […].
Propos recueillis par Armand de Saint-­‐Sauveur, interview de Roméo Castellucci, à propos de Genesi, réalisée pour flucuat.net, 2000.
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Journal illustré
RépéBBon piano, jeudi 13 janvier 2011.
18h30. Dans l’ahente. J’entre dans la grande salle du théâtre. Tout est calme. Quelques personnes sont présentes. Le plateau et la salle sont vides. Une passerelle, installée au-­‐
dessus de la fausse d'orchestre, côté cour, permet de circuler de la salle à la scène facilement. Celle-­‐ci est étroite, deux personnes s'y croisent difficilement. Elle est inclinée, la scène étant surélevée par rapport au parterre. Elle repose, d'un côté, contre le bord de scène, et de l'autre, sur le rebord de la fausse d'orchestre. Un pe)t escalier en bois disposé au parterre permet de monter sur cehe passerelle.
18h45. Castellucci entre. L'agita)on commence à se faire sen)r. Des techniciens traversent le plateau, puis le parterre. D'autres personnes prennent place silencieusement, derrière moi. Roméo Castellucci entre. Je le reconnais d'après photographies. Il marche à bonne allure. Il semble serin mais ne sourit pas : il a l'air occupé. Les personnes à la régie le remarquent à peine, elles semblent habituées à sa présence. D'autres personnes venues assister à la répé))on semblent en revanche plus nerveuses.
Au sujet de son travail de meheur en scène, Castellucci dira : «Je suis un tube, un conducteur, quelque chose de vide, et c’est mon mé)er d’être vide, il faut devenir transparent».
Roméo Castellucci, Meet The Ar,st, conférence,
théâtre de la Monnaie, le 28 janvier 2011.
19h00. Les consignes de la chorégraphe. En l'espace de quelques minutes, le parterre est rempli de choristes et de figurants. L'ambiance change, le niveau sonore augmente. Cehe foule a quelque chose de fes)f. Cindy Van Acker, chorégraphe, explique ce qui va changer par rapport à la répé))on précédente. C ’est la fin du troisième acte qui est répétée aujourd’hui. La chorégraphe invite tous ces figurants à monter sur le plateau. La lumière de la salle est coupée quelques minutes plus tard.
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19h30. La foule en scène. Sur le plateau, une faible lumière persiste. Près de 170 figurants sont désormais sur scène, debout, face à la salle. Les deux premiers rangs de figurants prennent place sur un tapis roulant. Celui-­‐ci, encastré au-­‐devant du plateau, est silencieux et mesure pra)quement toute la largeur du cadre de scène. Il est ac)onné et les figurants se mehent alors à marcher (sur place). De chaque côté de ce cortège sont disposés de grands miroirs, suspendus à des cintres, mul)pliant l’effet de foule. Vu depuis le parterre, l’effet global est saisissant.
Castellucci écrit à ce sujet : […] Je n’ai vu ni peuple, ni communauté, mais une foule anonyme qui avançait, au milieu de laquelle je me trouvais aussi.
Roméo Castellucci, Face à Parsifal, texte écrit pour la Monnaie, le 19 janvier 2011.
ill.22 : Croquis. Le cortège de figurants,
Parsifal suspendu au centre de la scène.
20h00. Chant et piano. Le chœur, au milieu des figurants, se met à chanter. Ce passage est répété plusieurs fois, accompagné d’un piano. Le chef d’orchestre, Harmut Haenchen, guide le pianiste et le chanteur Thomas Johannes Mayer, interprétant le personnage d’Amfortas. Ce dernier est porté par la foule sur un grand plateau circulaire.
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21h00. La décharge. Roméo Castellucci intervient peu, seulement par le biais de ses assistants. La répé))on porte maintenant sur la manière dont les figurants sortent de scène. Ces derniers doivent sor)r de scène par le fond, de chaque côté du plateau, en laissant tomber derrière eux des déchets. Après un premier essai, les canehes faisant par)e de la panoplie de déchets, seront supprimées. Le son qu’elles produisent en tombant au sol et l’effet comique qui en découle ne semblent pas convenir à la scène.
21h30. Chanteur et serpent suspendus. Un des chanteurs, équipé d’un baudrier, est suspendu par deux câbles métalliques. L’essai n’est pas très concluant, le chef d’orchestre est réfractaire à l’idée qu’un de ses interprètes soit contraint de chanter dans de telles condi)ons physiques. Un tube métallique accroché à deux câbles est suspendu au-­‐dessus de la foule, côté cour. Celui-­‐ci est à mi-­‐hauteur du cadre de scène. Un véritable serpent blanc est enroulé autour de ce tube. Lors de sa conférence, Castellucci insiste sur la présence forte de l’animal sur scène, qui est comme un point de fuite dans le spectacle, un trou. Ce n’est pas simplement une personne que l’on peut regarder, on reçoit le regard de l’animal, qui nous est complètement étranger. Le serpent est un symbole primi)f dans toutes les cultures. Dans la pièce cet animal a dévoré tous les symboles, pour devenir une sorte de super-­‐symbole. Comme le serpent, la figure de Parsifal est hypno)que. Kundry est un personnage ambigu, à la fois poison et remède. C ’est la raison pour laquelle elle )ent le serpent dans le deuxième acte. C ’est une référence à Moïse, qui )ent le serpent pour guérir.
Au sujet des symboles dans Parsifal, Castellucci dira : «je cherche tout le temps à combahre les symboles. Je déteste tous les symboles et toute cehe merde médiévale». Les symboles écrasent les images. Parsifal dépasse les symboles, il les détruit. Roméo Castellucci, Meet The Ar,st, conférence,
théâtre de la Monnaie, le 28 janvier 2011.
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22h00. Cagoules, vidéo et ville inversée. Chaque figurant est équipé d’une cagoule noire, grossièrement cousue (comme une pe)te taie d’oreiller). À un moment précis, déterminé par la chorégraphe, les figurants enfilent ces cagoules. L’effet est assez impressionnant. Une vidéo représentant une galaxie d’étoiles, dans un mouvement lent, en perspec)ve, est projetée sur cehe foule anonyme. Une capta)on vidéo de la foule en marche est réalisée. Cehe vidéo est ensuite projetée en superposi)on, sur les figurants et le fond de scène. La sensa)on de foule s’en trouve démul)pliée, à perte de vue. Les figurants sortent de scène par le fond, de chaque côté. Au même moment, une toile de fond est descendue, représentant une ville moderne vue à vol d’oiseau. L’image est inversée de bas en haut.
ill.23 : Croquis. La ville inversée en toile de fond, la foule qui se re)re au lointain, Parsifal au centre.
22h30. La répéBBon se termine. Nous somme à deux semaines de la première et beaucoup d’effets visuels sont encore à travailler. De grands moyens sont déployés, techniques et humains, pour créer des images fortes mais, contrairement au travail effectué dans ses créa)ons précédentes, Castellucci n’a pas son mot à dire sur le traitement sonore. La musique, plus que le son, appar)ent au chef d’orchestre, et l’échange entre les deux ar)stes ne se fera pas sans heurts. Comme dit le meheur en scène «Parsifal sauve la communauté parce qu’il la met en crise. On a besoin d’un drame, d’un conflit. Il faut quelqu’un qui joue le rôle du méchant, du fou». Nous verrons que le conflit visuel-­‐sonore est bien présent pendant ces séances de travail et que celui-­‐ci, toute interpréta)on gardée, semble nourrir la créa)on.
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Filage technique, vendredi 14 janvier 2011.
20h00. La forêt. Premier acte. La grande salle du théâtre est plongée dans l’obscurité. Seule une flamme, dans une sorte de lanterne, au centre de la scène, éclaire le plateau. Quelques mots, en italien, viennent troubler ce grand silence. La scène est envahie de tous bord par la végéta)on. Seul un trou, au centre du cadre de scène donne à voir une toile de fond représentant elle aussi une forêt la nuit. La lanterne disparaît, manipulée par un technicien. Je comprends qu’il s’agit d’essais lumières. Un arbre mort, équipé d’un éclairage blanc très puissant se dresse au centre de la scène. Sa lumière est suffisamment puissante pour éclairer toute la salle.
ill.24 : croquis. La forêt. Cadre de scène entouré de branchages synthé)ques.
ill.25 : Croquis. Toile de fond suspendue.
Impression monochrome rétro-­‐éclairée.
ill.26 : Croquis. Les arbres disposés au sol, sur des chariots à roulehes.
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21h00. Le canoë-­‐kayak et l’arbre. Toujours dans l’obscurité. Un canoë est disposé au centre de la scène, tenu par un technicien. On essaie de le placer à différents endroits de la scène, de le faire apparaître et disparaître entre les feuillages. Des essais de lumières sont effectués. Un gros arbre, ar)culé à la base, est incliné de façon à former une grande diagonale au milieu de la végéta)on. Son écorce est réaliste. La scène devient plus lumineuse. Castellucci ne semble pas très convaincu. Pour finir, à 22h00, le régisseur du théâtre ordonne l’arrêt des essais lumières. Il éteint lui-­‐même les machines servant à contrôler les lumières, ne laissant pas le temps à l’éclairagiste d’enregistrer les réglages effectués dans la soirée. RépéBBon orchestre, mardi 18 janvier 2011.
19h00. Charnier. Acte III. Cacophonie. La salle s'obscurcit. De nombreux figurants sont sur scène. Un chanteur est porté à bout de bras par la foule, traversant ainsi toute la largeur du cadre de scène. Les figurants se couchent ensuite au sol, recroquevillés sur eux-­‐même. On dispose au milieu de ce charnier un bloc à facehes grises, sorte de bijou venu d’une autre planète. Un chanteur habillé d’une veste militaire, équipé d’une lampe torche, se dirige vers le bloc. Kundry se cache derrière.
ill.27 : Croquis sur ordinateur. Des figurants allongés au sol,
Un chanteur avec une lampe torche côté jardin,
et un bloc à facehes grises côté cour.
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20h00. Orchestre et chant. Un rideau noir est baissé, l’orchestre commence à jouer quand le rideau se relève. Un interprète entre et se met à chanter. Roméo Castellucci s’impa)ente puis se met à faire de grands gestes pour finir par plonger sa tête dans ses mains, désespéré. L’orchestre joue toujours, la foule se relève et Parsifal, suspendu à des câbles, s’élève juste au-­‐dessus de la foule. C’est la même scène, répétée ici, qu’à la première répé))on piano. Une des bandes du tapis roulant est cassée. Pause, les techniciens déplacent le décor. Les panneaux miroirs suspendus se décomposent en 3 par)es que l’on fait remonter au-­‐dessus du cadre de scène.
ill.28 : Croquis. Les panneaux miroirs en 3 par)es.
Détail du mode d’assemblage des panneaux.
21h00. Encore la forêt, Titurel et Amfortas. Les techniciens montent rapidement le décor de l’acte I. De faux arbres montés sur des chariots sont disposés de chaque côté de la scène. La toile de fond représentant la forêt vue de nuit est descendue. Le chœur s’installe au centre de la scène et la répé))on recommence. Le décor est incomplet. L’équipe de Castellucci semble tendue. Le chanteur basse jouant Titurel se posi)onne sur un côté de la scène et commence à chanter. Le chœur d’homme, au centre se camoufle derrière des branches. Amfortas surgit de ce chœur et se place juste devant. Il ouvre sa veste, laissant apparaitre un faux torse. Les choristes s’agrippent à lui violemment et le faux corps se déchire pour laisser entrevoir ses entrailles, rouge sang (La blessure qui ne guérit pas, infligée par Klingsor avec la Sainte Lance).
