Analyse structurelle - Coe

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Analyse structurelle
25
Les modèles DGSE :
intérêts et limites pour l’analyse économique
Mourad Ayouz
41
La compétitivité française en 2007
Denis Ferrand
59
Crise de l’immobilier résidentiel :
la France est-elle à l’abri ?
Carole Deneuve
23
Analyse structurelle
Les modèles DSGE :
intérêts et limites pour l’analyse économique
par Mourad Ayouz
Dans cet article, on présente une classe de modèles macroéconomiques dynamiques « Dynamic Stochastic General Equilibrium » (DSGE), en cherchant à
mettre en lumière leur utilité et leurs limites. Comme leur dénomination l’indique, les DSGE sont des modèles d’équilibre général dynamiques et stochastiques censés être une version appliquée des modèles d’équilibre général calculable. Ils se présentent en une série de variables aléatoires (les « chocs ») et
un ensemble de mécanismes de propagation de ces impulsions. L’objectif premier de ces modèles est l’explication des fluctuations de court terme et le
traitement de l’équilibre de long terme dans un cadre unique et cohérent.
Leur utilisation a pour but de réaliser des évaluations historiques et des exercices contrefactuels, ce qui permet de clarifier les effets de chocs, qu’ils
soient technologiques, fiscaux ou monétaires, sur les fluctuations des grands
agrégats économiques (PIB, consommation, investissement, salaire réel, taux
d’intérêt réel). Ils sont utiles pour identifier quel choc (extérieur, domestique,
monétaire, réel) contribue le plus aux fluctuations de l’économie, pour proposer quel instrument les décideurs doivent piloter lorsque l’économie fait face
à une perturbation particulière. Contrairement aux modèles macro-économétriques classiques, les DSGE ont la particularité d’être de petite taille, ce qui
permet à son utilisateur d’isoler les mécanismes mis en œuvre dans leur fonctionnement. Enfin, ils ont relativement de bonnes performances lorsqu’ils
sont estimés à partir des données observées.
O
n peut dater l’origine de ces modèles aux travaux de deux économistes Finn E. Kydland et Edward
C. Prescott1 qui, en 1982, publièrent
un article novateur dans la prestigieuse revue Econometrica. Dans cet article, les auteurs décrivaient un petit modèle
ne présentant aucune imperfection des marchés et dans lequel chaque agent (rationnel)
possède un programme d’optimisation qui
permet de dériver des relations de comportement de manière explicite. Cette approche a
1
donné lieu aux modèles des cycles réels (Real
Business Cycle, RBC) que l’on considère
comme les ancêtres lointains des modèles
DSGE actuels. L’émergence des RBC a donné
lieu à un débat scientifique passionnant et à
des oppositions virulentes. Bien que critiquée
et maintes fois remise en cause, la méthodologie de modélisation des RBC s’est imposée
et les modèles DSGE adoptent la structure
des RBC, c’est-à-dire un mécanisme de propagation-impulsion et une « modélisation
dite rationnelle », basée sur les comporte-
Le « prix Nobel » d'économie de 2004 a été décerné à ces deux économistes, pour leurs contributions à
la macroéconomie dynamique : la cohérence temporelle des décisions de politique économique et les
forces économiques responsables des fluctuations conjoncturelles.
25
Analyse structurelle
ments microéconomiques des agents. C’est
par l’amendement des hypothèses des modèles RBC (absence de rigidités réelles et nominales, absence de chocs monétaires), que
petit à petit est né le programme de recherche
des DSGE. Afin de relater ces évolutions
méthodologiques en essayant de limiter au
strict minimum le formalisme mathématique,
l’article est divisé en trois parties. Dans la
première, on présente la notion de fluctuation
économique à laquelle font référence les
DSGE et le mécanisme d’impulsion – propagation à la base de la génération des cycles.
Pour être concret, on illustrera nos propos en
faisant référence aux faits stylisés de l’économie française. Dans la deuxième partie, on
présente les modèles RBC ainsi que leurs
limites. Puis, dans la dernière partie, on traite
plus explicitement des avancées actuelles.
