Nation et souveraineté populaire
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Nation et souveraineté
populaire
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Date de mise en ligne : dimanche 4 janvier 2015
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Nation et souveraineté populaire
Je remercie l'Association des Amis de Léo Figuères de m'avoir invité à parler de la souveraineté nationale et
populaire.
Parce que c'est l'occasion d'évoquer une nouvelle fois le souvenir et la personnalité de Léo Figuères,
incontestablement souverain de sa propre personnalité.
Je l'ai fréquenté de près puisque j'étais son voisin de travée au Conseil général des Hauts de Seine et que ses
interventions ne pouvaient être ignorée à un mètre de lui, pour leur fond, leur forme et leur tonalité.
Nous nous sommes beaucoup fréquentés également ailleurs et en particulier à Malakoff où j'ai de nombreuses
attaches.
J'ai toujours beaucoup apprécié sa libre pensée et sa capacité à combiner l'engagement du militant et la légitimité de
l'élu. Exercice difficile dans lequel il faut faire preuve de souveraineté dans sa propre conduite.
Léo s'est toujours clairement positionné sur la question de la souveraineté, en particulier lors du traité de Maastricht
où, sans une adresse à la population de Malakoff, il montrait que ce traité était annonciateur de chômage, de
précarité, de soumission à la finance et à des autorités supranationales susceptibles d'affecter gravement la liberté
d'action de la France, sa souveraineté.
Les questions de la nation, de la souveraineté et de la citoyenneté sont liées. Elles ont émergé dans le temps long,
et c'est à l'échelle de l'histoire qu'il convient d'aborder ces questions.
1. La sécularisation du pouvoir politique
L'idée de souveraineté émerge de notre histoire à travers un processus de sortie de la religion, d'affranchissement
de la monarchie absolue et d'affirmation simultanée de l'existence de l'État-nation et de la communauté des citoyens
; le processus correspond à trois ruptures ou mutations depuis la fin du Moyen-Âge, soit sur quelque sept siècles, ce
que le sociologue Marcel Gauchet a appelé « Le désenchantement du monde ».
Première mutation. Philippe Le Bel, fin XIIIème siècle, crée le Conseil d'État du Roi entrainant une franche
distinction public-privé, installe le pape Clément V en Avignon pour signifier qu'il est moins monarque « par la grâce
de Dieu » que par son autorité propre ; il fait décapiter ses créanciers et bruler les Templier. Dans le même esprit,
François 1er par l'ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539, impose le français comme langue administrative officielle
contre le latin, langue du sacré, et s'approprie le droit d'asile en matière civile qui était jusque-là le monopole de
l'Église. Le souverain, ce n'est plus tellement Dieu, c'est le Roi.
Deuxième mutation sous Louis XIV durant son long règne de 72 ans, commencé par l'affirmation « l'État c'est moi
» et qui se termine par « Je meurs, mais il reste l'État ». L'établissement d'un appareil d'État a abouti à son
autonomisation, à sa séparation même de la personne du monarque. Cela pose la question du lieu et de la nature de
la souveraineté. Quoi qu'il en soit, ce n'est déjà presque plus la personne du monarque. C'est au sein même de l'État
que siège la souveraineté si l'on ne parvient pas encore à identifier le souverain
Troisième mutation préparée par les Lumières au XVIIIème siècle et formalisée par Jean-Jacques Rousseau,
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notamment dans "Du Contrat Social" en 1762. Il propose que ce soit une abstraction : le concept de "Peuple", qu'il
conçoit comme la communauté des citoyens mais distincte de l'ensemble des citoyen qu'il définit ainsi : « À l'égard
des sociétés, ils prennent collectivement le nom de Peuple, et s'appellent en particulier citoyens comme participant à
l'autorité souveraine ». Il annonçait ainsi le transfert de la souveraineté du monarque au peuple. La nation sera
introduite par l'article 2 de la Déclaration des droits de 1789 : « Le principe de toute souveraineté réside
essentiellement dans la nation ». La constitution de 1793 ajoutera en son article 7 : « Le peuple souverain est
l'universalité des citoyens français ». Dès lors le souverain est le peuple et/ou l'État-nation, ce qui dès le départ
introduit les notions à la fois proches et distinctes de souveraineté populaire et de souveraineté nationale.
