Joël BRADMETZ - Fondation Jean Piaget

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bulletin de psychologie / tome 51 (3) /435/ mai-juin 1998 Piaget et les chimères conceptuelles :
éloge du constructivisme
Joël BRADMETZ* Nos premiers et lointains contacts avec l’œuvre
de Piaget nous ont conduit à un rapprochement
qui ne s’est jamais altéré ensuite entre la
fécondité et la maîtrise de cet auteur et celles de
Bach, que bien peu de musiciens ne considèrent
pas comme le plus grand des maîtres. Dès les
premiers écrits des années vingt se manifeste chez
Piaget la formidable pression d’une vision cohérente et inaugurale du monde mental de l’enfant et
même si, à l’instar du Bach d’avant la quarantaine
qui tombe parfois dans le piège des séquences
similaires, Piaget paraît parfois à l’étroit dans ses
premiers cadres de pensée, il ne bascule jamais
dans l’ennui du fugato romantique qui parvient mal
à dissimuler le vide intérieur, et il fait preuve d’une
précision et d’une pertinence conceptuelles proprement révolutionnaires en psychologie de l’enfant.
C’est dire si s’attaquer à la lecture critique d’une
telle œuvre fait courir le risque de passer pour un
de ces petits maîtres du menuet qui conseillaient,
ça et là, des retouches à l’Art de la fugue. Il est
toutefois impossible de s’y dérober car, bien qu’à
de nombreux égards Piaget, en donnant sa vision
du monde mental, ait produit une œuvre d’art qui
ne mérite pas plus la relégation que les toiles
impressionnistes ne méritent d’être remplacées
dans les musées par celles des cubistes, la science
n’a évidemment pas pour seule mission d’être
contemplative.
Nous allons diviser cet article en deux parties
relativement indépendantes. Nous rapporterons
d’abord quelques résultats obtenus au moyen
d’une longue recherche à propos de la forme du
développement de la pensée opératoire puis, après
en avoir montré les limites, dues autant à l’imperfection de notre travail qu’à la résistance intrinsèque à la falsification de la théorie de Piaget,
nous discuterons une sous-théorie particulièrement exposée actuellement : le constructivisme. Nous aurons réussi au-delà de toute
espérance si quelques lecteurs se persuadent que
la psychologie est avant tout, et de façon
autonome, une science de la signification et que
la tension du mental vers l’herméneutique et
l’intelligibilité est une condition déterminante de
la construction conceptuelle, celle-ci ne couvrant
pas, évidemment, l’ensemble de la cognition.
Notre contribution à l’étude critique de la
théorie opératoire a essentiellement porté sur la
forme du développement de l’intelligence, avec
l’idée sous-jacente d’examiner la solidité de la
théorie constructiviste. Piaget l’a répété à l’envie,
il n’est devenu psychologue que par hasard,
intéressé avant tout par la théorie de la connaissance. Et pourtant, il se pourrait que, semblable
à un Cuvier dont on salue les travaux paléontologiques malgré les idées anti-évolutionnistes ou
à un Gall dont on reconnaît les intuitions
modularistes malgré la phrénologie, Piaget voit
la psychologie des années à venir ne retenir que
l’architecture conceptuelle décrivant les objets
mentaux qu’il a conçus et en dehors de laquelle
aucune position des problèmes ne semble concevable (même dans les domaines qu’on lui conteste le plus, tel que celui des compétences des
nourrissons), et se détourner de tous les efforts
qu’il a consacrés à l’élucidation des mécanismes
par lesquels peut apparaître une connaissance
nouvelle.
Piaget ne fournit pas de modèles contraignants
de la covariation statistique et il a toujours travaillé
sur des groupes indépendants. Sa conception de
l’idiosyncrasie des cheminements individuels (qui
fait bruit à la théorie du développement avec les
décalages non systématiques) n’est même que
partiellement compatible avec la théorie de l’erreur
de mesure puisqu’on sait la répulsion avec laquelle
il considère que la réponse psychologique puisse
être produite par le hasard. Nous avons pensé
(*) Université de Franche-Comté.
296 qu’il était toutefois possible de tester efficacement quelques idées centrales de son système
avec des statistiques développementales. C’est le
projet que nous avons conduit pendant une dizaine
d’années sur la base d’une étude longitudinale au
cours de laquelle il a été procédé à 13 000
entretiens individuels, selon la méthode d’interrogation clinique de Piaget, avec 104 enfants
rencontrés lors de 5 occasions annuelles (de 4;6 à
8;6) et soumis, à chacune de ces occasions, à 25
épreuves opératoires (3 relatives à la logique des
classes ; 3 à la logique des relations ; 4 à l’acquisition du nombre ; 4 à l’espace topologique ; 4 à
l’espace projectif ; 4 à l’espace euclidien ; 2 au
temps et 1 à la conservation de la substance). A
tous les âges entre 4;6 et 8;6 et pour toutes les
épreuves, le système de cotation est invariant et
comporte quatre niveaux. Le niveau 3 est celui
des réponses opératoires où l’invariant résiste à la
contre-argumentation. Le niveau 1 est celui de la
mise en place des pré-catégories de pensée,
formes matricielles des futurs invariants (par
exemple l’enfant sait ce qu’est la longueur ou la
durée puisqu’il est capable de comparer deux
longueurs ou deux durées disjointes mais il est
incapable de conserver les longueurs ou d’emboîter les durées) avant l’apparition desquelles
(entre 4 et 5 ans en général) les enfants sont,
comme on dit, intestables (niveau 0 dans notre
nomenclature), parce qu’ils ne comprennent pas
ce qu’on attend d’eux et ont une autre lecture des
choses : par exemple la centration sur la forme et
sa signification éventuelle faute de disposer de
la masse : « il y a plus de pâte ici parce que là
c’est un ballon et là c’est un serpent », Le niveau
2 est celui des premiers détachements d’une
lecture figurative (centration sur les correspondances) et d’une prise en compte des transformations. Les enfants de ce niveau sont intermédiaires, ils donnent des réponses convenables
et parfois argumentées dans certaines situations
mais/ou ils ne résistent pas à la contre-argumentation. Le lecteur peut trouver une description de ces épreuves dans Bradmetz (1992 a),
l’ensemble des analyses conduites dans Bradmetz
(1992 a ; b ; c ; et d ; 1993 ; 1995 ; 1996) et un
complément relatif au stade formel chez les
mêmes enfants revus à 15;6 dans Bradmetz (sous
presse).
L’ensemble des observations réalisées a permis d’apporter quelques précisions utiles sur la
forme du développement et de montrer que
certaines hypothèses différentielles ne reçoivent
aucun élément de confirmation empirique. Ces
observations, dont nous allons passer les principales en revue, fournissent un tableau contrasté
des constats statistiques, elles ne permettent pas
de décider de façon claire si les alternatives entre
les différentes théories de l’apprentissage peuvent
être tranchées. Elles laissent en conséquence ouvert
le problème de l’évaluation de la théorie constructiviste qui doit, selon notre point de vue, s’enrichir
de modèles interdisciplinaires et de nouveaux paradigmes expérimentaux. C’est donc à une réflexion
sur l’apprentissage (c.-à-d., chez Piaget, la création
et l’invention) que nous consacrerons la seconde
partie de cet article.
Forme générale du développement
opératoire
Lors de chaque occasion annuelle, de 4;6 à 8;6,
la fidélité de la batterie de 25 épreuves est élevée et
constante (α de Cronbach = .892 ; .904 ; .899 ; .905
et .917). L’étude du pattern des corrélations
inter-occasions révèle, pour le score global, une
organisation en simplexe et un processus markovien sous-jacent, c’est-à-dire que chaque score
annuel est une combinaison d’une fonction du
score de l’occasion précédente et d’un terme
d’erreur :
S (On) = f (S (On-1» + εn
avec S= scores: Oi = occasions ; εi = termes
d’erreur non-corrélés entre eux ni avec les S.
Ce pattern développemental, fondé sur un processus de transition sans mémoire autre que celle
de l’état précédent, est compatible aussi bien avec
le constructivisme qu’avec l’apprentissage behavioriste (voir Bloom, 1964). Il accompagne et
confirme la stabilité du niveau de développement
(âge mental ou QI) et confirme l’existence d’un
fort facteur de régulation des progrès, sans pouvoir
dire s’il s’agit de structures de complexité croissante, d’augmentation des capacités de calcul
avec la croissance (charge mentale) ou d’une
homogénéisation des acquisitions liée à un quelconque autre facteur (p. ex. le milieu scolaire et
social chez les behavioristes qui rendent compte
des ressemblances entre enfants par les caractéristiques uniformes de l’environnement qu’ils
connaissent tous dans une société et à un âge
donnés). Le corollaire de ce pattern est une régularité dans la régression vers la moyenne, c’est-àdire que les notes de changement d’une occasion
à l’autre (les progrès réalisés) sont négativement
corrélées avec le score de l’année n-1 et positivement avec celui de l’année n. Cette logique de
brassage contrarie l’idée de types intellectuels
(spatiaux, logiques, etc.), nous le confirmerons
d’une autre façon.
