Faut-il flexibiliser davantage le marché du travail français? La question qui est posée depuis plusieurs années est : la réduction du chômage passe-t-elle nécessairement par davantage de flexibilité du marché du travail et une liberté plus grande pour les entreprises de gérer leur main d’œuvre ? L’émergence de la flexibilité du marché du travail dans les débats Les rigidités nées des « 30 glorieuses » -marchés nationaux assez peu ouverts et peu concurrentiels au sein desquels la production de masse (production standardisée) faisait des miracles pour répondre à une demande assez prévisible. Les pouvoirs publics en ont profité pour mettre en place des réglementations sur les marchés des biens et services et sur le marché du travail afin de protéger entreprises et salariés. Les rigidités source de problèmes dans le contexte de la mondialisation Les entreprises doivent sans cesse s’adapter aux contraintes de la concurrence, à l’instabilité et aux mutations de la demande pour rester rentables et compétitives. Les besoins des entreprises entrent en contradiction avec ceux des salariés. Evolution de la demande et concurrence Besoin de flexibilité des entreprises Tensions avec le besoin de stabilité et de sécurité des salariés I. Le point sur le chômage et l’état du marché du travail en France ►Le chômage au sens du BIT Nombre de chômeurs (au sens du BIT) et taux de chômage en France de 1975 à 2014 Nombre de chômeurs Taux de chômage 12,0 10,0 2 000 8,0 1 500 6,0 Un chômage plus cyclique 2013 2011 2009 2007 2005 2003 2001 1999 1997 1995 1993 1991 1989 1987 0,0 1985 0 1983 2,0 1981 500 1979 4,0 1977 1 000 Taux de chômage en % Augmentation continue 2 500 1975 Nombre de chômeurs en milliers 3 000 Champ : France métropolitaine, population des ménages, personnes de 15 ans et plus. Source : INSEE, enquêtes Emploi (calculs INSEE). ► Surtout le chômage est plus élevé que chez nos partenaires européens. ► Une étude plus poussée du sous emploi. Le taux de chômage ne présente qu’une vision partielle du sous-emploi puisque ne sont pas comptabilisées les personnes ayant travaillé une heure la semaine précédent l’enquête. • C’est pourquoi il est préférable de se référer au nombre de personnes inscrites à Pôle emploi. Le nombre de demandeurs d'emploi (catégories A,B et C) enregistrés par Pôle emploi, est passé depuis la mi-août 2008 de 3 à 5,4 millions (+ 75 %). En ajoutant les personnes en contrat aidé ou en formation, on atteint 5,9 millions de demandeurs d’emploi. • L’ajout de cette dernière catégorie se justifie par le fait qu’une majorité de ces emplois sont subis et non choisis. La montée du chômage s’accompagne d’une précarisation croissante des emplois…….. L'évolution de l'emploi précaire en France depuis 1982 Nombre (en milliers taux d'emplois précaires (en%) Taux Effectifs 4 000 3 000 15 10 2 000 1 000 0 19 82 19 84 19 86 19 88 19 90 19 92 19 94 19 96 19 98 20 00 20 02 20 04 20 06 20 08 20 10 20 12 0 5 Sources : INSEE (données 2014) et © Observatoire des inégalités. http://www.inegalites.fr/spip.php?article957 . Les emplois atypiques constituent de moins en moins un tremplin vers des emplois plus stables. Ce constat st fortement préoccupant car ces formes d’emplois n’accordent que des droits sociaux restreints et alimentent le risque de pauvreté dans un contexte de durcissement de l’accès aux revenus sociaux. ….et d’une augmentation du chômage de longue durée Part des chômeurs de longue durée parmi les chômeurs en % 20 03 20 04 20 05 20 06 20 07 20 08 20 09 20 10 20 11 20 12 20 13 20 14 45 40 35 30 25 20 15 10 5 0 Source : INSEE, enquêtes Emploi (calculs INSEE). Part des chômeurs de longue durée en % ►continuité ou aggravation? Certes le chômage est élevé depuis 4 décennies mais il augmente fortement au cours d’une période où la politique de l’emploi est très active. Parallèlement un certain nombres indicateurs macroéconomiques et sectoriels témoignent d’une perte de compétitivité de l’économie française sans précédent. Il ne s’agit plus