L`éthique, une réflexion anticipative pour réduire l`incertitude

19e Congrès de Maîtrise des Risques et Sûreté de Fonctionnement - Dijon 21-23 octobre 2014
L’éthique, une réflexion anticipative pour réduire l’incertitude décisionnelle en
situation de catastrophe.
Ethics, anticipatory reflection to reduce decisional uncertainty in disaster
situations.
Paul-Henri Richard Patrick Laclemence
Université de Technologie de Troyes
Sinovia Cofely Ineo GDF SUEZ Université de Technologie de Troyes
143 Avenue de Verdun, 92130 Issy-les-Moulineaux 12 Rue Marie Curie, BP 2060,10010 Troyes
paul-henri.richard@cofelyineo-gdfsuez.com patrick.laclemenc[email protected]
Résumé
Les conséquences d’une catastrophe désorganisent les collectivités humaines que sont les villes. Dans ce cadre la surprise
impose des prises de décisions. Elles impactent les populations et soulèvent des enjeux éthiques qui, s’ils ne sont pas
anticipés, augmentent les incertitudes. Ces incertitudes se nourrissent notamment des biais engendrés par la diversité des
cultures organisationnelles, représentations sociales et systèmes de valeurs des différentes parties prenantes impactées par les
risques majeurs. Cet article développe la réflexion sur la place de l’éthique appliquée comme pratique organisationnelle
intégrant le multiculturalisme et pluralisme des valeurs des acteurs de la gestion des risques majeurs. Ceci afin de faciliter la
prise en compte collective des enjeux éthiques durant la phase d’anticipation. L’article suit un déroulement en trois parties. La
première permet de positionner l’étude dans son approche contextuelle et théorique. La seconde présente la méthodologie
suivie ainsi que les résultats préliminaires des interviews et observations réalisées. Enfin une dernière partie ouvre la réflexion
sur la généricité des réflexions proposées.
Summary
Consequences of disaster disorganize human communities that are cities. In this context the surprise imposes decisions. They
impact people and raise ethical issues, if they are not anticipated, increase uncertainties. These uncertainties include feed
biases caused by the different organizational cultures, social representations and value systems of stakeholders impacted by
major risks. This article develops the reflection on the place of applied ethics as organizational practice integrating
multiculturalism and pluralism of values involved in managing major risks. In order to facilitate the taking collective account of
the ethical issues during the anticipation phase. The paper follows a sequence of three parts. The first allows us to position the
study in its theoretical and contextual approach. The second part presents the methodology and preliminary results of the
interviews and observations realized. Finally the last part opens the debate on the proposed generic reflections
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Introduction
Décider dans un monde incertain. Prévention, prévision, protection, mitigation... sont autant
de termes qui placent la ville et ses habitants sous un chapeau sémantique protecteur. Les
décideurs sont rassurés, la population est sécurisée. Pourtant, des évènements d’exception
comme l’explosion de l’usine AZF à Toulouse, l’ouragan Katrina, ou encore la catastrophe
nucléaire de Fukushima, nous rappellent la limite des plans de maitrise des risques initiaux.
En quelques minutes, le bassin de vie se transforme en terrain de crise, dévoilant ses
vulnérabilités. Entre risque et crise, la rupture provoquée par l’évènement modifie les
temporalités. La préparation à long terme fait place à l’urgence de l’immédiat. Ainsi, c’est
dans l’anticipation et la préparation que la décision doit être déclenchée, et le décideur
protégé.
Dans ce contexte de gestion des risques majeurs, et au sein d’organisations qualifiées de
dynamiques et complexes, c’est au maire, représentant de proximité de l’État, que revient la
responsabilité de protéger ses administrés. Dépositaire des pouvoirs de police, il est directeur
des opérations de secours sur son territoire. Décideur intuitif, il est placé dans un écosystème
décisionnel se mêlent chaos des évènements, diversité des acteurs, pression temporelle,
incertitudes des effets, et responsabilité des conséquences. Dans un tel contexte soumis à
l’affectif et au recours de plus en plus important aux systèmes technologiques, la décision doit
être préservée de la perte de sens (WEICK, 1993) qui peut mettre en péril l’organisation.
