choisit la nature pour modèle devra obligatoirement exécrer la loi ; il
devra même faire de sa vie une négation en acte de cette dernière,
sous peine d’entrer en contradiction avec lui-même.
La loi est généralement conçue par le cynisme comme un
raffinement pervers qui se drape sous des apparences d’objectivité4.
En se cristallisant dans les institutions politiques, religieuses ou
économiques de la Cité, ou encore en se transmettant aveuglément de
génération en génération sous la forme de coutumes et de normes
laissées sans examen, tout se passe comme si le nomos réussissait le
tour de force de convertir sa contingence initiale en une nécessité de
fait, acceptée de tous, à la manière d’un horizon irrémissible et sans
dehors. Cela revient à dire que malgré son caractère conventionnel,
malgré son statut d’artifice civilisationnel suprême, la loi n’en arrive
pas moins à se naturaliser aux yeux de la foule des insensés (phauloi) ;
elle en vient à envelopper son origine temporelle sous le voile d’une
sépare toute opposition conceptuelle, celle-ci fût-elle au départ contrastée ou
équivoque. Nous ne saurions dire ici si cette tendance répond à des motifs
pédagogiques sincères ou si elle provient plutôt d’une sorte de penchant
inavouable de la rationalité historienne pour les antithèses tranchées. Le
lecteur comprendra cependant que pour le bénéfice de la présente étude,
laquelle concerne plus spécifiquement le concept de phusis, nous nous
contenterons de reconduire l’opposition classique entre phusis et nomos sans
chercher à rendre compte des discordances qui n’en accompagnent pas
moins dans les faits le statut du nomos dans la philosophie cynique. Pour une
tentative visant à solutionner une de ces discordances, on consultera
Husson, S. (2011), La République de Diogène, Une cité en quête de la nature, p.
147-152. Précisions que nous n’insinuons évidemment pas ici que le
dualisme nature/loi relève d’une pure reconstruction historienne ; nous
sommes également d’avis que cette opposition structure de part en part la
position cynique ; le problème vient plutôt que confrontés à ces
discordances, d’aucuns n’hésitent pas sacrifier l’esprit de finesse sur l’autel
d’une cohérence maximale.
4 L’artifice réprouvé par le cynisme est susceptible d’emprunter deux
formes : une forme matérielle, tout d’abord, qui comprend l’argent
(« métropole de tous les maux », Laërce, D., VI, 50), le luxe, les honneurs, et
ensuite une forme spirituelle, qui s’étend des arts aux institutions en passant
par les sciences, les lois et les rites des religions en place. Nous empruntons
ici cette distinction à Meilland, J.-M. (1983), « L’anti-intellectualisme de
Diogène le cynique », p. 233.