seulement d’une augmentation du chômage consécutive à un ralentissement conjoncturel ou à des vagues de restructuration. C’est la capacité de la France à créer suffisamment d’emplois pour absorber l’augmentation de la population active qui est en jeu. II. Les arguments en faveur de davantage de flexibilité Les analyses libérales expliquent les mauvaises performances de l’économie française en termes de chômage et de précarisation des emplois par des dysfonctionnements du marché du travail et des politiques sociales qui conduisent à un manque de flexibilité du marché du travail. ►Une indemnisation du chômage trop généreuse L’analyse théorique sous-jacente (théorie de la recherche d’emploi). Niveau élevé des cotisations pèse sur compétitivité Augmentation du salaire de réservation Allocations chômage Déficit de l’assurance chômage Augmentation de la durée du chômage Augmentation de la durée de recherche d’emploi Perte de capital humain Trappe à inactivité Des réformes insuffisantes Des réformes ont aboutit au fil des ans à un durcissement des conditions d’accès aux assurances chômage et à leur maintien. Elles restent cependant trop laxistes si on compare avec ce qui se fait dans les pays anglosaxons ► Une protection de l’emploi trop restrictive Cela concerne: • La protection des CDI contre les licenciements individuels ; • Les obligations légales imposées lors des licenciements collectifs ; • Les réglementations applicables aux emplois temporaires. Protection de l’emploi Coûts d’ajustements du volume de main d’œuvre Difficultés en cas de licenciements Freins à l’embauche particulièrement en CDI Selon l’OCDE, la protection de l’emploi serait pour les CDI dans la moyenne européenne mais 3x plus importante que dans les pays anglo-saxons ; C’est surtout pour les CDD que la protection de l’emploi en France est beaucoup plus importante que dans les autres pays: - Effet de seuil important dans le coût de séparation lors du passage d’un CDD à un CDI => les entreprises hésitent à reconduire les CDD arrivés à terme. - Les fins de CDD constituent dès lors les ¾ des sorties d’emploi. - D’où un marché du travail très segmenté. Les salariés en CDD s’enferment dans la précarité. Dans les 3 ans, seuls 21% des CDD intègrent un CDI contre 37% en Europe. Des réformes ont certes permis d’assouplir la gestion du volume de main d’œuvre: rupture conventionnelle à l’amiable, conciliation prud'homale en cas de litiges, assouplissement des licenciements collectifs dans la loi Macron. Cependant pour les libéraux les gains en flexibilité sont marginaux. 30% des licenciements font l’objet d’un litige dont la durée moyenne est de 15 mois. D’où la proposition de mettre en place un contrat unique de travail et la suppression des CDD. Deux propositions complémentaires: -plafonnement des indemnités de licenciement car l’incertitude sur le coût limite l’embauche; -caractériser de manière plus précise et en l’assouplissant dans un sens favorable aux entreprises, le motif réel et sérieux de licenciement (notamment en ce qui concerne la définition des difficultés économiques). Le contrat pourrait alors être rompu sans procédure ni reclassement. A la place, ses promoteurs proposent de mettre en place un système de taxation des licenciements. Taxer plus sévèrement les entreprises qui licencient est sensé les dissuader d’abuser de cette procédure. Cela avantagerait les entreprises qui ne cèdent pas à la facilité de la flexibilité quantitative systématique et cherchent à jouer avant tout sur la compétitivité horsprix. ►Le salaire minimum Tous les pays ne possèdent pas de salaire minimum (dans l’UE seuls 18 sur 25) et la France présente le salaire minimum parmi les plus élevés. Salaire minimum Le salaire ne s’adapte pas à la productivité de l’individu Les hausses du SMIC poussent le coût du travail à la hausse Licenciements + baisse de la demande de travail Salaires trop élevés pour salariés dont la productivité et faible: jeunes, non qualifiés chômage ►Des négociations