Dans ce but, appréhender la notion d’éthique est primordial pour rester lucide et pragmatique
devant la catastrophe. Le constat est fait au niveau international : les catastrophes impactent
les droits fondamentaux et comportent des enjeux éthiques importants1. Respect et mise en
œuvre de principes éthiques communs sont plébiscités par le conseil de l’Europe 2 Les
principes généraux que sont la solidarité, la responsabilité commune, la non-discrimination,
l’humanité, l’impartialité, la neutralité, la coopération et la prévention constituent le socle
d’un futur droit international des catastrophes. Les premiers constats tirés d’une série
d’entretiens réalisés sur une période de 3 ans (2012/2013/2014) sur un panel de responsable
opérationnels de la sécurité civile ont permis de mettre en évidence le caractère implicite de
l’éthique et sa présence intrinsèque dans leurs processus de prise de décision3.
Pour autant, la déclinaison de ces grands principes éthiques dans la réaliopérationnelle
rencontre des difficultés d’application. Entre logiques parapluies, querelles de clochers et
éviction du public comme acteur à part entière, la mise en œuvre des politiques locales de
prévention des risques majeurs tient fréquemment lieux de jeux d’acteurs difficilement
coopératifs. Les systèmes de valeurs qui sous-tendent les perceptions, décisions et actions
rentrant dans le champ de la gouvernance des risques majeurs sont sous-entendus et peu
partagés, alors qu’ils pourraient devenir des leviers pour l’effectivité des dispositifs locaux de
prévention.
1 Rapport scientifique du programme de recherche ANR « Catastrophes et droits fondamentaux »).
2 Accord Européen et Méditerranéen sur les risques majeurs Résolution 2010-2 du Comité des Correspondants Permanents
sur les valeurs éthiques et la résilience aux catastrophes, Conseil de l’Europe Saint-Pétersbourg, le 28 septembre 2010.
3 RICHARD PH, LACLEMENCE P, 2013 Ville intelligente et sécurité globale. Convergences, avantages et limites pour de
nouveaux paradigmes. Focus sur la gestion des crises de sécurité civile, Acte du Workshop International sur la Sécurité
Globale.
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Les intérêts sont multiples :
- Déclencher la décision, et protéger le décideur dans la gestion de la catastrophe,
- Améliorer la gouvernance des risques majeurs au niveau local en développement la
confiance entre les différentes parties prenantes,
- Expliciter et faire vivre les valeurs organisationnelles catalysant la gouvernance
collaborative, entendu comme participation volontaire à un effort commun.
Ainsi le questionnement général que soulèvent ces enjeux est :
Comment réussir à faire coopérer un ensemble d’acteurs hétérogènes pour qu’ils
négocient et construisent conjointement de façon responsable le degré de protection d’un
territoire face aux risques majeurs?
Cette ambition est vaste et relève plus d’un sacerdoce que d’une problématique de thèse en
sciences humaines et sociales. Cependant la question se pose quant à l’identification des
caractéristiques et dispositifs organisationnelles favorisant cette collaboration inter-acteurs
dans la planification des mesures de sécurité civile.
Pour répondre à ce questionnement, notre contribution suit le plan suivant. Une
première étape précisera le contexte théorique de l’éthique appliquée à la gouvernance des
risques majeurs. La seconde étape permettra d’exposer la démarche méthodologique utilisée
pour tenter de répondre à ce questionnement. La dernière étape sera l’occasion de mettre en
discussion les résultats préliminaires tirés de cette étude.
