Le Deuil traumatique

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Edwige SUTRE
Psychologue clinicienne
MEMOIRE DE FIN DE FORMATION EN
HYPNOSE ERICKSONIENNE
DE L'INSTITUT MILTON H. ERICKSON DU RHONE
LE DEUIL TRAUMATIQUE
Formateurs :
Mohammed EL FARRICHA
Françoise MONTANIER
Décembre 2014
Remerciements à :
- Marion, Chantal et Georges qui se reconnaîtront
- Mohammed El Farricha et Françoise Vanmuysen
qui, dans le cadre de cette formation, m'ont ouvert
les portes du monde de l'hypnose éricksonienne,
- aux différents membres du groupe de formation
pour leur bienveillance,
- à Mme K
TABLE DES MATIERES
Introduction
2
I- TRAUMATISME, PSYCHOTRAUMATISME ET ESPT
1- Le traumatisme
2- Le psychotraumatisme
3- L'ESPT
3-1 Epidémiologie
3-2 Facteurs prédictifs
3-3 Critères diagnostiques
3-4 Troubles comorbides
3
3
3
3
4
4
4
6
II- DEUIL TRAUMATIQUE
1- Le travail de deuil
2- Le deuil « normal »
3- Le deuil traumatique
3-1 Le concept de deuil traumatique
3-2 Les critères diagnostiques
3-3 Les facteurs de risque
3-4 De la qualité du lien
6
7
8
8
9
8
10
10
III- PSYCHOTHÉRAPIE, HYPNOSE ET TRAVAIL DE DEUIL
1- Le cadre
2- Anamnèse
3- Hypnothérapie
Les cinq premières séances
Sixième séance, objectif et script
11
11
12
13
13
14
CONCLUSION
19
ANNEXES
Evaluation pré et post thérapeutique, échelle IES
20
BIBLIOGRAPHIE
23
1
LE DEUIL TRAUMATIQUE
Le deuil jalonne le chemin de l'existence.
Le deuil nous renvoie à l'expérience de la perte, vécue par chaque sujet, dans sa singularité.
Une perte qui va prendre un sens tout particulier pour l'individu, en fonction de son histoire, des
circonstances de la survenue de la perte, des ressources dont dispose alors le sujet pour vivre cette
expérience.
Le deuil, souvent associé à la notion de décès, peut se rencontrer dans d'autres événements de la vie.
Ainsi, une séparation, un déménagement, la fin d'une activité professionnelle, sont-ils des moments,
comme tant d'autres, qui peuvent confronter l'individu à la perte.
Ces épisodes de la vie marquent un avant et un après. La qualité de cet après, son existence même
vont dépendre du travail de deuil, ce mouvement d'acceptation de la perte qui, peu à peu, va
permettre au sujet d'investir de nouveaux objets.
Dans cet écrit, il va être question d'une perte particulière, la perte de l'autre, le décès d'un être cher
et des spécificités du deuil traumatique.
Pour ce faire, nous aborderons dans un premier temps, les notions de traumatisme ,
psychotraumatisme, l'état de stress post-traumatique (ESPT) et ses critères diagnostiques.
Nous verrons ensuite en quoi consiste le travail de deuil et les répercussions sur la dynamique
psychique du sujet lorsque ce processus achoppe notamment dans le cas d'un deuil traumatique.
Enfin, nous présenterons le cas d'une patiente que nous avons accompagnée dans ce travail de deuil,
dans le cadre d'une psychothérapie, cadre pensé dans une articulation et une complémentarité entre
travail de type analytique et travail hypnotique.
2
I-TRAUMATISME, PSYCHOTRAUMATISME ET ESPT
1 – Le traumatisme
Un choc violent, une effraction et leurs répercussions sur l'ensemble de la dynamique
psychique du sujet, c'est ainsi que nous pourrions définir la situation traumatique.
J.Laplanche et JB.Pontalis (1992) évoquent le traumatisme comme étant « un événement de
la vie du sujet qui se définit par son intensité, l'incapacité où se trouve le sujet d'y répondre
adéquatement, le bouleversement et les effets pathogènes durables qu'il provoque dans
l'organisation psychique ».
Ainsi, la situation traumatogène aurait-elle pour effet de provoquer une peur, une détresse,
un effroi d'une intensité telle que ces éprouvés déborderaient la psyché du sujet provoquant une
effraction des défenses psychiques et le blocage de la secondarisation de la pensée.
C. Barrois (1998) décrit ce phénomène en termes d'existence qui « se trouve bouleversée par
l'intrusion de quelque chose d'impensable ».
Différentes classifications sont proposées.
C .Tarquinio et S. Montel (2014) reprennent la typologie proposée par Terr, différenciant deux
types de traumatismes.
Le type I désigne un événement traumatique limité dans sa temporalité, ayant un début et une fin.
Le type II est un traumatisme qui s'inscrit dans la durée, dans la répétition et qui fait vivre au sujet
un sentiment de menace permanente.
Un troisième type, ajouté par Solomon et Heide, le type III désigne des événements traumatiques
multiples, violents et s'inscrivant également dans la durée.
D'autres distinctions sont également proposées entre :
- traumatisme direct ou indirect (indirect du fait, par exemple, de relations entretenues avec une
personne ayant subi un traumatisme, d'avoir été témoin...)
-traumatisme simple ou complexe (complexe du fait notamment, de la répétition des événements
traumatiques survenus précocement dans l'existence du sujet...)
2- Le psychotraumatisme
Le psychotraumatisme est une expérience intime qui renvoie à la singularité du sujet. Un événement
prendra ou non une valeur traumatique en fonction, entre autres, de la résonance que cet épisode
peut avoir avec l'histoire du sujet, de la réalité interne de l'individu, de la qualité de la mobilisation
de ses défenses psychiques, de ses ressources au moment où l'événement se produit. Ainsi, une
même expérience peut-elle provoquer un débordement du psychisme pour un individu et avoir un
impact beaucoup plus restreint sur un autre ou bien encore, pour un même sujet, avoir un effet
traumatique à une période donnée de sa vie et non à une autre .
Cette dimension singulière du psychotraumatisme nous paraît centrale, notamment, dans notre
position d'écoute de la souffrance du sujet, dans l'accueil de ce vécu traumatique. Il s'agit, dès lors,
d'accueillir et de reconnaître ces vécus singuliers.
3
3- L' ESPT
3-1 Epidémiologie
La reconnaissance de cette singularité peut être enrichie par les éléments fournis par les
études épidémiologiques concernant l'état de stress post-traumatique (ESPT), études apportant ainsi
un autre éclairage sur la question du traumatisme.
L'ESPT se définit comme étant un trouble psychique apparaissant suite à l'exposition à un
événement traumatique et dont nous verrons, ultérieurement, les critères diagnostiques.