Structures factorielles
Il existe une littérature sur les facteurs de
l’intelligence opératoire qui tente, soit de mettre
en évidence des facteurs regroupant les tâches
parentes dans la théorie sous un rapport donné:
numérique, spatial, conservations, etc. (p. ex.
Inman et Secrest, 1981), soit de découvrir des
typologies de sujets (p. ex. Lautrey, Rieben, de
Ribeaupierre, 1986, pour la catégorisation infralogique vs logico-mathématique), soit de préciser les liens (très étroits en général) entre les
évaluations psychométriques classiques et les
évaluations opératoires (Carroll, Kohlberg et de
Vries, 1984 ; Humphreys et Parsons, 1979 ;
Humphreys, Rich et Davey, 1985 ; Stephens,
McLaughlin, Miller et Glass, 1972). En dehors des
critiques de détail que l’on peut formuler à
l’encontre de telle ou telle de ces études (p. ex.
pseudo-facteur lié à l’uniformisation des réponses
en raison de la forme des épreuves et non de leur
contenu ; cotation en termes de réussite ou d’échec
à des items et non en termes d’estimation de niveau
ou de stade ; etc.), aucune d’entre elles ne
considère, à notre connaissance, des mesures
répétées recueillies de façon longitudinale, excepté
celle de Hooper, Swinton et Sipple (1979) qui
suivent trois groupes d’enfants pendant quatre ans
(de 5 à 8 ans ; de 8 à 11 ans et de 11 à 14 ans) et
concluent à une forme approximativement linéaire
du développement opératoire et à une étroite
liaison avec le développement des capacités de
traitement de l’information, notamment mémoire
visuelle et empan de la mémoire de travail.
Dans notre travail, l’étude factorielle intraoccasions révèle, pour chaque année, des
patterns d’analyse en composantes principales
similaires: un facteur général expliquant environ
30 % de la variance, un second facteur qui
tombe à moins de 10 % et une décroissance
linéaire ensuite de la variance expliquée par les
facteurs suivants, associée à une impossibilité
de les interpréter clairement. Le poids relativement faible du facteur général s’explique par
l’homogénéité de l’échantillon où les sujets
les plus extrêmes n’ont que quelques mois
d’écart, la variance liée à l’âge réel est donc réduite
297 (tous les sujets sont examinés lors de chaque
occasion à plus ou moins deux mois de la date de
leur demi-anniversaire, l’écart maximal théorique
entre les âges de deux enfants est donc de quatre
mois). Une analyse en facteurs communs, qui
utilise les corrélations multiples en diagonale de
la matrice de corrélations, fait monter la variance
expliquée par le premier facteur aux environs de
60%.
Le fait le plus notable est que la composition du
facteur général change chaque année et évolue en
fonction de la sensibilité génétique des épreuves,
différente à chaque âge. Ainsi, à 4;6 et 5;6, ce
facteur général est essentiellement représenté par
des épreuves sollicitant la logique des relations,
les remises en ordre, les sériations. A 6;6 (année
du cours préparatoire), exceptée la sériation, ce
sont tous les invariants de conservation qui sont
en tête et qui le resteront jusqu’à 8;6, les
conservations de la substance et du nombre se
révélant les meilleures et les plus classantes des
épreuves pour les deux dernières années. Il est à
noter que la logique des classes (inclusion,
intersection et multiplication de classes) n’est
jamais représentée dans le peloton de tête et
arrive assez loin derrière lors de chaque analyse,
ce qui peut paraître surprenant étant donné le rôle
que la théorie lui fait jouer dans le développement.
L’analyse factorielle des correspondances multiples (conduite sur le tableau de Burt des
résultats) aboutit aux mêmes constats: aucune
structure annuelle n’est clairement interprétable et
aucune typologie ne se dégage, même provisoire,
entre le logique et le spatial.
Problèmes de variabilité
La variabilité interindividuelle des performance
est élevée, tout-à-fait comparable à celle que l’on
observe dans la dispersion des QI à un âge donné
(pour les principales données de la littérature sur ce
point, voir Brim et Kagan, 1980).
La variabilité intra-individuelle, qui touche plus
directement au problème des stades, puisque, plus
on suppose que ceux-ci ont un effet structurant et
homogénéisateur, plus elle doit être faible, est
également assez élevée et confirme des données
classiques de la littérature depuis les premiers
travaux de Dodwell (1960, 1962, 1963). Il est
fréquent, et même presque systématique, qu’un sujet
présente, lors d’une occasion donnée, un écart de
deux niveaux entre deux des 25 épreuves qui lui sont
298 soumises. A ces décalages sont associées des
sources de variation liées à la mobilisation et à
l’expression de la performance (voir en particulier,
à propos des régressions, Bradmetz, 1992 c).
Un point essentiel est l’étude des changements
intra-individuels, c’est-à-dire la stabilité des
patterns de réponses des sujets d’une occasion à
l’autre. Cette étude permet, en effet, de faire la part
des facteurs idiosyncrasiques et de la force
normative inhérente à la théorie des stades. Nous
avons dit que certains auteurs différentialistes ont
esquissé (mais non confirmé expérimentalement)
des typologies en supposant une stabilité des
profils de réponses. L’étude longitudinale est évidemment indispensable dans un tel cas car, même
si un groupe d’épreuves montre, à tous les âges,
une structure factorielle identique, rien ne dit que
les sujets conservent des composantes en facteurs
identiques. On peut, en guise d’illustration, donner
l’image d’un peloton de coureurs cyclistes qui
présenterait, à des moments différents de la course,
et vu d’hélicoptère, toujours la même apparence (p.
ex. quelques échappés, un groupe de poursuivants,
le gros du peloton et un groupe de retardés), mais
dont l’examen des dossards révélerait une
importante redistribution des rôles à chacun de ces
moments, un même coureur pouvant tour à tour
appartenir à divers groupes. Il est clair qu’il serait
abusif d’inférer des typologies de coureurs à partir
de la simple comparaison de plusieurs de ces
clichés aériens. De cinq façons différentes (dont
une recherche de relations non-linéaires par une
méthode connexionniste), nous avons étudié ce
problème et abouti à des conclusions convergentes sur l’absence de stabilité des profils, cette
absence étant en partie déterminée par la logique
de la régression vers la moyenne (cf. Bradmetz,
1992 a, 1995). En d’autres termes, le format des
objets mentaux que l’enfant peut manipuler
entrave les spécialisations précoces, gouverne
l’ensemble de son activité cognitive et impose des
limites inférieures et supérieures à ses
performances. Les épreuves piagétiennes sont
d’élégantes preuves de l’existence de ces limites
en sollicitant l’enfant dans des situations inhabituelles et en lui posant des questions qu’il ne se
pose jamais, en révélant ainsi ses capacités d’élaboration spontanées des réponses. Exploitant ce
caractère insolite, certains auteurs ont avancé l’idée
d’un artefact : les épreuves piagétiennes seraient
comparables à des illusions perceptives visant à
mettre en défaut des mécanismes d’inhibition ou
d’activation. On ne peut guère prendre cet argument
au sérieux pour deux raisons au moins. D’une part,
le parallèle n’est pas satisfaisant puisqu’une illusion ne se dissipe pas avec le développement (au
contraire, les illusions secondaires voient leurs effets
croître), alors qu’un concept opératoire finit par
être acquis. D’autre part, c’est la nature même de
l’expérience que d’être insolite et de mettre le
monde dans une situation inaugurale. En confrontant l’enfant à de la pâte à modeler qui se déforme,
Piaget crée de toutes pièces la situation qui
provoque le monde. Qui dirait que l’expérience de
Michelson et Morley ou que celle de Pasteur vaccinant des moutons ont pris le monde au dépourvu ?
Les stades
Bien que la mise en évidence des stades soit délicate, car elle présuppose que la métrique utilisée
pour apprécier le développement soit exempte de
tout artefact, nous avons tenté d’apprécier si, dans
le passage de l’analyse des correspondances à
celles des transformations (niveaux 1 et 2 des
épreuves, cf. Piaget, 1980), il était possible de
déceler une accélération et une homogénéisation
temporaires du développement (nous avions choisi
la métaphore de la percolation). L’analyse statistique confirme cette vue (Bradmetz, 1993) et
permet de supposer, autour de six ans en moyenne,
un changement de paradigme dans l’analyse des
situations: même si les causes en demeurent en
partie inconnues (accroissement de l’espace mental,
réorganisation et/ou redescription de la motricité,
etc.), l’enfant commence, sous le sensible, à laisser
percer l’intelligible, et il le fait d’une façon qui,
sans être systématique, touche significativement
l’ensemble de son activité intellectuelle.
