Faut-il tout démontrer ? *** Démontrer c’est vouloir rendre compte de ce que l’on pense en exposant publiquement les arguments qui nous permettent d’arriver à telle ou telle conclusion. En ce sens la démonstration s’oppose au discours dogmatique qui ne repose que sur le statut de l’autorité qui le formule, et à la simple et intime conviction dont le caractère privé ne permet pas de rendre compte de la pertinence de ce à quoi l’on pense. La démonstration satisfait donc les exigences de la raison, et de son aspect judiciaire, on n’acquiesce à une idée qu’après que l’on ai examiné avec attention les énoncés sur lesquels elle repose. La démonstration a donc en ce sens un aspect démocratique car elle laisse à chacun la possibilité de juger de la solidité du discours que je prononce, de la même façon que pour l’énonciateur elle engage sa responsabilité, la pertinence et la transparence de son propre propos. Satisfaisant aux exigences socratiques du discours, qui oserait dire qu’il ne faut pas chercher à démontrer ? Seulement, le sujet ne nous demande pas simplement si la démonstration à quelque chose de bon, elle nous demande si tout doit être objet de démonstration. Or l’idée de totalité, par sa définition, récuse toute forme d’exception. Or il semble bien que dans certains domaines la démonstrations soit indispensable. Elle est un critère du vrai dont on ne peut se dispenser si par la recherche de la vérité on entend produire véritablement des connaissances et non pas se contenter de ce qui parait vrai à certains. On voit donc mal comment la démonstration pourrait être substituée à autre chose dans le discours scientifique. N’est-ce pas le problème que pose Bertolt Brecht dans la vie de Galilée lorsque le célèbre scientifique italien montre à un philosophe et à un théologien ce qu’il y a à voir dans sa lunette astronomique, à savoir des satellites à Jupiter, et que ceux-ci refusent de constater car cela va à l’encontre de leurs propres préjugés ? Pourtant à l’inverse, l’exigence de démonstration peut apparaître invivable quand elle s’applique à d’autre domaine. Ainsi, aujourd’hui un des modes privilégié d’organisation du travail est de rendre des comptes de ce que l’on fait et de mettre en place constamment des évaluations afin de vérifier que les objectifs ont bien été atteints. N’est-ce pas porter à son paroxysme une exigence de démonstration qui de façon plutôt déplaisante substitue à la confiance et au dialogue une exigence de preuve qui instille le doute dans les relations les plus simples ? De la même façon peut on exiger que cette jeune fille au cheveux blonds démontre l’amour qu’elle a pour moi ? N’est-ce pas d’emblée nier le sentiment amoureux en le forçant à rationaliser ce qui n’est pas rationalisable ? *** Tout d’abord nous examinerons l’idée que la démonstration est bien une exigence rationnelle que nous devons tous avoir. En effet, la démonstration n’est pas seulement la seule manière de construire un discours cohérent, c’est aussi l’idée que la démonstration est un rempart contre les discours qui cherchent à dominer autrui en jouant davantage sur la persuasion que sur la cohérence d’un discours. L a d é m o n s t r a t i o n s i g n i fi e étymologiquement l’action de montrer. Il ne s’agit pas tant ici du même montrer que celui de ce proverbe Chinois ou le sage montrant avec son doigt la lune, voit que l’imbécile regarde le doigt. Non il s’agit du montrer qui révèle. Qu’est ce que démontrer : c’est accepter de soumettre son discours au regard d’autrui pour que celui-ci puisse, en droit, refaire les mêmes raisonnements afin de vérifier si ceux-ci sont bien cohérents et si ma démonstration tient la route. La démonstration en ce sens satisfait les exigences de la raison qui ne s’intéresse pas à : «qui le dit ?» mais «qu’est ce qui est dit». Kant dans la critique de la Raison Pure comparait la raison à un tribunal qui force les idées à révéler de quoi elle découle et déjà Socrate faisait du dialogue lieu de l’exercice philosophique, puisque le dialogue me force à soumettre mon discours au jugement d’autrui. Il est beaucoup plus facile de se raconter n’importe quoi à soi même que de dire n’importe quoi à autrui, car autrui n’est pas forcé d’être d’accord avec moi (même si certains ne sont jamais d’accord ...). Autrui me force à préciser, justifier ce que j’avance avant que ensemble, nous puissions tâter de la solidité des enchainements. C’est en ce sens que Descartes construit dans le Discours de la Méthode, une méthode dont le but est de construire un discours complexe fondé sur des idées simples qui sont