collectives à un niveau inadapté. Selon les économistes libéraux, les négociations au niveau de l’entreprise permettent de lier les hausses de salaire à celles de la productivité du travail de sorte que le coût salarial unitaire n’augmente pas et partant que la compétitivité prix de l’entreprise soit préservée. Les négociations au niveau national peuvent être également efficaces du point de vue du contrôle de l’évolution du coût salarial unitaire si les syndicats ont pour objectif de limiter l’augmentation du chômage. Ils sont en effet amenés à prendre en compte les répercussions de leurs revendications sur le taux chômage. Le niveau de négociation le plus inadapté serait celui de la branche. Les branches qui connaissent les taux de productivité les plus élevés ou qui sont à l’abri de la concurrence internationale peuvent concéder des hausses de salaires plus élevées que les autres branches. Elles risquent cependant de contaminer ces dernières car les salariés cherchent à préserver leurs rémunérations relatives. • Cela aurait conduit à une hausse du coût salarial plus importante en France que chez certains de ses principaux partenaires. ►La réglementation du temps de travail Les économistes libéraux sont contre les intrusions de la force publique dans ce domaine. Les partisans d’un marché du travail plus flexible estiment que les 35h doivent être supprimées pour laisser l’initiative aux accords d’entreprises plus à même de répondre aux besoins des entreprises et aux souhaits des salariés. Au-delà de leurs effets directs sur l’emploi, ces rigidités pèseraient donc sur les coûts des entreprises, leurs capacités à investir et donc sur la compétitivité, la croissance économique et l’emploi à long terme. Cela pourrait par ailleurs faire fuir les investisseurs (moins d’IDE entrants et davantage de délocalisations). III. Les critiques de la flexibilité ► En termes de flexibilité, la France n‘est pas en reste -Dès le milieu des années 70 :création de l’interim en 1972, des CDD en 1979; -17 réformes entre 2000 et 2013; -toujours plus de liberté dans leur gestion du volume de main d’œuvre notamment en étendant les possibilités de licenciement sans que les juges ou la force publique aient à donner leur avis; -Le poids des contrôles et des juges est largement surestimé dans les discours libéraux. Les recours devant les conseils des prud’hommes sont en chute rapide (particulièrement chez les jeunes). Les indemnités en cas de licenciement abusif dépassent rarement un an de salaire (ce qui est faible compte tenu du fait, ne l’oublions pas, qu’il y a irrégularité à la base) et les licenciements ne représentent que 2% des contestations devant les prud’hommes. ►Or les résultats en termes d’emplois ne sont pas à la hauteur des attentes. La suppression de l’autorisation administrative de licenciement n’a jamais entraîné de créations d’emplois de grande ampleur; La rupture conventionnelle à l’amiable non plus. Elle permet surtout de camoufler le licenciements de salariés qui n’ont pas les moyens de s’y opposer; Le résultat de cette flexibilisation croissante est surtout d’avoir permis de baisser le coût du travail en externalisant le coût des restructurations sur l’assurance chômage. C’est toujours le vieux thèmes de la privatisation des profits et la socialisation des pertes. ►Flexibiliser davantage le marché du travail n’est pas la solution. A- L’augmentation du chômage depuis 2008 est plus conjoncturelle que structurelle; Les études de l’OCDE sont sans ambiguïté sur ce point; Les réformes structurelles du marché du travail ne sont pas la priorité dans ces conditions; Il est raisonnable de penser que les 5 points de taux de chômage qui nous séparent du plein emploi seraient constitués pour 2/3 d’un chômage conjoncturel et donc pourraient être comblés grâce à une politique économique de croissance sans que cela se traduise par des tensions inflationnistes. B-Le marché du travail n’est pas si rigide que ce que prétendent les libéraux. En matière