La fiscalité indirecte optimale face à la législation

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La fiscalité indirecte optimale
face à la législation européenne
Stéphane Gauthier
ENSAE et CREST-LMA
24 novembre 2008
L’accent mis sur l’impôt sur le revenu dans le débat public et dans la théorie
économique de la fiscalité rejette dans l’ombre une constante de l’architecture
des prélèvements en France : le poids de la fiscalité indirecte. La TVA est le
premier de nos impôts en termes de recettes fiscales : elle rapportait plus de 135
Md€ en 2007. Cette somme correspond à environ un quart des recettes ; soit, le
montant de l’impôt sur le revenu augmenté de celui de la CSG. Si l’on tient
compte des divers impôts sur les produits, notamment de la TIPP et des taxes
pesant sur les tabacs, ce sont 40% des recettes fiscales qui sont alors couverts
par des impôts indirects.
La théorie de la fiscalité indirecte fait des recommandations claires quant à
l’assiette optimale et aux niveaux des taux d’imposition que l’on devrait retenir.
Si l’on se concentre sur la seule considération d’efficacité économique, il est
préférable d’imposer un grand nombre de biens à de petits taux, plutôt qu’un
petit nombre de biens à des taux élevés. C’est ce qu’on appelle « le principe de
second rang ». Il implique que l’assiette de l’impôt devrait être la plus large
possible. Des considérations d’équité ne remettent pas vraiment en question ce
précepte.
Faut-il appliquer à cette assiette un taux uniforme ou privilégier une grande
diversité de taux ? Dans les cas les plus simples, le niveau des taux d’imposition
doit se conformer à la « règle de l’élasticité inverse » qui recommande de taxer
un bien d’autant plus faiblement que l’élasticité prix de la demande de ce bien
est forte, c’est-à-dire que la demande est sensible à une variation du prix. Plus
généralement, la fiscalité indirecte devrait chercher à décourager le moins
possible la demande de biens. Comme les biens ont des élasticités prix
différentes les uns des autres, ils devraient être taxés à des taux différents.
Il est assez simple de comprendre la logique conduisant à ces deux principes.
Supposons pour cela que l’on décide de taxer un bien. Le consommateur souffre
de cette taxe pour deux raisons différentes : d’une part, parce que son revenu est
amputé du montant de l’impôt, d’autre part parce qu’il réduit sa consommation.
L’autorité fiscale récupérant la recette, seul le dernier effet constitue réellement
une perte pour la société. Cette perte peut être évaluée par la différence entre le
montant que le consommateur accepterait de payer pour que la taxe ne soit pas
mise en place, ou pour qu’elle soit retirée, et l’impôt effectivement collecté.
C’est la « charge morte » de l’impôt. Comme attendu, la charge morte est
d’autant plus grande que le bien est taxé et que le consommateur décide de
réduire sa demande pour éviter l’impôt ; elle augmente en fait avec le carré du
taux de taxe et avec l’élasticité prix de la demande. Les deux principes de la
fiscalité indirecte s’ensuivent.
En pratique, la fiscalité indirecte est pourtant loin de se conformer à ces deux
principes. En France, par exemple, la plupart des biens sont soumis à la TVA et
90% des recettes proviennent du taux « normal ». La France se rapprocherait
donc du principe de second rang aux dépens d’un principe de diversité des taux
dont la règle de l’élasticité inverse ne serait qu’une forme particulière. Aux
Etats-Unis, au contraire, la « taxe sur les ventes » concerne seulement la moitié
des ventes de l’Etat, mais certains Etats recourrent à un très grand nombre de
taux, parfois plus de quarante !
Plusieurs explications contribuent à rendre compte de ces déviations.
Certaines d’entre elles sont brièvement discutées dans Belan et Gauthier (2008b).
Celle qui vient peut-être le plus immédiatement à l’esprit est l’existence de coûts
associés à la gestion d’un système fiscal complexe. L’évaluation de ces coûts
reste à faire. Mais, même d’un point de vue théorique, il n’est pas évident qu’un
élargissement d’une assiette taxée uniformément implique un coût de gestion
plus élevé parce que plus de biens doivent être suivis par l’administration fiscale,
ou plus faible parce qu’un plus grand nombre de biens sont traités de la même
façon. De façon analogue, si l’on multiplie les taux d’imposition, la définition
légale des biens peut devenir complexe et son contrôle coûteux. Au final, la
littérature semble malgré tout pencher pour qu’une assiette large soit taxée
uniformément. C’est parfois la forme que revêt l’impôt indirect optimal lorsque
l’on prend en compte l’impôt direct, en complément de l’impôt indirect ; cette
propriété est plus générale que ce que l’on retient souvent (cf. Gauthier et
Laroque (2008) pour une discussion).
La législation européenne impose aussi des contraintes fortes sur l’impôt
indirect. La directive 2006/112/EC sur « le système commun de TVA » est le
dernier avatar de la « 6ème directive » qui régit la TVA dans l’U.E. Cette
directive laisse peu de liberté pour atteindre l’harmonisation visée puisque les
Etats-membres ont le droit d’utiliser deux taux « réduits » en plus du taux
« normal » (et du taux zéro et/ou de l’exemption). La plupart des biens relèvent
du taux normal ; les biens qui rentrent dans le champ des taux réduits sont
décrits explicitement.