séparées, divisées isolées et correctement reliées entre-elles : Règle une : éviter la précipitation, règle deux : diviser le complexe en éléments simples, règle trois : conduire sa pensée par ordre règle quatre : dénombrer. L’intuition permet de saisir dans une évidence des idées claires et distinctes qui sont les deux propriétés de la vérité chez Descartes. Ces idées simples forment les axiomes des raisonnement plus complexes qui finissent par produire de longues chaînes de raison capable de saisir et d’expliquer des phénomènes plus complexes. Il est vrai que Descartes voit dans ces chaînes ce qui constitue toute la solidité des raisonnements mathématiques. Descartes veut l’étendre à la science dans son ensemble car il veut en faire une science démonstrative. Mais le plus important n’est peut être pas tant la solidité que procure cette méthode, que l’aspect public qu’elle autorise. Descartes a beaucoup insisté, en tant que mathématicien, sur l’importance de l’écriture et la simplification de l’écriture qu’il a lui même inauguré en Algèbre. Loin d’être plus confortable, cette écriture simplifiée présente l’énorme avantage de rendre plus lisible par d’autres ce que moi je peux penser en privé. Elle me rend responsable de mes raisonnements devant autrui. Ce que je dis n’est pas vrai parce que Descartes le dit mais parce qu’il use de cette raison universelle qui est placé en tout homme, et qui au delà des idées privées me permet de produire des déductions publiques. Oui il faut donc cherche à démontrer, car c’est la seule façon de fonder une science strictement rationnelle, qui soit à la fois solide dans ses enchaînements grâce aux règles de la déduction, qui obéissent aux lois de la logique, et solide dans la conviction qu’elle propose, car rendu public, le raisonnement suscite un acquiescement de tous les êtres rationnels qui ne sont pas gouvernés par la mauvaises foi. Car oui, l’homme n’est pas qu’un être rationnel. Descartes, est peut être un peu «naïf» ou comme on dit aujourd’hui «angélique». Que peut une preuve ou une démonstration face au préjugé ? Alors peut être que nous pourrions être plus radical que Descartes lui-même, en ne nous contentant pas de dire ce qu’il faut pour démontrer mais qu’il faut tout démontrer ! Hobbes va avoir ce projet. Il est très marqué, décidément lui aussi, par les mathématiques et plus précisément par les démonstrations de la géométrie d’Euclide, bref Hobbes veut être 1à la philosophie ce que Euclide a été à la géométrie. Quel est le rapport ? Le rapport c’est un constat, celui de la guerre civile. Hobbes a l’intelligence qui lui fait dire que les armes blanches, les canons ne constituent pas la première source de mortalité. Les mots sont bien plus redoutables, et avant de s’attaquer aux fabriquant d’armes on devrait d’abord s’attaquer aux orateurs car ils possèdent un pouvoir bien plus insidieux : celui de la séduction. Les hommes sont d’abord des êtres de passions, et le rhéteur est celui qui sait agiter les passions des hommes, des clans et des groupes en fonction de son intérêt. Les mots ont donc toujours un sens, mais un sens suffisamment souple pour être manipulé et il est facile de parvenir à leur faire dire ce que l’on veut bien leur faire dire. Hobbes reprend une vieille critique de ce que Platon appelait la sophistique. Le remède va néanmoins changer : le remède de Hobbes c’est ce que l’on appelle le nominalisme. Un critère tout d’abord la sensation. Comment définir le blanc ? à partir de la sensation qui est celle que j’éprouve lorsque je vois un corps blanc. Qu’est ce que donner un nom à une chose ? c’est lui donner un nom qui correspond à la sensation que j’éprouve. La blancheur n’existe pas, et dès que j’emploie ce mot je dois savoir qu’il s’agit d’une abstraction que j’ai établi à partir d’une multitude de sensations. Il n’existe donc pas de blancheur mais seulement des corps blancs, et je ne peux utiliser le mot blancheur que si j’ai conscience qu’il s’agit d’un simple mot qui en réalité ne veut rien dire. Dès lors appliquons ce principe au mot liberté. A quelle sensation renvoie le mot liberté ? A aucune. Je peux avoir l’impression que je pourrai faire ce 1 Photo Nathalie Rascoussot que bon me semble si je le souhaitais mais en réalité personne n’a jamais fait l’expérience d’une liberté totale et absolue. La politique hobessienne est donc d’abord une science politique. A chaque mot employé nous devons lui appliquer le critère de la sensation et vérifier que ce mot correspond bien à une réalité. Les mots libertés, Dieu, égalité, etc doivent donc être employé avec la plus