1. De l’éthique appliquée à la gouvernance des risques majeurs, approche théorique
1.1. L’éthique appliquée
Étymologiquement, éthique vient du grec ήθος (ethos) qui signifie "les mœurs", les "façons de
vivre et d'agir", le comportement. Elle s’attache aux valeurs et se détermine de manière
relative dans le temps et dans l’espace en fonction de la communauté humaine et la situation à
laquelle elle s’intéresse. Il n’existe aucune société humaine ou l’on s’interdise de juger
moralement (BLONDEL, 1999). Discipline de la philosophie morale qui réfléchit sur les
conditions de l’agir, l’éthique cherche à démontrer la pertinence d’un idéal de vie à atteindre,
des normes encadrant les comportements Humains. De nombreuses approches théoriques
ayant des fondements différents se côtoient : Basées sur les règles (le droit, la norme et la
déontologie), basées sur les conséquences des actions (utilitarisme et conséquentialisme),
basées sur la vertu, ou encore, basées sur la sollicitude (éthique du soin). Ces conceptions
plurielles nécessitent des distinctions mais s’appréhendent plus en complémentarité qu’en
opposition. L’éclairage contemporain (RICOEUR, 1990) renouvelle la distinction entre
l’éthique et la morale. Ainsi entre la méta-éthique (la réflexion en amont des normes), la
morale (la norme, le devoir) et l’éthique appliquée (qui, postérieure à la norme, en est
l’application contextualisée à une situation), les finalités sont différentes.
L’éthique appliquée est une branche contemporaine de la philosophie morale, qui s’est
développé dans la seconde moitié du 20éme siècle particulièrement dans les pays anglo-
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saxons sous la forme de diverses éthiques sectorielles ; conduite des affaires, techno éthique
(PUESCH, 2008), bioéthique, gestion (LACROIX et al 2012)…
C’est une pratique d’interrogation, de réflexion et de délibération intersubjective sur la
manière d’aborder une situation donnée s’appliquant à un contexte spécifique. Elle permet
une évaluation des différentes options comportementales à adopter devant une situation
particulière. L’éthique appliquée s’inscrit comme un des grands types de régulations
comportementales que sont la morale, les mœurs, le droit et la déontologie. C’est une aide à
la réflexion collective sur la validité et la priorisation des valeurs, normes et règles au nom de
l’autonomie de l’individu. Elle mobilise la discussion et la compréhension pour contribuer à
la résolution de problèmes inédits. Sa spécificité réside en son adaptation à la complexité de
certaines situations où les systèmes normatifs traditionnels sont mis en défaut.
L’éthique appliquée correspond à une pratique de gestion permettant d’améliorer les
performances des organisations notamment dans le domaine du management et de l’action
publique (LACROIX, 2005). Peu développée en France où le droit et la déontologie
constituent les modes de régulations comportementaux privilégiés au sein des organisations,
l’éthique appliquée est pourtant en phase avec les évolutions sociétales contemporaines.
Demande de plus en plus forte de participation des publics dans l’élaboration des
décisions qui les affectent, place prise par les réseaux sociaux dans la gestion des situations
d’urgence, la pluralité des points de vue est un facteur à intégrer par les décisionnaires.
L’éthique appliquée au champ de la gouvernance des risques majeurs ouvre la possibilité de
renouveler le dialogue et la confiance entre les parties prenantes.
1.2. … à la gouvernance des risques majeurs.
La signification du terme gouvernance faisant l’objet de nombreuses controverses, il est
nécessaire d’en arrêter le sens pour cet article. Elle peut être définie comme l'ensemble des
règles et des processus collectifs, formalisés ou non, par lequel les acteurs concernés
participent aux décisions et à la mise en œuvre de l’action publique. Elle est le résultat d'une
négociation entre les multiples acteurs impliqués (LACROIX I, 2011). Cependant
cette négociation est biaisée dans la mesure où les parties prenantes ont une relation
dissymétrique dans le partage du pouvoir et des responsabilités. Les conditions de ce partage
tendent à se cristalliser autour des représentations sociales, croyances et systèmes de valeurs
associés aux situations catastrophiques.
Les types de gouvernance des risques majeurs varient suivant les caractéristiques
territoriales (géographiques, politiques, socioculturelles…) appréhendant de façons différentes
les questionnements éthiques pouvant y être associées.