L'ESPT apparaîtrait comme étant significativement présent en population générale, avec une
prévalence double chez les femmes par rapport aux hommes.
Une étude SMPG (Santé mentale en population générale) menée par le Centre français de l'OMS
mettrait en évidence une prévalence de 0,9 % pour l'ESPT ( 0,6 % chez les hommes, 1,1 % chez les
femmes) avec une exposition à un épisode traumatique vie entière chez 30 % des sujets. (Vaiva G,
Jehel L, Ducrocq F et al, 2005).
Ainsi, l'ESPT, de par sa prévalence, ses conséquences sur la vie du sujet apparaîtrait comme une
préoccupation de santé publique.
3-2 Facteurs prédictifs
L'accompagnement des sujets ayant été exposés à un événement traumatique nécessiterait,
entre autres, une attention particulière portée sur la présence ou non de certaines particularités.
La présence d'une dissociation péritraumatique, d'une détresse péritraumatique et d'un trouble de
stress aigu pourrait constituer des « indicateurs » permettant d'identifier les individus présentant un
risque plus élevé d'une évolution vers un ESPT (Birmes P, Klein R, 2006).
- La dissociation péritraumatique renvoie à des expériences dissociatives caractérisées par une
distorsion de la perception du temps, de l'espace, par un état de déréalisation, de dépersonnalisation
transitoires, une amnésie partielle ou totale de l'événement. La dissociation prendrait un caractère
pathologique lorsqu'il deviendrait difficile pour le sujet de sortir de cet état.
- La détresse péritraumatique renvoie, quant à elle, au niveau d'anxiété et à l'intensité du sentiment
de peur, d'effroi et d'impuissance ressenti par le sujet durant la situation traumatique.
- Le trouble de stress aigu désigne une réaction aigue à un événement stressant, le stress
traumatique étant associé aux notions de répétition, d'évitement et d'engourdissement
émotionnel,d'hyper-réactivité.
La présence de ces réactions péritraumatriques peut contribuer à l'identification des sujets
susceptibles de développer un ESPT et de fait, ce qui est essentiel, permettre de penser et proposer
un accompagnement, un étayage plus adaptés à leurs besoins.
3-3 Critères diagnostiques de l'ESPT
L'ESPT pourra être diagnostiqué à partir d'un certain nombre de critères définis notamment
dans le DSMIV. Il nous paraît important de les présenter dans ce travail dans la mesure où ils
constituent un référentiel commun.
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Critères diagnostiques de l'ESPT dans le DSMIV- TR (F43.1) (licorne-formation.com)
« A . Le sujet a été exposé à un événement traumatique dans lequel les deux éléments suivants
étaient présents :
1- le sujet a vécu, a été témoin ou a été confronté à un événement ou à des événements
durant lesquels des individus ont pu mourir ou être très gravement blessés ou bien ont été menacés
de mort ou de grave blessure ou bien durant lesquels son intégrité physique ou celle d'autrui a pu
être menacée ;
2- La réaction du sujet à l'événement s'est traduite par une peur intense, un sentiment
d'impuissance ou d'horreur.
B. L'événement traumatique est constamment revécu, de l'une ( ou de plusieurs ) des façons
suivantes :
1- Souvenirs répétitifs et envahissants de l'événement provoquant un sentiment de détresse
et comprenant des images, des pensées ou des perceptions.
2- Rêves répétitifs de l'événement provoquant un sentiment de détresse
3- Impression ou agissements soudains « comme si » l'événement traumatique allait se
reproduire (incluant le sentiment de revivre l'événement, des illusions, des hallucinations et des
épisodes dissociatifs (flash-back)
4- Sentiment intense de détresse psychique lors de l'exposition à des indices internes ou
externes évoquant ou ressemblant à un aspect de l'événement traumatique en cause
5- Réactivité physiologique lors de l'exposition à des indices internes ou externes pouvant
évoquer ou ressembler à un aspect de l'événement traumatique en cause
C- Evitement persistant des stimulus associés au traumatisme et émoussement de la réactivité
générale (ne préexistant pas au traumatisme) comme en témoigne la présence d'au moins trois des
manifestations suivantes :
1- Efforts pour éviter les pensées, les sentiments ou les conversations associés au
traumatisme
2- Efforts pour éviter les activités, les endroits, ou les gens qui éveillent des souvenirs du
traumatisme
3- Incapacité de se rappeler un aspect important du traumatisme
4- Réduction nette de l'intérêt pour des activités importantes ou bien réduction de la
participation à ces mêmes activités.
5- Sentiment de détachement d'autrui ou bien de devenir étranger par rapport aux autres
6- Restriction des affects ( par exemple, incapacité à éprouver des sentiments tendres)
7- Sentiment d'avenir « bouché »
D- Présence de symptômes persistants traduisant une activation neurovégétative ( ne préexistant pas
au traumatisme) comme en témoignent deux des manifestations suivantes :
1- Difficulté d'endormissement ou sommeil interrompu
2- Irritabilité ou accès de colère
3- Difficulté de concentration
4- Hypervigilance
5- Réaction de sursaut exagérée
E- La perturbation ( symptômes des critères B, C et D) dure plus d'un mois.
F- La perturbation entraîne une souffrance cliniquement significative ou une altération du
fonctionnement social, professionnel ou dans d'autres domaines importants.
5
Spécifier si :
Aigu : si la durée des symptômes est de moins de trois mois
Chronique : si la durée des symptômes est de trois mois ou plus.
Survenue différée : si le début des symptômes survient au moins six mois après le facteur de
stress. »
3-4 Troubles comorbides.
La fréquence des manifestations comorbides serait particulièrement élevée. Selon T.Bigot
(Jehel L, Lopez G et al (2006), elles apparaitraient dans environ 80 % des cas. Il nous semble
d'autant plus important de les citer que, la massivité de ces manifestations serait telle, qu'elle
pourrait contribuer à retarder, dans certains cas, un diagnostic d'ESPT.
Les troubles comorbides associés sont :
- les troubles dépressifs avec notamment une perte d'intérêt, un retrait affectif, des troubles du
sommeil
- les troubles anxieux généralisés du fait d'une hyperactivation neurovégétative
- les troubles phobiques tels que l'agoraphobie, phobie sociale, phobie spécifique
- les troubles paniques avec attaques de panique
- les troubles liés à des conduites addictives ( abus d'alcool ou de toxiques).
Il est à noter qu'une période de latence peut exister entre le moment du traumatisme et
l'apparition des symptômes. C'est parfois, des années plus tard, lors d'un nouveau traumatisme que
la symptomatologie de l'ESPT , en lien avec le premier traumatisme, surgit.