d’indemnisation, la France se caractérise en effet par une durée d’indemnisation plus longue que la moyenne. En revanche, si on considère l’effort d’indemnisation en % du PIB, la France apparaît dans la moyenne européenne mais surtout derrière l’Allemagne. Concernant les protections de l’emploi, la France a des réglementations plus forte que les pays anglo-saxons sur les CDD en revanche la protection sur les CDI est moins stricte en France que dans la moyenne des autres pays européens. La France présente par ailleurs un taux de rotation des emplois parmi les plus élevés de l’OCDE. A chaque période on a donc un grand nombre d’emplois détruits et d’emplois crées ce qui témoigne d’un marché du travail dynamique. Le niveau du salaire minimum de la France n’apparaît pas particulièrement élevé par rapport à ses partenaires européens de même niveau de développement. De toute façon l’influence du SMIC sur l’emploi global n’est pas solidement étayée par les études économétriques qui aboutissent à des conclusions contradictoires. Seules les jeunes et les moins qualifiés apparaissent effectivement pénalisés par le salaire minimum. C- Les critiques du contrat unique L’assouplissement des causes de licenciement économiques risquent d’exposer les entreprises à une augmentation des recours des salariés aux motifs de harcèlement et de discriminations ; motifs plus conflictuels et sans doute plus longs à instruire. Remplacer une indemnité décidée par le juge par une taxe fait disparaître le caractère de dommages et intérêt de l’indemnité ce qui introduit un déséquilibre dans la relation de travail qui pourrait conduire à une dégradation des conditions de travail. Cela ajouté à la disparition de l’obligation de reclassement atténue très fortement le principe de responsabilité de l’entreprise. Appliquer ce nouveau CDI aux seuls nouveaux entrants créent des discriminations que le contrat unique était sensé combattre. En revanche, l’appliquer à tous posera sans doute un problème juridique majeur qui peut entrer en conflit avec certaines réglementations européennes. D- Les résultats des autres pays ne sont pas probants Dans leur rapport de 2000 ; Olivier Blanchard et J-P Fitoussi précisent que contrairement à l’idéologie dominante en la matière, rien ne permet d’associer des niveaux élevés de flexibilité du marché du travail à de meilleures performances en matière de création d’emplois et de baisse du chômage. L’exemple allemand en particulier qui est fréquemment mis en avant est souvent mal interprété. Le faible niveau de chômage de l’Allemagne (autour de 5%) est associé aux lois Hartz qui ont fortement accru la flexibilité du marché du travail. L’Allemagne a mené ses réformes alors que la croissance européenne était très forte avec pour résultat que les effets récessifs de ces réformes ont été plus que compensés par la forte demande européenne dont a profité l’industrie allemande. Cela confirme que les réformes sur le marché du travail peuvent avoir des effets en termes d’emplois à condition que la croissance économique soit au rendez vous; Par ailleurs si le chômage a baissé, la pauvreté également. En 1994, il y avait en Allemagne 58 milliards d’heure de travail disponibles et 38 millions d’emplois. En 2012, il y avait encore 58 milliards d’heure de travail disponibles et 41 millions d’emplois : ils ont donc créé 3 millions d’emplois qui sont des miettes d’emplois, majoritairement précaires. Cela accroît la précarité et la pauvreté. le taux de pauvreté a augmenté de 14 % à 15,5 % de la population entre 2006 et 2013 (12,1 millions de personnes), alors qu’en France, dans la même période, il est passé de 13,1 % à 14 %, une hausse plus mesurée. Le taux de pauvreté en Allemagne touche en particulier les familles monoparentales, les retraités, les chômeurs et de nombreux mineurs. Ce rapport dénonce aussi le « découplage total » entre les bons résultats de l’économie allemande et le taux de pauvreté. Or ces « bons résultats » sont pour les actionnaires.