L’organisation diachronique des conduites
L’organisation des conduites dans le temps est
étroitement liée à la théorie constructiviste. Piaget
a formulé, par exemple, des hypothèses précises
sur la filiation entre la logique et le nombre et sur
les réorganisations de la représentation de l’espace
en fonction de ses invariants successifs (voisinage,
ligne droite, longueur et distance). Retrouver des
traces statistiques de ces filiations serait une précieuse confirmation (non-démonstrative) de la pé-
nétration de cette conception. Plusieurs modèles de
régression ont été utilisés à cette fin, mais sans
succès. Autant pour le nombre (Bradmetz, 1992 b)
que pour l’espace (id. 1992 d), il n’a pas été
possible de valider un quelconque modèle de
détermination diachronique des conduites. Ces
faits ne constituent pas à proprement parler une
falsification des idées constructivistes car rien ne
dit que les sources de variation supposées (p. ex.
classes + relations = nombre) agissent selon une
composition additive transparente et, d’autre part,
il n’est pas exclu que ce mécanisme de synthèse et
d’influence réciproque ne soit intelligible et
explicite pour le sujet qu’a posteriori, c’ est-à-dire
une fois que l’essentiel du concept est construit et
que le niveau de performance est optimal. C’est un
phénomène de ce type qui a été observé à propos
des liens entre les relations et le nombre : alors que
l’analyse logique laisse attendre que le nombre
implique la mise en relation de l’ordination et de la
cardination, laquelle implique la maîtrise sousjacente de la transitivité, c’est exactement le
contraire que livre l’étude expérimentale en mettant
en évidence des décalages systématiques (c.-à-d.
présents chez tous les sujets à un seuil de confiance
donné). La conservation du nombre est acquise
(seuil de confiance = 95% des sujets) avant la mise
en relation de l’ordination et de la cardination, ellemême acquise (même seuil) avant la réussite aux
items de transitivité qui survient en dernier ; ainsi,
la thématisation des structures sous-jacentes à un
concept donné serait postérieure, du point de vue
de la prise de conscience, au concept lui-même.
Autrement dit, chercher à inférer les mécanismes
d’apprentissage, à partir de l’ordre des acquisitions,
peut découvrir une complexité insoupçonnée car le
périphérique d’expression de la performance
(essentiellement le langage, via la prise de
conscience) peut être influencé, dans des
proportions variables, par des facteurs procéduraux,
déclaratifs, réflexifs, etc. et des composantes non
équilibrées des divers types d’abstraction décrits
par Piaget. Ces remarques sont banales, l’absence
de résultat expérimental probant, dont elles rendent compte, ne ruine toutefois pas l’idée de
construction des connaissances, car de nombreuses contraintes formelles demeurent dans
l’organisation des acquisitions, notamment toutes
celles qui sont liées aux très nombreux décalages
systématiques (collectifs) et à l’indiscutable existence d’un gradient de complexité. Il faut, néan-
299 moins, se résoudre à admettre une absence de
transparence de la performance, le niveau d’analyse piagétien est trop éloigné du traitement de
l’information pour que celui-ci puisse lui apporter
une caution, ce qui a conduit d’ailleurs beaucoup
d’auteurs à une forme de découragement (voir les
analyses de Bideaud, 1988).
L’enseignement principal que nous tirons de
ces études est que le développement opératoire
montre une singulière combinaison entre la
souplesse des parcours individuels, de l’idiosyncrasie développementale (forte variabilité intra
et interindividuelle, changements intra-individuels dominés par la logique de la régression vers
la moyenne, pas de typologies de sujets
repérables par des facteurs de groupe dans les
épreuves, etc.) et la robustesse des indicateurs de
complexité, attestée par la régularité des progrès
et les nombreux décalages systématiques. Il semble que chaque concept possède une profondeur
logique liée à un degré de complexité calculatoire
contraignant, qui ne prouve, certes pas, la validité
de la théorie de l’opération, mais cautionne
l’approche structuraliste, étant entendu que son
champ d’application doit être restreint au travail
de la prise de conscience et de la conceptualisation et que personne ne songe plus à contester
le fait que l’enfant sache une infinité de choses
sur le monde en allant lire, de façon automatique
et non réfléchie, dans ses gènes, dans son langage,
dans les objets et dans les systèmes d’habitudes
culturelles. Nous ne nierons pas, par exemple, que
l’enfant possède une compétence innée pour
apprendre à parler, (nous n’en savons rien, peu
importe) mais nous pouvons nier beaucoup plus
facilement qu’il dispose d’une telle compétence
lorsqu’il comprend la grammaire, c’est-à-dire
lorsqu’il réorganise sa connaissance de la langue
sur un plan conscient et réfléchi.
Après ce rappel de quelques faits expérimentaux
et l’évidence de l’impossibilité de leur donner un
caractère décisif, nous aimerions engager la discussion à propos du constructivisme endogène de la
connaissance, objet de vives critiques et pour lequel
aucun modèle satisfaisant n’a pu encore être proposé.
Nous essayerons de mettre ses faiblesses en lumière,
de montrer comment une partie de la psychologie, sous prétexte de les dépasser, s’est en fait
attachée à de nouveaux objets d’étude relativement insignifiants au regard du projet de Piaget. Il ne
300 s’agit pas de sombrer, pour la défense de la théorie
opératoire dans un constructivisme béat, démenti
par de nombreux travaux expérimentaux (p. ex. sur
les nourrissons), mais de ne pas céder, à l’inverse,
et sous prétexte de la mise en évidence d’une
importante connaissance innée du monde, à la
tentation anti-mentaliste. Pour expliquer que la
raison est capable de créer elle-même ses propres
outils analytiques, Piaget opte, sans l’ombre d’une
hésitation, dès le début de son travail et dans une
ère où l’essentiel de la psychologie mondiale y
était hostile, pour une conception mentaliste de
l’intelligence. Le mental accède à l’explication et
transcende les simples constats de légalité, parce
que, ainsi que Piaget l’a montré dans son texte
célèbre à propos du parallélisme (Piaget, 1974),
l’implication logique est la catégorie mentale qui
se substitue à la nécessité physique et qui ouvre à
la pensée déductive anticipatrice impensable par le
monde physique condamné à la réclusion
perpétuelle dans le présent. Le mental permet la
fabrication des théories, la causalité (Piaget et coll.
1970, 1971) et ouvre des perspectives de
composition inconcevables dans le monde matériel
où la carpe et le lapin ne se marient pas. Il subsiste
toujours de fortes tendances anti-mentalistes dans
la philosophie de l’esprit contemporaine, des
opposants qui sont directement passés du
behaviorisme aux neurosciences et attendent que
les scalpels et les caméras les plus sophistiqués
nous fassent voir dans le cerveau des fantasmes,
des croyances et des concepts, des utilitaristes
n’acceptant le mental que par commodité de
notation des phénomènes ou des « restrictivistes »
au nombre desquels nous mettrions volontiers
Fodor (cf. p. ex. Fodor, 1985) en raison de sa
position difficile pseudo-mentaliste qui refuse
l’émergence de la nouveauté. Nous n’allons pas
entrer dans une discussion de ces positions, nous
sommes psychologue parce que nous croyons au
mental, comme les mathématiciens croient aux
nombres, bien qu’ils ne s’attendent pas à les voir
apparaître dans l’oculaire de microscopes spéciaux
destinés à scruter les troupeaux de moutons ou les
sacs de billes. Le mental permet une considérable
économie de notation et de calcul (cf. p. ex.
l’introduction de Mehler et Dupoux, 1990), c’est
un ensemble de structures relationnelles (Whiten,
1994), comme la gravitation. L’erreur de catégorie
la plus commune consiste à le traiter comme une
substance et à le comparer à la matière pour
découvrir des antinomies.
Le talon d’Achille de la théorie opératoire
Piaget est un kantien et, tout comme Chomsky que
l’on présente souvent comme son principal adversaire [voire son pourfendeur dans l’esprit de ceux
qui souhaiteraient que le colloque de Royaumont
(Piatelli-Palmarini, 1979) soit aussi fatal à Piaget
que la critique du Verbal behavior (Chomsky,
1959) l’avait été à Skinner], il est un théoricien de
la compétence. Seulement, la sensibilité des deux
auteurs à l’interaction entre le sujet et le monde est
très différente. Les chomskiens pensent que les
formes de la connaissance sont données a priori et
subissent une simple paramétrisation, qui converge
vers des formes correctes, même sous une
exposition minimale aux stimulations nécessaires et
sans effets notables des sessions d’acquisition et de
leur ordre (théorie du stimulus appauvri). Lorsque
les chomskiens, sur la base d’arguments logiques,
psychologiques et philosophiques bien connus,
soutiennent qu’une théorie de l’apprentissage n’est
pas seulement inexistante mais qu’elle n’est même
pas concevable, cela signifie que la paramétrisation
des modules de la grammaire universelle n’est pas
un apprentissage. Il s’agit d’une induction d’un
caractère restrictif, puisqu’il n’est pas question de
découvrir ou de construire la fonction à appliquer
sur les données de l’expérience linguistique mais
seulement de choisir, parmi un ensemble de
fonctions pré-programmées, celle qui est compatible avec le monde et va se trouver instanciée par
l’expérience. L’apprentissage, s’il était concevable,
ne commencerait donc, dans cette perspective, qu’à
partir du moment où le sujet élaborerait lui-même
de toutes pièces la fonction ou le concept
nécessaires à la catégorisation de l’expérience.