Cette première approche nous a permis d'aborder la question du psychotraumatisme et celle
de l'ESPT dans leurs généralités.
Il va s'agir, dans cette seconde partie, de traiter des spécificités du deuil et plus précisément du deuil
traumatique.
II -LE DEUIL TRAUMATIQUE
Comme nous l'avons évoqué en introduction à ce travail, le deuil renvoie à la question de la
perte. Cette dernière va se retrouver, tout au long de l'existence, dans de multiples événements de la
vie qui auront un impact, une signification affective différents selon les individus. Nous pourrions
citer, pour exemple ,« la crise du milieu de vie » traitée par E.Jaques ( Kaes R et al, 1990) qui
amène le sujet à faire le deuil de son enfance, de son adolescence à jamais révolues. Chaque sujet
vivra ce processus de deuil de façon plus ou moins douloureuse, plus ou moins bruyante et les
conséquences affectives, psychologiques de cette période dépendront de la dynamique psychique de
chaque individu. Ainsi, l'expérience du deuil entre en résonance avec la singularité de chacun et
notamment la manière de vivre les pertes et les séparations.
Selon M.CARIOU (1995) « la capacité de la personne à effectuer le travail de deuil chaque fois
que cela s'avère nécessaire » serait un « élément clef d'un bon fonctionnement psychique ».
Si la perte est inhérente à l'existence, c'est d'une perte bien spécifique dont nous allons parler
à présent : la perte d'un être aimé.
6
« Je suis mécaniquement vivant, puisque mes doigts bougent et que mes yeux
clignent. Mais je suis rempli de vide. Comme si j'avais bu la tasse, qu'elle s'était fracassée dans ma
gorge et tordait tous les points sensibles de mon corps en épargnant les organes vitaux, histoire que
je reste là. Je vois bien les arbres plantés en rang à l'entrée du parking, secoués par le vent avec
leurs ombres tordues mais je n'entends rien. J'ai la sensation de rapetisser et de grandir en même
temps. De ne plus tenir dans mon propre corps. Je suis bien trop grand pour moi. C'est le vide qui
enfle... Le reste tremble. Ce n'est pas vraiment le froid, c'est cette nouvelle chose : le vide. »
(Malzieu M, 2005)
1- Le travail de deuil
Sidération, douleur, détresse...L'annonce de la mort d'un être cher est toujours un choc, une
rupture brutale.
Des bouleversements de la psyché sont engendrés par le décès d'un être aimé, du fait de
l'arrêt définitif des liens affectifs et de la « remise en cause de la place occupée psychiquement par
le disparu ». (Le Gouès G, 2000 )
Ce qui va permettre, peu à peu, à la personne endeuillée de reconnaître cette perte indéniable
de l'être aimé, de l'accepter avec ses conséquences, est le délicat et complexe travail du deuil. Ce
dernier va conduire, au rythme d' une évolution progressive, vers une réorganisation de la
dynamique psychique du sujet, vers de nouveaux aménagements internes. Il est question dans cette
période éprouvante, de grande fragilité, de trouver, pas à pas, un nouvel équilibre suite au
déséquilibre provoqué par la perte .
.
J.Laplanche et JB.Pontalis (1992) définissent le travail du deuil comme étant « un processus
intrapsychique, consécutif à la perte d'un objet d'attachement, et par lequel le sujet réussit
progressivement à se détacher de celui-ci ».
Ce processus mobilise en profondeur les ressources du sujet qui vit, dans un mouvement de va et
vient, ce détachement progressif.
Dans « Deuil et mélancolie » , Freud (2001) décrit en ces termes le travail du deuil :
«...l'épreuve de la réalité a montré que l'objet aimé n'existe plus et elle somme alors l'endeuillé de
soustraire toute sa libido de ses attachements à cet objet. Contre cela s'élève une résistance
naturelle... Cette résistance peut être si vive que l'endeuillé se détourne de la réalité et s'accroche à
l'objet par une psychose hallucinatoire de désir. Normalement, le respect de la réalité finit par
triompher. Mais sa mission ne peut être remplie sur le champ. Elle sera seulement accomplie en
détail, par une grande dépense de temps et d'énergie d'investissement, et entre temps l'existence de
l'objet perdu est conservé dans le psychisme...jusqu'à ce que la libido se détache de lui... le fait est
qu'au terme du travail du deuil, le moi sera à nouveau libre... ».
Le travail de deuil consiste ainsi, par le désinvestissement progressif de l'objet perdu et le
renoncement à cet objet, à dénouer, un à un, par un travail répété,douloureux, les liens qui relient la
personne endeuillée au défunt pour permettre que de nouveaux liens se tissent.
Le travail de deuil serait un processus essentiel car permettant « de maintenir en vie l'appareil
psychique » (Bianchi H, 1987)
« Le but du jeu pour moi, c'est de rester vivant malgré la mort » ( Malzieu M, 2005)
7
2- Le deuil « normal »
Le deuil apparaît comme une réaction à la perte. Concernant la perte d'une personne
significative, le travail de deuil va être teinté, notamment, de la nature, de la qualité du lien qui
unissait la personne endeuillée à la personne décédée, de sa manière de vivre les séparations et les
pertes, de sa dynamique psychique, des circonstances du décès. Bien que chaque deuil soit
singulier, le processus de deuil dit « normal » peut être décrit en trois phases ( Tarquinio C, Montel
S, 2014) : une phase de détresse, une phase dite de dépression et une phase d'adaptation et
d'acceptation.
La première phase également désignée sous les termes « phase d'impact ou d'hébétude » correspond
au moment de l'annonce du décès et à la période qui lui succède directement. La rupture brutale
provoquée par l'annonce engendre un déni, un refus de la réalité tant elle paraît insupportable,
inacceptable, impensable. Pendant quelques heures voire quelques jours, la personne endeuillée va
être comme anesthésiée,dans la quête de la personne disparue, dans la colère et les larmes.
La seconde phase apparaît comme étant la phase centrale du deuil appelée également phase de
dépression ou de repli. Elle se caractérise par l'apparition d'un état dépressif qui est la conséquence
de la confrontation à la réalité de la perte.
La dernière phase correspond à la fin du travail de deuil et se traduit par une adaptation à cette
réalité et une acceptation de la perte. La personne endeuillée est alors en mesure d'investir de
nouveaux objets, se sent de nouveau dans la vie, dans la légitimité et « la reconnaissance de la
possibilité de profiter de la vie » ( Bacque, MF. , Hanus,M., 2003)
La dernière étape de ce complexe et douloureux travail de deuil est marquée, par ce qui
pouvait paraître inenvisageable au moment de la perte : cette nouvelle ouverture au monde, à la vie,
au désir, d'un être profondément transformé par cet épisode de son existence.