Analyse des fluctuations
économiques et projet
de Lucas
La structure caractéristique des DSGE est le
mécanisme de propagation-impulsion censé
reproduire les cycles économiques. Mais
avant de poursuivre, il faut clarifier la notion
même de cycle économique dans les modèles
DSGE. Le concept de cycle est source de polémique. En 1913, Wesley Mitchell décomposait
les séries économiques en séquences de
cycles, ce qui donnera plus tard naissance aux
travaux de Burns et Mitchell (1946), à la
notion de cycle en quatre phases : croissance,
crise, dépression, et reprise. Si l’on admet
cette décomposition empirique, il faut imaginer une théorie qui prédit les « lois d’évolution » permettant de répliquer ces cycles identifiés. Force est de constater que les lois
d’évolution de type déterministe (qui ne font
pas intervenir les aléas) proposées ne sont
pas issues de comportement d’équilibre.
Quand elles le sont, elles dépendent de
valeurs de paramètres préférences et de coefficients technologiques dont les valeurs sont
peu vraisemblables (Ertz, 2001). L’approche
DSGE retient une conception alternative, celle
de Slutsky (1937) qui attirait l’attention sur le
fait que des cycles ressemblant aux fluctuations économiques peuvent être générés par
26
Génération d'une série aléatoire
6
3
0
-3
-6
-9
00
20
40
60
80
00
20
40
60
80
00
Source : Coe-Rexecode
des « impulsions stochastiques ». Afin d’illustrer cette idée, on peut reprendre ici l’exemple
pédagogique présenté par Burda et Wyplosz
(2001). Supposons que la production d’un
pays évolue selon la relation suivante :
yt = 1,3 yt −1 − 0,4 yt − 2 + et
où et est un choc particulier. Il est alors possible de générer une trajectoire aléatoire en tirant
aléatoirement des valeurs de et (cf. figure 1).
Cette série temporelle exhibe un profil que les
spécialistes du cycle des années quarante
auraient caractérisé comme celui de cycles économiques (Ertz, 2001). La série temporelle
génère des cycles « croissance/récession » qui
par construction, sont simulés ici aléatoirement. Cette approche à la Frish (1933) est à la
base du mécanisme d’impulsion-propagation.
Les modèles RBC-DSGE adoptent ce mécanisme. Dans leur forme résolue, il se présentent comme un ensemble de lois d’évolution
des variables macroéconomiques qui dépendent des variables d’état et des chocs.
Supposons que Xt est le vecteur contenant les
variables macroéconomiques (plus exactement
les écarts de variables par rapport à « leur
niveau de long terme ») et soit et un autre vecteur de chocs aléatoires, alors on peut représenter un modèle DSGE par un VAR2 :
X t = AX t −1 + Be t
2
(1)
Une représentation VAR consiste à modéliser un
vecteur de variable stationnaire à partir de sa propre histoire. Chaque variable est expliquée par le
passé de l’ensemble des variables.
Les modèles DSGE
A et B sont des matrices qui dépendent des
paramètres de politiques publiques et des paramètres de comportements des agents (élasticité
de substitution, part des facteurs de production, etc.). Généralement, les chocs qui perturbent l’économie (qui sont les éléments de et)
sont spécifiés par des processus linéaires :
et = ρet −1 + ut
(2)
Avec ut des perturbations qui sont identiquement et indépendamment distribués et un
paramètre dont la valeur absolue est inférieure à 1. Les chocs monétaires et fiscaux
seront simulés par la relation 2. Le modèle
(1, 2) est simulé sous certaines conditions et
permet d’analyse les effets des chocs sur les
évolutions des variables Xt. Revenons maintenant aux éléments qui composent le vecteur Xt. Celui-ci comprend les écarts des
variables (consommation, investissement,
etc.) par rapport à leur niveau de long terme.
Il faut entendre ici par long terme une situation où l’économie est stationnaire (équilibre
stationnaire), les anticipations réalisées, et
où les chocs aléatoires qui perturbent l’économie sont nuls. Si on note un élément de
Xt par l’écart d’une variable xt à son niveau
à l’équilibre stationnaire x, alors généralement un DSGE explique l’évolution dans le
temps des écarts xt - x ou :
(x
t
)
−x /x
modèles DSGE font référence est appréhendé
comme « un phénomène agrégé se traduisant
par des variations récurrentes et persistantes
de l’activité économique dans son ensemble »
(Hairault, 1996). Les auteurs des DSGE retiennent donc une notion qui ne fait pas référence
à l’existence d’une périodicité et à une amplitude des phases d’expansion et de récession.
Les termes fluctuations et cycles sont utilisés
dans cette littérature de façon interchangeable
(Hairault, 1996) et ces notions ne peuvent être
analysées de manière cohérente que dans le
cadre d’un mécanisme impulsion-propagation.