C’est cette élaboration qui est jugée impossible par
Chomsky. Autrement dit, encore, il considère
qu’une chose ne peut être apprise que si elle est
apprenable, c’est-à-dire si, dans l’ensemble des
concepts du sujet, il en est un qui pourra séparer
les cas de figure fournis par l’expérience du monde.
Pour prendre une comparaison biologique (légitime
dans une perspective dont les derniers développements font de la grammaire universelle, à l’aide
de modules binaires allélomorphes, un véritable
ADN du langage) on peut poser l’image d’un
métabolisme intellectuel qui serait réceptif à l’habituation et à divers conditionnements (de type
mithridatisation), mais déterminé par un répertoire de
concepts-enzymes gouverné par le code génétique.
L’analogie avec la vision illustre aussi cette idée
puisque la programmation des pigments colorés,
qui est calée sur des longueurs d’onde précises et
particulières à chaque espèce, rend l’œil incapable d’apprendre à voir autre chose que ce
pourquoi il est fait, par exemple l’infrarouge ou
l’ultra-violet pour ce qui nous concerne. Cette
position conduit à une conception néo-cartésienne
d’un mental muni de prédicats innés dont le sujet
ne peut accéder qu’aux conséquences déductibles,
supports de la fixation des croyances (cf. Fodor,
1983, pour une analogie avec la confirmation
dans les sciences). Il apparaît nettement que, pour
Chomsky, c’est l’information qui doit se substituer à l’apprentissage. En effet, l’information est
ce qui réduit l’incertitude de son destinataire (de
moitié s’il s’agit d’un bit). Si l’on vous dit qu’une
carte prise au hasard dans un jeu de belote est
rouge, votre probabilité de la deviner passe de
1/32 à 1/16, mais cette réduction d’incertitude n’a
de sens que si vous avez déjà à l’esprit l’inventaire des mondes possibles (si vous savez, entre
autres, ce qu’est un jeu de cartes), étant entendu
que si ces mondes sont possibles, c’est qu’ils sont
concevables.
Piaget pense naturellement aussi que l’assimilation est impossible sans structures préexistantes
(schèmes, concepts, etc.), mais il ne peut jamais se
détourner de la tension entre le connu et l’inconnu,
l’ancien et le nouveau ; pour lui le second est
irréductible au premier et leurs contenus sont en un
certain sens incommensurables. Pour lui, penser est
synonyme d’apprendre, c’est une fonction biologique qui gouverne la modification du comportement en fonction du milieu et non un simple
épiphénomène qui accompagne l’action comme la
douleur accompagne la piqûre. Il existe une authentique création conceptuelle ne devant rien au l’apparition des concepts est aussi spectaculairement novatrice que celle des espèces. La tentative
la plus hardie qu’il a conduite en ce domaine, qui
est en même temps la plus empiriquement exposée
aujourd’hui a été, après avoir reconnu que les
formes kantiennes de la sensibilité (espace, temps,
objet, causalité) étaient effectivement nécessaires
en amont de la connaissance du monde physique,
de tenter la démonstration de leur propre construction (Piaget, 1936 ; 1937).
Le sujet chomskien hérite (et nous ne contestons pas que Piaget a sans doute beaucoup sous-
301 estimé l’héritage) alors que le sujet piagétien
s’enrichit. Ne sentant pas la nécessité de la
compétition quand la coopération est possible,
nous nous attacherons à ne pas voir d’antagonisme
entre l’héritage et l’enrichissement, au contraire,
loin que leur somme soit une constante, ce sont
plutôt deux termes proportionnels et corrélés.
La création paraît indiscutable dans la phylogenèse et la sociogenèse, et il est extrêmement
difficile de soutenir que les gènes des premiers
eucaryotes étaient déjà gros de la vis sans fin, des
équations de Maxwell ou de la hiérarchie des
grammaires (voir Putnam, 1988, chapitre 1, pour
quelques arguments dans ce sens). La psychogenèse n’offre pas la même évidence, les sujets
montrent en général une aptitude beaucoup plus
grande à comprendre qu’à inventer, ce qui permet
de gagner un temps considérable: l’éducation est
une forme d’hérédité de l’acquis dans notre espèce.
Mais, qui peut prouver qu’il y a ou qu’il n’y a pas
dans la compréhension le même effort intime
d’assimilation que dans l’invention? (Abstraction
faite de la dispense qui est concédée de tâtonner et
d’affronter le poids des idées fausses antérieures
dans un monde spécialement adapté à sa réinvention, c’est-à-dire le monde redessiné et formaté
par les pédagogues ?)
Le point faible de la théorie opératoire semble
localisable dans l’argumentation développée autour
du passage à la nouveauté. Piaget n’a pas réussi à
trouver un système pour exposer ses intuitions dans
ce domaine et son modèle le plus achevé, l’équilibration (Piaget, 1975) souffre de certaines limitations : recours excessif au verbalisme et à une sorte
de pensée dialectique (cf. les volumes précédents et
préparatoires XXXI et XXXII des EEG), modèle
d’équilibre mécanique pas très convaincant et assez
éloigné des catégories mentales, recours à une
force fondamentale de tension vers l’équilibre mal
identifiable, à coloration parfois finaliste et dont la
réalité psychologique est loin d’être évidente
puisque nombre d’organisations mentales individuelles ou collectives se stabilisent et résistent fort
loin de l’équilibre. Ce dernier étant le principe
explicatif, il est très gênant qu’il ne soit pas atteint
car il est le moteur des boucles de régulation et
non pas un simple paramétrage initial de la
situation ; il joue le rôle de cause finale cybernétique (contrairement. par exemple, à l’égalité
des chances qui doit être assurée en amont mais
302 non observée nécessairement en aval d’un
processus, l’équilibre doit être un état terminal).
De plus, la recherche de l’équilibre n’explique
pas la création de la nouveauté, à moins de
supposer qu’il recèle un germe de mouvement
perpétuel ou de génération spontanée. C’est une
illusion de la pensée dialectique et de la transposition mentale du couple action-réaction que de
croire que l’exposition d’une chose à son
contraire est créatrice d’énergie et d’information
(nous y reviendrons). En un mot, l’équilibration
rend mal compte de l’invention conceptuelle et,
même dans ses formes sophistiquées (structures
dissipatives par exemple), elle n’a convaincu que
ceux qui l’étaient déjà et n’est pas venue à bout
du paradoxe (pourtant simpliste) de l’apprentissage : comment peut-on tirer une structure n
d’une structure n-1 moins puissante? L’opposition
n vs n+1 est de même type que les oppositions
liées au réductionnisme et au refus de l’émergence (négation du mental issu du physiologique,
de la causalité issue de la légalité, de la nécessité
issue de l’expérience, etc.).
La théorie de l’équilibration n’a pas réglé ce
paradoxe et elle est sortie affaiblie du colloque de
Royaumont (Piatelli-Palmarini, 1979) où, pourtant, la dimension calculatoire était quasiment
absente et où elle a été confrontée à des arguments psychologiques discutables et à des arguments philosophiques parfois grossiers. Fodor
prétend démontrer, par exemple, que l’induction
est impossible parce qu’à des séries infinies
d’inputs et d’outputs correspondent une infinité
de fonctions (ou d’automates). Il répond par la
négative à la question suivante : est-il possible de
trouver un critère permettant de retenir une
fonction parmi cet ensemble infini ? On serait
pourtant tenté de répondre en invoquant le critère
de la simplicité : il suffit d’ordonner les fonctions
selon un gradient de complexité (en référence
par exemple à la complexité calculatoire, cf.
Delahaye, 1994) et de retenir la première qui est
compatible avec les données. Mais, en fait, il
semblerait que les sujets, dans les tâches cognitives,
choisissent tous des fonctions complexes identiques, et sans que rien de leur exposition minimale au monde ne permette de prédire ce choix.
Chomsky (Piatelli-Palmarini, op. cit.) expose
des exemples dont l’un est relatif à l’acquisition de la tournure interrogative en anglais. De
la nécessité dans les phrases complexes où le
sujet a un complément (une relative par exemple
The man who is tall will leave [l’homme qui est
grand va partir] qui mène à Will the man who is tall
leave ? et non à Is the man who tall will leave ?) de
procéder à une analyse qui semble requérir le
concept de syntagme, alors que celui-ci est inutile
dans des occurrences plus simples qui conduiraient
un Martien ou un automate empiristes à adopter
une stratégie élémentaire (The man is tall ; The
man will leave mènent à Is the man tall ? ; Will the
man leave ? avec une règle simple — mais fausse
— qui consiste à placer en tête de phrase le
premier verbe rencontré), et de la supposition très
hardie que les jeunes locuteurs ne se trompent pas,
Chomsky en vient à conclure que la fonction
incluant le concept complexe de syntagme est
inapprise (donc inapprenable) et par conséquent
innée.
