87 | EconomiE VErtE – La nouVELLE formuLE magiquE ?
Economie Verte,
la nouvelle formule magique ?1
>BARBARA UNMUSSIG
présidente de la Fondation Heinrich-Böll à Berlin.
La thématique de l’économie verte a tenu le haut du pa
au sommet de la Terre, Rio +20. Mais quel en est le contenu
politique? La controverse nest pas prête de s’achever. Cet ar-
ticle qui a été écrit avant la tenue de la Conférence en dresse
les potentialités et les limites.
«La Conférence des Nations-Unies sur léconomie et le dévelop-
pement (CNUED) doit être le commencement dun modèle écono-
mique basé sur la croissance sous les principes dun développement
durable, dans lequel la protection de lenvironnement et la gestion
rationnelle des ressources naturelles sont dune importance capitale.»
Cette citation est extraite de la Résolution 44/228 de lAssemblée
Générale des Nations-Unies du 22 décembre 1989, qui est considérée
comme le fondement du premier sommet de Rio en 1992. Vingt ans
plus tard, le chemin vers une «économie verte dans le contexte dun
développement durable et dune réduction de la pauvreté» devait
être une nouvelle fois emprunté lors de la Conférence des Nations-
Unies sur le développement durable (CNUDD) du 20 au 22 juin 2012.
1 Article traduit de l’allemand par Jonathan Peuch
étopia | aLtErnatiVEs Et critiquEs économiquEs | 88 89 | EconomiE VErtE – La nouVELLE formuLE magiquE ?
modèle consumériste s’étend, et que la conjoncture est mûre pour
leur approfondissement.
C’est au cœur de ces discussions fondamentales que se déploie,
depuis quelques temps, le débat sur l’économie verte. Il est repris
par les organisations régionales et internationales comme lUnion
Européenne, l’Organisation de coopération et de veloppement
économique (OCDE), et plusieurs organisation du système de lONU,
pour apporter des réponses aux dés du changement climatique, de
lépuisement des ressources naturelles, et même des crises alimen-
taires. Les propositions du Programme des Nations-Unies pour
l’Environnement (PNUE) et de l’OCDE sont interprétées comme
des signaux pour Rio+20. Elles seront analysées plus bas.
La conférence Rio+20 de juin 2012 devait constituer l’espace scénique
pour ces créations conceptuelles, dont beaucoup craignent quelle ne
devienne le lieu dune subversion du mot clé «développement du-
rable» hérité de 1992. Une nouvelle «feuille de route verte» (Green
Economy Roadmap) devait surgir des négociations de Rio+20 – tel
sont lobjectif et les vœux de l’Union Européenne.
Des controverses hautement politiques subsistent à propos
de ce que léconomie verte est et doit être, et aussi à propos des
indicateurs et instruments à partir desquels elle devrait être
érie comme elles existent depuis le sommet de 1992 sur les
trois dimensions du développement durable (NdT: équité sociale,
efficacité économique, prudence écologique).
Le PNUE joue un rôle clé dans la conceptualisation de ce quest
l’économie verte. Avec le «Global Green New Deal», il appelle depuis
2008 à la création de programmes nationaux d’investissements, pour
impulser une transition économique visant une réduction mondiale
des émissions de carbone. Par ailleurs, il mène depuis des années un
débat concernant la protection des écosystèmes par les instruments
La refondation de larchitecture institutionnelle des Nations Unies
pour le veloppement durable et lenvironnement devait être la
principale préoccupation des délégations des gouvernements, qui
devaient aussi redonner un élan au «développement durable» tout
en se mettant daccord sur la situation environnementale et sociale
actuelle. Néanmoins, on pouvait déjà entrevoir que ce sommet Rio+20
ne bénécierait pas du rayonnement et du dynamisme qu’avait eu
celui de 1992. Les processus de préparation se sont en eet déroulés
de manière franchement molle sans mobilisation exceptionnelle de la
société civile. Cette dernière a certes accompagné le processus mais a
constaté à raison que le contexte dune conférence des Nations Unies
et d’arontement politique et économique ne permettait pas une elle
discussion de fond sur un nouveau paradigme économique et social
de nature à répondre aux crises que nous connaissons (nancière et
économique, climatique, alimentaire, sociale).