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RépéBBon orchestre, jeudi 20 janvier 2011.
19h00. Kundry, le chien, et la foule. La grande salle est plongée dans l’obscurité. Le rideau de scène est baissé. On demande le silence, Castellucci entre. L’orchestre commence à jouer. Le rideau de scène se lève. Il n’y a aucun décor. Kundry est allongée au sol. Gurnemanz entre, avec un chien. L’animal se dirige droit sur Kundry et s’allonge à ses côtés. Des figurants entrent ensuite et se placent à des endroits précis. La foule. Le chanteur qui joue Parsifal est placé sur une plateforme élévatrice. Celle-­‐ci est ac)onnée afin d’effectuer des réglages de hauteur.
21h00. Amfortas et le tapis roulant. Le chanteur qui joue Amfortas fait irrup)on sur le devant de la scène. Il marche alors à côté des autres figurants, sur le tapis roulant. Ce passage est répété et interrompu plusieurs fois : le chanteur n’arrive pas à se concentrer sur son chant en même temps qu’il se trouve sur ce tapis roulant. La répé))on con)nue. Une grande par)e est jouée sans interrup)ons, suivie d'applaudissements.
RépéBBon orchestre, vendredi 21 janvier 2011.
19h00. Le portrait et le serpent. Début de l’acte I. Grande salle. Un rideau de scène blanc est baissé. Sur celui-­‐ci est imprimé en grand le portrait d’un homme de profil (Friedrich Nietzsche). Le serpent blanc est descendu depuis le haut du cadre de scène à hauteur de l’oreille du portrait. Le serpent est enroulé autour d’un cadre métallique qui se balance. Le rideau est levé lorsque l’introduc)on musicale se termine. Décor de la forêt. Seule la pe)te lanterne brille au milieu du décor.
21h00. «Anna. Me. Now. Tied». Acte II. Changement de décor. Le chœur est au centre de la scène, éclairé froidement. Une toile blanche est descendue en fond de scène. Sur cehe toile, à hauteur d’homme sont écrits à la main les mots «Anna. Me. Now. Tied». En hauteur, de chaque côté de cehe toile sont imprimés (ou gaufrés) deux mo)fs décora)fs iden)ques en forme de «M». Des problèmes de coordina)on persistent entre la musique et les ac)ons sur scène. La répé))on se termine à 22h et les techniciens commencent à monter le décor de l’acte I pour la pré-­‐générale de demain.
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Pré-­‐générale, samedi 22 janvier 2011.
14h00. Baguehe magique. L’acte I commence dans l’obscurité totale. Le chef d’orchestre est équipé d’une baguehe dont le bout semble incandescent, comme une baguehe magique (référence à Klingsor ?…). Même décor qu’hier, serpent blanc et portrait. La forêt apparait, magique. Le chœur se trouve ensuite au milieu de la végéta)on, qui commence à se désagréger. Plusieurs rangées de tubes fluorescents sont descendus juste au-­‐dessus de la tête des choristes. Un rideau de scène blanc est descendu. Sur celui-­‐ci se trouve imprimé en noir une apostrophe (‘). L’acte I se termine.
18h00. Boite blanche. Acte II. Même rideau qu’à la fin de l’acte I. Le rideau se lève pour laisser apparaitre un tulle blanc. La scène est une boite blanche, fermée de tous les côtés. Tout est blanc, même les costumes. Amfortas, de dos sur un socle, est habillé comme le chef d’orchestre et mime ses gestes. Des femmes nues, allongées au sol, se relèvent et vont être ahachées à des cordes, par Klingsor et ses disciples, suspendues au plafond façon «Bondage». Une des femmes, nue aussi, s’allongera sur le socle central, les jambes écartées, face au public. Un grand lustre est suspendu au centre de la scène. 18h30. InterrupBon. Le chef d'orchestre interrompt la représenta)on, pendant l'acte II, pour finir par sor)r de scène. Peter de Caluwe, le directeur du théâtre, intervient à plusieurs reprises, sans dissimuler son mécontentement, pour lui demander de con)nuer à jouer. Sans succès, les lumières de la salle sont rallumées. Moment d’interroga)on pour les spectateurs. Le chef d’orchestre, le directeur et Castellucci vont s’entretenir dans les loges pendant plusieurs minutes avant de finir par revenir dans la salle. Le spectacle reprend et, après cet évènement, la représenta)on prend une autre tournure. À ce sujet, voici la réponse de Marie Gofehe, dramaturge sur cehe créa)on :
Je n’ai jamais vécu de tension aussi forte sur des créa,ons précédentes. Au début, le chef d’orchestre semblait très ouvert aux proposi,ons du me:eur en scène, lorsqu’il venait assister à des répé,,ons aux ateliers de la Monnaie. Puis il y a eu un clash, entre deux visions de l’œuvre, qui s’est transformé en véritable incompréhension. Après l'incident de la pré-­‐générale, à la fin de la représenta,on, celui-­‐ci est venu voir, comme si de rien n’était, l’équipe de mise en scène encore choquée par son a€tude. Sans doute une ques,on de tempérament…
Entre)en téléphonique avec Marie Gofehe, dramaturge du Théâtre de la Monnaie ayant travaillé sur cehe créa)on. Le 13 mai 2011.
20h00. L’expectaBve. L’acte III n’a pas subi de changements majeurs par rapport aux répé))ons. Les chanteurs ne sont plus suspendus et la vidéo de la foule projetée sur la foule n’est pas u)lisée. L’interrup)on qui a eu lieu dans l’acte précédent place les spectateurs dans l’expecta)ve d’un autre évènement qui viendrait entraver le déroulement de la pièce mais ceci n’arrivera pas.
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Ouverture
Comme nous l’avons vu dans l’introduc)on à ce chapitre, le crime n’est pas le sujet central du livret de Parsifal. Cependant le meheur en scène accentue plusieurs éléments du drame, grâce à certains effets tels que la pra)que du «bondage» dans l’acte II qui, bien que sensuelle, présente le personnage de Klingsor comme un véritable tor)onnaire. Suspendant et ligotant à des cordes des femmes nues, auparavant allongées au sol, inertes, comme des morceaux de viande, le magicien torture, et manipule sans aucune résistance ces femmes vouées à faire basculer les chevaliers de la communauté du Graal dans la luxure. Dans l’acte I, la blessure d’Amfortas, infligée par Klingsor à l’aide de la Sainte Lance pendant celui-­‐ci succombait précisément à ce péché, devient une véritable déchirure, sur toute la hauteur de son torse. Cehe plaie est réouverte par les choristes, qui viennent l’empoigner de tous bords, pour laisser apparaitre, lihéralement, les entrailles du personnage. L’animal sur scène est aussi inquiétant pour le spectateur. Dans l’acte I, la présence d’un chien sans maître dans la forêt, la nuit, évoque un loup errant. Le serpent blanc, bien réel, et vivant, présent à plusieurs reprises dans la pièce, peut être aussi ressen) comme un véritable danger, une menace, proche du spectateur.
Ainsi, même si la pièce ne comporte pas de crimes sanglants, nous pouvons remarquer que Castellucci met l’accent sur les dangers qui jonchent le parcours du héros, Parsifal, de manière à les rendre presque palpables. Il crée ainsi tout au long de la pièce une tension chez le spectateur.
Rappelons que l’ac)on qui se déroulera tout au long de la pièce est basée sur une série de crimes (tenta)ves de meurtres, vol, luxure…). Ces crimes ne sont pas définis par la loi au sens juridique, mais par la loi divine. Ils viennent valider la nécessité «urgente» pour la communauté des chevaliers de trouver une issue à leur désorienta)on et pour répondre aux épreuves cruelles qui leurs sont infligées.
Nous pouvons nous demander comment, du point de vue de la scénographie, aborder une telle œuvre. En effet, bien que les crimes soient commis en «hors champ», le souvenir de ces crimes est sans cesse présent durant la pièce. Ceux-­‐ci ne seront réparés que lorsque le héros aura achevé son parcours. Ne serait-­‐il alors pas intéressant d’aborder la concep)on de ces décors comme le lieu des faits, sorte de «méta-­‐scène de crime», dont les éléments mais aussi les personnages (Kundry est un personnage par)culièrement suspect…) contribueraient à élucider le mystère ?
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PREMIÈRE SCÈNE DE CRIME :
UNE STAR DANS LE GARAGE
(Projet de fin d’étude).
II.3.
ill.29 : Photographie, Tom Grant, intérieur de la serre du garage. Réalisée après le moment des faits, 1994.
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«[…] Je suis à la recherche d'une forme qui me perme:rait de faire comprendre que le souvenir est plus important que le fait réel.»
Wim Vandekeybus, à propos de son spectacle Puur,
dans Alterna)ves Théâtrales 85-­‐86 (Fes)val d'Avignon 2005)
Entre)en avec Erwin Jans, Entre la sécurité et la peur, p33.
Introduc*on
Nous allons maintenant étudier la scène du crime sur laquelle a été retrouvé Kurt Cobain mort, le 8 avril 1994. Cehe étude débouchera sur la réalisa)on d’une recons)tu)on/
interpréta)on de cehe scène. Comme nous l’avons vu précédemment, mes mo)va)ons pour traiter de ce sujet ne sont pas ra)onnelles. Elles sont cependant liées à un ques)onnement sur mon parcours, qui fait mon intérêt actuel pour la scénographie. Nous développerons d’abord succinctement ce cheminement, pour décrire ensuite la méthodologie employée afin de décor)quer cehe scène de crime, l’interpréter et finalement terminer par une réalisa)on.
ill.30 : Photographie de Phil H. Webber. le 8 avril 1994 pour The SeaSle P-­‐I, au domicile de Kurt Cobain le jour de sa mort. Le garage à gauche de l’image (où le corps a été retrouvé), la maison à droite.
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Cheminement personnel
L’univers musical et visuel développé par le groupe grunge Nirvana a bercé ma jeunesse et mon adolescence. Ce groupe m’a donné envie de devenir musicien. Les composi)ons de Kurt Cobain sont par)culièrement accessibles, d’une efficacité redoutable : il a marqué toute une généra)on.
En ce qui me concerne, j’ai commencé à apprendre la guitare à l’âge de 9 ans, soit l’année de la mort du chanteur. Trois ans plus tard je changeais d’enseignement pour m’orienter vers le blues, le rock et finalement, le jazz et l’improvisa)on. À l’âge de 14 ans je commençais à jouer avec d’autres personnes, dans des garages. J’imitais, composais «à l’oreille», et le solfège m’est resté longtemps étranger. C’est en montant mes premiers groupes, en composant d’abord seul des mélodies puis des textes, que je me suis rendu compte de l'influence de Nirvana sur mon a|tude face à la musique. Vers l’âge de 18 ans, en commençant à faire des concerts (dans des caves, des restaurants universitaires ou en extérieur), je réalisais l’importance de l’environnement dans lequel le spectacle se déroulait. Je découvrais, par accidents, l’importance de l’éclairage, de l'acous)que, des costumes et de l’a|tude des interprètes sur scène. Ces paramètres devenaient pour moi rapidement indissociables de la phase de composi)on des morceaux des)nés à être joués devant un public.
