L’assurance d’une alimentation suffisante, saine et nutritive pour la population urbaine, et son pendant, la
sous-alimentation et la malnutrition, ont été appréhendés à travers une analyse des circuits de distribution des
denrées. Les systèmes alimentaires alternatifs, cherchant à rapprocher les consommateurs urbains des
producteurs agricoles (circuits courts, réseaux des Associations pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne)
révèlent la vigueur des mouvements citadins et des nouveaux agencements marchands autour de la question
alimentaire (voir par exemple Aubry et Chiffoleau, 2009, Deverre et Lamine, 2010 ou encore Le Velly,
2017). Ce numéro souhaite réinterroger ces réseaux qui nourrissent les villes, en s’intéressant par exemple
aux circuits d’approvisionnement des lieux de restauration collective publique (écoles, hôpitaux, prisons…),
ou encore au renouveau de la livraison et de la restauration à domicile portée par une floraison de start-up
plus ou moins pérennes. La vogue des brasseries artisanales urbaines laisse également entrevoir la
(re)naissance d’activités de transformation des denrées agricoles dans des lieux urbains dédiés, engageant
des réflexions sur les mutations de l’industrie agro-alimentaire. En sus du positionnement des acteurs
économiques et de la société civile dans ces nouvelles pratiques, nous souhaitons aborder dans ce numéro le
rôle croissant des politiques urbaines alimentaires. Autrefois négligée dans les projets d’aménagement urbain,
l’alimentation est en effet désormais prise en compte par les acteurs publics des villes, comme en atteste
l’adoption de plans stratégiques pour l’alimentation à New York, Londres ou encore Toronto (Morgan et
Sonnino, 2010). Les villes sont-elles pour autant l’échelon d’action le plus adéquate dans la mise en œuvre
d’une gouvernance alimentaire locale ? Ce numéro et ses contributions pourront tenter d’y répondre.
Bénéficiant depuis peu d’une profusion de travaux dans des champs divers (agronomie, géographie,
anthropologie, sociologie, urbanisme, écologie) et d’une forte médiatisation à la faveur d’initiatives
emblématiques (valorisation agricole des friches urbaines à Detroit, projet des « Parisculteurs » lancé par la
mairie de Paris), l’essor remarquable de l’agriculture urbaine ne saurait être ici oublié. Toits couverts
d’arbres fruitiers ou façades végétalisés, potagers communautaires, fermes urbaines, jardins associatifs,
cultures hydroponiques dans les parkings, petit élevage ovin sur d’anciennes friches, l’agricole en ville vient
se nicher dans les interstices (Laurens, 2015), épouse les innovations architecturales. Au-delà de la pluralité
des formes, des initiatives et des acteurs engagés – souvent non agricoles – , c’est bien l’émergence d’une
ville comestible qui nous intéresse dans ce numéro, des petits jardins urbains communs disséminés par le
mouvement des Incroyables Comestibles aux applications recensant les lieux de cueillette de plantes
sauvages, de baies ou de racines en ville, jusqu’aux potagers gastronomiques dans lesquels viennent se
fournir un nombre croissant de chefs étoilés, à l’instar d’un Thierry Marx cultivant tomates, fraises et plantes
aromatiques sur le toit d’un hôtel parisien pour l’un de ses restaurants. La ville comestible ne semble pas
pour autant répondre à des motivations uniquement vivrières. En témoignent les activités agricoles
observables dans un grand nombre de villes d’Afrique subsaharienne, où l’agriculture urbaine s’inscrit tout à
la fois dans des pratiques d’autoconsommation familiale et des stratégies commerciales, et relève de la
stratégie de survie et du moteur de développement.
Autant d’initiatives aux objectifs divers, qui vont dans le sens de la recherche d’une autonomie alimentaire,
dans un contexte de crise des systèmes agro-alimentaires traditionnels ; qui traduisent, aussi, l’émergence
d’un nouveau regard sur des villes, désormais vues comme fertiles, vivantes, nutritives, généreuses.
Comment l’alimentation fait la ville
Du champ ou du potager à la table du mangeur, en passant par les commerces, les cuisines, jusqu’au
traitement des déchets, les différentes facettes de l’alimentation des villes sont de puissants révélateurs de
leurs dynamiques et des enjeux auxquels elles sont confrontées. Nous souhaitons dans ce numéro suivre les
traces de notre alimentation, pour comprendre l’impact de celle-ci sur nos villes et nos vies urbaines. À
l’instar de l’analyse du cycle alimentaire londonien réalisée par Carolyn Steel dans Hungry city, les
contributions pourront ainsi proposer des portraits de villes au prisme de leur histoire alimentaire. Comment
fonctionne ce métabolisme alimentaire urbain, dans quelle mesure ce flux en apparence incessant
d’alimentation et d’évacuation imprègne-t-il l’espace urbain, quelles sont les conséquences d’une rupture
dans cet approvisionnement, sont autant de questions auxquelles ce numéro se propose de répondre.
Dans la manière dont l’alimentation modèle les villes, une attention particulière peut être portée aux
pratiques des consommateurs. Celles-ci relèvent d’une pluralité de registres, de l’alimentation de crise ou
d’urgence à laquelle ont recours les individus et groupes sociaux en situation précaire, aux pratiques