La critique de la croissance et les appels pour un autre paradigme
économique, le souhait dun nouveau modèle de prospérité ainsi
que celui dautres modes de vie sont autant de thématiques qui ne
sont plus seulement développées à certains milieux sociaux et aux
cercles universitaires. De nouvelles recherches ont été lancées an
de poursuivre les analyses et les conceptualisations commencées
durant les années 1970 et 1980 sur les limites de la croissance et sur
la décroissance. Elles cherchent à découvrir des alternatives sociales
et économiques aux marchés et au capitalisme nancier actuellement
en place. Les nouvelles et anciennes propositions comme celle de «la
prospérité sans croissance» ou celle den nir avec «le mythe de la
croissance sans n» sont à nouveaux discues largement. De plus, ces
discours dépassent les frontières des pays industrialisés. Le concept
du «Buen Vivir», originaire dAmérique Latine, les recherches sur les
mouvements sociaux ou les publications d’économie critique sont de
plus en plus débattus dans les pays émergents et en développement,
ce qui indique que la critique fondamentale du productivisme et du
étopia | aLtErnatiVEs Et critiquEs économiquEs | 90 91 | EconomiE VErtE – La nouVELLE formuLE magiquE ?
Le PNUE cible des objectifs pour des investissements dans dix
secteurs clés (dont lénergie, lagriculture, l’urbanisme, la gestion de
leau, du bois, et la protection des écosystèmes), qui permettraient une
mise en place rapide et eective dun développement vert et social le
tout appuyé par des faits précis et des démonstrations économiques.
Ces investissements pourraient être nans avec 2% de la richesse
mondiale produite par an (environ 1300 milliards de dollars ou 1000
milliards d’euros). Le prix pour une impulsion ecace d’une transition
vers une économie mondiale sans CO², rant de manière optimale ses
ressources. Le principal secteur bénéciaire serait celui de l’énergie avec
environ 360 milliards de dollars, centrés sur les énergies renouvelables
et une production énertique écologique favorisant la réduction de la
pauvreté. Suit le secteur des transports et de la construction (respecti-
vement 190 et 134 milliards de dollar), puis celui de la che et de lagri-
culture (110 et 108 milliards). Ces investissements devraient davantage
favoriser la création demplois, que les investissements classiques c’est
du moins le pronostic du PNUE.
Ces investissements devraient être promus à lintérieur dun pa-
quet comprenant une série dindicateurs, dinstrument et de cadres
politiques. On retrouve ici, de manière générale et condensée, sans
aucun rapport avec les Etats, les instruments que lon retrouve depuis
40 ans sous les labels de la modernisation écologique et de lécono-
mie de marché. Tout ce «Policy Mix» d’interdictions, de standards
socio-économiques et dinstruments économiques comme limpôt,
les taxes et les contrats négociables se retrouvent appliqués à chaque
secteur. Ce sont les gouvernements qui sont chargés détablir les
conditions générales de cadre (enabling conditions) et de montrer
l’exemple dans les commandes publiques en prenant en considération,
en tant qu’investisseur, la durabilité des produits achetés.
du marché. Les cas de la protection des forêts et de la biodiversité
illustrent cette vision: le PNUE veut protéger les écosystèmes tout en
préservant les «services écosystémiques» quelle ore à l’humanité
et aux populations locales (en intégrant sa valeur dans le calcul du
Produit National Brut (PIB)). Le PNUE veut donner aux écosystèmes
une valeur marchande pour favoriser les investissements: «A green
economy regognizes the value of, and invests in, natural capital».
L’OCDE, qui regroupe les pays industrialisés, discute depuis 2009
une stratégie de croissance dans le cadre d’une économie verte. En
résumé, les conditions initiales de négociations ne sont pas mau-
vaises, et peuvent permettre aux états membres de l’ONU de xer
des priorités pour une économie verte. Et il est plus que temps de se
pencher politiquement et publiquement sur ces orientations.