Quelques années plus tard, par ma rencontre avec le théâtre, grâce à mes études aux beaux-­‐arts, je découvrais que la concep)on d’un tel environnement était une discipline, et que cela s’appelait scénographie. Je pouvais alors mehre un mot sur les ques)ons qui me hantaient, de l’ambiguïté de cehe proximité entre le réel -­‐ des personnes sur une scène, des accessoires, des techniques -­‐ et la fic)on -­‐ le jeu des comédiens, la dramaturgie, l’histoire racontée.
En 2008, le cas de Kurt Cobain, et le choc de sa mort, me sont revenus en mémoire, quatorze années après le moment des faits. Désirant revisiter cet évènement, j’ai commencé à me documenter sur son personnage, sa vie, à accumuler de nombreux documents (textes, photographiques, cartographies) sur sa mort, ainsi que la façon dont le «fait divers» avait été traité dans les médias locaux et interna)onaux. Au cours de trois années d’accumula)on de documenta)on, j’ai de plus en plus ressen) le besoin de voir et de donner à voir la scène du crime, l’endroit où l’évènement avait eu lieu. Je devais trouver une forme qui me permehrait de cristalliser ce moment, non pas comme une réalité recons)tuée, mais comme un état de mes souvenirs. Pour mémoire…
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Kurt Cobain : une affaire non classée qui rapporte
Comme le dit Philippe Nieto à propos des «Unes sanglantes» (Crime & Châ,ment, Gallimard, p295) : si le crime ne paie pas, il fait vendre. Le cas de Kurt Cobain est encore aujourd’hui une affaire qui rapporte, quelle que soit l’inten)on. Plusieurs documentaires (Kurt & Courtney (1998), Kurt Cobain une légende au Nirvana (2005), About a son (2006)) ou fic)ons (Last days (2005), Heavier Than Heaven (film en prépara)on)) témoignent de l’intérêt du grand public pour l’histoire du chanteur, en par)culier pour les derniers jours de sa vie. De nombreuses émissions TV ou radio (musicale, hommage, enquêtes…) ont été réalisées, ainsi que bon nombre de sites internet dédiés au «cas» Kurt Cobain (dont le site de Tom Grant). Des groupes tels que Pearl Jam, Pa| Smith, Neil Young, Red Hot Chili Peppers, REM, mais aussi Paul Anka, The String Quartet, Leszek Mozdzer (et bien d’autres…) lui ont rendu hommage au travers de composi)ons, ou en réinterprétant ses chansons dans des genres musicaux très variés. Plusieurs livres, biographies, magazines, bandes dessinées, lui sont consacrés. Des ar)stes contemporains tels que Douglas Gordon, Charles Peterson, Scoh Fife, Jowan van Barneveld (voir en annexe) u)lisent l’image du personnage, devenu icône, dans leur produc)on plas)que. En 2010, au Seahle Art Museum, une exposi)on lui est en)èrement consacrée. Dans l’ar)cle L’éloge de la démesure, Mathieu Laviolehe écrit à propos du jeune meheur en scène Vincent Macaigne :
Dans ses spectacles, les effets de décors envahissent l'espace, le sang coule à flots, les corps dénudés s'exhibent et «Smells Like Teen Spirit» de Nirvana résonne trop fort sur les images dépravées d'une monstrueuse soirée mousse. Pas de magie chez Macaigne, mais une envie irrépressible de "faire du plateau le lieu de […] la puissance et de la violence de [la] fable et de ses personnages". Dans ce:e op,que, Macaigne aimerait me:re en scène 'Dom Juan' de Molière, et a déjà trouvé le modèle du personnage éponyme : Kurt Cobain […}.
Ar)cle de Mathieu Laviolehe, L'éloge de la démesure,
Portrait de Vincent Macaigne, pour Evene.fr, 2009.
Nous ne nous risquerons pas ici dans des considéra)ons hasardeuses quant aux théories qui alimentent régulièrement la rumeur (sur les blogs et autres sites à scandales) à propos des condi)ons de sa mort (suicide, meurtre, mort, pas mort…). Nous n’engloberont pas non plus toute l’Histoire de l’année 1994, bien que celle-­‐ci eu été marquante en évènements (le génocide sanglant au Rwanda, notamment…). Nous re)endrons ce qui concerne de près ou de loin la scène du crime de Kurt Cobain. À noter par exemple, que le premier appareil photo numérique a été commercialisé à la fin de l’année, qu’internet était très peu u)lisé, et que, par conséquent, la plupart des documents amateurs ont été diffusés à a posteriori, parfois plusieurs années après le moment des faits.
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ill.31 & 32: Photographies de Tom Reese, prises le 8 avril 1994 pour The SeaSle Times, au domicile de Kurt Cobain (171 Lake Washington Boulevard E, Seahle, WA 98112). Ces photographies ont été réalisées en journée, depuis la route qui surplombe le domaine. On peut y voir la façade ouest et l’intérieur la serre située au-­‐dessus du garage, ainsi que plusieurs policiers, le corps et les objets présents sur la scène du crime. Ces deux photos sont les seules connues où le corps est (par)ellement) visible.
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Étude de la scène de crime
Documenta,on. J’ai pu recueillir, suite aux recherches effectuées avant et pendant cehe étude, de nombreux documents de toutes sortes. Face à cehe quan)té d’informa)ons, il fallait trouver un moyen d'ordonner ces documents, afin de mesurer leur per)nence et leur véracité. J’ai choisi de les classer par types (photos, vidéos, textes, cartographies…), par sujet (la maison, le garage, les objets, le personnage) et par dates. En ordonnant de cehe façon ma ma)ère, je pouvais m’engager dans une véritable étude clinique de la scène de crime.
Imprégna,on. Pour pouvoir appréhender cehe scène de façon globale, j’ai cherché un moyen de m’imprégner du lieu. Pour ce faire, j’ai tout d’abord réalisé une succession de modèles tridimensionnels (sur ordinateur) à par)r de photos, extrait vidéos, cartographies. Je pouvais confronter ma proposi)on à différents points de vues, entre)ens réalisés pour cehe étude à propos de l’architecture, par exemple, mais aussi à la découverte de nouveaux documents. Ainsi, pe)t à pe)t, la recons)tu)on virtuelle du bâ)ment c’est précisée, jusqu’à devenir le point de repère pour la réalisa)on de maquehes en volume à l’échelle 1:10. Ces maquehes font par)e de ce processus d’imprégna)on du lieu, et servaient également de base de travail pour expérimenter différents points de vue et éclairages.
Appropria,on. Une fois familiarisé avec la scène de crime, je pouvais opérer un décalage de lecture, en développant une certaine rêverie autour du lien entre la recons)tu)on du lieu et son souvenir. Au travers de dessins du lieu réalisés de mémoire, je pouvais m'apercevoir que, malgré la phase d'imprégna)on décrite plus haut, subsistait des différences entre l’objet concret (le réel) et ma rêverie (la fic)on). À ce sujet, je renvoie au chapitre consacré à la scène de crime (p.9) dans lequel il est expliqué que la mémoire recons,tue d’avantage qu’elle n’enregistre et qu’il est donc nécessaire de faire la différence entre la preuve tes)moniale (la parole) et la preuve matérielle (l’objet). Ainsi, tout en recons)tuant la scène sous forme d’une produc)on plas)que, j’u)lise l’objet réalisé pour diffuser une sorte de souvenir augmenté qui viendrait habiter la pièce.
Nous développerons dans les pages qui suivent, le détail de ces phases de travail. Tous les documents récoltés ne seront pas montrés car ceux-­‐ci, à l’état brut, ne présentent pas vraiment d’intérêt si ils ne sont pas rahachés à un contexte. Nous u)liserons des documents choisis, jugés suffisamment per)nents, qui ont fait évoluer cehe recherche.
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Étude de la scène de crime : l’architecture
L’étude de l’architecture du lieu est basée sur des photographies, des modèles en trois dimensions réalisés pour l’occasion ainsi que de nombreux autres documents. Elle comprend des informa)ons réunies lors de deux entre)ens, avec Olivier Bas)n (Architecte, fondateur du bureau l’Escaut, maître architecte de la ville de Bruxelles) et Ma|as D'hooghe (Architecte, du bureau Architectes Associés, Bruxelles). Celle-­‐ci a pour objec)f d’analyser le plus objec)vement possible tout le processus de construc)on du garage, en intégrant des paramètres géographiques (l’architecture aux États-­‐Unis et à Seahle), de temps (l’époque de construc)on, l’année 1994 et la démoli)on de ce lieu) et les condi)ons clima)ques locales.
Les auteurs des photos ou vidéos n'ont pas pu être tous iden)fiés. L'un d'eux travaillait, à l’époque, pour le Sea:le Times (Tom Reese). D’autres photos ont été prises après le moment des faits par Tom Grant (Détec)ve privée ayant travaillé sur la dispari)on de Kurt Cobain) ou encore John Van Hasselt pour le Sea:le P-­‐I. Une série de photographies Polaroïd ont été prises par la police pour l’enquête (ci-­‐dessous, de l’entrée de la maison à la scène de crime) :
[Des photos du corps ont été prises mais n’ont jamais été développées, l’enquête ayant rapidement conclu à un suicide]
ill. 33 : Photographies Polaroïd réalisées par un des policier de l’équipe chargée de réaliser l’état des lieux de la scène de crime.
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GÉNÉRALITÉS
À propos de la maison
La maison a été construite en 1902, par Elbert F. Blaine. Elle appartenait à Chase Manhahan. Nous ne pouvons pas affirmer que le garage date de la même époque. Il peut donc avoir été construit ultérieurement. Kurt Cobain et sa famille ont emménagé dans cehe maison en janvier 1994, soit seulement 3 mois avant que le chanteur soit retrouvé mort. Il est donc peu probable que des travaux majeurs aient pu être effectués dans ce laps de temps. Remarquons cependant que c’est un électricien qui a remarqué le corps alors qu’il devait effectuer des travaux dans la maison. Les recherches de Charles R. Cross confirme (dans sa biographie sur Kurt Cobain, Heavier than heaven, 2001), que le style architectural employé pour la construc)on de cehe maison est appelé New England.
ill. 34 : Photographie issue d’un photo-­‐reportage de John Van Hasselt, 1994.
Des plans ?
Difficile de déterminer si il y existe encore aujourd'hui des plans consultables de la maison et du garage. Il faudrait savoir si, à l'époque, un permis de construire avait été établi pour la maison. Si la construc)on du garage est postérieure à celle de la maison, peut-­‐être qu'il existe un permis dis)nct. À voir également, en fonc)on de la surface maximum requérant l'obten)on d'un permis de construire à cehe époque, aux États-­‐Unis, dans l'état de Washington… Il est également difficile de déterminer l'originalité du garage dans la mesure où celui-­‐ci peut être dessiné d'après des plans «types». Le balcon arrière, qui prend appui sur la bute de terre, nous laisse cependant imaginer qu’un dessin spécifique a dû être fait pour correspondre à la courbe du terrain.