On doit relever au moins une approximation et
un paralogisme dans cette démonstration. D’une
part, il n’y a aucun moyen de prouver que l’enfant
n’apprend pas à former les interrogatives
(implicitement ou explicitement), et beaucoup de
psycholinguistes pensent même le contraire
puisque l’enfant recourt en général à une prosodie
apprise (cf. les difficultés considérables des sourds)
avant de recourir à la syntaxe pour poser des
questions et il semble acquérir en premier des
fonctions sémantiques et pragmatiques (parmi de
très nombreuses références, cf. p. ex. Haliday,
1976) et, d’autre part, la transition qui va de
apparemment non-appris à inapprenable est
évidemment très abusive. L’histoire des sciences
possède un Panthéon de grands esprits qui ont
démontré qu’on ne pourrait jamais voler, qu’aucun
objet ne quitterait jamais l’attraction terrestre,
qu’un perceptron multicouche était définitivement
incapable d’apprendre quoi que ce soit, etc.
La perplexité des psychologues face à l’apprentissage [encore aggravée par des décennies d’indigence de l’intelligence artificielle qui, prudemment préfère plutôt se demander : « Qu’est-ce que
savoir? » au lieu de « Qu’est-ce qu’apprendre ? »
(Haugeland, 1985)] a conduit beaucoup d’entre
eux à s’en désintéresser, c’est-à-dire à n’étudier
que les conditions périphériques plus ou moins
facilitatrices, soit à se réfugier dans la réponse
facile de l’innéité, soit encore à développer une
métaphore darwinienne qui les rapproche plus de
Skinner que de Piaget. Nous voulons parler dans ce
dernier cas de l’appel à la variabilité comme moteur
de l’adaptation. Entre le sujet générateur de
diversité et le rat que l’on introduit dans la boîte de
Skinner, nous attribuons même sans hésiter la
palme de l’intelligence à ce dernier. Avec cette
conception, la vie mentale se trouve dépossédée de
la signification, elle joue aux dés. La psychologie
différentielle y trouve toutefois un moyen de
rafraîchir ses problématiques (cf. p. ex. le colloque
de l’APSLF de 1993, ou bien les reprises, plus
ou moins grossières, du thème de l’émergence
de l’ordre par sélection dans le désordre et la
promotion de la variabilité au rang de facteur
adaptatif).
L’équilibration s’est révélée, de notre point de
vue, le talon d’Achille de l’ensemble de la théorie
opératoire et a favorisé la contamination de ses
parties saines et l’apparition de toutes les dérives
de la psychologie piagétienne qui se sont épanouies
à partir des années soixante. Même si une part du
courant relatif au traitement de l’information et à
l’analyse procédurale n’était pas hostile (courant
mené à Genève par Inhelder), la plupart des auteurs
ont rapidement abandonné les stades structuraux et
l’analyse conceptuelle. La psychologie différentielle, toujours aussi fascinée par le fait que « tous
les chats n’ont pas le même nombre de poils »
(Thom, 1982), a également souvent perdu de vue
l’analyse structurale pour l’étude des variations,
sans présenter clairement son projet d’établissement d’une continuité entre la science des facteurs
et celle des concepts ; quant au courant sociocognitiviste et à l’idéologie communautaire et antiindividualiste sous-jacente, il a négligé le fond du
problème au bénéfice de l’étude (variationniste
encore une fois) de quelques conditions périphériques de l’apprentissage. Il est clair que, lorsqu’on
localise, dans les rapports à la troisième personne,
l’origine des régulations cognitives de la première
personne, c’est un peu comme si on expliquait le
génie de Bobby Fischer par sa passion pour les
échecs ou par sa rage de vaincre. On peut faire des
remarques similaires à propos des travaux néoassociationnistes (de la recherche des simples
effets d’association — p. ex. interférence — aux
modèles connexionnistes plus complexes) qui
reprennent l’idée de Hume, voyant dans l’association l’équivalent, pour la psychologie, de la
gravitation pour la physique, d’une possible réduction physicaliste du mental, ou, à propos d’un
certain fonctionnalisme étroit: expliquer la formation des concepts par l’inhibition des réponses,
par exemple, c’est comme expliquer qu’on est allé
303 à New-York parce qu’on a pris l’avion à Roissy.
Piaget, et c’est dommage, a refusé de composer,
même temporairement, et ses analyses ont invariablement poursuivi le même but de solidification en
un seul tout organique de l’ensemble de sa pensée,
alors qu’il aurait sans doute été de meilleure
stratégie de consentir des efforts de cloisonnement
et de subdivision en sous-théories indépendantes.
En effet, en voulant indissolublement lier la
question de la structure à celle de la genèse, il a
voulu avoir raison trop tôt et les faiblesses (provisoires) de l’approche génétique ont, par contraposition (si S → G alors ~ G → ~ S), fragilisé,
quand ce n’est pas édulcoré ou éliminé, des apports
conceptuels d’une richesse sans précédent, et un si
rare équilibre entre la fécondité expérimentale et
l’élégance de la formalisation.
Le dossier du constructivisme, loin d’être
refermé, est pour nous à peine entrouvert. Nous
allons développer deux idées relatives d’une part à
l’assimilation des connaissances (la théorie de
l’apprentissage) et à leur composition (assimilation
réciproque ou chimérisation).
La théorie de l’apprentissage
La théorie de l’équilibration, et personne ne
songerait à la contester sur ce point général, décrit
la tension vers la nouveauté comme un produit de
l’inadéquation entre les fonctions projetées sur le
monde (les coordinations du sujet) et le constat
de l’insuffisance de leur pouvoir catégorisateur
de l’expérience. Le sujet est capable, dans une
certaine mesure, de comprendre qu’il doit mieux
régler sa conduite ; considérons que cela revient
à tenter de former de nouveaux concepts. Nous
avons bien conscience que 1) faire comme s’il
existait des objets basiques de la cognition
(sortes d’enzymes pour reprendre la comparaison
développée supra) et 2) les nommer concepts,
ne résout aucun des problèmes philosophiques
attachés à cette vision des choses (cf. p. ex. Fodor,
1994) mais, pour la commodité et la robustesse du
raisonnement, assimiler un concept à une fonction
présente le double avantage de retenir l’essentiel de
son contenu sémantique (avoir le concept de
doublezon permet de partitionner dans le monde les
doublezons et les non-doublezons ; avoir le concept
d’objet permanent permet d’identifier les situations
dans lesquelles, en dépit de sa disparition du
champ visuel, un objet est connu comme continuant
304 d’exister matériellement, et de les distinguer de
celles où ce n’est pas le cas : combustion,
explosion, etc.) et de considérer l’apprentissage
sous l’angle calculatoire. La théorie mathématique
de l’apprentissage (Boucheron, 1992), qui connaît,
depuis le milieu des années quatre vingt, grâce aux
algorithmes de rétropropagation de l’erreur dans
les réseaux de neurones formels à couches cachées,
des moyens de simulation ayant la souplesse et la
puissance requises, recourt à une position des
problèmes de ce type. Un apprentissage est la
formation d’un système d’associations entre des
inputs (x) et des outputs (y), ces associations étant
réalisées par une fonction f assimilée à un concept
séparateur des données de l’expérience. (Nous
ferons ici une impasse totale sur les aspects
probabilistes et le problème de la convergence.)
Cette assimilation est particulièrement transparente
dans le cas simple où le domaine de y se réduit aux
valeurs 0 et 1, la fonction f établissant alors une
partition dans l’ensemble des vecteurs d’entrée. La
théorie de la séparabilité linéaire a été enrichie par
Minsky et Papert (1969) qui ont montré qu’un
perceptron convergeait vers une fonction f si, et
seulement si, elle était linéaire. Avec les fonctions
plus complexes, il est nécessaire d’utiliser un
perceptron à couches cachées. Lorsque la fonction
nécessaire à la catégorisation des données de
l’expérience est incarnée dans une structure de
réseau particulière, on dit alors que le monde des
exemples est apprenable au moyen de cette
fonction qui est assimilée à un concept séparateur
(pour quelques développements et exemples, cf.
Bradmetz et Schneider, 1996). Un concept repose
donc également sur une métaphore spatiale dans la
théorie de l’apprentissage, très intuitive dans le cas
de la linéarité puisqu’il est assimilé à une droite, un
plan ou un hyper-plan.
La théorie de l’apprentissage a établi quelques
résultats importants, dont les conditions d’une
traduction psychologique, doivent être examinées,
ce qui — et cela demeure pour nous une énigme
— n’est pas effleuré dans les discussions
courantes des psychologues sur le constructivisme.