« On ne maîtrise pas son horloge biologique interne. En l'occurrence celle du deuil. Elle
avait voulu mourir, elle avait tenté de respirer, elle avait réussi à respirer, puis à manger, elle avait
même réussi à reprendre son travail, à sourire, à être forte, à être sociable et féminine, et puis le
temps avait passé avec cette énergie boiteuse de la reconstruction, jusqu'au jour où elle était sortie
dans ce bar, mais elle avait fui..., le lendemain pourtant, elle s'était mise à marcher sur la moquette,
comme ça, une pulsion volée à l'incertitude, elle avait ressenti son corps comme un objet de désir,
ses formes et ses hanches, et elle avait même regretté de ne pas pouvoir entendre le bruit des talons
aiguilles, tout cela avait été subit, la naissance sans annonce d'une sensation, d'une force
lumineuse. » ( Foenkinos D, 2009)
Mais ce processus d'élaboration de la perte peut parfois être entravé, achopper et conduire,
notamment, au deuil traumatique.
3- Le deuil traumatique
Le deuil traumatique concernerait, selon L.Crocq, ( 1997) 20 % des personnes endeuillées.
Les facteurs de comorbidité sont importants avec un risque élevé de troubles somatiques ( conduites
addictives, cancer, troubles cardiaques, suicide).
8
3-1 Le concept de deuil traumatique
La différenciation, bien délicate, entre le « normal » et le pathologique dans un un processus
aussi singulier qu'est le travail de deuil s'étaie, entre autres, sur la notion de durée et celle de
massivité des symptômes. Ainsi, les troubles présents dans le processus de deuil « normal » vont-ils
prendre une valeur pathologique s'ils empêchent durablement le sujet de réinvestir sa vie (Mormont
C, 2009 ).
Le concept de deuil traumatique est précédé de celui de deuil compliqué. Ce dernier est
proposé en 1995 par H.G Prigerson afin de rendre compte des complications du travail
d'élaboration de la perte, de la non résolution des symptômes du deuil. Si Horowitz et son équipe
choisissent de continuer à développer ce concept, H.G Prigerson propose, quant à elle, le concept de
deuil traumatique en 1997.
C. Tarquinio et S.Montel (2014) reprennent l'étude comparative entre ces deux modèles
diagnostiques effectuée par Forstmeier et Maercker.
La recherche du défunt, l'incrédulité, l'hébétude, le sentiment de vide apparaissent dans les deux
modèles.
Les principales différences concernent :
- le comportement d'évitement essentiel dans le tableau clinique du deuil compliqué est enlevé de
celui du deuil traumatique pour privilégier la détresse traumatique et la recherche du défunt.
- les perturbations dans les relations sociales sont incluses dans l'évitement pour le deuil compliqué
alors que ces mêmes perturbations constituent un critère décisif pour le deuil traumatique.
- les troubles doivent persister au moins 14 mois après le décès pour que soit diagnostiqué un deuil
compliqué alors que le deuil traumatique pourra être reconnu à partir de 6 mois après la perte.
C.Mormont( 2009) évoque en ces termes la complexité des enjeux lorsque deuil et
traumatisme sont liés : « La perte de l'être cher peut survenir dans des conditions traumatisantes ou
être en soi traumatisante si bien que l'état de deuil et l'état traumatique s'enchevêtrent... les deux
états se distinguent pourtant par leur orientation opposée : le deuil tend vers le détachement alors
que le traumatisme contraint à l'attachement ( répétition de la scène traumatique). Dans l'économie
du deuil, ces deux mouvements se contrarient et peuvent compliquer le dépassement de la
douleur. »
3-2 Les critères diagnostiques
M Grappe (Jehel L, Lopez G, 2006) reprend les critères diagnostiques proposés par H.G
Prigerson et retenus pour le DSM-V :
« A. Expérience de la mort d'un autre
B. Trois des quatre symptômes (une fois ou parfois)
1- Pensées intrusives concernant le défunt
2- Nostalgie pour le défunt (yearning)
3- Comportement de recherche du défunt
4- Sentiment de solitude résultant du décès
C. Quatre des huit symptômes suivants :
1- Perte de projets, sentiment de futilité (futur)
2- Hébétude, détachement, a-réactivité
3- Difficulté à reconnaître le décès
4- Sentiment de vide et vie sans signification
9
5- Sentiment qu'une partie de soi est vide
6- Monde disloqué ( perte de sécurité, de confiance ou de contrôle)
7- Présente les symptômes ou les comportements de la personne décédée
8- Irritabilité, amertume ou colère excessive concernant le décès
D. Durée du trouble : au moins deux mois
E. Handicap et dysfonctionnement »
Les critères diagnostiques du tableau clinique du deuil traumatique s'organisent en deux
types de troubles.
Le sentiment d'incrédulité, l'irritabilité, l'amertume, le sentiment de vide, le perte de sécurité
renverraient à la détresse traumatique.
Les pensées intrusives concernant le défunt, sa recherche, le sentiment de solitude concerneraient la
détresse de séparation, le deuil provoquant alors un traumatisme, celui de la séparation.
3-3 Les facteurs de risque
L'expérience de la perte d'un être cher est toujours douloureuse. Cependant, un certain
nombre d'études ont cherché à mettre en évidence les conditions pouvant contribuer au
développement d'un deuil traumatique.Ainsi :
- la nature du lien avec le défunt peut jouer un rôle considérable. Le décès d'un membre de la
famille (enfant, conjoint, parent) constitue un facteur de risque important d'évolution vers un deuil
traumatique. De même, le caractère conflictuel, ambivalent de la relation peut agir dans le même
sens.
- la brutalité de la perte, son côté inattendu, les décès par suicide, homicide ou causés par un
attentat, une catastrophe naturelle peuvent également entraver le travail de deuil.
- l'annonce du décès est aussi un moment essentiel et délicat. Une annonce brutale peut avoir des
effets délétères sur le processus de deuil.
- des particularités propres à la personne endeuillée sont également importantes : l'âge ( les troubles
anxieux, dépressifs et somatiques se retrouvant plus chez les jeunes sujets), le sexe (le veuvage
apparaissant plus complexe chez les hommes âgés que chez les femmes du même âge), les
antécédents dépressifs, la présence de deuils répétés. De même, le fait que la personne endeuillée
s'inscrive dans la relation à l'autre caractérisée par la présence d'une importante angoisse de perte ou
d'abandon, peut complexifier le travail de deuil.
- un entourage, un environnement social peu étayants peuvent également constituer un facteur de
risque.