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EXTERIEUR : Façades
La façade est, sur le niveau inférieur, présente une porte de garage américain et, sur la par)e supérieure, une double porte en bois peint en blanc, vitrée et donnant sur un pe)t balcon à barreaux blancs. De chaque côté de cehe porte se trouvent deux volets équipés de persiennes. D'après photos il est difficile de déterminer le matériau u)lisé pour le garde-­‐
corps du balcon. Cela peut être du bois, du métal ou du plas)que, peint en blanc. L'aspect et le style du garde-­‐corps semblent plus récents que le reste du bâ)ment. Nous pouvons supposer que ce balcon a été construit ultérieurement au bâ)ment d’origine. Aucune photo ne permet de déterminer la nature du sol de ce balcon. La toiture déborde au-­‐dessus de ce balcon, et ses contours sont décorés de plinthes (de bois) blanches. ill. 35 & 36 : Extrait vidéo et photographie. Auteurs non-­‐iden)fiés.
La façade sud, sur sa par)e inférieure, ne présente aucune ouverture. Sur sa par)e supérieure, la toiture présente 9 ouvertures iden)ques donnant sur le premier étage (la serre). Celles-­‐ci sont des de baies vitrées fixes, toutes en longueur, sans volets. Sur sa par)e basse, la pente de la toiture et moins inclinée, et se termine par une «casquehe», déporté de l’aplomb du mur inférieur. Sur toute la longueur de cehe «casquehe» est posée une gou|ère permehant de récolter l’eau de pluie.
ill. 37 & 38 : Photographie issue d’un photo-­‐reportage de John Van Hasselt, 1994.
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La façade ouest ne présente pas d’ouvertures au niveau inférieur. Sur sa par)e supérieure il y a un grand balcon, entouré de gardes-­‐corps en bois sculpté grossièrement. Celui-­‐ci est assez large, sans doute pour des raisons d’ensoleillement. Sa largeur oblige à venir prendre appui sur le talus d’en face, pour rahraper l’effort. Ce balcon déborde de la largeur de la façade côté nord donnant accès à un escalier. Nous pouvons accéder à ce balcon depuis le jardin uniquement par cet escalier. Une porte french door permet d’accéder à l’intérieur de la serre au-­‐dessus du garage.
ill. 39 & 40 : Photographie et extrait vidéo. Auteurs non-­‐iden)fiés.
La façade Nord ressemble à la façade sud. Nous n’en n’avons qu’une seule représenta)on (photographie ci-­‐dessous). La par)e inférieure ne semble pas présenter d’ouvertures, et les shingles semblent disposés de la même manière que sur la par)e inférieure de la façade sud. L’escalier permehant d’accéder au balcon est en bois, et présente un seul garde-­‐corps, de même mo)f que les gardes-­‐corps du grand balcon (façade ouest). D’après calculs, par déduc)ons, celui-­‐ci comprend 9 marches. Cet escalier prend appui au sol et contre le balcon. Un appui intermédiaire (poteau) est également visible sur la photo. La «casquehe» de la toiture, sur la par)e supérieure, oblige à créer un écart (fossé) entre l’escalier et le mur. La par)e supérieure de cehe façade est iden)quement symétrique à celle de la façade sud : toit incliné avec 9 ouvertures donnant sur l’intérieur de la serre.
ill. 41 : Polaroïd réalisé par la police, façade nord.
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Bardage
L'enveloppe extérieure est faite de Bardeaux bois -­‐ plaques de bois coupées dans le fil de l’arbre -­‐ qu'on appelle aussi, en anglais, des shingles. Ces plaques sont de longueurs standardisées, elles se superposent pour permehre l'étanchéité. La par)e visible du shingle représente 1/2 ou 1/3 de sa longueur totale. Le cèdre rouge est fréquemment u)lisé pour ce type de bardage. Le cèdre est d’ailleurs très présent dans cehe région des États-­‐Unis. Celui-­‐
ci, exposé au soleil et aux intempéries, prends une couleur grise argenté, comme nous pouvons le remarquer sur les photos. Ces shingles sont cloués sur une structure de bois, leur superposi)on permehant de cacher les clous des shingles inférieurs. Ces plaques sont montées par rangées. Ces rangées se superposent du bas vers le haut, avec un écart plus ou moins important. Les plaques sont disposées en quinconce de façon à éviter que l’eau ne puisse s’infiltrer dans le bâ)ment. Pour éviter le pourrissement sur la par)e inférieure d'une façade, les plaques de bois ne doivent pas toucher directement le sol.
Les shingles. Les largeurs des plaques varient, sans logique apparente dans ce cas là. Les longueurs des plaques sont cependant standardisées : 16" (40.6cm), 18" (45.7 cm) ou 24" (61 cm). (1" correspond à 2.54 cm). Le format 24" est à exclure ici car il est peu courant. Ce sont en effet de grandes plaques, qui risquent se déformer avec les écarts de températures. La par)e visible des shingles (1/3), sur la façade est, varie entre 26 et 30 cm (voir document sur la page suivante). On peut donc supposer que des shingles de 18" (45,7cm) soit u)lisés ici puisque qu'ils se superposent d'un )ers (45,7/ 3 = 15,23cm). 8 rangées de shingles sont visibles sur la par)e inférieure de la façade est. Ceci nous permet de déduire approxima)vement la hauteur du rez-­‐de-­‐chaussée : 30,46 x 8 = 243,73cm. 12 rangées sont visibles au niveau du premier étage, nous pouvons donc es)mer sa hauteur à 366cm. Ainsi, nous es)mons approxima)vement la hauteur du bâ)ment à 6,1m.
Au niveau supérieur (R+1), les faces Nord et Sud de la toiture semblent être cons)tuées de shingles de 16“ superposés d'un espacement de 1/3. Étant donné leur exposi)on aux intempéries, ceci leur confère une meilleur étanchéité.
La par)e supérieure de la façade ouest interpèle par sa différence de traitement. Contrairement à la façade est (Shingles de 18“, 1/3), celle-­‐ci est cons)tuée de shingles de 16“ (comme la toiture) soit 40,6cm de longueur (recouvrement de 1/3 également). L'entrée à l'étage supérieur se faisant par l'arrière. Nous pouvons supposer que cehe différence de traitement est due à l'orienta)on du bâ)ment, cehe façade étant moins exposée au soleil, et donc, plus sujehe à la retenue d'eau (moisissures). 90
ill.42 & 43 : modèle tridimensionnel, u)lisé pour cehe phase d’étude de l’architecture.
(en haut, la façade est, en bas, la façade ouest).
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FondaBons et gros œuvre
Ce garage est une construc)on légère. En tenant compte de la courbe du terrain, nous pouvons supposer que les fonda)ons ont été faites sur place. De fait, on peut en déduire que la structure du garage est en)èrement en bois, posée sur cehe dalle béton.
Il semble qu'une par)e du bâ)ment soit encastré dans le sol (façade ouest). Il n'y a pas de photographies de la par)e inférieure de cehe façade. Nous pouvons supposer qu'elle était peu d'accessible ill.44 : Croquis, vue en coupe, réalisé par Olivier Bas)n lors de notre entre)en, détaillant le mode de construc)on possible pour ce bâ)ment, 2011.
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INTÉRIEUR : La serre du crime
La par)e inférieure du garage présente peu d’intérêt pour cehe étude. Nous nous focaliserons donc sur la par)e supérieure (la serre) dans laquelle se trouvait le corps lorsque la police s’est rendue sur le lieu des faits. Comme nous l’avons vu précédemment cehe serre est accessible uniquement par la porte donnant sur le balcon arrière du bâ)ment (façade ouest). La seconde porte, à l’autre extrémité de la pièce, donne sur le pe)t balcon (façade est). Cehe pièce a la par)cularité d’être ouverte sur l’extérieur par ses quatre côtés. Les deux portes sont en effet vitrées et, côté nord et côté sud, les par)es inclinées du toit sont également vitrées. Cehe pièce est donc très lumineuse (il s’agit bien d’une serre pour cul)ver ou entreposer des plantes). Sur le pourtour de cehe pièce sont disposés des plans de travail : côté ouest, nous trouvons un meuble de cuisine (avec un évier, un robinet et des placards de rangements), au nord, un grand bac métallique creux équipé d’une évacua)on d’eau, à l’est, de part et d’autre de la porte, deux plans de travail symétriquement iden)ques, et au sud un grand plan de travail. Le sol semble être fait de plaques de linoléum, avec mo)f répé))f (une fleur) imita)on pierre.
ill.45-­‐48 : Photographies, Tom Grant, à l’intérieur de la serre au-­‐dessus du garage. Réalisées après le moment des faits, 1994.
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Objets présents sur la scène de crime
Plusieurs objets se trouvaient sur la scène de crime. Un tabouret «renforcé» avec une plaque métallique sur laquelle était inscrite : «Now you have many legs to stand on». Un fusil de chasse du type Remington M-­‐11 20 semi-­‐automa,que, retrouvé posé sur le corps. La housse de ce fusil posée au sol. Des cartouches dans leur carton d’origine. Un portefeuille contenant 120$. Une boite à cigare contenant des objets. Un carton contenant des objets. Une veste, un briquet, des mégots… Vous trouverez en annexe le rapport de police avec la liste complète des objets présents dans cehe pièce… Ces objets ne seront pas représentés en volume dans la scénographie qui sera finalement réalisée (plutôt sous la forme d’appari)ons, en jouant avec la lumière. Voir dans le chapitre suivant).
ill.49-­‐52 : Photographies, Tom Grant, 1994. Autres auteurs non iden)fiés.
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Recons*tu*on : imprégna*on
Modèles tridimensionnel d'après photographies
Grâce à l’analyse de l’architecture du lieu décrite plutôt, nous avons pu déduire les propor)ons et les dimensions réelles du bâ)ment. En parallèle à cehe étude, une série de modèles tridimensionnels ont été réalisés, permehant ainsi de vérifier instantanément la cohérence des déduc)ons faites plutôt, d’après photographies et autres documents. Vous trouverez ci-­‐dessous quelques visuels de ce modèle dans sa dernière version.
ill. 53 : Modèle tridimensionnel (avec textures photographiques projetées). 95
Maquehes réalistes d'après les modèles
Pour m’imprégner du lieu et de la scène de crime en elle-­‐même (l’intérieur de la serre), j’ai réalisé une série de maquehes de travail. D’abord une maquehe papier, pour prendre connaissance de la volumétrie du lieu et pra)quer des essais lumières, des maquehes «réalistes» en combinant le modèle précédent aux photographies du lieu, et une maquehe de l’objet qui sera finalement réalisé à grande échelle. Nous verrons dans les pages suivantes quels ont été les choix quant à l’éclairage, l’échelle mais aussi le son, pour cet objet une fois exposé.
ill. 54-­‐56 : Photographies (différents éclairages) Pré-­‐maquehe papier. 96
ill. 57-­‐59 : Photographies (différents éclairages) Maquehe 1:10. Bois, carton, papier, aluminium. Intérieur sud-­‐est.
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ill. 60-­‐62 : Maquehe papier 1:10. (échelle réduite 1:2).
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Appropria*on
Rêverie en dessin.
Les dessins ci-­‐dessous ont été réalisés au cours des différentes étapes du processus, pour interroger ma mémoire de ce lieu et pour développer une certaine rêverie qui viendra alimenter la produc)on finale. La star devient alors nourriture de rêves; le rêve, à la différence de la tragédie idéale d'Aristote, ne nous purifie pas vraiment de nos fantasmes mais trahit leur présence obsédante; de même les stars ne provoquent que par,ellement la catharsis et entre,ennent des fantasmes qui voudraient mais ne peuvent se libérer en actes. Ici le rôle de la star devient "psychosique" : elle polarise et fixe des obsessions.