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Non seulement l'histoire n'est pas finie mais elle s'accélèrera au XIXème siècle mettant en confrontation les citoyens
et l'appareil d'État. Au plan européen s'affirment les nationalités. Se combineront alors les luttes pour la République,
pour le socialisme, pour la laïcité, pour de grandes conquêtes sociales, débouchant sur le XXème siècle
"prométhéen", ses expressions totalitaires, son échec ouvrant sans doute la voie à une nouvelle mutation,
"métamorphose" selon Edgard Morin, mais « Pendant la mue le serpent est aveugle », titre d'un livre que j'ai écrit en
1993 pour caractériser cette phase de transition délicate et dangereuse. La souveraineté doit désormais s'analyser
dans le cadre d'une bipolarisation (une quatrième mutation), entre d'une part une revalorisation de la responsabilité
individuelle, le citoyen étant appelé à tirer la leçon de l'échec du siècle prométhéen et de la persistance de religions
séculières et, d'autre part le mouvement de mondialisation qui n'est pas seulement celle du capital mais qui affecte
tous les aspects de l'activité du genre humain : le genre humain comme souverain à venir.
Comment, dans ces conditions situer la souveraineté de la nation et du peuple ?
2. La problématique actuelle de la souveraineté
La souveraineté est une en ce qu'elle légitime l'exercice du pouvoir politique et de ses instruments (création
monétaire, État de droit, politiques publiques, relations internationales...). La France, dans cette recherche a connu
15 constitutions en deux siècles. Il est courant d'en distinguer deux aspects, la souveraineté nationale et la
souveraineté populaire. La première ne prétend pas à la seule représentation des citoyens existants, mais veut aussi
traduire les aspirations de la continuité des générations, elle privilégie la démocratie représentative. La seconde tend
à privilégier la démocratie directe dans une conjoncture déterminée. Le programme du CNR était fortement imprégné
de l'idée de souveraineté nationale et populaire La constitution de la IVème République retiendra la notion de
souveraineté nationale et populaire que l'on retrouve dans la constitution de la Vème République en son article 3 : «
La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et la voie du référendum ».
La souveraineté ne saurait être déléguée si certaines compétences peuvent l'être. C'est dans le contexte très
particulier du lendemain de la deuxième guerre mondiale que le préambule de la constitution de 1946 a prévu que,
sous réserve de réciprocité, « La France consent aux limitations de souveraineté nécessaires à l'organisation et à la
défense de la paix. ». Restera constante, par ailleurs, la règle selon laquelle « Les traités ou accords régulièrement
ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois » (article 55 de la constitution).
J'ai connu un ami qui voyait là un moyen juridique de l'internationalisme prolétarien (mais c'était dans une époque
lointaine et pour une échéance indéterminée...).
La souveraineté ne saurait cependant être préservée par le seul respect formel des règles du droit positif. On a vu
comment le gouvernement est parvenu à contourner par la voie parlementaire le rejet par le peuple français, en
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2005, du traité constitutionnel de l'Union européenne pour aboutir à ses fins avec le traité de Lisbonne.
Au-delà de ces manoeuvres juridiques, il y a aussi perte de souveraineté sur le plan économique. La France a
abandonné à la Banque centrale européenne son pouvoir monétaire. Avec l'inscription dans les traités européens de
la "règle d'or" de l'équilibre budgétaire sous peine de sanctions, elle perdrait aussi son pouvoir budgétaire,
c'est-à-dire la conduite de l'ensemble des politiques publiques et, par là, serait mise en cause l'existence même de
ses services publics et la notion d'intérêt général qui fonde leur existence. Y compris en ce qui concerne le problème
de la dette, la France perdrait la maîtrise de sa gestion sous couvert de coordination des politiques budgétaires et
financières soumises aujourd'hui au diktat des marchés financiers mondiaux et de leurs agences de notation
dépourvus de toute légitimité politique. La souveraineté, c'est donc aussi la reprise en mains par la nation de sa
politique économique : le Japon est deux fois et demie plus endetté que la France et pourtant il ne connaît pas les
tourments européens pour la simple raison que les titres de la dette japonaise sont possédés, non par les marchés
financiers mondiaux, mais par... les Japonais.