3-4 De la qualité du lien
Dans le contexte d'une mort « douce », d'un décès « prévisible » du fait de la présence d'une
maladie, par exemple, les modalités d'attachement de la personne endeuillée pourraient apparaître
comme étant un facteur déterminant dans déroulement du travail de deuil, « le noyau du deuil
traumatique » étant un « traumatisme de séparation » comme l'explique M.GRAPPE ( Jehel L,
Lopez G, 2006)
Pour reprendre la théorie de J.Bowlby sur l'attachement (2002), l'enfant se construit par le biais
des liens d'attachement qu'il vit avec les personnes significatives de son entourage. Cet attachement
10
favorise le développement d' un sentiment de sécurité, de protection. Ainsi, un parent suffisamment
bon, disponible permet à l'enfant de se construire une « base de sécurité ». En s'étayant sur cette
dernière, l'enfant diversifiera peu à peu ses figures d'attachement et s'ouvrira au monde.
C'est sur le type d'attachement mis en place durant l'enfance que l'organisation ultérieure du
psychisme va s'étayer et que les modalités de la relation objectale vont s'organiser. Ainsi, pour le
sujet ayant vécu ses relations précoces dans un mode d'attachement anxieux, insécure, la relation à
l'autre serait teintée d' un sentiment d'insécurité, d' anxiété et d'une profonde angoisse de perte ou
d'abandon. Cette modalité d'attachements fragiles complexifierait notamment les situations de perte
et de séparation rencontrées par le sujet au cours de son existence . Les angoisses inhérentes à ce
type de lien seraient, dès lors, mobilisées de façon massive lors de la confrontation à la perte réelle,
indéniable, au moment du décès de la personne aimée et pourraient conduire à l'émergence d'un
deuil traumatique.
Selon M.GRAPPE ( Jehel L, Lopez G et al ,2006), « le mot « traumatique » réfère dans la
nouvelle terminologie à la phénoménologie des troubles et non à l'étiologie, ainsi les troubles
peuvent se voir même dans l'absence d'une mort objectivement traumatique ». Il nous parait
important d'attirer l'attention sur cette particularité du deuil traumatique qui peut survenir,
notamment, à la suite d'une perte « annoncée ». La violence de la perte n'est pas toujours là où nous
pourrions l'imaginer. Il s'agit, là encore, d'être attentif à la souffrance du sujet, d'accueillir son vécu
dans toute sa subjectivité afin de lui proposer un étayage adéquat..
L'un des objectifs de cet accompagnement sera de transformer cette perte, éprouvée dans un
premier temps comme impensable, en un « souvenir réintégrable dans le stock des souvenirs »
(Barrois C, 1998 ).
« Tu dois réapprendre à te souvenir sans te laisser bloquer par la peur » (Malzieu M, 2005)
L'accompagnement d'une personne dans le travail de deuil est l'objet de la dernière partie de
cet écrit.
III - PSYCHOTHÉRAPIE, HYPNOSE ET TRAVAIL DE DEUIL
1- Le cadre
Le cadre proposé pour cet accompagnement a été pensé dans une articulation entre la
psychothérapie d'orientation analytique et l'hypnose éricksonienne. La complémentarité de ces deux
approches enrichit, de notre point de vue, la pratique du psychologue clinicien et de ce fait, le cadre
et l' étayage thérapeutiques proposés aux patients.
L'hypnose apparaît alors comme un moyen de travailler avec l'inconscient lequel est considéré par
M.H Erickson comme « une source vitale positive, alliée de l'individu et dépositaire des ressources
et des expériences... » (Halley J, 2007). Tout en tenant compte de la complexité du fonctionnement
inconscient, il est question d'accompagner la partie inconsciente du sujet et de le guider, par le
biais de l'état de conscience modifié, provoqué par la transe hypnotique, vers « ses ressources
intérieures, ressources stockées dans ses aptitudes latentes, sa mémoire consciente et inconsciente,
ses facultés inexploitées d 'apprentissage » (Salem G et al, 2012).
Ainsi, l'articulation du travail clinique et du travail hypnotique nous paraît-elle riche de créativité.
C'est donc à la fois dans un travail d'élaboration de certains enjeux de sa dynamique psychique mais
également dans une reconnaissance, une rencontre avec ses ressources, aptitudes et compétences
que nous avons accompagné Mme K.
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2- Anamnèse
Mme K vient consulter suite à une attaque de panique.La cinquantaine, mariée, mère de trois
enfants, Mme K se décrit comme étant « une femme plutôt épanouie, dans sa vie privée comme
dans sa vie professionnelle ». Elle évoque la difficulté qu'a représenté pour elle la prise de rendezvous chez un « psy », ayant toujours eu l'habitude de « faire face, seule, aux événements de la vie ».
Elle précise cependant que certains de ses proches ont pu, à différentes reprises, aborder le sujet
avec elle. C'est notamment à l'occasion de « réactions assez vives » concernant la mort de son père,
décédé une quinzaine d'années auparavant, que son entourage a pu évoquer cette éventualité d' « un
rendez-vous avec un professionnel ». Mme K reconnaît que « peut-être, effectivement, cela aurait
pu l'aider au moment de la disparition de son père mais que ce n'est pas pour cela qu'elle vient
aujourd'hui ».
Mme K explique que tout allait bien dans sa vie jusqu'à ce jour, où, un mois auparavant, au cours
d'un repas avec des amies au restaurant, elle a été « prise d'une véritable crise de panique ». Sueur,
nausée, maux de ventre, diarrhées, palpitations, sensations d'étouffement étaient d'une telle intensité
qu'elle avait dû sortir « en catastrophe » pour rentrer chez elle. Elle vit depuis dans la constante
angoisse de la survenue d'une nouvelle crise. Le moindre signe physique pouvant lui rappeler ce
moment est immédiatement interprété comme le début d'une attaque de panique. Elle éprouve de
plus en plus de difficultés à prendre sa voiture, ne supporte plus de se retrouver à l'extérieur, dans
les magasins, refuse régulièrement les invitations. Elle dit ne « pas supporter cet état dans lequel
elle ne se reconnaît pas, elle qui a toujours su tout gérer dans sa vie » Elle se sent « constamment
angoissée, coincée, démunie, impuissante et n'en peut plus».
C'est dans un flot de paroles ininterrompu, presque une urgence, que Mme K dépose sa souffrance.
Dès ce premier rendez-vous, l'hypnose éricksonienne nous apparaît comme étant un outil intéressant
pour permettre ,dans un premier temps, à Mme K de retrouver un certain calme, un certain
apaisement en elle.