Edgar Morin, Les stars, Le temps des stars, la star et nous (p122).
ill. 63 & 64 : Dessins «de mémoire». À gauche : les sapins sanglants, à droite : façade ouest sans nature.
Les «sapins sanglants» représentent, sur le lieu des faits, les seuls «témoins». La végéta)on autour du garage est très présente, les sapins sont les seuls arbres qui surplombent le bâ)ment. Le jour de la découverte du corps, les photographes grimperont d’ailleurs sur des arbres pour prendre des photos. Le deuxième dessin (et celui sur la page suivante) représentent la scène depuis des points de vue habituellement «inaccessibles», à cause du relief du terrain et des obstacles visuels (arbres, végéta)on…).
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ill. 65 : Dessins «de mémoire». L’escalier et le balcon.
Autrement dit, la situa,on donnée et les éléments de ce:e situa,on (objets, décors) peuvent jouer un rôle plus grand que l'acteur et exprimer pour lui. Alors qu'au théâtre l'acteur éclaire la situa,on, c'est, au cinéma, la situa,on qui éclaire l'acteur. Le décor entre dans la physionomie du personnage alors qu'au théâtre il se borne à localiser et à suggérer. […] Alors qu'au théâtre le jeu de l'acteur détermine au premier chef la projec,on-­‐
iden,fica,on, il peut arriver au cinéma qu'il soit déterminé par elle. Le jeu de l'acteur peut, dès lors, être atrophié ou nul : le personnage ne cessera pas de vivre et d'exprimer.
Edgar Morin, Les stars, Le temps des stars, la star et l'acteur, 1972.
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ill. 66-­‐68 : Dessins «de mémoire». Profil. Monstre des mers. Escalier 2.
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Changement d'échelle : trouble de la percepBon
Pour alimenter cehe rêverie, l'échelle de l’objet réalisé prennait son importance. Je ne souhaitais pas faire une recons)tu)on pure (échelle 1:1). L'échelle «grandeur nature» représentait un véritable challenge technique, qui aurait était lui-­‐même visible, mehant en avant la performance de réalisa)on plus que tout autre chose. L'échelle 1:2 présente l'avantage de conférer à l'objet un statut troublant : ce n'est ni une maquehe, ni une maison. C'est un «entre deux». Le visiteur peut appréhender l'objet au premier coup d'œil, dans sa globalité puis, dans un deuxième temps, laisser son regard se poser sur des détails, à l'intérieur et à l'extérieur de la maison. Le volume du bâ)ment-­‐
garage est celui d’un espace vital minimum. J'entends par là que le volume de l'objet doit donner l'impression qu'une personne peut entrer dans cehe espace, s'y inscrire et y vivre. En sachant qu'il se trouve devant la représenta)on d'une scène de crime, l'œil du spectateur devient voyeur, et peut se balader au grès des interpréta)ons et de son imagina)on. De fait, cehe échelle permet au visiteur debout de voir l’intérieur du premier étage (la scène du crime) sans pouvoir vraiment y accéder.
ill. 69 : Modèle tridimensionnel (échelle 1:2) avec un personnage témoin.
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Lumière : une vision
Alors que le jour établit l’homme dans un ordre social, la nuit place l’être du côté de l’essence. Elle l’entraîne dans l’au-­‐delà d’une iden,té bien déterminée, dans l’informel et le mouvant. Il se trouve plongé au cœur de la nuit qui ne bat pas au même rythme pour tous car la nuit dissocie les êtres. S’engager sur le chemin de la nuit, c’est se laisser emporter par l’excès, par l’oublie des normes en vigueur, des interdits et des contraintes car, selon Marguerite Duras, «La nuit tout est plus vrai». La nuit c’est le jour vu de dos.
Georges Banu, Nocturnes : Peindre la nuit, Jouer dans le noir, 2005. La ques)on du matériau, u)lisé pour réaliser l’objet final, s’est posée dès le départ. Je souhaitais travailler avec un ou)l qui m’était déjà familier : le papier. L’emploi de papier (imprimé) me paraissait per)nent dans ce cas, car celui-­‐ci permet de jouer avec la lumière mais aussi, nous le verrons plus tard, avec le son. Un disposi)f lumière est installé dans l’objet, de façon à le rendre lumineux de l’intérieur. Ceci permet d’accentuer, entre autre, la sensa)on de vision, ou d’appari,on offerte au spectateur comme un phénomène.
ill. 70 : Dessin et peinture, Vision, garage (mirage) floSant dans la nuit.
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Son : une présence
Au cours d’un workshop avec Clément Vercelleho (créateur son), consacré à notre projet de fin d’étude, nous avons pu expérimenter différentes possibilités de recréer une présence dans ce lieu. En u)lisant le papier comme matériau, nous avons créé des patchs sonores (suite de codes, sorte de «mini-­‐logiciel») permehant de générer aléatoirement des notes très graves, inaudibles à l’oreille humaine. De cehe manière, nous avons pu faire entrer des échan)llons de papier en vibra)on, jusqu’à recréer une sorte de respira,on, inquiétante : les haut-­‐parleurs émehent des vibra)ons lentes, un vent qui fait vibrer le papier qui devient lui-­‐
même, à son tour, sonore.
ill. 71-­‐73 : Photographies réalisées pendant les essais de son réalisés sur un échan)llon de papier. Copie d’écran du patch u)lisé, réalisé pour ces essais.
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Exposi*on
Les objets produits, mais aussi le processus, sont des)nés à être exposés. C ’est à l’issue de cehe exposi)on, une fois éprouvée, que ce chapitre pourra être conclu et que nous pourrons affirmer ou infirmer la per)nence du disposi)f mis en place.
La recherche d’un lieu, permehant de donner à voir ce projet au spectateur a cons)tué une par)e importante du travail. En effet, des paramètres tels que l’espace, la situa)on géographique, mais aussi le sens du lieu, ce qu’il évoque, ont été pris en compte. Dès le départ, nous nous sommes orientés vers des lieux de croisements, dans lesquels peuvent se rencontrer plusieurs disciplines.
Plus d’une vingtaine de lieux (à Bruxelles) ont été évoqués, analysés et consultés. Outre les paramètres techniques (coût financier, disponibilité du lieu…) nous avons choisi de mehre l’accent sur l’espace et le temps de réalisa)on. L’atelier 340 a répondu posi)vement à notre demande. Ce lieu est cons)tué de grands espaces d’exposi)ons. C’est une galerie d’art contemporain, dans laquelle se croisent plusieurs disciplines (photographie, dessin, sculpture, peinture…), ce qui correspondait tout à fait à nos ahentes. Nous souhai)ons avoir le temps sur place pour réaliser nos projets (2 semaines), être en résidence, et aussi, du temps pour exposer nos travaux au public (1semaine).
Le parcours du spectateur est pris en compte dans l’organisa)on de l’espace. J’ai choisi d’organiser l’exposi)on en deux temps : dans un premier temps, offrir une expérience visuelle avec l’objet scénographique, et dans un deuxième temps, exposer le processus mis en place pour créer cehe scénographie. Donc, tout d’abord une salle noire, dans laquelle je peux jouer avec des éclairages de faibles intensités, réservée à la recons,tu,on du garage à échelle 1:2, et ensuite une seconde salle, dans laquelle sont exposées les maquehes, dessins et autres documents faisant par)e du processus.
Après avoir visité le lieu, j’ai procédé de la même manière qu’avec le garage : d’après photographies et mesures des deux salles, j’ai recons)tué les différents espaces d’exposi)on. Ceci m’a permis d’intégrer mon modèle à cet espace et de réfléchir à son emplacement. Le volume de l’objet réalisé dans la grande salle nécessite une structure porteuse (en bois). Cehe structure a également été modélisée, et imaginée de façon à produire le moins d’ombres possible en projec)on sur le papier. Nous avons dû imaginer pour cela un cœur structurel, sorte de noyau qui reporte tous les efforts au centre de la construc)on. Nous verrons dans les pages suivantes des documents visuels rendant compte du projet.
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ill. 74 : Image tridimensionnelle, structure porteuse avec renvoi d’effort au centre (cœur, en bleu).
ill. 75 : image tridimensionnelle, le garage dans la grande salle d’exposi)on de l’atelier 340.
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ill. 76 : Plan et coupes, Parcours et schéma d'implanta)on.
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CONCLUSION GÉNÉRALE
La scénographie nécessite, quel que soit son champ d’applica)on, de se documenter sur le sujet qu’elle aborde. Chaque scénographe développe sa propre méthode, de recherche et de concep)on, au fur et à mesure de l’évolu)on des projets auxquels il contribue. Néanmoins, nous avons souhaité nous interroger sur une probléma)que à laquelle sont régulièrement exposés les scénographes : représenter une scène de crime. Nous remarquons dans les derniers chapitres (II.1, II.2 et II.3) que, même si le crime est commis «hors champ», la scène de crime est bien présente, dans le temps et/ou dans l’espace. Elle devient la trace du crime. Nous pouvons alors nous interroger : crime et scène de crime sont-­‐ils indissociables ? En ques)onnant ce qui lie les faits (crime) et le lieu des faits (scène de crime) nous avons fini par nous interroger sur le lien entre le jeu (théâtre, cinéma, opéra…) et l’espace de jeu (la scénographie). À la manière d’une enquête, la voca)on de ce mémoire était donc double : en faisant l’état de ma pra)que (les faits), puis en confrontant ceci au cadre dans lequel elle se développe (le lieu des faits).
Exposés aux probléma)ques que pose un véritable lieu des faits, grâce à un enseignement approprié (criminalis)que), nous avons pu étudier les cas traités dans les derniers chapitres au travers du prisme de la scène de crime. Cehe approche nous a permis d’adopter un point de vue cri)que quant aux diverses représenta)ons de scènes de crimes. Basé sur des méthodes scien)fiques, ce regard, si il pouvait être développé, permehrait de mesurer, par exemple, le degré de vraisemblance (ou d'invraisemblance) de scènes de crimes représentées, et de les comparer. Nous pourrions ainsi, comme nous l’avons fait pour les expériences vécues cehe année, analyser un plus grand nombre de créa)ons.
Pour Georges Banu, dans sa recherche sur la mort de l’enfant ce qui était une intui,on (un ar)cle dans Art Press 330, De la mort de l’enfant à son meurtre, 2007) a finalement abou) à l’écriture d’un ouvrage (l’enfant qui meurt, 2010). Le sujet du livre est traité comme un mo,f (et ses varia,ons). L’écriture de ce mémoire ne prétend pas embrasser le sujet de manière exhaus)ve. Il tend à clarifier la ques)on plutôt que d’y apporter des réponses hâ)ves. Ainsi, il pose les bases d’un champ de recherches, poten)el, sur la base d’une intui)on : en scénographie, la scène du crime peut être abordée comme un mo,f.
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Nous avons limité cehe étude au spectacle vivant, en par)culier au théâtre et au cinéma (II.1), à l’opéra (II.2), mais aussi au domaine des arts plas)ques (II.3). Nous pourrions envisager d’approfondir la recherche dans ces domaines, mais aussi d’ouvrir le champ d’inves)ga)on à d’autres domaines tels que la danse, ou la télévision (séries policières, téléfilms…). Une autre piste pourrait être également développée, celle de la ques)on du rapport du spectateur à la scène de crime, de ses modes d’adhésion ou au contraire, de mise à distance, face à un régime de croyance spécifique déterminé par le meheur en scène (réalisateur…). Nous pourrions, à l’issue d’une telle recherche, tenter d’établir un classement, (dont les paramètres seraient à définir) des modes de représenta)ons de la scène de crime.
D’autre part ce travail d’écriture adopte une forme différente du mémoire universitaire «type». Celle-­‐ci est due à ma forma)on de type ar)s)que mais aussi, et surtout, à la nécessité de se confronter à la mise en pra)que, grâce à des expériences concrètes. Au travers de ces expériences, aux contenus différents, nous avons pu développer la ques)on de la représenta)on de la scène de crime. Dans leur diversité, ces cas d’études peuvent être envisagés comme des exemples révélant l’étendue de cehe probléma)que qu’il conviendrait de développer dans un cadre de recherche.
Ainsi, cehe étude ne prétend pas achever le travail d’écriture autour de la scène de crime, mais révèle la présence d’un grand nombre d’indices jus)fiant l’ouverture d’une enquête.
110
CHAPITRE III -­‐ FOCUS
(
photographies de l’installa0on :
montage,
exposi0on,
démontage.
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ANNEXES
Images relaBves au chapitre I.1. Défini)on du crime, image originale The crime prism (p.7) :
Le prisme du crime dans What is crime ?, Stuart Henry et Mark Lanier, 2001.
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Images relaBves au chapitre II.3 (Première scène de crime).
Quelques ar)stes ayant été exposés au Seahle Art Museum pour l’exposi)on «Kurt», en 2010 : Charles Peterson, Douglas Gordon, Scoh Fife et Jowan van Barneveld.
Photographies, Nirvana, Rajis, Los Angeles 2/15/90, Charles Peterson, 1990.
Photographies, Autoportrait en Kurt Cobain, Myra Warhol, Marilyn Hindley et Marilyn Monroe, Douglas Gordon, 1996. Gordon and Yvon Lambert Paris, New York.
142
Sculpture, Kurt Cobain, Carton d’archivage, colle et visses, 22 x 18 x 20 in, Scoh Fife, 2006.
Collec)on Theodore M. Wight.
Installa)on, invoca:on 1, bois, peinture et Plexiglas, Jowan van Barneveld, Hollande, 2009.
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Rapport de police reprenant la liste des objets trouvés sur la scène de crime. Rela)f au chapitre II.3 également.
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[00:00:00] [00:01:24] [00:04:10] [00:09:44] [00:11:56] [00:14:39] [00:21:18] [00:25:54] [00:27:40] [00:30:12] [00:34:56] [00:39:38] [00:43:08] [00:44:21] [00:46:20] [00:48:37] [00:50:29] [00:52:53] [00:54:50] [00:55:54] [00:56:40] [00:57:53] [01:00:09] [01:01:50] [01:03:14] [01:05:39] [01:08:14] [01:11:18] [01:14:07] [01:14:27] [01:16:37] I. (I.1) (I.1, I.2) (I.4, I.13) (I.5) (I.10) (I.6) (I.7) I.8 I.14 I.15 " " I.17 I.19, I.20 I.18 I.21 II. (II.1) II.2 (II.6) II.3, II.5 II.7 (II.8) (II.4) " III. III.5 III.1 III.2 III.8 III.6 III.4 III.9 III.7 III.10 III.11 " III.12 III.14 III.13 III.16 III.15 III.17 IV. IV.1 Ext. Ext. Int. Ext. Int. Ext. Int. Ext. Int. Ext. Int. Ext. Int. Int. Int. Ext. Ext. Ext. Int. Int. nuit. Int. Ext. Int. Ext. Int. Ext. Ext. Ext. Ext. Int. Ext. nuit. Ext. Ext. Vue générale sur la ville (plusieurs panoramas)
Sur la place. Entrainement militaire de Woyzeck. Titre et générique du film.
Chez le barbier. (premier texte de Büchner) Dialogue entre Woyzeck et le capitaine. Forêt au bord du lac. Woyzeck et Andrès coupent du bois. Woyzeck a des visions.
Appartement de Marie, vue sur la place. Marie, voisine, les tambour-­‐majors. Après, Woyzeck.
Dans le bureau du docteur. Dialogue entre Woyzeck et le docteur.
Sur la place. les stands forains. Woyzeck, Marie, et l'enfant. Puis le tambour-­‐major.
Appartement. Trahison : Marie avec le tambour-­‐major.
Sur la place. Le docteur, la foule et Woyzeck. Puis, lancé de chat du docteur.
Appartement. Marie et l'enfant, puis Woyzeck. Il la quesaonne sur ses boucles d'oreilles.
Sur la place. Le capitaine, le docteur, puis Woyzeck. Il apprend la trahison.
Appartement. Marie, puis Woyzeck. Il l'interroge à propos de sa trahison.
Caserne. Andrès et Woyzeck. Woyzeck fait part de ses doutes.
Taverne. Marie danse avec le tambour-­‐major. Puis Woyzeck, de l'extérieur, les voient.
Taverne. Woyzeck s'enfuit. Monologue de l'ivrogne et quatuor d'archets.
Dans un champ. Monologue de Woyzeck où il décide de tuer Marie.
Taverne. Bagarre entre Woyzeck et le tambour-­‐major.
Caserne, dans le dortoir. Dialogue entre Woyzeck et Andrès.
Appartement. Marie et l'enfant. Elle lit la bible à haute voix.
Dans la rue. Andrès est assis. Woyzeck arrive et le quesaonne : "Qu'est-­‐ce qu'il a dit ?"
Chez le juif, Woyzeck achète un couteau puis s'enfuit.
Caserne, dans le dortoir. Dialogue entre Woyzeck et Andrès. Woyzeck donne ses affaires à Andrès.
Cour intérieure. Des enfants, Marie leur raconte une histoire, puis Woyzeck vient la chercher.
Parc au bord du lac. Dialogue entre Woyzeck et Marie.
Parc au bord du lac. Musique puis ralena. Woyzeck tue Marie.
Parc au bord du lac. Changement de musique. Woyzeck et Marie, morte.
Taverne. à l'intérieur, dialogue entre Woyzeck et Käthe. Danse. elle remarque la tache de sang.
Au bord du lac. Le corps de Marie. Woyzeck cherche le couteau, le jeke dans le lac, puis se noie.
Cour intérieure. Des enfants jouent, d'autres arrivent pour parler du cadavre. Ils vont voir la scène.
Au bord du lac. Ralena. Les trois experts examinent la scène du crime. Un cercueil. Texte de fin.
Fin.
Les scènes entre parenthèses correspondent aux versions retravaillées dans les manuscrits suivants. Les scènes clairement iden:fiées apparaissent en gras.
Certaines scènes ne sont pas u:lisées car elles sont soit inachevées (ex : I.2 , soit rayées et retravaillées par l'auteur (ex : I.4, I.6), soit dénuées de contexte (I.3, I.9, I.12, IV.2). Les scènes suivantes n'apparaissent pas dans le film : I.3, I.9, I.11, I.12, I.16, II.9, III.3, III.10, IV.2. 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16. 17. 18. 19. 20. 21. 22. 23. 24. 25. 26. 27. 28. 29. 30. 31. WOYZECK, Werner Herzog, 1979 : Découpage et scènes correspondantes dans les manuscrits de Büchner
DÉCOUPAGE RELATIF AU CHAPITRE : II.1. LE CAS WOYZECK
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1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16. 17. 18. 19. 20. 21. 22. 23. 24. 25. 26. 27. 28. 29. 30. 31. 32. 33. 34. 35. 36. 37. 38. 39. 40. [00:00:00] [00:01:30] [00:03:56] [00:05:08] [00:08:02] [00:08:40] [00:09:08] [00:09:42] [00:10:02] [00:10:58] [00:11:40] [00:12:00] [00:12:05] [00:13:07] [00:14:34] [00:15:06] [00:16:55] [00:19:00] [00:20:06] [00:20:54] [00:22:05] [00:22:30] [00:23:40] [00:25:30] [00:32:15] [00:36:47] [00:37:45] [00:43:10] [00:49:36] [00:57:16] [01:00:27] [01:01:50] [01:03:02] [01:06:52] [01:11:47] [01:13:04] [01:14:33] [01:21:53] [01:25:10] [01:27:57] I. II. (II.2) (I.1) (II.1) (II.6) I.10 II.7 " (II.8) (I.4, l.13) (I.1, I.2) II.3, II.5 (I.5) (II.4) (I.6, I.7, I.13) et réf. I.17 III. IV. III.2(a) III.1 III.2(b) III.8 III.4 (III.11) III.5 III.6 III.9 " III.7 III.10 (réf.IV.1) III.11 III.12, III.13 IV.1 Ext. " " " Ext.nuit " " Ext. jour " " Ext. nuit Ext. jour Deux enfants (un garçon et une fille) jouent dans le bas de la cuve puis sortent de scène.
Andrès entre à jardin par le bas. Il ouvre/installe sa baraque.
Un ivrogne entre à cour par le lointain et rejoint la baraque.
Woyzeck entre à jardin au lointain avec un vélo et va dans la cuve. Andrès le rejoint.
Andrès appuie sur un buzzer. Woyzeck accourt et mange, buzz à nouveau, il arrête de manger.
Woyzeck est dans le bas de la cuve, un avion passe, il fait le salut militaire.
Woyzeck pêche la grenouille, Andrès buzz à nouveau. Il mange, buzz, il arrête. Woyzeck redescend.
Un vagabond entre à cour au lointain.
Le capitaine entre à cour au lointain, parle (langue non traduite). Woyzeck se met au garde-­‐à-­‐vous.
Le capitaine sort. Buzz, Woyzeck accourt. Le docteur à jardin. Woyzeck se cache dans les toilekes.
Marie, l'enfant (le nain dans une pousseke) et la voisine (parle) entrent à jardin par le bas.
Un tambour-­‐major sur un vélo d'enfant entre à cour. Deux autres tambour-­‐majors entrent à jardin.
Marie parle (premier texte de Büchner). Dialogue avec la voisine à propos des tambour-­‐majors.
Woyzeck sort des toilekes, appelle Marie, les tambour-­‐majors l'encerclent. Woyzeck est tabassé.
Le docteur siffle, les tambour-­‐majors partent.
L'enfant (qui était avec le capitaine) rejoint Woyzeck. Le docteur lui fait une piqure.
Dialogue entre Woyzeck et Andrès dans la cuve. "Tu les entends toujours ?".
Marie et l'enfant entrent à jardin. Dialogue avec Woyzeck (voisine absente). Woyzeck sort à jardin.
Le docteur, le capitaine à cour, puis Andrès et les tambour-­‐majors et le nain. Chorégraphie 1.
Andrès buzz, Woyzeck entre à cour. chorégraphie 2 (idenaque). Woyzeck mange puis ressort. Les tambour-­‐majors, le capitaine, le nain et Andrès. Entrée de Marie avec la voisine à jardin. Séance de football américain, hard rock. Marie et la voisine regardent.
