nétration de cette conception. Plusieurs modèles de
régression ont été utilisés à cette fin, mais sans
succès. Autant pour le nombre (Bradmetz, 1992 b)
que pour l’espace (id. 1992 d), il n’a pas été
possible de valider un quelconque modèle de
détermination diachronique des conduites. Ces
faits ne constituent pas Ă proprement parler une
falsification des idées constructivistes car rien ne
dit que les sources de variation supposées (p. ex.
classes + relations = nombre) agissent selon une
composition additive transparente et, d’autre part,
il n’est pas exclu que ce mécanisme de synthèse et
d’influence réciproque ne soit intelligible et
explicite pour le sujet qu’a posteriori, c’ est-à -dire
une fois que l’essentiel du concept est construit et
que le niveau de performance est optimal. C’est un
phénomène de ce type qui a été observé à propos
des liens entre les relations et le nombre : alors que
l’analyse logique laisse attendre que le nombre
implique la mise en relation de l’ordination et de la
cardination, laquelle implique la maîtrise sous-
jacente de la transitivité, c’est exactement le
contraire que livre l’étude expérimentale en mettant
en évidence des décalages systématiques (c.-à -d.
présents chez tous les sujets à un seuil de confiance
donné). La conservation du nombre est acquise
(seuil de confiance = 95% des sujets) avant la mise
en relation de l’ordination et de la cardination, elle-
même acquise (même seuil) avant la réussite aux
items de transitivité qui survient en dernier ; ainsi,
la thématisation des structures sous-jacentes à un
concept donné serait postérieure, du point de vue
de la prise de conscience, au concept lui-mĂŞme.
Autrement dit, chercher à inférer les mécanismes
d’apprentissage, à partir de l’ordre des acquisitions,
peut découvrir une complexité insoupçonnée car le
périphérique d’expression de la performance
(essentiellement le langage, via la prise de
conscience) peut être influencé, dans des
proportions variables, par des facteurs procéduraux,
déclaratifs, réflexifs, etc. et des composantes non
équilibrées des divers types d’abstraction décrits
par Piaget. Ces remarques sont banales, l’absence
de résultat expérimental probant, dont elles ren-
dent compte, ne ruine toutefois pas l’idée de
construction des connaissances, car de nom-
breuses contraintes formelles demeurent dans
l’organisation des acquisitions, notamment toutes
celles qui sont liées aux très nombreux décalages
systématiques (collectifs) et à l’indiscutable exis-
tence d’un gradient de complexité. Il faut, néan-
!
moins, se résoudre à admettre une absence de
transparence de la performance, le niveau d’ana-
lyse piagétien est trop éloigné du traitement de
l’information pour que celui-ci puisse lui apporter
une caution, ce qui a conduit d’ailleurs beaucoup
d’auteurs à une forme de découragement (voir les
analyses de Bideaud, 1988).
L’enseignement principal que nous tirons de
ces études est que le développement opératoire
montre une singulière combinaison entre la
souplesse des parcours individuels, de l’idio-
syncrasie développementale (forte variabilité intra
et interindividuelle, changements intra-indivi-
duels dominés par la logique de la régression vers
la moyenne, pas de typologies de sujets
repérables par des facteurs de groupe dans les
Ă©preuves, etc.) et la robustesse des indicateurs de
complexité, attestée par la régularité des progrès
et les nombreux décalages systématiques. Il sem-
ble que chaque concept possède une profondeur
logique liée à un degré de complexité calculatoire
contraignant, qui ne prouve, certes pas, la validité
de la théorie de l’opération, mais cautionne
l’approche structuraliste, étant entendu que son
champ d’application doit être restreint au travail
de la prise de conscience et de la conceptua-
lisation et que personne ne songe plus Ă contester
le fait que l’enfant sache une infinité de choses
sur le monde en allant lire, de façon automatique
et non réfléchie, dans ses gènes, dans son langage,
dans les objets et dans les systèmes d’habitudes
culturelles. Nous ne nierons pas, par exemple, que
l’enfant possède une compétence innée pour
apprendre à parler, (nous n’en savons rien, peu
importe) mais nous pouvons nier beaucoup plus
facilement qu’il dispose d’une telle compétence
lorsqu’il comprend la grammaire, c’est-à -dire
lorsqu’il réorganise sa connaissance de la langue
sur un plan conscient et réfléchi.
Après ce rappel de quelques faits expérimentaux
et l’évidence de l’impossibilité de leur donner un
caractère décisif, nous aimerions engager la discus-
sion à propos du constructivisme endogène de la
connaissance, objet de vives critiques et pour lequel
aucun modèle satisfaisant n’a pu encore être proposé.
Nous essayerons de mettre ses faiblesses en lumière,
de montrer comment une partie de la psycho-
logie, sous prétexte de les dépasser, s’est en fait
attachée à de nouveaux objets d’étude relative-
ment insignifiants au regard du projet de Piaget. Il ne