Très rapidement au cours des rendez-vous suivants, des éléments cliniques attireront notre attention
et nous conduirons à penser la problématique de Mme K sous l'angle du deuil traumatique (avec un
traumatisme de type I). Parmi ces éléments, nous distinguerons :
+ ceux, présents depuis un certain nombre d'années :
- une hypervigilance anxieuse centrée sur ses enfants
- l'émergence d'un profond désarroi à l'évocation du père avec des conduites d'évitement
- des plaintes somatiques (et plus précisément une dorsalgie, symptôme du père)
- une amnésie partielle concernant le décès du père
+ ceux, apparus récemment :
- des troubles panique
- la présence de troubles phobiques notamment l'agoraphobie
- des débordements émotionnels, une humeur fluctuante
- une diminution des intérêts, perte de projet
- une hypervigilance anxieuse généralisée
- une perte de sécurité, de contrôle
- des pensées intrusives concernant le père
- un sentiment de solitude lié au décès
- un sentiment de vide en soi lié à l'absence du père.
Bien qu' « elle ne soit pas venue pour cela », Mme K évoquera, systématiquement, dans les larmes,
la profonde tristesse provoquée par la mort de son père, avec lequel elle avait une « relation très
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fusionnelle ». Elle parlera notamment de la durée de la maladie, de sa présence assidue au chevet de
son père, de la sidération ressentie au cours de l'appel téléphonique lui annonçant le décès, de la
« terrible peine éprouvée parce qu'elle n'avait pas été auprès de lui, au moment où s'était arrivé ».
Elle racontera en détail la mise en bière, le choc de la rencontre avec la mort en présence de ce
corps sans vie. Et puis le vide, l'amnésie, l'absence de souvenir de la cérémonie, de l'enterrement,
des heures qui ont suivi.
Quinze années s'étaient écoulées et il lui semblait, ressentir aussi vivement, si ce n'était plus, la
douleur de cette perte. Comme si « tout s'était réactivé »... après une période où le traumatisme du
décès du père serait resté silencieux. C'est au cours de l'une de ces séances qu'il nous a semblé
pouvoir « identifier » le second événement ayant pu mettre fin à cette phase de latence : la veille de
son déjeuner avec ses amies, Mme K avait « eu très peur pour sa mère qui avait fait un malaise ».
Ce malaise s'était avéré sans gravité mais l'angoisse, la frayeur éprouvées par Mme K, sur le
moment, avait été d'une extrême intensité. Ainsi, pouvons-nous faire l'hypothèse que la peur de la
perte de la mère soit venue remobiliser, de façon massive, la perte du père et ses contenus
traumatiques.
C'est dans une attention portée à la souffrance liée, à la fois, à l'intensité des troubles anxieux et à
celle du deuil de son père que nous avons accompagné Mme K. Bien que notre cadre ait été pensé
dans la complémentarité du travail analytique et du travail hypnotique, c'est de la dynamique de
l'hypnothérapie dont il sera question dans cet écrit..
Comme nous l'avons évoqué précédemment, l'hypnose éricksonienne nous est apparue, dès le
premier entretien, comme étant un outil pertinent pour permettre à Mme K de retrouver un certain
apaisement.Notre première démarche a été de prendre le temps de lui expliquer les principes de
l'hypnose éricksonienne, les phénomènes hypnotiques afin notamment de favoriser un climat de
confiance, de sécurité et l'instauration d'une alliance thérapeutique. Un autre objectif était de
permettre à Mme K de se sentir totalement actrice du processus et de lui « restituer...(ou lui faire
expérimenter) sa propre capacité de changer, son propre potentiel évolutif » (Salem G et al, 2012 ),
tout en se sentant accompagnée dans cette dynamique.
3- Hypnothérapie
Première séance
La première séance d'hypnose proposée à Mme K a été pensée autour de l'accompagnement dans un
bon souvenir. Il s'agissait alors de lui permettre de faire l'expérience d'un décentrage par rapport à sa
souffrance en retrouvant les sensations, perceptions, émotions agréables en lien avec ce moment. Il
était de même question de lui permettre d'expérimenter que, ce bon souvenir, comme d'autres,
constituaient des ressources internes qu'il lui était possible de mobiliser pour trouver un apaisement
en elle. Tel était le premier pas vers l'apprentissage et l'ouverture au changement, favorisé par la
transe hypnotique...
Deuxième séance
Le lieu de sécurité a été l'axe de la seconde séance d'hypnose. Nous avons alors proposé à Mme K
d'aller à la rencontre ou de construire ce lieu lui permettant de renforcer les sensations, tranquilles,
apaisantes, liées au sentiment de sécurité. Il nous semblait en effet important que Mme K puisse
disposer de cet outil par rapport à la massivité de ses troubles anxieux mais également pour rendre
plus sécure encore le cadre de l 'hypnothérapie notamment en cas d'abréactions importantes.
Troisième séance
Après avoir vérifié le bon fonctionnement du signaling mis en place la fois précédente, nous avons
accompagné Mme K, au cours de la troisième séance, avec la technique du poing serré de STEIN ;
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technique permettant de mobiliser les ressources internes du patient, de les conditionner afin de les
rendre disponibles en cas de besoin. Il s'agissait alors de travailler sur le renforcement du moi et de
permettre à Mme K d'apprendre une méthode « pour modifier des états émotionnels
problématiques » ( Corydon Hammond, Ph.D. 2004).
Quatrième séance
L'objectif de la quatrième séance était de renforcer le processus de changement et les capacités de
Mme K à le mettre en oeuvre. Pour ce faire, nous lui avons proposé de revenir sur des expériences
ayant engendré un certain inconfort, lequel aurait « disparu », pour donner place à un vécu plus
confortable, suite à la mise en place, la survenue d'un changement. La seconde étape de cette séance
consistait à accompagner Mme K dans une progression dans le temps pour découvrir tous les
changements positifs opérés et la disparition de ses symptômes et ceci afin de favoriser un
recadrage positif de l'avenir .
Cinquième séance
Pour la cinquième séance d'hypnose, nous nous sommes inspirés de la technique du ballon rouge de
Corydon Hammon, Ph.D. (2004). L'objectif était de permettre à Mme K de procéder à une forme
d'état des lieux est de « bonifier » toutes les expériences, émotions, pensées constituant des
ressources pour elle, de conserver, le temps nécessaire,celles qui pouvaient encore nécessiter d'être
« traitées » et de se libérer de celles qu'il n'était pas ou plus utile de garder en l'état (le magnifique
ballon gonflé à l'hélium et sa nacelle les emportant dans son envol paisible, serein).
Sixième séance
C'est au cours du sixième rendez-vous que nous avons proposé à Mme K de l'accompagner d'une
façon plus spécifique dans son travail de deuil ; séance dont nous allons présenter le script et le
déroulement.
Il nous semblait en effet que les séances précédentes avaient favorisé un renforcement du moi, de la
confiance de Mme K en ses ressources et compétences internes ainsi que de l'alliance thérapeutique.