Le risque, inséparable à la notion de Valeur (ROHRMAN, RENN, 2000) et de sa
perception, soulève des enjeux éthiques4,56 tout au long du processus visant à le gérer en
milieu urbain. « En effet, le risque catalyse tous les aspects de la vie de cité […] et impose
4 Valeurs, principes et règles mis en question dans une problématique donnée.
5 Ethics and Disaster in Canadians at risk: Our exposure to natural hazards Canadian Assement of Natural Hazards Project.
6 Questions éthiques soulevées par une possible pandémie grippale Comité Consultatif National d’Éthique pour les Sciences de
la vie et de la santé Avis n°106 2009
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une réinterprétation des valeurs citoyennes telles que la confiance, l’équité ou la justice. »
(KERMICH, 2011).
Le système français de gouvernance des risques majeurs a pour finalité de réduire
l’occurrence (prévention) et les conséquences (prévision, protection, mitigation) des risques
majeurs. Néanmoins il s’applique dans un ensemble de systèmes (industriels, institutionnels,
organisationnels, normatifs…) dont les finalités peuvent contribuer à réduire ou augmenter
ces types de risques. La négociation de la fabrique des risques (GILBERT, 2003), qu’elle soit
la résultante d’arbitrages publics, de confrontation entre société civile et autorité Étatique ou
de jeux d’acteurs correspond à un débat. Celui porte sur les valeurs et les normes qui résultent
des finalités systémiques. Lorsque ces discussions sont bannies de la place publique, elles
rejaillissent en phase post-crise par la mobilisation de la société civile et son interpellation
médiatique.
Aussi bien dans les grands débats sociétaux (prévention/répression, sécurité/liberté…) que
dans les prises de décisions à enjeux éthiques de la vie quotidienne (Dénoncer ou non un
fraudeur, arrêter une addiction…) des dilemmes éthiques ou conflits de valeurs apparaissent.
Les dilemmes éthiques sont des cas où des principes moraux entrent en contradiction et
complexifient l’architecture des choix. En prenant l’exemple d’une situation réelle, dans le
domaine de la sécurité civile, les dilemmes éthiques se montrent clairement :
La ville de Gonfreville l’Orchet est soumise à de nombreux risques industriels, en cas
d’alerte les usagers de la piscine municipale sont confinés à l’intérieure de celle-ci qui est
construite en verre.
Que faire lorsqu’une personne cherche à rentrer dans les locaux après l’alerte pour se
confiner ?
- Lui permettre de se réfugier au risque d’exposer au risque chimique les personnes déjà
présentes à l’intérieure ?
- Lui refuser l’accès et lui dire de trouver un autre abri alors qu’elle est en péril devant un
éventuel nuage toxique ?
Ici, en restant simpliste sur le décodage des différentes alternatives possibles, deux approches
comportementales ressortent. L’éthique de la conviction qui place la primauté de chaque vie
humaine au-dessus de toute considération et l’éthique de la responsabilité qui dans une visée
utilitariste de préservation du plus grand bien de tous privilégiera la seconde option.
L’identification des enjeux éthiques liés à ce cas a permis de proposer une solution de
confinement supplémentaire afin de ne pas se retrouver confronter à la limitation des deux
choix présenté précédemment. La force de l’éthique appliquée à la prévention des risques
majeurs demeure dans sa capacité à devancer des situations particulières où les règles et
procédures ne peuvent plus s’appliquer.
Dans le processus de gouvernance des risques majeurs, l’intégration des enjeux
éthiques par des dispositifs collaboratifs s’inscrit dans une volonté du décideur qui prend la
forme d’un leadership éthique. Le portage politique de ce type de démarche constitue le
moteur de son fonctionnement. Ainsi les apports du modèle de Schein (SCHEIN, 1984) en
science des organisations permettent un cadre conceptuel pour l’analyse des climats éthiques
et cultures organisationnels associées aux études de cas analysées.
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