Une économie verte « à la PNUE »
Depuis 2008, le PNUE propose la principale initiative pour en-
clencher une transition vers une économie verte, sous le titre «Green
Economy Initiative». A côté des travaux d’évaluation économique
des écosysmes et de la biodiversi (TEEB-Studie) menées par Pavan
Sukhdev, a été psenun volumineux rapport en février 2011 qui est
la pièce maîtresse de cette initiative: «Towards a Green Economy
Pathways to Sustainable Development and Poverty Eradication». Ce
document est clairement l’un des apports essentiels à la conférence
Rio+20, et ses retombées étaient visibles dans le communiqué de
préparation du Secrétariat Général. Il regroupe des analyses et des
recommandations pour le développement durable et l’économie
verte. Le rapport table grandement sur le fait que les investissements
verts, bien plus que les investissements «classiques», promettent des
eets vertueux sur lemploi, lecacité énergétique, les émissions de
gaz et nalement lenvironnement en général.
étopia | aLtErnatiVEs Et critiquEs économiquEs | 92 93 | EconomiE VErtE – La nouVELLE formuLE magiquE ?
verte. REDD (Reducing Emissions from Deforestation and Degra-
dation), qui est depuis les négociations sur le climat à Bali (2007)
un instrument très discuté visant la protection des forêts, constitue
une occasion unique de transformer une utilisation non-durable
des forêts (déforestations dues au commerce du bois et à lélevage)
en une utilisation verte, en rémunérant les forestiers et les paysans
pour leurs services écologiques.
Le rapport met en exergue les eets positifs sur la croissance, lemploi
et lenvironnement des investissements verts dans les secteurs clés
et les services écosystémiques. Le PNUE veut surtout combattre le
préjugé voire le mythe présent dans les gouvernements du sud de la
planète selon lequel les investissements environnementaux se feraient
sur le dos de la croissance économique et selon lequel lécologie et
léconomie serait en contradiction. Léconomie verte ne serait pas
un luxe que seul les pays industrialisés pourraient se permettre
mais un moteur de croissance, plus ecace dans la lutte contre la
pauvreté que les investissements «bruns» et «business as usual».
Un concept à portée limitée
Ce qui est ici proposé et envisagé n’est pas un nouveau paradigme
économique qui se demande à quoi devrait ressembler léconomie
pour s’intégrer à un écosystème limité, et contribuer au bien-être
tout en réduisant la pauvreté. Il n’est pas question dinterroger fon-
damentalement l’impératif -récurrent- de la croissance. Au contraire,
les investissements sont explicitement consis comme des facteurs
de croissance. «Avec laide des technologies environnementales et
une gestion ecace des ressources, le capitalisme peut s’assurer un
avenir viable.» Le concept dune «économie verte ‘à la PNUE’» ne
contient rien qui soit de nature à révolutionner léconomie mondiale,
ni de concept général capable de transformer les paramètres macro-
économiques fondamentaux (politiques monétaire, budgétaire et
Le PNUE met laccent sur la suppression des subventions écolo-
giques et sociales, nuisant à une utilisation optimale des ressources
naturelles et à la mobilisation de moyens nanciers en vue dun
veloppement écologique et social. Lensemble des subventions
mondiales annuelles pour les matières fossiles atteignent 600 milliards
de dollars. Dans le secteur de la pêche, elles sont de 27 milliards de
dollars – une grande partie étant destinée à la pêche intensive. Les
subventionnements de leau, de lénergie ou de la pêche ne protent,
daprès le PNUE, ni aux pauvres ni aux très pauvres. Si la suppres-
sion des subventions devait quand même entraîner des disparités
sociales, le PNUE plaide pour des indemnisations pour les groupes
de populations touchées (ce qui implique cependant lexistence
dinstitutions étatiques capables de les organiser).
Le PNUE dénit léconomie verte comme une économie amenant
à une amélioration du bien-être de lhumanité et de l’équité sociale
tout en réduisant de manière signicative les risques environne-
mentaux ainsi que lépuisement des ressources. Le découplage de la
consommation de matières premières et de la croissance économique
est explicitement énoncé comme un objectif à atteindre (sans égard
pour la question de savoir si cela est purement et simplement possible).
«Dans une économie écologique de marché, il ne s’agit pas de
freiner la croissance et la prospérité, mais de réexaminer ce que
signie réellement le bien-être», comme que le fait, au PNUE, Pa-
van Sukhdev, coordinateur de la «Green Economy Initiative» et
détaché pour cette tâche de la Deutsche Bank. Dans l’économie de
marché écologique «à la PNUE» se retrouve des recommandations
et des incitations à investir dans ce quon appelle les services écosys-
témiques. Ces derniers sont, daprès la vision du PNUE, largement
sous-évalués: «Ces services éco-systémiques sont très souvent des
services publics et des biens communs que leur invisibilité écono-
mique a contribué à sous-estimer et à mal gérer, jusquà leur perte.»