Woyzeck entre à jardin, se cache derrière le tuyau. Il akrape le ballon, et se fait tabasser, encore.
Woyzeck et le docteur. Le capitaine assiste à la scène (n'est pas présent dans le texte).
Marie et l'enfant (qui dort) entrent à jardin. Woyzeck interroge Marie sur ses boucles d'oreilles.
Le capitaine et les TMs entrent à cour. Hard rock (TNT, AC/DC). chorégraphie 3.
Monologue de l'ivrogne. Le capitaine, Andrès, la voisine et les tambour-­‐majors écoutent.
Strip-­‐tease comique du capitaine. Musique jazz, calme. Il se baigne.
Woyzeck entre sur son vélo. Les tambour-­‐majors s'en vont. Séance d'épilaaon avec le capitaine.
Woyzeck sort à jardin. Trahison : Marie et le tambour-­‐major entrent à jardin au lointain. Entre l'enfant (le nain) à cour. éclairage rouge. Bruit dans le tuyau, il entre à l'intérieur et disparait.
Le capitaine et le docteur entrent à cour. Les tambour-­‐majors à jardin avec le nain. Chorégraphie 4.
Dialogue entre le capitaine et docteur. Musique classique. Chorégraphie 5 (lente).
Woyzeck entre à jardin en vélo. Reste le capitaine et le docteur. Woyzeck apprend la trahison.
Woyzeck revient, avec Marie, il la are violemment. "Je ne vois rien".
Marie sort. Bruit d'orage. De l'eau coule du tuyau. Dialogue entre Woyzeck et Andrès.
Käthe, les tambour-­‐majors , le nain. Andrès. Vidéo-­‐projecaon et BBQ, le chat mort. Musique fesave.
Marie à cour déguisée en femme à barbe. Danse du ventre. Puis Woyzeck se cache à jardin.
Tout le monde sort sauf Andrès, Woyzeck, et le fou. Woyzeck se déshabille, hurle.
Le docteur entre au lointain avec un micro. Foule. Woyzeck et le cadavre de chat. Show TV cruel.
WOYZECK, Thomas Ostermeier, 2003 : Découpage et scènes correspondantes dans les manuscrits de Büchner
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[01:30:55] [01:34:48] [01:36:15] [01:38:15] [01:41:20] [01:42:58] [01:45:43] [01:49:30] [01:50:00] [01:52:11] [01:55:16] [01:56:30] [01:57:22] I.8 puis I.11 I.14, I.15 " fin I.15 I.17 I.19, I.20 I.18 I.21 " réf. III.14 III.14 III.15 Ext. nuit " " " " " " " " Ext.jour Le rappeur français et 4 danseurs de hiphop. Woyzeck nu couvert de mousse à raser, sur un socle.
Woyzeck se lave, Andrès est là. Dialogue entre les deux : "il a dit quoi ?".
Bagarre de Woyzeck contre le tambour-­‐major, avec des chiens. Entrent le docteur et le capitaine.
Dialogue Woyzeck et Andrès : "une chose après l'autre". Puis Woyzeck "Qu'est ce que tu fais là ?".
Woyzeck et le juif ( joué par un tambour-­‐major) achète le couteau.
Marie, puis Woyzeck. Dialogue entre Marie et Woyzeck : "la lune est rouge".
Woyzeck tue Marie avec le couteau. Chanson de RATM, Woyzeck détruit likéralement Marie.
Woyzeck parle à Marie (morte) avant de la jeter dans l'eau. Noir (lumières).
Woyzeck (seul), la scène dans l'auberge : "dansez suez puez". Käthe sur la baraque, voit le sang.
Woyzeck cherche le couteau. Le corps de Marie refait surface, il la replonge puis jeke le couteau.
Woyzeck sort au lointain après un dernier salut militaire. Une peate fille à jardin, puis le garçon.
Les TMs, capitaine et, le docteur à propos du meurtre : "Un bon crime, un vrai crime, un beau crime".
FIN. Applaudissements des spectateurs et saluts
Les scènes entre parenthèses correspondent aux versions retravaillées dans les manuscrits suivants. Les scènes clairement iden:fiées apparaissent en gras.
Certaines scènes ne sont pas u:lisées car elles sont soit inachevées (ex : I.2 , soit rayées et retravaillées par l'auteur (ex : I.4, I.6), soit dénuées de contexte (I.3, I.9, I.
12, IV.2). Les scènes suivantes n'apparaissent pas dans le film : I.3, I.9, I.12, I.16, II.9, III.3, III.17, IV.2.
41. 42. 43. 44. 45. 46. 47. 48. 49. 50. 51. 52. 53. Interview (réalisée par Thomas Delord, en anglais) de Piersandra Di Ma:eo, dramaturge de Roméo Castellucci, à propos de la créa,on de Parsifal au Théâtre de la Monnaie, à Bruxelles. • During the repeBBons, we could feel a growing tension between the conductor, Hartmut Haenchen, and Romeo Castellucci. At the pre-­‐general, the conductor stopped the performance, during Act II, and finally leaved the stage for a few minutes. Peter de Caluwe, the boss of the theater, intervened several Bmes to ask him to conBnue representaBon. Can we say that the relaBonship between conductor and director is complex and delicate, that would involve different specific approaches to this art? If so, how these features can resist or hang themselves?
That’s not a simple ques)on. I’m not sure to be the best person to speak about that. The idea of tension between the conductor and the director could depend from different reason. One evident have to be connected with the idea of power. The opera is a space where a mee)ng must take place between music and theater, but o–en one of these fields tries to preserve its sphere of ac)on, thinking that this way can ensure the success of the work. I don’t believe that this condi)on of tension could be a driving force behind crea)on.
• Can we consider that this tension had been exciBng, even necessary to do the job of staging? Does this "double vision" had a significant impact on the dramaturgy and your work?
Romeo believes in a theatre that should be able to re-­‐inves)gate the conceptual value of the image, intended as the space and )me placement of the scene, inside a material-­‐crea)on-­‐of-­‐
concepts. This re-­‐inves)ga)on implies the ac)va)on – through the theatre – of a logic of sensa)on. This logic pulls the theatre art beyond its usual space, in a place where the theatre and the art exist for the sake of being contradicted in their form. In this place, the language reaches the extreme limit of its power. In that sense, what is really important is the work, Parsifal and the idea is coming out because is based on the concep)on of theatre as the art that puts all the arts together, where the representa)on is completely open to the senses of percep)on of the spectator that is the real protagonist. It is a radical theatre according to the etymological meaning of the word: a theatre that touches its roots in order to separate from the roots of tradi)on.
Therefore, the will to dismantle and destroy the mechanisms that have become a custom in the communica)on of the art, and the persistence in the research of beauty are revealed by subtrac)on through the ob-­‐scene. This process implies the treachery as a crea)ve necessity and, at the same )me, the uncontrolled coercion towards the explora)on of new lands.
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• In Tragedia Endogonia, "endogonia" (Greek, Endon, inside, and Gonos, generaBon) refers to a living organism that can be engendered from inside and mulBply [...] (JL Perrier). Roméo Castellucci said during his conference about Parsifal that, "the community of knights is as our society [...] sick, cowardly, asleep [...]. Many crimes are the cause of this self-­‐degeneraBon of the community *, he added that the character of Parsifal saves the community because he put it in crisis. Couldn't we consider the piece as a crime scene, the scene of a past crime, decor Parsifal fight against, first as a murderer (Act I, the white swan) and "student" (in Act II face the temptaBon of sin by Kundry, he understands his true "calling") and finally as a savior (Act III, he brings the Holy Lance and restore the order)?
This is one possible interpreta)on. It's not what Romeo has privileged but subtrack we can consider also this kind of reading. From libreho A COMMUNITY IN EXODUS > ACT III
Parsifal, a figure of legends rather than of sagas, is a passive hero. Compassion obeys a deaf impulse. The vicissitudes of the Wagnerian drama are an act of refusal, depicted like a journey of knowledge, lit up by a "cosmic clairvoyance". The perfect spiritualisa)on of Siegfried, he is ingenious like the Nordic hero, but his rather foolish and animal-­‐like unwi|ngness is overcome in the recogni)on of pain in Amfortas’ (infirmitas) menstrua)ng wound, produced by carnal corrup)on. But at the supreme comple)on of his mission, when “Mihag-­‐die-­‐Stunde ist da...” sounds, Parsifal cannot complete the task of healing the "ailing one" nor redeem the Waste Land, much less reunite the order of Knights. Once again, his domain is that of solitude. What element, object or surrep))ous gesture can keep the community united today? There is no-­‐
one who can contemplate the hero’s gesture. His gesture becomes genuinely contemporary: it goes nowhere; it remains confined in the private sphere, apparently deprived of meaning and, for this reason, is truer. It is a gesture which defini)vely escapes gazes, and it is in this point that its heroic nature can manifest itself: Parsifal moves us with the uselessness of his task which is precise and pure in its perfect vacuity, like an authen)c contemporary prayer, completed at the end of his strength. The Grail sets up a vortex, an area of incandescence, perhaps an abyss which ahracts. Here, it does not seem possible to come together in a community which is a living and pulsa)ng whole of rela)onships. Human existence, in its desperate revolt against the plans of civiliza)on shows its own ver)ginous and drama)c character. Neither an individual, nor a person, the member whom it consists of is anonymous. Singular, but without iden)ty. It is not the indifference of the 150
individual towards the Other, but the individual who becomes generically equal, drowning itself in the sea of "impropriety". Within this lacerated diaphragm, deprived of the community banquet, the human community is intended as out of place. Forced into a perennial and unstoppable exodus, the anonymous crowd of anyones leaves detritus and waste as a heritage to a Parsifal who is alone, a desolate mirror of a human, des)ned to wander with the ruined city as a background.
• The crime, as a pahern, is very present in the work of Romeo Castellucci. What impact this pahern could have (or not) on this creaBon, and on the dramaturgy?
In reality the concept of crime has not really acted in crea)ng the different levels of the dramaturgy. If anything, a role is played by the concept of the outsider, the stranger, the external element that comes and upsets the established order as in Greek Tragedy... Let's think about Oedipus. In that sense it triggers the dramaturgical mechanism and we can talk about Parsifal as the character that saves the community because he put it in crisis.
In Act I, Amfortas, King of the Grail Knights, try to kill the magician Klingsor using the Holy Lance. During Amfortas succumbs to the charms of a woman, Klingsor grabs the Lance and plant it in his side. Ahempted murder, sin of lust, the– here are part of the founda)ons of the narra)ve. We can no)ce Amfortas do not die of his wound: the punishment is more cruel because it does not heal, and he hope to die to stop the pain.
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TABLE DES ILLUSTRATIONS
• ill.1 : Le prisme du crime dans What is crime ?, (re-­‐dessiné et traduit de l’anglais) Stuart Henry et Mark Lanier, 2001.
• ill.2 : La scène de crime, cours de Criminalis)que et médecine légale, Anne Leriche, ULB, Faculté de droit et criminologie
• ill.3 : Extrait vidéo. Reportage soir 3, sur l’affaire Gregory. Archives de l’INA, 1985, Recons)tu)on du meurtre de Bernard Laroche.