Ces différents éléments, les suggestions post-hypnotiques d'auto hypnose, faites à chacune des
séances et un apaisement significatif de l'anxiété, nous semblaient constituer un étayage sur lequel
la suite du travail allait pouvoir s'appuyer.
Cette proposition fut accueillie par Mme K dans une certaine ambivalence. Elle ressentait à la fois
le besoin d'apaiser sa souffrance et la nécessité de la maintenir, dans une forme de loyauté à l'égard
de son père. Ainsi, Mme K semblait-elle aux prises avec cette ambivalence du deuil dans lequel se
retrouverait « ...une puissance contradictoire, une puissance absolue qui propulse tout autant vers
la nécessité du changement que vers la tentation...à la fidélité au passé. » (Foenkinos D, 2009).
Il suffit alors de dire à Mme K qu'elle n'irait que là où ce serait bénéfique pour elle pour qu'elle
exprime son désir de faire ce travail et s'installe confortablement dans le fauteuil pour démarrer la
séance d'hypnose.
L'objectif de cette séance fut présenté à Mme K. : lui permettre de continuer sur le chemin de sa
propre vie en laissant partir son père. Il s'agissait dès lors de l'accompagner dans une « dernière »
rencontre avec celui ci. Pour ce faire, il nous paraissait essentiel de nous étayer sur le signaling,
d'être particulièrement attentifs aux abréactions. Sur le plan corporel, l'axe de cette séance centrée
sur le deuil, était constitué par une attention portée à la respiration, aux poumons, Mme K
évoquant souvent une sensation d'étouffement, de pression au niveau de sa cage thoracique.
Après avoir mis en place l'amnésie structurée :
« - Qu'allez-vous faire après cette séance ?
- Je vais chercher mon fils à l'école »,
la séance se déroula de la manière suivante :
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« - Maintenant que vous êtes confortablement installée dans ce fauteuil, vous allez, tranquillement,
prendre le temps de vous concentrer sur votre respiration.
Mme K ferme alors les yeux et prend une profonde respiration
- Et, à présent, que vos yeux se sont fermés, votre inconscient va pouvoir aller à l'intérieur de vous,
plus profondément, pendant que vous continuez, paisiblement, à vous concentrer sur les
mouvements de votre cage thoracique, sur la circulation de l'air dans vos poumons.
Mouvements des paupières
- Et peut-être avez-vous remarqué les mouvements de vos paupières qui montrent que votre
inconscient s'est déjà mis au travail pour vous ?
- Et, au fur et à mesure que vous sentez cet air entrer et sortir de vos poumons, peu à peu, une
détente va s'installer à l'intérieur de votre corps, dans chacune des parties de votre corps.
- Oui, c'est bien, c'est très bien .
Respiration qui se fait plus ample
-Avez-vous senti les changements dans votre respiration qui se fait plus ample ?
- Et tranquillement, au rythme de vos inspirations et expirations, profondes, chacune des cellules de
votre corps va ressentir le calme, la sérénité.
- Et quand vous ressentirez ce calme, à l'intérieur de vous, votre index droit me le signalera en se
soulevant, sans même que vous ayiez besoin de vous en occuper.
Signaling index droit
- C'est bien, continuez.
- Et je me demande si votre inconscient est d'accord pour faire ce travail pour vous.
Signaling index droit
- C'est très bien
- Et quand il sera prêt à vous aider, pour vous permettre de continuer à avancer sereinement sur le
chemin de votre vie, il me le signalera.
Signaling index droit
- Oui, c'est très bien.
Mouvements des muscles du visage
- Avez-vous ressenti les mouvements des muscles de votre visage qui sont le signe que votre
inconscient se mobilise, là, pleinement pour vous ?
- Et maintenant que votre inconscient a montré qu'il était prêt à vous aider, qu'il était là pour faire
quelque chose d'important pour vous, vous pouvez l'autoriser, lui permettre de commencer ce
formidable travail que vous attendez depuis longtemps.
- N'est ce pas qu'il va faire quelque chose d'important pour vous, pour votre vie et ceci de la façon la
plus confortable, la plus sécurisante pour vous ?
Signaling index droit
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- C'est très bien, continuez
- Et il vous suffit de prendre le temps d'accueillir à votre rythme ce magnifique travail, tout en
continuant à sentir cet air, bénéfique, dans vos poumons, l'apaisante détente que vous procure votre
respiration, tranquille.
Début de lévitation de la main droite
- Remarquez-vous les mouvements de votre main droite qui se soulève ?
- Et au fur et à mesure que votre main se soulève, vous pouvez ressentir cette sensation de légèreté
se répandre à l'intérieur de vous, pendant que votre inconscient vous aide à trouver, à l'intérieur de
vous, toutes les ressources qui sont nécessaires à votre bien être.
C'est très bien, continuez.
- Et votre inconscient est en train de faire cet important et formidable travail pour vous. Ce travail
que vous attendez depuis longtemps pour vous permettre de laisser partir en paix votre père et vous
permettre de continuer à avancer sur le chemin de votre vie, apaisée.
Mouvements des jambes
- Et toutes les sensations que vous pouvez ressentir dans votre corps, au niveau de vos jambes, de
vos mains ou de toutes autres parties de votre corps, toutes ces sensations sont là pour vous montrer
à quel point votre inconscient est là, à vous aider.
- C'est bien, c'est très bien.
- Et pendant que vous êtes confortablement installée dans ce fauteuil, votre inconscient trouve,
retrouve vos ressources, compétences, richesses qui vous sont utiles pour laisser partir votre père en
paix.
- Car, c'est comme si votre père était là, aujourd'hui, parce que vous ne l'avez jamais vraiment
laissé partir.
- N'est ce pas que votre père est là ?
Signaling index droit
- Et qu'aimeriez-vous qu'il vous dise ?
- Et qu'aimeriez-vous dire à votre père ?
Abréactions : sanglots, pleurs
- Et il est bon que vous ressentiez toutes les émotions qui viennent, que vous vous autorisiez à vivre
ces émotions qui sont les bienvenues. Car votre corps en sentira un grand soulagement et votre
inconscient vous aidera à ressentir pleinement ce soulagement.
- Et pendant que votre inconscient trouve le meilleur état hypnotique pour vous aider, vous pouvez
prendre le temps de sentir l'air qui entre et sort, librement, de vos poumons, les mouvements et la
légèreté de votre main droite.
- Et votre inconscient vous aide à découvrir à l'intérieur de vous, de la façon la plus confortable
pour vous, ces mots, ces paroles, ces émotions que vous aimeriez, là, maintenant, partager avec
votre père pour le laisser partir en paix et vous permettre de continuer à construire et vivre votre vie.