Ce«capital naturel» est considécomme le levier de léconomie
étopia | aLtErnatiVEs Et critiquEs économiquEs | 94 95 | EconomiE VErtE – La nouVELLE formuLE magiquE ?
vant être arrêté. Ainsi comprise, léconomie verte est davantage un
additif stratégique quune approche fondamentale de l’économie.
Les contradictions entre le libre échangisme et une transformation
écologique ne sont que survolées. La question de savoir comment
le système nancier international peut être radicalement refor-
mulé, en vue dun développement vert, durable et social, n’est pas
envisagée comme un horizon, ni pensé dans cette perspective.
Le PNUE présente les instruments de régulation basé sur le marc
comme une panacée, à linstar du commerce des émissions de
carbone ou du programme REDD+. Ceux-ci sont pourtant depuis
longtemps la cible des critiques en ce qui concerne leurs impacts
sociaux et écologiques, et fondamentalement en ce qui concerne
leur mise en pratique (comme une réforme de fond du marché
des émissions de carbone). La critique la plus vive concerne la
marchandisation des ressources naturelles, qui les rend attirante
pour les entreprises et les abandonne à la marchandisation. Dans
la mesure elle instaure une nouvelle étape de privatisation et de
commercialisation, la «valorisation» des services environnemen-
taux comme le PNUE les appelle ont été violemment critiqués par
certains gouvernements comme le gouvernement bolivien et des
organisations de la société civile. Au lieu de gérer en commun ces
ressources avec les populations et les protéger contre la commer-
cialisation, la nature serait transformée en marchandise ce qui peut
mener parfois au déplacement de populations. Les controverses
relatives à ce concept entre les groupes de défense des populations
locales, les organisations non-gouvernementales (ONG) et les ad-
ministrations particulières ne sont pas prêtes de séteindre.
Le PNUE oriente son programme d’investissement quasi-exclusive-
ment vers les pays du Sud. Son champ daction en est logiquement
déduit. Convaincre du bien fondé, dun point de vue économique,
des investissements verts pour favoriser le développement est certes
commerciale) dans un sens éco-social. Au contraire, le PNUE ne fait
preuve daucun courage quand apparaît la question des sources de
nancement capables de fonder une économie verte. Le PNUE aurait
pourtant pu saisir une belle occasion de promouvoir son plaidoyer
en faveur dune synergie entre économie et écologie. Par exemple, le
transport aérien, maritime et leurs redevances, dune part, peuvent
adopter une orientation écologique, et dautre part, contribuer à un
fond qui pourrait être destiné à des projets écologiques dhabitation
ou de développement dans les pays du Sud.
Les principaux défauts des rapports soumis sontles suivants:
Le PNUE ne fonde pas sa dénition sur des principes de droit inter-
national, de droits ou de normes (droits de lhomme généraux, le
droit à leau, le droit à lalimentation, le droit de lenvironnement)
que devraient respecter une économie verte. Le seul renvoi aux trois
dimensions du développement durable ny susent pas. Depuis le
sommet de Rio de 1992, des progrès résultant dun travail de relecture
et de codication ont épourtant faits concernant la codication
des droits de lhomme liés à lenvironnement et à l’équité sociale.
La dimension sociale est exclusivement consirée dans le contexte
du marché de l’emploi et de la réduction de la pauvreté. Les droits
sociaux et politiques englobent plus que cela. Une prise en compte
des diérences de genre est totalement absente.
Le rapport du PNUE ne se soucie pas dajouter à sa dénition de
l’économie verte une exclusion progressive des activités non-du-
rables, polluantes et dangereuses à laide de priorités claires. C’est
ainsi que léconomie verte est «verte» malgré le nucléaire civil, les
sables bitumineux, les organismes génétiquement modiés, ou les
monocultures. Le PNUE s’en tient au mythe de la stratégie «Win-
Win» et évite une transition politique clairement favorable à la
protection de lenvironnement et à une exploitation des ressources
naturelles. Aucun secteur dinvestissement nest ciblé comme de-
1 / 11 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !