23
Analyse structurelle
25 Les modèles DGSE :
intérêts et limites pour l’analyse économique
Mourad Ayouz
41 La compétitivité française en 2007
Denis Ferrand
59 Crise de l’immobilier résidentiel :
la France est-elle à l’abri ?
Carole Deneuve
25
n peut dater l’origine de ces modè-
les aux travaux de deux économis-
tes Finn E. Kydland et Edward
C. Prescott1qui, en 1982, publièrent
un article novateur dans la presti-
gieuse revue Econometrica. Dans cet arti-
cle, les auteurs décrivaient un petit modèle
ne présentant aucune imperfection des mar-
chés et dans lequel chaque agent (rationnel)
possède un programme d’optimisation qui
permet de dériver des relations de comporte-
ment de manière explicite. Cette approche a
donné lieu aux modèles des cycles réels (
Real
Business Cycle,
RBC) que l’on considère
comme les ancêtres lointains des modèles
DSGE actuels. L’émergence des RBC a donné
lieu à un débat scientifique passionnant et à
des oppositions virulentes. Bien que critiquée
et maintes fois remise en cause, la méthodo-
logie de modélisation des RBC s’est imposée
et les modèles DSGE adoptent la structure
des RBC, c’est-à-dire un mécanisme de pro-
pagation-impulsion et une « modélisation
dite rationnelle », basée sur les comporte-
Les modèles DSGE :
intérêts et limites pour l’analyse économique
par Mourad Ayouz
Dans cet article, on présente une classe de modèles macroéconomiques dyna-
miques « Dynamic Stochastic General Equilibrium » (DSGE), en cherchant à
mettre en lumière leur utilité et leurs limites. Comme leur dénomination l’in-
dique, les DSGE sont des modèles d’équilibre général dynamiques et stochas-
tiques censés être une version appliquée des modèles d’équilibre général cal-
culable. Ils se présentent en une série de variables aléatoires (les « chocs ») et
un ensemble de mécanismes de propagation de ces impulsions. L’objectif pre-
mier de ces modèles est l’explication des fluctuations de court terme et le
traitement de l’équilibre de long terme dans un cadre unique et cohérent.
Leur utilisation a pour but de réaliser des évaluations historiques et des exer-
cices contrefactuels, ce qui permet de clarifier les effets de chocs, qu’ils
soient technologiques, fiscaux ou monétaires, sur les fluctuations des grands
agrégats économiques (PIB, consommation, investissement, salaire réel, taux
d’intérêt réel). Ils sont utiles pour identifier quel choc (extérieur, domestique,
monétaire, réel) contribue le plus aux fluctuations de l’économie, pour propo-
ser quel instrument les décideurs doivent piloter lorsque l’économie fait face
à une perturbation particulière. Contrairement aux modèles macro-économé-
triques classiques, les DSGE ont la particularité d’être de petite taille, ce qui
permet à son utilisateur d’isoler les mécanismes mis en œuvre dans leur fonc-
tionnement. Enfin, ils ont relativement de bonnes performances lorsqu’ils
sont estimés à partir des données observées.
O
Analyse structurelle
1Le « prix Nobel » d'économie de 2004 a été décerné à ces deux économistes, pour leurs contributions à
la macroéconomie dynamique : la cohérence temporelle des décisions de politique économique et les
forces économiques responsables des fluctuations conjoncturelles.
26
Analyse structurelle
ments microéconomiques des agents. C’est
par l’amendement des hypothèses des modè-
les RBC (absence de rigidités réelles et nomi-
nales, absence de chocs monétaires), que
petit à petit est né le programme de recherche
des DSGE. Afin de relater ces évolutions
méthodologiques en essayant de limiter au
strict minimum le formalisme mathématique,
l’article est divisé en trois parties. Dans la
première, on présente la notion de fluctuation
économique à laquelle font référence les
DSGE et le mécanisme d’impulsion – propa-
gation à la base de la génération des cycles.