grande prudence. Tout doit donc être ramené à des calculs. Une sensation doit débouché sur un mot, une idée doit déboucher sur une phrase qui est elle même composé de plusieurs mots qui renvoient à des sensations. Il s’agit bien d’une géométrie politique et l’énoncé «l’homme est un être libre» est un énoncé qui ne repose sur aucune démonstration. Afin de lutter contre le Ghostly power, il faut parler un langage vrai, fondé sur la réalité et démontrer à chaque fois que l’idée que j’avance est bien une idée qui correspond à quelque chose de réel. On voit bien que la démonstration semble une action rationnelle nécessaire tant dans sa dimension de fondation du savoir que dans la dimension politique où l’on voit se confronter la logique oratoire des passions à l’exigence de rationalité de la politique. Pourtant pourrait-on imaginer un monde où tout ce qui est humain est l’objet d’une démonstration ? *** «Je t’aime», «démontre le moi». Si l’on passe sur tout ce qu’il peut y avoir d’écoeurant dans le je t’aime et si l’on accepte les règle classiques de l’amour on voit d’une manière générale que l’exigence de démonstration est un tue l’amour. Demander une démonstration d’un amour n’est pas quelque chose qui se fait car c’est d’abord quelque chose que nous sentons, ce n’est pas quelque chose que nous démontrons. Celui qui demande une démonstration d’un amour est bien le plus pauvre et le plus ridicule des amoureux. Il demande tout ce que n’est pas un s e n t i m e n t . Pourquoi ? Peut être parce que l’amour n’est pas une idée claire et distincte cartésienne. Merleau P o n t y, d a n s L a phénoménologie de la perception l’explique fort bien. Je ne découvre pas à un instant «t» que je suis amoureux, quand je m’en rend compte je me rend compte que je le suis déjà. Le moment de la prise de conscience de son amour n’est donc pas le moment où l’on devient amoureux, c’est le moment où l’on va se rendre compte que des petits gestes, des pensées, des paroles que l’on a pu prononcé, des sentiments que l’on a déjà éprouvé allaient dans ce sens, jusqu’à ce que cela devienne évident (peut-être est-il déjà trop tard!). Au moment où l’on prend conscience cela fait sens et on va pouvoir réinterpréter son comportement à la lumière de cette intuition soudaine et tardive. On voit ici que tout résiste à la démonstration, on voit que tout en l’homme n’est pas seulement rationnel et que les arguments de la raison résistent à certains phénomènes humains. Dans un univers beaucoup plus austère, c’est exactement ce que va dire Pascal à propos de la démonstration de l’existence de Dieu. La preuve ontologique est la preuve de l’existence de Dieu, elle a été inventée par Saint Anselme, et elle consiste à tenter de donner la preuve rationnelle, géométrique ou mathématique de l’existence de Dieu. Dieu est un être qui possède toutes les perfections, or l’existence est une perfection, donc dieu existe. Voila l’argument que Donne notamment Descartes (ce n’est pas la seule et ce n’est pas la plus convaincante). Le fait que Descartes ramène Dieu dans le champ de la philosophie est une chose intéressante car cela signifie qu’à coté de la vérité révélée il existerait une preuve rationnelle qui conviendrait mieux au philosophe. Pourtant dit Pascal, qui pourrait être ce croyant qui a besoin qu’on lui prouve l’existence de Dieu pour y commencer à y croire ? Ce serait évidemment le plus mauvais des croyants. Croire en Dieu n’est pas un acte qui repose sur la discursivité, c’est une acte qui repose sur la foi. Certes Pascal donne bien l’argument du pari2 . Il vaut mieux «parier» que Dieu existe plutôt que de parier que Dieu n’existe pas. Si Dieu existe j’ai tout à y gagner, si dieu n’existe pas, je n’ai rien à perdre à y croire. Donc il vaut mieux croire en Dieu que de ne pas y croire. Serge Guérin grand communiste disait : «il vaut mieux avoir un slip de rechange». Faut il tout démontrer dès lors ? Si l’on veut casser la foi, si l’on veut perdre son amoureux(se) oui ! Si on veut opposer à un rapport de confiance un rapport fondé sur la défiance, la démonstration en ce sens est plutôt une bonne chose. Pascal expliquait ce que l’on sait tous très bien, il existe des vérités du coeur (qui se sentent) et des vérités de raison (qui se démontrent). Vouloir mélanger les deux choses produit des choses étranges : Faire sentir le théorème de pythagore par un discours passionné et voir Juliette démontrer à Roméo qu’elle l’aime. Les déclaration d’amour se font souvent dans le silence, jamais dans le discours, et celui qui parle au lieu de faire sentir est tout simplement un