Le plus important de ces résultats (Gold, 1965)
montre qu’il existe une méthode d’inférence inductive, dite d’identification à la limite, qui permet
d’identifier, à coup sûr, une fonction appartenant
à la famille des fonctions primitives récursives
(c.-à-d. à l’immense majorité des fonctions). L’algo-
rythme, programmable, est en mesure d’énumérer,
selon un ordre de complexité donné relatif à la
longueur des programmes qui les définissent,
l’ensemble des fonctions primitives récursives et
de s’arrêter avec certitude sur la bonne qui est
recherchée et qui ajuste les données de l’expérience (voir Delahaye, 1993). Autrement dit, un
ensemble très grand d’entrées peut être associé à
un ensemble très grand de sorties par une fonction
dont la découverte résulte de l’application d’une
procédure automatique (un algorithme) infaillible.
Cet algorithme propose, à chaque pas, si la fonction f a échoué, une fonction n+1 de degré immédiatement supérieur. Une approximation de cette
méthode peut être réalisée avec un réseau de neurones, dont on complexifie progressivement la
structure (cf. la procédure cascade-corrélation de
Fahlman et Lebiere, 1990). C’est clairement un
algorithme de ce type qui est évoqué par les
niveaux successifs de l’équilibration et il faut
considérer que, contrairement à toutes les affirmations nativistes à propos de l’inexistence d’un
GDM (general development mechanism : mécanisme général de développement), les conditions
de possibilité logiques d’un apprentissage par
construction conceptuelle sont réunies par l’algorithme énumératif de Gold, qui complexifie les
fonctions successives qu’il soumet à l’expérience,
donnant ainsi une réalisation du passage des
coordinations de niveau n au niveau n+1 dans le
modèle de l’équilibration de Piaget. Ce que Piaget
invoque comme seul fonctionnement inné (capacité d’accommodation des schèmes) pourrait être
identifié à un algorithme général de ce type,
supervisé par l’expérience, évidemment plus productif que la sélection a posteriori des réponses
aléatoires (d’ailleurs, nous pensons que ce n’est
pas du tout par hasard ni par goût de la diversité
que les rats de Skinner finissent par appuyer sur
la bonne pédale au lieu, par exemple, de se mettre
à danser le tango ou à écrire une introduction à la
Critique de la raison pure). Ce n’est pas parce
que la rétropropagation de l’erreur ne semble pas
avoir d’équivalent biologique que le type de
fonction qu’elle assure, n’est pas représenté dans
l’esprit ; sans ailes, les hélicoptères volent quand
même et les bateaux avancent sans nageoires. De
la même façon, on peut concevoir une incarnation
mentale (si l’on nous permet cette expression) de
l’induction à la limite.
Il est bien clair que la théorie de l’apprentissage
n’a encore rendu que de négligeables services à la
pensée scientifique (dans quelle mesure faut-il
conserver, construire, rejeter une théorie ?) et à
l’intelligence artificielle, et quasiment aucun à la
psychologie du développement et qu’il est sans
doute peu réaliste d’en attendre des miracles, en
raison à la fois de la simplicité et de la complexité
de ses modèles : l’induction humaine est-elle réductible à l’induction mathématique et, si oui,
l’esprit a t-il besoin de recourir à des catégories
de fonctions très complexes ou bien, de la même
façon qu’il n’a l’intuition que d’un espace simple
à trois dimensions, n’utilise-t-il que des fonctions
rudimentaires ?
Si nous faisons l’hypothèse que l’esprit utilise,
en guise de concepts, des fonctions discriminantes linéaires, il existe une autre façon simple
de considérer le problème en le liant uniquement
à l’accroissement de l’espace mental. Lorsqu’un
perceptron échoue à séparer linéairement deux
ensembles de vecteurs, il y a deux solutions
possibles pour parvenir à l’apprentissage, soit
améliorer la puissance du réseau, en introduisant
progressivement des neurones cachés (Fahlman,
1988 ; Fahlman et Lebiere, 1990), ce qui revient
à adopter une méthode proche de celle de Gold,
soit augmenter la dimension de l’espace des
exemples, c’est-à-dire la longueur des vecteurs
d’entrée, en adjoignant un trait distinctif supplémentaire aux exemples. Dans ce dernier cas, on
conserve la même fonction de séparation linéaire
et aucun progrès conceptuel n’est donc requis,
mais on applique l’ancien concept à des objets
plus lourds et mieux différenciés. L’apprentissage est donc rendu possible uniquement par
un accroissement de l’espace mental, à la façon
dont, dans les systèmes de production, certains
chaînages inférentiels ne sont, eux aussi, possibles que sous la condition d’un espace de travail
minimal.
Nous ne doutons pas que la psychologie
cognitive développementale à venir saura
caractériser les concepts en fonction de leur
profondeur logique et sur la base de dimensions
de complexité pertinentes, réalisant ainsi une
partie du projet piagétien par le biais de l’équivalent d’une classification mendéleïevienne
des objets mentaux. La profondeur logique
donne également de précieuses indications sur
le temps de calcul et par là sur la raison des
étapes de la psychogenèse. La complexité d’un
concept est une manière de carbone 14 pour les
305 psychologues. Si l’univers calcule au rythme du
PC que nous utilisons et qu’on y trouve un jour un
objet dont le temps de calcul corresponde à celui
de la résolution d’une tour de Hanoï à 70 disques,
on saura que cet objet a 15 GA et que sa naissance
est contemporaine du big-bang.
La chimérisation
La quasi-totalité des théories psychologiques,
et notamment le courant chomskien, sont à la
fois opposées à la génération spontanée des concepts (ce que nous leur accordons) et en même
temps attachées à la parthénogenèse. Il en résulte évidemment que l’apparition du nouveau est
inexplicable dans ce contexte contradictoire sans
concevoir d’échappatoires. Les deux plus courantes sont l’appel au hasard et la dialectique.
Cette position conduit à l’argument classique de
l’impossibilité d’extraire n+1 de n. A six ans, les
enfants pensent que les corps ne flottent pas parce
qu’ils sont lourds, à douze ans, ils pensent qu’ils
coulent parce qu’ils sont denses, mais Fodor nous
dirait vraisemblablement qu’ils n’ont rien appris.
Chomsky est le Parménide de l’apprentissage et
Fodor est son Zénon zélé. Le paradoxe (n, n+1)
résulte en fait d’une mauvaise position du problème. Comme nous allons essayer de le montrer,
n+1 ne vient pas seulement de n mais aussi de o,
p, q, etc.
Nous pensons que le constructivisme piagétien
est, pour sa part, très au-dessus de cette réplication
de l’identique et au-dessus même de l’hybridation
de la reproduction sexuée. Les constructions conceptuelles sont des chimères qui intègrent des éléments divers en un seul tout organique et sans faire
perdre à chacun son intégrité. La chimérisation
est le mode de composition universel des objets
techniques, c’est aussi le mode d’assemblage qui
correspond le mieux à la liaison par les valences.
Nous n’en donnons ici qu’une approche métaphorique, sans souci de formalisation, mais avec
le projet explicite de démarquer le constructivisme de la déductivité parthénogénétique ou
de l’hybridation aléatoire. Le lecteur peut se
rapporter à Margulis et Sagan (1989) pour un
exposé général de la biologie de la symbiose et
de l’universalité de ses mécanismes : « … la symbiose est l’une des expressions d’un phénomène
universel, le principe qui consiste à mélanger et
à réarranger. Deux organismes, deux systèmes
ou deux objets bien développés et adaptés se com-
306 binent, réagissent, se redéveloppent, se redéfinissent, se réadaptent — et quelque chose de nouveau émerge. Les inventions humaines exploitent
ce principe de mélange/réarrangement en permanence. Par exemple, la montre-bracelet réalise la
fusion de l’horloge et du bracelet, le tank celle du
camion et du canon, le synthétiseur celle de
l’ordinateur et du piano […]. La recombinaison,
qu’elle s’exprime sous la forme d’une infection
virale, de l’union d’une algue ou d’un champi–
gnon pour constituer un lichen, du cannibalisme
chez les amibes, du mariage d’un homme et d’une
femme ou de la fusion d’un écran vidéo avec un
enregistreur de cassette pour faire un magnétoscope, est un des principes qui animent toute la vie
sur terre » (op.cit. p. 180). Les auteurs déplorent
que la reproduction (sexualité mitotique minoritaire et tardive dans la vie) et non la recombinaison (sexualité méiotique) retienne l’attention
presque exclusive des biologistes et des évolutionnistes. Symbiose ayant un sens biologique
spécifique, nous utiliserons le terme de chimérisation pour désigner le processus général de
recombinaison et de création de structures.
L’ensemble des travaux de Piaget est un catalogue de chimères qui ne doivent rien au hasard
ou à la dialectique, elles ne naissent pas de la
rencontre stérile du positif et du négatif mais de
l’alliance du positif et du positif.
L’appel au hasard dans la formation du psychisme aussi bien que dans l’organisation de la
vie est pour Piaget le degré zéro de l’explication.