Pour être concret, on illustrera nos propos en
faisant référence aux faits stylisés de l’écono-
mie française. Dans la deuxième partie, on
présente les modèles RBC ainsi que leurs
limites. Puis, dans la dernière partie, on traite
plus explicitement des avancées actuelles.
Analyse des fluctuations
économiques et projet
de Lucas
La structure caractéristique des DSGE est le
mécanisme de propagation-impulsion censé
reproduire les cycles économiques. Mais
avant de poursuivre, il faut clarifier la notion
même de cycle économique dans les modèles
DSGE. Le concept de cycle est source de polé-
mique. En 1913, Wesley Mitchell décomposait
les séries économiques en séquences de
cycles, ce qui donnera plus tard naissance aux
travaux de Burns et Mitchell (1946), à la
notion de cycle en quatre phases : croissance,
crise, dépression, et reprise. Si l’on admet
cette décomposition empirique, il faut imagi-
ner une théorie qui prédit les « lois d’évolu-
tion » permettant de répliquer ces cycles iden-
tifiés. Force est de constater que les lois
d’évolution de type déterministe (qui ne font
pas intervenir les aléas) proposées ne sont
pas issues de comportement d’équilibre.
Quand elles le sont, elles dépendent de
valeurs de paramètres préférences et de coef-
ficients technologiques dont les valeurs sont
peu vraisemblables (Ertz, 2001). L’approche
DSGE retient une conception alternative, celle
de Slutsky (1937) qui attirait l’attention sur le
fait que des cycles ressemblant aux fluctua-
tions économiques peuvent être générés par
des « impulsions stochastiques ». Afin d’illus-
trer cette idée, on peut reprendre ici l’exemple
pédagogique présenté par Burda et Wyplosz
(2001). Supposons que la production d’un
pays évolue selon la relation suivante :
où etest un choc particulier. Il est alors possi-
ble de générer une trajectoire aléatoire en tirant
aléatoirement des valeurs de et (cf. figure 1).
Cette série temporelle exhibe un profil que les
spécialistes du cycle des années quarante
auraient caractérisé comme celui de cycles éco-
nomiques (Ertz, 2001). La série temporelle
génère des cycles « croissance/récession » qui
par construction, sont simulés ici aléatoire-
ment. Cette approche à la Frish (1933) est à la
base du mécanisme d’
impulsion-propagation
.
Les modèles RBC-DSGE adoptent ce méca-
nisme. Dans leur forme résolue, il se présen-
tent comme un ensemble de lois d’évolution
des variables macroéconomiques qui dépen-
dent des variables d’état et des chocs.
Supposons que XXttest le vecteur contenant les
variables macroéconomiques (plus exactement
les écarts de variables par rapport à « leur
niveau de long terme ») et soit etun autre vec-
teur de chocs aléatoires, alors on peut repré-
senter un modèle DSGE par un VAR2:
GGéénnéérraattiioonn dd''uunnee sséérriiee aallééaattooiirree
00 20 40 60 80 00 20 40 60 80 00
0
-9
-6
-3
0
3
6
Source : Coe-Rexecode
t
tt
t
eyyy
+=
21
4,03,1
t
t
t
BeAXX
+=
1
(1)
2Une représentation VAR consiste à modéliser un
vecteur de variable stationnaire à partir de sa pro-
pre histoire. Chaque variable est expliquée par le
passé de l’ensemble des variables.
27
Les modèles DSGE
AAet BBsont des matrices qui dépendent des
paramètres de politiques publiques et des para-
mètres de comportements des agents (élasticité
de substitution, part des facteurs de produc-
tion, etc.). Généralement, les chocs qui pertur-
bent l’économie (qui sont les éléments de et)
sont spécifiés par des processus linéaires :
Avec utdes perturbations qui sont identique-
ment et indépendamment distribués et un
paramètre dont la valeur absolue est infé-
rieure à 1. Les chocs monétaires et fiscaux
seront simulés par la relation 2. Le modèle
(1, 2) est simulé sous certaines conditions et
permet d’analyse les effets des chocs sur les
évolutions des variables XXtt. Revenons main-
tenant aux éléments qui composent le vec-
teur XXtt. Celui-ci comprend les écarts des
variables (consommation, investissement,
etc.) par rapport à leur niveau de long terme.
