“ L L’acceptation de la maladie ÉDITORIAL

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ÉDITORIAL
L’acceptation de la maladie
“
L
André Grimaldi
Service de diabétologie, hôpital de
la Pitié-Salpêtrière, Paris.
© La Lettre du Neurologue 2013;
8(XVII);227.
1. Hojat M, Louis DZ, Markham
FW et al. Physicians’ empathy
and clinical outcomes for
diabetic patients. Acad Med
2011;86(3):359-64.
2. Charon R. Narrative and
Medicine. N Engl J Med
2004;350(9):862-4.
a maladie chronique est le grand défi de notre système de santé, l’obligeant à revoir
son organisation et menaçant son financement solidaire. Mais c’est aussi,
les gestionnaires l’oublient trop souvent, un défi pour les patients comme pour
les médecins. L’annonce du diagnostic d’une maladie chronique − ce ne sera jamais plus
comme avant et c’est pour toujours − évoque inexorablement le terme de la vie.
C’est pourquoi le travail d’acceptation de la maladie a été assimilé à un travail de deuil
soumis à ses lois. “Tout nouveau deuil ravive tous les deuils antérieurs et tout deuil non fait
interdit tout nouveau deuil.” Chacun de nous serait donc ainsi doté d’une plus ou moins
grande “aptitude au deuil” (lorsque je vis M. S., diabétique mal équilibré, pour la première
fois, il me dit d’un ton ferme : “Pouvez-vous, s’il vous plaît, docteur, ne pas me dire
que je n’accepte pas ma maladie”, et 15 minutes plus tard, il m’apprenait qu’il avait un fils
unique et qu’un jour il l’avait trouvé pendu).
Pour éviter le risque d’effondrement psychique ou de dépression inhérent au deuil,
le patient peut mettre en œuvre des mécanismes de défense : le déni, la pensée magique,
la minimisation, la dénégation, le clivage, les conduites à risque, voire les addictions…
Ces mécanismes initialement protecteurs deviennent, en se chronicisant, une deuxième
maladie qui, parfois, fait souffrir le patient en secret et surtout peut menacer sa vie.
Le patient a 2 maladies : il est malade et il est malade d’être malade. L’individualisme
exacerbé de notre société postmoderne laisse entendre que l’individu est libre de ses choix
et qu’il est donc responsable de leurs conséquences. Mais la double maladie n’est pas
le résultat d’un choix fait en toute liberté, après une information éclairée et une délibération
raisonnée. Car l’autonomie du patient a été plus ou moins brisée par l’annonce
du diagnostic. La reconquête de cette autonomie suppose la guérison de cette deuxième
maladie. Il est donc essentiel d’en faciliter l’expression par le malade pour que, malgré
les ruses de la raison, il en prenne conscience avant d’en prendre distance grâce à un travail
de “réflectivité”. Comme le disait Hannah Arendt, “Tous les chagrins sont supportables
si on en fait un conte ou si on les raconte.”, et Boris Cyrulnik d’ajouter : “C’est difficile
de s’adresser à quelqu’un pour expliquer ce que l’on a vécu.” Encore faut-il, en effet,
que les soignants témoignent d’une empathie, c’est-à-dire qu’ils soient non seulement
disposés à écouter, mais aussi aptes à comprendre et à se laisser toucher.
“N’y a-t-il pas, dans tout récit de patient apparemment banal, de quoi nous émouvoir ?”
interroge la psychologue Anne Lacroix. Du coup, un élément essentiel pour lutter
contre l’objectivation des patients par les soignants et contre “l’industrialisation
de la médecine” me semble être le développement de l’empathie des professionnels de santé.
Une étude récente (1) montre qu’il existe une relation inverse entre l’empathie des médecins
traitants et le taux d’hémoglobine A1c de leurs patients diabétiques. Le dogme ancestral
selon lequel un professionnel doit se couper de ses affects me paraît aujourd’hui totalement
erroné. Il est urgent de faire entrer les sciences humaines dans les études médicales,
de permettre l’expression des émotions des professionnels et notamment des étudiants,
et de donner toute sa place, à côté de l’observation médicale du patient, à la “médecine
narrative” (2).
92 | La Lettre du Pharmacologue • Vol. 27 - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2013
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