Nous ne pouvons que regretter l’immixtion de
la doctrine orthodoxe néo-darwinienne (Monod,
1970) dans la psychologie et l’assimilation
abusive entre évolution et sélection naturelle qui
conduit, comme c’est souvent le cas chez les
commentateurs du behaviorisme (qui n’est autre
qu’une théorie de la sélection naturelle des
réponses), à une conception atrophiée de l’activité
psychologique, conception éloignée même parfois
de la pensée skinnerienne, profonde et nuancée.
La sélection naturelle est incontestable, encore
que nous sachions peu de choses de son caractère
éventuellement « neutraliste », l’apprentissage
est lui aussi, autant dans les réseaux de neurones
artificiels que chez les enfants, supervisé par le
monde. Mais, évidemment, la sélection n’est que
l’aval de l’évolution, elle ne dit rien de l’amont et
l’essentiel de l’activité psychologique n’est pas
la sanction reçue par la réponse, mais la formation de la réponse et les théories de la mutation
et autres générateurs de diversité dépouillent les
feedbacks de toute signification, leur rétropropagation se limitant à modifier mécaniquement la
probabilité d’occurrence des réponses déjà
formées mais pas à en créer de nouvelles. Tout
comme il nous faudrait admettre que l’œil se
serait formé par hasard au cours de la phylogenèse (il a vu de la lumière et il est entré…), il
faudrait concevoir que les structures mentales
procéderaient de la discipline aveugle que le
monde imposerait au bruit des neurones. Nous
préférons, avec Piaget, (et beaucoup de biologistes en dehors de leur laboratoire qui refusent
d’identifier évolution et sélection) croire en un
Comportement moteur de l’évolution (Piaget,
1976) — ce qui est déjà indirectement très vrai
puisque la modification du milieu par l’espèce
modifie les conditions de la sélection — et en un
guidage endogène et sensé de la complexification
mentale lié au fait que les états mentaux symboliques ont une autonomie et un pouvoir causal
les uns sur les autres.
Au-dessus du hasard, on trouve la dialectique,
qui essaie de nous montrer qu’il est possible de
s’élever en tirant sur ses propres bottes. L’inconvénient majeur de la pensée dialectique, nous
l’avons évoqué plus haut, est de considérer que la
confrontation d’une proposition à sa négation serait
l’équivalent d’une sorte de fusion froide redonnant
souffle et énergie à la pensée créatrice (les
développements les plus paroxystiques de cette
idée en psychologie du développement sont sans
doute le fait de Pascual Leone, 1987). A-t-il suffi à
Képler de nier le cercle (inhibition de la réponse…)
pour concevoir les orbites elliptiques ? N’y a-t-il
que de la négation ou du hasard lorsqu’on finit par
découvrir, après des années, que rendre les cartes
bancaires avant les billets dans les distributeurs
automatiques, et non pas le contraire, met fin aux
oublis et aux queues devant les banques le lundi
matin ? Et l’on pourrait multiplier les exemples
en éprouvant toujours la même impossibilité à
concevoir que le concept n’est pas une invention et
qu’il était déjà contenu dans l’état antérieur et que
c’est un simple procédé mécanique qui l’en a fait
surgir (passage de la numérotation des lignes à
l’étiquetage en BASIC, qui lève une contrainte
liée à une interférence entre langage et métalangage ; découverte du fait qu’une pièce de 10 F,
provisoirement gagée dans un caddy, met fin, sans
qu’il en coûte un sou, à la pagaille qui régnait
autrefois sur les parkings de supermarché, malgré
les exhortations au civisme ; remplacement des
carrefours par des ronds-points grâce à l’inversion
de la priorité ; etc.).
On connaît l’importance de la négation chez
Piaget, à la fois dans les modèles de structures
(groupements, groupes et réseaux combinatoires)
et dans les aspects fonctionnels, notamment
inversion, réciprocité, compensation et sensibilité à la contradiction. Il n’est pas exagéré de
dire qu’il est souvent sensible aux sirènes de la
pensée dialectique, avec l’idée récurrente de
construire des tertium qui résolvent des alternatives dont les deux branches sont dans un
rapport de négation. Et pourtant, l’examen des
objets mentaux qui jalonnent le développement
révèle des structures qui doivent beaucoup plus à
la chimérisation qu’à un supposé dépassement
dialectique. Prenons un exemple d’autant plus
célèbre qu’il a été l’objet de nombreuses tentatives réductionnistes : le nombre. Vers 3-4 ans,
avec la pensée par couple (cf. les analyses fonctionnelles d’Orsini-Bouichou, 1982), l’ordre et
l’équivalence procèdent à une sorte d’arrimage
réciproque et les deux éléments d’un couple sont
considérés à la fois comme identiques et substituables sous certains aspects et différents sous
d’autres aspects car ils doivent être séquencés
dans l’action. Grize (1968) voit, dans le couple,
la première forme matricielle du nombre. Vers 7
ans, la constitution du nombre concret réitère
une fusion analogue à celle qu’avait réalisée la
formation des couples, en chimérisant cette fois
la logique d’emboîtement des classes à celle de
succession des relations. Aucun de ces deux
termes n’est suffisant, quelles que soient les
torsions dialectiques qu’on lui imprime, pour
doter le nombre de sa structure propre de groupe,
que Grize (1960) montre être une combinaison
originale des groupements de classes et de
relations qui lève la contrainte de jonction
contiguë (terminologie de Wermus, 1973) entre
les termes de leurs opérations. Cette chimérisation fournit deux nouveaux concepts majeurs :
la correspondance entre l’ordination et la cardination et la transitivité, commune aux emboîtements de classes et aux ordres de succession.
Pendant la scolarité élémentaire, l’ensemble du
programme d’arithmétique sera consacré à la construction d’une nouvelle chimère, clé de tout le calcul
mental et des algorithmes du calcul écrit et qui
deviendra ensuite une des clés de la démonstration
algébrique par transformation des expressions : la
307 distributivité. Cette chimère a un corps, c’est
celui des réels munis de l’addition et de la
multiplication et c’est de leur confrontation
qu’elle est issue. Une autre chimère notoire naîtra
ensuite à l’adolescence: le groupe INRC qui
décloisonne une nouvelle fois la logique des
classes et celle des relations en établissant une
mise en correspondance entre leurs opérations
inverses : la négation et la réciprocité. Piaget et
Inhelder (1951) et Inhelder et Piaget (1955) ont
montré, dans des exemples nombreux et classiques, comment la lecture de la plupart des
concepts de la physique dans l’expérience était
impossible sans ce groupe de transformation des
propositions qui transcende les abstractions de
premier niveau sur les causes et les effets (cosériations et mises en correspondance simples).
Nous avons de bonnes raisons de croire en cette
filiation entre le groupe INRC et le nombre, car
les dernières observations réalisées sur les sujets
de notre échantillon, âgés de quinze ans et demi,
montrent une régression importante des items de
pensée formelle sur les épreuves logicomathématiques entre quatre et neuf ans (Bradmetz,
sous presse).
Dans la formation des représentations de l’espace,
nous pouvons observer les mêmes phénomènes
d’une véritable interfécondité des concepts. L’espace
topologique est organisé autour d’une primitive de
représentation, le voisinage, dont dérivent les
enveloppements, frontières, régions, intériorité,
extériorité, etc. Lorsque apparaît la conduite de
visée et la compréhension du fait qu’une droite
peut se réduire à un point, la prise de perspective
(originée au début sur le corps propre) féconde et
réorganise la géométrie topologique en enrichissant
le contexte de représentation et de composition des
voisinages. Simultanément, la conservation des
longueurs et des distances (qui résulte d’une prise
de conscience de la dissociation mentale possible
entre un espace contenant et un espace contenu),
réorganise également la représentation topologique et, combinée avec les projections, elle munit
la représentation de l’espace de sa structure euclidienne. Durant la scolarité élémentaire, alors
que l’arithmétique se consacre à la distributivité,
la géométrie poursuit un objectif majeur et dont
l’expérience montre que l’acquisition couronne
l’ensemble du programme et atteste de la maîtrise
de tous les concepts géométriques appris à l’école :
la chimérisation du nombre et du continu spatial et la conception de la structure cartésienne de
308 l’espace. Un enfant, entrant au collège, qui a bien
compris qu’à tout point de l’espace correspond
bijectivement un couple de coordonnées cartésiennes (ou polaires) et qui réussit, par exemple,
l’épreuve toute simple qui consiste à déterminer,
sur une feuille blanche, la position exacte d’un
point-stimulus tracé sur une autre feuille (Piaget,
Inhelder et Szeminska, 1948) a achevé une première fusion des nombres et de l’espace, qu’il
réélaborera au niveau formel en comprenant la
correspondance entre l’algèbre linéaire et les
espaces vectoriels (ce qui, entre autres, lui donnera accès à toutes les statistiques, descriptives ou
inférentielles, fondées sur la décomposition de la
variance) et dont il sondera ensuite éventuellement les frontières conceptuelles en étudiant les
résultats contre-intuitifs de Cantor.