Il faut entendre ici par long terme une situa-
tion où l’économie est stationnaire (équilibre
stationnaire), les anticipations réalisées, et
où les chocs aléatoires qui perturbent l’éco-
nomie sont nuls. Si on note un élément de
XXtt par l’écart d’une variable xtà son niveau
à l’équilibre stationnaire x, alors générale-
ment un DSGE explique l’évolution dans le
temps des écarts xt- x ou :
Ces écarts peuvent en première approximation
être assimilés à des fluctuations économiques.
La notion ici du « cycle » est distincte (ou
moins précise) que le cycle au sens mathéma-
tique. En effet, la notion de cycle implique
l’existence de régularités ce qui lui confère une
dimension différente d’une simple variation
autour d’une évolution moyenne. La probabi-
lité de retournement de la conjoncture dépend
du temps écoulé depuis le dernier point de
retournement, qui constitue une dimension
essentielle du cycle économique au sens strict
du terme3. Le cycle économique auquel les
modèles DSGE font référence est appréhendé
comme « un phénomène agrégé se traduisant
par des variations récurrentes et persistantes
de l’activité économique dans son ensemble »
(Hairault, 1996). Les auteurs des DSGE retien-
nent donc une notion qui ne fait pas référence
à l’existence d’une périodicité et à une ampli-
tude des phases d’expansion et de récession.
Les termes fluctuations et cycles sont utilisés
dans cette littérature de façon interchangeable
(Hairault, 1996) et ces notions ne peuvent être
analysées de manière cohérente que dans le
cadre d’un mécanisme
impulsion-propagation
.
Admettons maintenant que le cycle de crois-
sance par exemple est une déviation du PIB
par rapport à sa tendance xt- x. Depuis
Kydland et Prescott (1982), on a pris l’habi-
tude d’appréhender le cycle par les écarts des
séries observées à leur partie tendancielle
mesurée par l’application du filtre de Hodrick
et Prescott. Ce filtrage est appliqué aux séries
observées pour identifier les faits stylisés du
cycle économique et aux séries générées par
le modèle. Les résultats de l’application du
filtre Hodrick-Prescott au PIB français sont
donnés dans les graphiques ci-dessous.
Certes, de nos jours, on admet que cette
méthode de décomposition est limitée (d’au-
tres techniques sont utilisées) mais les
auteurs des DGSE continuent à l’utiliser car
cette approche a permis d’avoir une grille de
lecture commune des résultats et une seule
procédure de stationnarisation des séries4.
En résumé, la méthode des RBC–DSGE
consiste à construire un modèle qui permet de
calculer l’équilibre stationnaire (c’est-à-dire
les éléments x) et de donner
in fine
des rela-
tions d’évolution des écarts à l’équilibre xt- x.
En simulant le modèle (1, 2), il sera toujours
tentant de comparer les fluctuations générées
par le modèle et les fluctuations identifiées par
exemple dans les graphiques ci-dessous. Il faut
cependant rappeler que le cycle économique
dans les modèles RBC n’est pas une déviation
récurrente des séries par rapport aux évolu-
t
t
t
uee
+=
1
ρ
(2)
()
xxx
t
/
4Rappelons que le filtre de Hodrick-Prescott per-
met d’éliminer des séries les mouvements de bas-
ses fréquences y compris ceux inclus dans la com-
posante stationnaire.
3Je reprends ici une conception classique du cycle.
Les travaux sur les cycles montrent qu’il n’est pas
nécessaire de le caractériser par une probabilité
de retournement dépendante du temps écoulé.
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