Ces contraintes impliquent que les Etats-membres doivent arbitrer entre le
principe de second rang et une forme de la règle de l’élasticité inverse : s’ils
taxent tous les biens, beaucoup seront taxés au même taux ; s’ils choisissent des
taux différents selon les biens, de nombreux biens devront être exemptés. La
demande par la France d’une baisse du taux de TVA sur la restauration rapide
pouvait peut-être se justifier en l’absence des contraintes imposées par l’U.E.,
parce que ces biens sont plus substituables à des biens domestiques, ou parce
que les ménages les moins aisés en consomment relativement plus ; elle devenait
bien moins évidente en présence de ces contraintes.
Quels sont alors les principes qui peuvent nous servir de guide ? Quand fautil adopter une base étroite ? Quels sont les biens qui doivent être regroupés pour
être taxés à des taux communs ?
Dans une économie fermée, Belan, Gauthier et Laroque (2008) ont montré
que, si chaque bien individuel est négligeable dans l’ensemble des biens de
l’économie, une forme de la règle de l’élasticité inverse continue de s’appliquer :
il faut décourager la demande des biens les moins sensibles aux variations de
prix et ceux qui sont consommés relativement plus par les ménages dont le poids
social est moindre. Pour cela, il suffit que le gain retiré par la société lorsque
l’on taxe un bien individuel soit une fonction unimodale du taux d’imposition :
si le taux est faible, il est socialement désirable de l’augmenter ; s’il est plus
élevé, il devient préférable de le baisser. Il y a ainsi un taux « putatif » qui
maximise le bien-être social que l’on retire en taxant un bien donné. Ce taux
satisfait bien sûr la règle de l’élasticité inverse, mais il n’est que putatif, au sens
où il n’est en général pas possible d’imposer le bien à ce taux, du fait des
restrictions pesant sur le nombre d’instruments mobilisables. La propriété
d’unimodalité implique cependant qu’un bien devrait être taxé à l’un des deux
taux existants qui sont les plus proches de son taux putatif, celui qui est
immédiatement inférieur ou celui qui est immédiatement supérieur. Une
application au cas du Royaume-Uni suggère que la TVA mettrait un poids
important sur les déciles de consommation médians ; avec ces poids, les biens
semblent correctement regroupés. Il serait intéressant d’étudier ce qu’il en est en
France.
L’analyse précédente repose sur le caractère négligeable de chaque bien
individuel. Une réforme consistant à modifier le taux qui s’applique à un bien
particulier n’a alors pas d’effet sur le reste de l’économie. Ce cadre est
conceptuellement attrayant mais il est difficilement défendable en pratique. Les
biens sont en effet déjà regroupés par grandes catégories : les biens alimentaires,
les vêtements pour enfants, les médicaments, etc. Si l’on change le taux
d’imposition sur l’une de ces catégories, l’économie dans son ensemble sera
affectée. Belan et Gauthier (2004) et Belan et Gauthier (2006) ont montré que la
structure de l’imposition indirecte optimale dépend dans cette configuration de
l’élasticité prix, mais aussi des niveaux de la demande pour ces catégories. Il
s’avère pourtant que, au moins pour de petits montants de TVA collectée, une
forme faible de la règle de l’élasticité inverse doit être satisfaite : les biens dont
la demande est la moins élastique sont regroupés et taxés ensemble à un taux
élevé, puis viennent les biens dont la demande est un peu moins élastique, etc.
Celles dont la demande est la plus élastique doivent être exemptées. L’assiette
optimale est en fait d’autant plus étroite que les élasticités prix sont dispersées
(Belan et Gauthier (2008b)).
Lorsque l’économie est ouverte, des considérations de concurrence fiscale
doivent être intégrées. Belan et Gauthier (2008a) montrent que les résultats
précédents se retrouvent quand les biens sont taxés là où ils sont consommés
(« principe de destination »). C’est le régime de taxation de la plupart des
transactions dans l’U.E. aujourd’hui. Il n’est toutefois que « transitoire »,
l’objectif de long terme affiché par l’U.E. étant de taxer les biens là où ils sont
produits (« principe d’origine »). La base optimale serait alors plus étroite,
limitée aux biens domestiques qui sont le moins substituables aux biens
étrangers.
Bibliographie
Belan, P. et S. Gauthier, (2004), Optimal commodity grouping in a partial
equilibrium framework, Economics Letters 83(1), 49-54.
Belan, P. et S. Gauthier, (2006), Optimal indirect taxation with a restricted
number of tax rates, Journal of Public Economics 90(6), 1201-13.
Belan, P. et S. Gauthier, (2008a), Commodity tax competition and the VAT base
in the European Union, document de travail CREST 2008-17.
Belan, P. et S. Gauthier, (2008b), Dispersion of taxable commodities and the
optimal fiscal base, mimeo CREST.
Belan, P., S. Gauthier et G. Laroque, (2008), The optimal grouping of
commodities for the sales tax, Journal of Public Economics 92(7), 1738-50.
Gauthier, S. et G. Laroque, (2008), Separability and public finance, document de
travail CREST 2008-24.
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