Nous entendons déjà les objections qui fusent
de toute part: ouimais, les problèmes du
soixante-dix et du quatre-vingt-dix ? ouimais, la
retenue dans le système décimale, la dyscalculie,
le problème du zéro, la notation positionnelle
des nombres, la représentation des robinets ou
des trains, les ambiguïtés du langage naturel, la
comptine des nombres, les critères de Gelman,
l’application des écolières et l’instabilité des
écoliers, le cortex frontal et le lobe pariétal,
etc., sans parler de la soustraction-castration ou
de la division-dévoration. Sans faire d’antipsychologisme, ce qui serait prendre l’épistémologie génétique à contre-pied, il est quand
même possible de s’étonner de la résistance des
psychologues à l’abstraction. Il y a des niveaux
d’étude, irréductibles et incommensurables,
qui ne peuvent, et ne doivent, entretenir que
des relations de compatibilité. Le cerveau
arithméticien est, certes, un domaine d’étude
respectable (Dehaene, 1996), mais, entre la
numérosité et le nombre, il y a autant de
différence qu’entre le sexe et l’amour, et les
blouses blanches se taillent injustement la part
du lion en voulant réduire l’étude de la pensée à
celle du cerveau. Piaget se cantonne à la
description d’un logiciel dont il n’a pas les
sources. C’est aussi, bien sûr, la tâche de la
psychologie de décrire les programmes, et tous
les nœuds que l’évolution, le langage et la
culture ont fait à l’intérieur, toute l’intrication de
routines anachroniques, mais elle ne peut
débattre à propos de l’organigramme qu’au
niveau de l’organisation logico-conceptuelle
caractéristique du mental (cf. Piaget, 1974). Les
structures de Piaget n’expliquent pas plus com-
ment résoudre les problèmes que le code de la
route n’explique comment conduire les voitures.
La recombinaison méiotique (et non mitotique)
caractéristique de la vie mentale et des tensions
qu’elle y crée (comment penser un objet à la fois
comme une fleur et comme une violette ?
comment penser un bâtonnet dans une série à la
fois plus petit que certains et plus grand que
d’autres ?) est particulièrement transparente dans
un dernier exemple que nous donnerons pour
illustrer la richesse des idées constructivistes, en
même temps que la pénétration de Piaget
psychologue : le domaine de recherche usuellement identifié comme celui de l’acquisition
d’une théorie de l’esprit par l’enfant et qui devra,
selon notre point de vue, s’étendre à toute la
psychologie de la troisième personne et dépasser
les âges auxquels il est actuellement confiné.
Toutes les difficultés des petits, dans les items
classiques de la littérature, montrent une recombinaison qui ne peut se faire, une cohabitation
impossible, entre deux aspects du monde, une
logique de confrontation, comme celle qui a
précédé la pacifique cohabitation entre nos
cellules et nos mitochondries, à l’époque
lointaine où ces dernières étaient encore de
belliqueuses bactéries. Dans les tâches d’apparence vs réalité (Flavell, Green et Flavell, 1986),
l’enfant échoue à penser la dualité, dans les
tâches de correspondances (de Loache, 1987), il
échoue à penser la similarité, dans celles de
séparation de points de vue (Flavell, Everett,
Croft et Flavell, 1981), il ne peut penser
l’altérité, dans celles où il est interrogé sur les
états intentionnels accompagnant le jeu symbolique (p. ex. Lillard, 1993), il échoue à penser la
vicariance et, dans les célèbres items de fausse
croyance, il ne peut penser la substitution. Dans
chacun de ces cas, la coexistence, dans son
esprit, de deux formes du monde n’a pas encore
été productive d’un concept et de la compréhension d’un phénomène, respectivement ici,
en empruntant des comparaisons au théâtre,
monde de la représentation par excellence : le
trompe-l’œil, la maquette, l’envers du décor, la
doublure et le changement de décor (sorte de
palimpseste).
Piaget a consacré l’essentiel de son œuvre à
l’acquisition de théories du monde physique, il
ne s’est pas intéressé, dans la même mesure,
c’est bien regrettable, à l’acquisition de théories de l’intentionnalité. Et pourtant, il disposait, à notre sens, de tout l’appareil conceptuel
dès les années vingt. 1) L’égocentrisme, si mal
compris par Vygotski et falsificatoirement et
idéologiquement critiqué par ses continuateurs
(égocentrisme qui ne signifie ni égoïsme ni refus
de contact social mais absence de perspective). Il
est curieux (et instructif) que Piaget se soit fait
sévèrement reprocher de tenter de le caractériser à
partir de la pensée autistique alors que la théorie
de l’esprit a redécouvert aujourd’hui dans l’autisme une pathologie paradigmatique de l’intentionnalité et de l’intersubjectivité. 2) Le réalisme,
proche de la copy theory actuelle et repris dans
nombre de travaux. Le biais réaliste (Mitchell,
1994 ; Mitchell et Taylor, 1997), à l’instar du
réalisme piagétien, signifie que la confrontation
entre la représentation et la réalité a une tendance
spontanée à tourner à l’avantage de cette dernière.
3) Le syncrétisme (dont on ne trouve en général
que des définitions assez vagues et étriquées dans
les dictionnaires…) qui décrit les interférences
entre les traits de représentation de niveaux
différents (cf. l’expérience élégante de Mitchell et
Taylor, 1997). 4) L’animisme et l’artificialisme
qui montrent que la causalité physique ne peut
être conçue au début que sur le modèle de la
projection du corps et des buts qu’il poursuit dans
l’action (les causes finales), composantes explicatives qui sont retrouvées dans la physique spontanée de l’enfant (avec absence de conservation
de l’énergie et du mouvement et génération
spontanée de force et d’élan dirigés, sur le
modèle de l’effort) et dans les premières théories
sur l’esprit. Nous ne songeons naturellement pas
à nier que des travaux ultérieurs importants (p.
ex. Carey, 1986) ont contribué à préciser et
enrichir les rapports entre les concepts de
l’enfant et ses systèmes explicatifs, mais ils
n’ont pas, selon notre point de vue, remis en
question l’idée selon laquelle, au-delà de tout
traitement de l’information, l’enfant pense et
rend le monde intelligible par assimilation
métaphorique et ce sont ces efforts d’attribution
de signification, leurs approximations conceptuelles successives et leurs contraintes calculatoires, qui demeurent la question nucléaire de la
psychologie et le seul espoir qu’elle ait de
préserver une unité.
Il existe, bien entendu, pour la théorie de
l’esprit, comme pour le reste, de nombreuses
tentatives réductionnistes et, chez les tenants
de l’explication mentaliste, des auteurs qui
refusent l’idée d’un apprentissage ou d’une
construction, mais seulement la réalisation d’un
309 programme, mais il existe aussi un courant
constructiviste (p. ex. Gopnik, 1993) car, si
l’enfant, à un moment donné de son développement, n’invente pas l’idée d’un cadre conceptuel commun pour analyser la conduite de la
première personne (dont les déterminants, désirs
et croyances, sont données de façon immédiate et
endogène) et celle de la troisième personne (dont
les déterminants doivent être inférés), on ne voit
pas comment il pourrait sortir des niveaux inférieurs, où l’autre ne peut être conceptualisé mais
seulement connu et prévu par conditionnement
pavlovien ou opérant, mais en aucun cas par
identification ou simulation (Barresi et Moore,
1996). A lire, d’ailleurs, des auteurs aussi importants que Searle (p. ex. Searle, 1986) on découvre
une très piagétienne réhabilitation de la causalité
intentionnelle et un ancrage non moins piagétien
de l’activité mentale dans l’activité sensori-motrice.
Les ordinateurs, dont les paradigmes et l’algoristique dominent maintenant la psychologie
cognitive, sont sans aucun doute de piètres
simulateurs du mental et ne montrent rien, ni de
l’intentionnalité, ni de la tendance spontanée des
concepts à se chimériser (une simulation est
toujours partielle : dans la simulation nucléaire les
ordinateurs n’explosent pas). Le paradigme du
traitement de l’information, qu’ils ont répandu et
qui a rendu d’immenses services à la psychologie
et lui a donné d’exemplaires leçons de modestie,
ignore la caractéristique foncière du mental qui est
le fond de carte de la chimérisation et de la
créativité et que l’on retrouve dans toute la
philosophie des sciences cognitives : le holisme de
la signification (cf. p. ex. Putnam, 1988). Fodor
(1983), qui en traite sous les étiquettes d’isotropie
et de quinicité, considère que la tension principale
de la psychologie cognitive résulte de la confrontation entre cette caractéristique de base et l’atomisme conceptuel qu’il continue à revendiquer.
Nous comprenons, en effet, que son attitude de
fermeture à la nouveauté reconnaisse une impasse
dans ce qui, pour Piaget, a toujours été un moteur :
la possibilité pour les concepts de s’enrichir
mutuellement en créant des formes de vie mentale
par des combinaisons toujours renouvelées et
suscitées par la formidable pression à l’explication,
la tension vers la régularité et l’invariance, qui
habite l’esprit humain dont la fonction biologique
principale est de rendre le monde intelligible,
c’est-à-dire maximalement prévisible.
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