Larmes silencieuses
- Et vous avez juste à accueillir, à votre rythme, toutes les émotions qui viennent car votre
inconscient sait ce qui est bon pour vous.
- Et vous savez que si vous en ressentez le besoin, votre conscience peut aller dans votre lieu sécure,
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ce lieu dans lequel vous vous sentez parfaitement calme, apaisée, tout en laissant votre inconscient
continuer ce magnifique travail.
- Oui, c'est bien, c'est très bien.
- N'est ce pas que votre inconscient est en train de faire quelque chose d'important pour vous, pour
votre vie ?
Signaling index droit
C'est très bien. Continuez
Respiration plus ample
- Peut-être avez-vous remarqué votre respiration qui se fait plus ample ?
- Et vous pouvez sentir cet air qui purifie votre corps et lui apporte ce dont il a besoin. Sentir cet air
si bénéfique, pendant que votre inconscient poursuit, pas à pas, ce travail pour vous et vous permet
d'accueillir ces mots que vous aimeriez que votre père vous dise vraiment pour votre vie.
- Oui, c'est bien, c'est très bien. Continuez
- Et quand votre inconscient aura trouvé en vous toutes les ressources qui vont vous permettre de
dire adieu à votre père, il me le signalera.
Signaling index droit
- C'est très bien.
- Et maintenant, vous allez demander à votre père de vous aider à lui dire adieu pour qu'il puisse
partir en paix et que vous puissiez avancer, apaisée, sur le chemin votre vie.
Pleurs
- Et toutes les émotions qui viennent sont importantes et bonnes à accueillir car votre inconscient,
ce magnifique allié sur lequel vous pouvez vraiment compter est là, pour vous aider.
- Et il y a d'autres personnes sur cette terre qui vont vous apporter beaucoup de choses, des
personnes qui sont autour de vous et qui vous aime.
Profondes inspirations, diminution progressive des pleurs.
- Peut-être ressentez-vous l'air pénétrer plus profondément dans vos poumons ?
- Et chacune de vos respirations vous permet, progressivement, de vous sentir à chaque fois plus
fière de ce magnifique travail qui se fait à l'intérieur de vous. Fière de la formidable équipe que
vous formez avec votre inconscient, pour votre bien être.
- C'est très bien, continuez
-Et quand votre inconscient aura trouvé, retrouvé en vous toutes les ressources physiologiques,
psychologiques, relationnelles pour vous permettre de continuer sur le chemin de votre vie, apaisée,
il me le signalera.
Signaling index droit, respiration détendue
-C'est bien, c'est très bien.
- Et pendant que vous sentez cet air, bénéfique, circuler, paisiblement, dans vos poumons, apportant
à votre corps ce dont il a besoin, votre inconscient vous aide à garder de cette séance ce qu'il vous
est utile et bon de garder.
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- Et chacune de vos respirations apporte progressivement le calme à chacune des cellules de votre
corps. Et quand le calme, l'apaisement seront à l'intérieur de vous, votre inconscient me le
signalera.
Signaling index droit
- C'est bien, c'est très bien.
- Et quand votre inconscient se sera mis d'accord avec votre conscience pour continuer ce travail à
l'intérieur de vous, dans les heures, les jours, les semaines qui viennent, sans même que vous ayiez
besoin de vous en occuper et de la façon la plus confortable, la plus sécurisante pour vous, il me le
signalera. Et, votre main droite retrouvera sa place initiale.
Signaling index droit, main droite redescendant progressivement sur la cuisse.
- C'est très bien. Continuez
- Et quand ce sera le moment pour vous, vous pourrez prendre une profonde respiration, ouvrir les
yeux et revenir ici et maintenant, dans votre état d'éveil total, tout en vous sentant calme et
sereine. »
Ouverture des yeux, mouvements des mains sur le visage.
Amnésie structurée
« - Qu'allez-vous faire après cette séance ?
- Je vais chercher mon fils à l'école. »
Séances suivantes
L'objectif des séances suivantes a été de renforcer le processus de changement, changement que
Mme K évoquait, avec plaisir.
C'est notamment quelques semaines après cette séance de « dernière » rencontre avec son père que
Mme K parla de l'étonnement qu'elle avait ressenti en constatant que certaines images de la
cérémonie et de l'enterrement lui revenaient, peu à peu, dans une certaine tristesse et non dans le
désespoir comme elle le craignait. Elle annonça, lors d'une autre séance, qu'elle pouvait désormais
regarder les photographies de son père et relater des souvenirs dans une « douce nostalgie ».
Elle sentait, en elle, le désir et le droit d'être heureuse dans sa vie.
L'accompagnement de Mme K, dans ce travail de deuil, appartient à l'un de ces moments
qui ont marqué notre pratique professionnelle.
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CONCLUSION
Le deuil, cette expérience douloureuse de la perte, provoque une rupture brutale dans
l'existence de la personne endeuillée. Pour que cette rupture ne se transforme pas en « cassure », le
travail de deuil est nécessaire. Ce processus mobilise alors, de façon massive et en profondeur, les
ressources internes du sujet qui, dans un mouvement de va et vient, va avancer dans cette
élaboration de la perte. Au terme de ce travail de deuil, le sujet peut se réinscrire dans sa vie, dans
une forme de continuité entre l'avant et l'après marqués par la perte de la personne décédée.
Du fait des certaines circonstances traumatiques ou parce que la perte d'un être cher peut,
par elle-même, être traumatique, le travail de deuil peut achopper. La personne endeuillée se trouve
alors dans une atemporalité, comme figée dans la brutalité du choc provoquée par le décès de l'être
aimé. Ainsi, le deuil traumatique se définit-il par l'inscription dans la durée des troubles présents
dans le processus de deuil « normal », empêchant durablement le sujet de réinvestir son existence.
Proposer alors un accompagnement vise à proposer à la personne endeuillée de s'inscrire
dans la dynamique, le processus, du travail de deuil pour lui permettre de se réouvrir à la vie.
Dynamique, processus, ces termes sont choisis à dessein afin de mettre en exergue, ce que nous
pourrions appeler, « le vivant » du travail de deuil.
L'hypnose éricksonienne nous a permis de trouver, de vivre, une autre manière d'être auprès
du patient, à ses côtés, dans cette expérience d'une implication mutuelle, à des places clairement
différenciées : l'accompagner sur le chemin qu'est le sien, vers ses ressources et compétences
internes, vers sa créativité.
19
ANNEXES :
Evaluation pré et post thérapeutiques : échelle IES
20
21
22
BIBLIOGRAPHIE
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Filmographie sur le thème du deuil :
- Sous le sable de Didier OZON
- Je vais bien, ne t'en fais pas de Philippe LIORET
- 17 fois Cécile Cassard de Christophe HONORE
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