• ill.4 : Frances Glessner Lee travaillant sur sa collec)on «Nutshell», de 1940 à 1950, Glessner House Museum, Chicago, Illinois • ill.5 : Kitchen crime scene, maquehe 1:12, Photographie de Corinne May Botz, Office of the Chief Medical Examiner, Bal)more, Maryland
• ill.6 : Charles Mahon, autoportrait, dans le modèle Le Grand Lo–, 26e rue, installa)on n°III, 1986
• ill.7 : Charles Mahon, Chambre d'une femme désordre, 1991, technique mixte, 52x76,5x65,5cm
• ill.8 : Intérieur du Théâtre du Cygne en 1596. Dessin d’Arend van Buchell d’après les indica)ons et un croquis de Johannes De Wih, prêtre à Utrecht, qui avait assisté à une représenta)on dans cehe salle. C ’est dans ce théâtre que fut jouée en 1957 The Isle of Dogs (L’Iles des chiens) considérée comme sédi)euse et qui donna prétexte à la fermeture temporaire de toutes les salles de Londres. Le théâtre des origines à nos jours, Léon Moussignac. p130. Amiot-­‐Dumont, Paris, 1957.
• ill.9 : Le More Cruel, auteur anonyme français, 1613. Mise en scène et scénographie Jean-­‐Philippe Clarac et Olivier Delœuil, dramaturgie Chris)an Biet, 2009.
• ill.10 : Le Drame, peinture d’Honoré Daumier, Nouvelle Pinacothèque de Munich, 1860.
• ill.12 : Photographie. Façade du Théâtre du Grand Guignol. hhp://www.grandguignol.com
• ill.13 : Affiche de spectacle : Du sang dans les ténèbres, drame de Louis-­‐Jean Finot, 1939. hhp://www.grandguignol.com
• ill.14 & 15 : Photographie de Wonge Bergmann, du spectacle Je Suis sang, Jan Fabre. ré-­‐créa)on en 2003.
• ill.16 : Photographie de Luca del Pia, Br.#04 Bruxelles, Tragedia Endogonidia, Roméo Castellucci, 2003.
• ill.17 : Photographie de Luca del Pia, B.#03 Berlin, Tragedia Endogonidia, Roméo Castellucci, 2005.
• ill.18 & 19 : Extrait du film Woyzeck, de Werner Herzog, 1979.
• ill.20 : Extrait de la capta)on vidéo de Woyzeck, (la scène du crime), mis en scène par Thomas Ostermeier, 2004.
• ill.21 : Photographie de Thomas Delord. La blessure d’Amfortas. Répé))on orchestre sur Parsifal mis en scène par Roméo Castellucci au Théâtre de la Monnaie, le vendredi 21 janvier 2011.
• ill.22 à 28 : Croquis de Thomas Delord effectués pendant les répé))ons de Parsifal mis en scène par Roméo Castellucci au Théâtre de la Monnaie, Bruxelles, janvier 2011.
• ill.29 : Photographie de Tom Grant, à l’intérieur de la serre du garage. Réalisée après le moment des faits.
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• ill.30 : Photographie de Phil H. Webber. le 8 avril 1994 pour The Seahle P-­‐I, au domicile de Kurt Cobain le jour de sa mort. Le garage à gauche de l’image (où le corps a été retrouvé), la maison à droite.
• ill.31 & 32: Photographies de Tom Reese, prises le 8 avril 1994 pour The Seahle Times, au domicile de Kurt Cobain (171 Lake Washington Boulevard E, Seahle, WA 98112).
• ill. 33 : Photographies Polaroïd réalisées par un des policier de l’équipe chargée de réaliser l’état des lieux de la scène de crime.
• ill. 34 : Photographie issue d’un photo-­‐reportage de John Van Hasselt, 1994.
• ill. 35 & 36 : Extrait vidéo et photographie. Auteurs non-­‐iden)fiés.
• ill. 37 & 38 : Photographie issue d’un photo-­‐reportage de John Van Hasselt, 1994.
• ill. 39 & 40 : Photographie et extrait vidéo. Auteurs non-­‐iden)fiés.
• ill. 41 : Polaroïd réalisé par la police, façade nord.
• ill.42 & 43 : modèle tridimensionnel, u)lisé pour cehe phase d’étude de l’architecture. (en haut, la façade est, en bas, la façade ouest). Thomas Delord, 2011.
• ill.44 : Croquis, vue en coupe, réalisé par Olivier Bas)n lors de notre entre)en, détaillant le mode de construc)on possible pour ce bâ)ment, 2011.
• ill.45-­‐48 : Photographies, Tom Grant, à l’intérieur de la serre au-­‐dessus du garage. Réalisées après le moment des faits, 1994.
• ill. 53 : Modèle tridimensionnel (avec textures photographiques projetées).
• ill. 54 : Pré-­‐maquehe papier. Thomas Delord, 2011.
• ill. 54-­‐56 : Photographies (différents éclairages) Pré-­‐maquehe papier. Thomas Delord, 2010.
• ill. 57-­‐59 : Photographies (différents éclairages) Maquehe 1:10. Bois, carton, papier, aluminium. Intérieur sud-­‐est. Thomas Delord, 2011.
• ill. 60-­‐62 : Maquehe papier 1:10. (échelle réduite 1:2). Thomas Delord, 2011.
• ill. 63 & 64 : Dessins «de mémoire». À gauche : les sapins sanglants, à droite : façade ouest sans nature. Thomas Delord, 2011.
• ill. 65 : Dessins «de mémoire». L’escalier et le balcon. Thomas Delord, 2011.
• ill. 66-­‐68 : Dessins «de mémoire». Profil. Monstre des mers. Escalier 2. Thomas Delord, 2011.
• ill. 69 : Modèle tridimensionnel (échelle 1:2) avec un personnage témoin. Thomas Delord, 2011.
• ill. 70 : Dessin et peinture, Vision, garage (mirage) flohant dans la nuit. Thomas Delord, 2011.
• ill. 71-­‐73 : Photographies réalisées pendant les essais de son réalisés sur un échan)llon de papier. Copie d’écran du patch u)lisé, réalisé pour ces essais. Thomas Delord, 2011.
• ill. 74 : Image tridimensionnelle, structure porteuse avec renvoi d’effort au centre ( cœur, en bleu).
• ill. 75 : image tridimensionnelle, le garage dans la grande salle d’exposi)on de l’atelier 340.
• ill. 76 : Plan et coupes, Parcours et schéma d'implanta)on.
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BIBLIOGRAPHIE
IntroducBon
-­‐ Antoine Vitez, l’abri ou l’édifice, Les lieux du spectacle, propos recueillis par Jean-­‐Pierre Léonardini, in L’architecture d’aujourd’hui, n° 199, Octobre 1978.
DéfiniBons
-­‐ La scène de crime, cours de criminalis)que et médecine légale, Anne Leriche, ULB, Faculté de droit et criminologie, 2011.
-­‐ Sylvie Mahon, Charles Ma:on, Emboîtements, édi)on Flammarion, 2010.
-­‐ Jean Clair (direc)on), Crime et châ,ment, édi)on Gallimard, 2010.
-­‐ Le théâtre du crime, Rodolph Reiss 1875-­‐1929, Ins)tut de police scien)fique de Lausanne, 2009.
-­‐ Compte-­‐rendu par Jean-­‐François Cauchie du livre de Philippe Robert, La sociologie du crime, La Découverte, Paris 2005.
-­‐ Raimar Stange, à propos de Thomas Demand, Art Now, édi)on Taschen, 2005.
-­‐ Corinne May Botz, The nutshell Studies of unexplained death, 2004.
-­‐ Le grand Robert de la langue française, édi)on Robert, 2001.
-­‐ Jean Baudrillard, catalogue de l’exposi)on An,podes, Palais de Tokyo, 1987.
-­‐ Samuel Taylor Coleridge, Biographia Literaria, 1817.
Historique
⁃ Ladan Niadyesh, Aux fron,ères de l'humain : figures du cannibalisme dans le théâtre anglais de la Renaissance. Paris, Honoré Champion Éditeur, 2009.
⁃ Chris)an Biet, Théâtre de la cruauté et récits sanglants en France (XVIe-­‐XVIIe siècle). Collec)on Bouquins, Paris, édi)ons Robert Laffont, S.A., 2006.
⁃ Pascal Collin, Note de lecture de nos correspondants, sur le Théâtre de la cruauté de Chris)an Biet, pour Educnet. www.educnet.educa)on.fr, 2009.
⁃ Simone Bernard-­‐Griffiths, Jean Sgard, Mélodrames et romans noirs (1750-­‐1890). Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 2000.
⁃ Agnès Pierron, Le Grand Guignol, Le théâtre des peurs de la Belle Époque. Paris, Édi)ons Robert Laffont, S.A., 1995.
⁃ Hans-­‐Thies Lehmann, Le théâtre postdrama,que, L'Arche éditeur, 2002.
⁃ Catherine Bouko, Théâtre et récep,on, Le spectateur postdrama,que, Édi)on scien)fiques interna)onales. Bruxelles, P.I.E Peter Lang s.a, 2010.
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Pour : le cas Woyzeck
⁃ Georg Büchner. 1837. Woyzeck, fragments complets. éd. L'Arche, Paris, 1993.
⁃ Alban Berg, Wozzeck L'Avant Scène Opéra n°215, éd. Premières Loges, Paris, 2003.
⁃ Emmanuel Carrère, Werner Herzog. éd. Edilig (cinématographiques) Paris, 1982.
⁃ Jessie Mill. Le Laboratoire Woyzeck (Mémoire de maîtrise en théâtre). Université du Québec à Montréal, Octobre 2008.
⁃ André Helbo, Le théâtre : texte ou spectacle vivant ?, éd. klincksieck, Paris, 2007.
⁃ René Prédal. Le théâtre à l'écran. CinémAc,on. éd. Corlet, Condé-­‐sur-­‐Noireau, 1999.
⁃ Richard Schechner, Performance Theory. éd. Routledge, 1988, révisé en 2004.
Pour : Expérience à l’opéra
⁃ David Foster Wallace, Extrait de C ’est de l’eau, Diable Vauvert, paru le 26 août 2010.
⁃ Armand de Saint-­‐Sauveur, interview de Roméo Castellucci, à propos de Genesi, réalisée pour flucuat.net, 2000.
⁃ Roméo Castellucci, Face à Parsifal, texte écrit pour la Monnaie, le 19 janvier 2011.
⁃ André Helbo, Le théâtre : texte ou spectacle vivant ?. éd. klincksieck, Paris, 2007.
Pour : première scène de crime (projet de fin d'étude)
⁃ Charles R. Cross : Kurt Cobain, plus lourd que le ciel, traduit de l’anglais, Éd. Camion Blanc, 2003. De l’original Heavier Than heaven : Biography of Kurt Cobain, 2001. ⁃ Kurt Cobain, Journal, traduit de l’anglais, édi)ons Oh! Édi)ons, 2002. ⁃ Tom Grant, The Kurt Cobain murder inves,ga,on, auto-­‐édité, non daté (reçu en 2010).
⁃ Edgar Morin, Les stars, France, Édi)on du seuil, 1972.
Films
⁃ Nick Broomfield : Kurt & Courtney, 1998.
⁃ Ian Halperin : Kurt Cobain, une légende au Nirvana, 2005.
⁃ Gus Van Sant : Last Days, 2005.
⁃ Kurt Cobain About A Son, 2006.
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