L'abandon de la souveraineté c'était aussi, pour le pouvoir sarkozyste, l'occasion de mettre la France aux normes
exigées par l'ultralibéralisme prévalant au sein de l'Union européenne. La souveraineté nationale et populaire a
permis : un service public occupant un quart de la population active, un système de protection sociale basé sur la
solidarité, un principe de laïcité fondant la responsabilité civique, un modèle d'intégration établi sur le droit du sol,
une démocratie locale aux multiples foyers. C'était, pour le pouvoir d'alors, autant d'"anomalies" qu''il voulait
supprimer. Comme l'a écrit le philosophe Marcel Gauchet : « Le programme initial du sarkozysme, c'est un
programme de banalisation de la France ».
La nouvelle majorité présidentielle ne rompt pas vraiment avec cette démarche si on doit relever ce qui en diffère
néanmoins. Une plus grande prudence concernant les politiques publiques et une tentative de donner le change
(MAP, CGSP) ; la conservation du statut général des fonctionnaires malgré un manque total d'ambition (30ème
anniversaire, loi Lebranchu, rapport Pêcheur) ; une politique de l'immigration et de l'asile qui change peu si elle est
moins ostentatoirement hostile. En revanche on peine à faire la différence sur l'Acte III de la décentralisation et
même sur la laïcité (en dépit de la Charte Peillon). L'option libérale conduit le pouvoir actuel à faire allégeance à une
union européenne en crise économique et politique défavorable à la souveraineté nationale sans profit pour le
peuple.
3. La mise en perspective universelle de la
souveraineté nationale
À l'inverse, la défense de la souveraineté nationale c'est, pour le peuple français, le moyen de se réapproprier son
histoire, la démarche rationnelle et la morale républicaine. C'est aussi le moyen de s'inscrire dans une autre
conception de l'histoire qui prend appui sur la montée de l' "en commun", privilégie l'universalisme sur la politique des
blocs, participe à l'émergence de valeurs universelles. Le monde à venir est celui des exigences d'interdépendances,
de coopérations, de solidarités qui conduisent à l'idée d'un XXIème siècle "âge d'or" du service public. Cela contribue
activement à la création des moyens d'une mondialisation qui ne soit pas seulement celle du capital, s'inscrit dans
une dynamique qui établit une dialectique progressiste entre le monde, les grands continents et la nation. Ernest
Renan dans sa célèbre conférence à la Sorbonne du 11 mars 1882 : « Les nations ne sont pas quelque chose
d'éternel, elles ont commencé, elle finiront [...] La confédération européenne probablement les remplacera. Mais telle
n'est pas la loi du siècle où nous vivons ». C'était il y a 132 ans...
Cela nous apprend que l'on ne bouscule pas les créations de l'histoire par décret. Qu'il ne suffit pas que le traité de
Maastricht ait décrété en 1992 : « Il existe une citoyenneté de l'Union. Est citoyen de l'Union toute personne de
l'Union ayant la nationalité d'un État membre », pour que cette citoyenneté existe. Elle n'existe pas à l'évidence. Elle
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n'existe pas davantage lorsqu'elle se subordonne aux dogmes religieux ou partisans. Tirant les leçons du siècle
passé, la citoyenneté est appelée à se définir sur la base des engagements propres et responsables des individus
caractérisés pour chacun d'eux par leur "génome" de citoyenneté.
Entre mondialisation et cette individuation, c'est la nation qui est, par son histoire et la réflexion sur cette histoire, la
créatrice d'universalité. La nation est et demeure le niveau le plus pertinent d'articulation du particulier et de et du
général.
Intervention d'Anicet Le Pors pour l'Association des Amis de Léo Figuères, à Malakoff, le 21 novembre 2014
Tiré de son blog
Enregistrement vidéo de la conférence :
https://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=7OPKyCUloS4
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