baratineur. Mais rendons à justice au maître de la démonstration ! Descartes lui même montre des limites dans cette exercice de démonstrations, c’est ce qu’il raconte de ses voyages. Il existe une attitude très astérixienne, c’est à dire très Française qui veut démontrer la supériorité d’une culture face à une autre culture. C’est ce que l’on appelle l'ethnocentrisme, qui bien que ne reposant que sur un préjugé, se fonde souvent sur de grands discours. Oui Quand Astérix va aux jeux olympiques dans Astérix et les jeux olympiques, Goscinny avec beaucoup d’humour et de gentillesse montre que le français à l’étranger ne peut s’empêcher de ramener la culture d’un autre à sa propre culture. Devant le Parthénon, Abraracourcix, ne peux s’empêcher de dire que tout cela est pas mal .... pour des étrangers. Mais ce discours gentiment français peut prendre une figure scientifique beaucoup plus pernicieuse, c’est ce que l’on appelle l'évolutionnisme en ethnologie. Ce courant de pensée s’appuie sur un contresens d’une lecture de Darwin, et une de ses grandes figures est Galton. L’idée est fort simple. Il existe un grand modèle de développement : 2» Vous avez deux choses à perdre : le vrai et le bien, et deux choses à engager : votre raison et votre volonté, votre connaissance et votre béatitude ; et votre nature a deux choses à fuir : l'erreur et la misère. Votre raison n'est pas plus blessée, puisqu'il faut nécessairement choisir, en choisissant l'un que l'autre. Voilà un point vidé. Mais votre béatitude ? Pesons le gain et la perte, en prenant croix que Dieu est. Estimons ces deux cas : Si vous gagnez, vous gagnez tout ; si vous perdez, vous ne perdez rien.» 397 L’Europe, et il existe des peuples encore sauvages. Ceux-ci ne sont pas encore au même stade de développement que les blancs, et il leur reste donc encore beaucoup à parcourir pour arriver à notre niveau. Ils ne sont parvenus au XIX siècle que là où les européens sont passé il y a quelques millénaires. Comment expliquer un tel écart de développement ? La race. Tout cela repose sur des arguments et sert à légitimer le colonialisme. Levi Strauss (entre autre) est un ethnologue qui va combattre cette idéologie qui n’a de démonstratif que des paroles dénuées de toute étude scientifique. Il va revenir à cette parole de Montaigne, à laquelle Descartes se rallie lui aussi : «Rien de ce qui est humain ne m’est étranger». Ainsi, oui les américains font comme ci ou comme ça, oui ils vendent du fromage en bombe, et alors ? Le relativisme en matière de moeurs vaut bien mieux que des démonstrations douteuses qui manifestent davantage la volonté de se mettre au dessus ou de montrer que l’on a raison. Dès lors ne pouvons nous pas aller plus loin, et affirmer que les démonstrations ne sont que des tentatives après coup de vouloir donner du sens à ce qui n’en n’a pas ? *** Je me souviens de ce début de Fight club, admirable car la première séquence de ce film nous présente un personnage étonnant. Sa vie est chiante, et dépourvu de sens. Edwartd Norton, par la voix off, nous présente sa vie, et cette vie tient en une séquence de quelques minutes. Une vie résumée en quelques secondes sans réduire l’intérêt de cette vie. Un boulot répétitif, une vie sans passion et sans sentiment, des groupes de paroles vaguement thérapeutique où des hommes pleurent les uns dans les bras des autres pour tenter de parvenir à ressentir leur masculinité. Car oui, parfois, il est bon d’enfoncer son poing dans un mur même si ça fait très mal, car cette douleur nous rappelle que l’on existe et que l’existence n’a pas toujours de sens. Que faisons nous alors ? Nous tentons de donner du sens à ce que qui n’en a pas vraiment : «pour tous les jours d'une vie sans éclat, le temps nous porte. Mais un moment vient toujours où il faut le porter. Nous vivons sur l'avenir : « demain », « plus tard », « quand tu auras une situation », avec l'âge tu comprendras ». Ces inconséquences sont admirables, car enfin il s'agit de mourir. Un jour vient pourtant et l'homme constate qu'il a trente ans. Il affirme ainsi sa jeunesse. Mais du même coup, il se situe part rapport au temps. Il y prend place. Il reconnaît qu'il est à un certain moment d'une courbe qu'il confesse devoir parcourir. Il appartient au temps et, à cette horreur qui le saisit, il y reconnaît son pire ennemi. Demain, il souhaitait demain, quand tout lui même aurait dû s'y refuser. Cette révolte de la chaire c'est l'absurde.» Cette Phrase c’est Camus qui l’écrit dans le Le mythe de Sysiphe. Nous voudrions nous révolter contre cette aberration, mais il demeure un fait : nous existons et nous ne savons pas pourquoi. Cette philosophie dure, et pourtant si poétique, elle nous est racontée par des philosophes ou des écrivains qui comme Camus, Kafka, ne nous invitent pas du tout au nihilisme nazi qui consiste à affirmer que puisque rien n’est rationnel autant vaut un régime fasciste qu’un état où la personne peut s'épanouir. Cette pensée nous amène plutôt à réfléchir vraiment à ce que nous sommes et nous méfier de notre tendance à rationaliser ce qui demeure dans le fond un mystère aussi grand que l’on soit philosophe ou qu’on ne le soit pas. Nietzsche dans le Gai savoir raconte une fable, qui est celle de l’insensé. Cette homme arrive en ville tenant une lanterne dans sa main, et il hurle dans la rue «Dieu est mort !» «Dieu est mort !» Il raconte que tout ce qui constituait le socle de la philosophie occidentale est mort. Ce n’est pas seulement du Dieu de la religion dont nous parle Nietzsche, c’est également du Dieu des philosophes, celui qui fonde les vérités, celui qui nous accorde que toutes nos constructions rationnelles et démonstratives ont du sens. Il est bon de se poser cette question, car en effet, aussi solide que soient nos démonstrations elles ne reposent que sur des axiomes qui nous font croire que ce que nous pensons est bien ce qui correspond à la réalité. Mais qu’en savons nous ? Certes Descartes fonde la science sur le cogito, mais le cogito lui sert à trouver Dieu qui va assurer que le discours de la raison est bien conforme à la réalité. La science serait donc pour Nietzsche une tentative désespérée de rationaliser ce qui n’est pas rationalisable. La science explique ce qu’est une vérité, elle produit des connaissances, mais dans le fond elle ne répond pas à la question de savoir pourquoi il est préférable de connaître plutôt que de ne pas connaitre et pourquoi la vérité est préférable au mensonge. L’insensé n’est pas insensé, car ceux qui refusent de croire que la rationalité repose sur un fondement irrationnel sont eux mêmes fous. La démonstration est donc une valeur tant que l’on accepte dans un premier temps de mettre la raison au dessus de ce qui est absurde. C’est ce que Camus explique quand il dit : «s'apercevoir que le monde est « épais », entrevoir à quel point une pierre est étrangère, nous est irréductible, avec quelle intensité la nature, un paysage peut nous nier. Au fond de toute beauté gît quelque chose d'inhumain et ces collines la douceur du ciel, ces dessins d'arbres, voici qu'à la minute même, ils perdent leur sens illusoire dont nous les revêtions, désormais plus lointains qu'un paradis perdu.». Oui la pierre que Descartes ramène à de l’étendue, et qu’il assimile dans de gigantesque chaîne de raison, à un corps en mouvement, nous échappe car les concepts de la raison et les déductions de la démonstrations ne sont qu’à la surface réelle des choses. Dès lors face à la vérité démonstrative, il faut peut être souligner l’importance de la vérité de l’artiste qui révèle cette dimension de notre existence. On pourrait argumenter que l’artiste c’est justement celui qui nous détourne de notre quotidien, car la démonstration ne fait que ramener les choses à du simple en fonction de ce à quoi elle nous servent. Mais utiliser le monde et s’en rendre comme maître et possesseur de la nature ce n’est finalement pas connaître cette nature. Sartre dans la Nausée, toujours brillant quand il est écrivain, nous ne raconte à travers une expérience existentielle qu’il fait dans le jardin des tuileries : « j'existe, c'est moi qui l'entretiens. Moi. Le corps, ça vit tout seul, une fois que ça a commencé. Mais la pensée, c'est moi qui la continue, qui la déroule. J'existe. Je pense que j'existe. Oh! le long serpentin, ce sentiment d'exister - et je le déroule, tout doucement... Si je pouvais m'empêcher de penser! J'essaie, je réussis : il me semble que ma tête s'emplit de fumée... et voila que ça recommence: «Fumée... ne pas penser... Je ne veux pas penser... Je pense que je ne veux pas penser. Il ne faut pas que je pense que je ne veux pas penser. Parce que c'est encore une pensée.» On n'en finira donc jamais?» Oui nous pensons trop et si ce texte ne nous parle pas de la démonstration, il nous parle en tout cas de cette volonté de donner du sens à chaque choses, à chaque événement. Peut être avant de tout vouloir démontrer, pourrions nous déjà constater que les concepts et notre pensée rationnelle et discursive ne révèle qu’un aspect de notre présence au monde. Sans nier l’utilité de la démonstration, refusons lui le caractère absolu que semble lui suggérer le sujet.