Admettons maintenant que le cycle de croissance par exemple est une déviation du PIB
par rapport à sa tendance xt - x. Depuis
Kydland et Prescott (1982), on a pris l’habitude d’appréhender le cycle par les écarts des
séries observées à leur partie tendancielle
mesurée par l’application du filtre de Hodrick
et Prescott. Ce filtrage est appliqué aux séries
observées pour identifier les faits stylisés du
cycle économique et aux séries générées par
le modèle. Les résultats de l’application du
filtre Hodrick-Prescott au PIB français sont
donnés dans les graphiques ci-dessous.
Certes, de nos jours, on admet que cette
méthode de décomposition est limitée (d’autres techniques sont utilisées) mais les
auteurs des DGSE continuent à l’utiliser car
cette approche a permis d’avoir une grille de
lecture commune des résultats et une seule
procédure de stationnarisation des séries4.
Ces écarts peuvent en première approximation
être assimilés à des fluctuations économiques.
La notion ici du « cycle » est distincte (ou
moins précise) que le cycle au sens mathématique. En effet, la notion de cycle implique
l’existence de régularités ce qui lui confère une
dimension différente d’une simple variation
autour d’une évolution moyenne. La probabilité de retournement de la conjoncture dépend
du temps écoulé depuis le dernier point de
retournement, qui constitue une dimension
essentielle du cycle économique au sens strict
du terme3. Le cycle économique auquel les
En résumé, la méthode des RBC–DSGE
consiste à construire un modèle qui permet de
calculer l’équilibre stationnaire (c’est-à-dire
les éléments x) et de donner in fine des relations d’évolution des écarts à l’équilibre xt - x.
En simulant le modèle (1, 2), il sera toujours
tentant de comparer les fluctuations générées
par le modèle et les fluctuations identifiées par
exemple dans les graphiques ci-dessous. Il faut
cependant rappeler que le cycle économique
dans les modèles RBC n’est pas une déviation
récurrente des séries par rapport aux évolu-
3
4
Je reprends ici une conception classique du cycle.
Les travaux sur les cycles montrent qu’il n’est pas
nécessaire de le caractériser par une probabilité
de retournement dépendante du temps écoulé.
Rappelons que le filtre de Hodrick-Prescott permet d’éliminer des séries les mouvements de basses fréquences y compris ceux inclus dans la composante stationnaire.
27
Analyse structurelle
Ecart en % du PIB français
par rapport à la tendance
Evolution du PIB de l'économie française
Volume - mrd d'euros, prix chaînés
400
%
2
PIB observé
Trend
350
1
300
0
250
-1
-2
200
1980
1985
1990
1995
2000
2005
1980
Source : INSEE, calculs Coe-Rexecode
1985
1990
1995
2000
2005
Source : INSEE, calculs Coe-Rexecode
Propriétés cycliques de l’économie française
Ecarts-types
Amplitude
label
y
c
I
HL
y/HL
u
v
W/p
TB/y
IMP
X
p
inf
M
sj
0,91
0,81
3,64
0,83
0,65
7,93
18,31
0,72
PIB
Consommation
Investissement
Heures travaillés
Productivité
Chômage
Postes vacants
Salaire réel
Ratio balance commerciale/PIB
Importations
Exportations
Prix
0,65
Inflation
0,52
Monnaie
1,35
Corrélation entre
- investissement et épargne
- la productivité(salaire réel) et emploi
- la balance extérieure et les termes de l'échange
- chômage et postes vacants
- chômage et salaire réel
- salaire réel et heures travaillées
28
AutoCorrélation
corrélation
avec le PIB
ordre 1 AR(1)
CoAmplitude
Décallage
mouvement
sj / sy
corr(x(t),x(t-1))
rjy
1,00
0,76
1,00
0,89
0,67
0,63
4,00
0,82
0,80
0,91
0,89
0,71
0,71
0,63
0,45
8,71
0,91
-0,91
20,12
0,88
0,87
0,79
0,71
0,02
0,66
0,66
-0,36
2,08
1,40
0,72
0,63
0,45
0,57
0,20
0,15
1,50
0,63
0,18
Rapport des
écarts-types
corr(I,S)
corr(Y/HL,L)
corr(TB,pm/p)
corr(v,u)
corr(W/P,u)
corr(W/P,HL)
0,60
-0,35
-0,77
-0,7
0,3
-0,19
Les modèles DSGE
tions naturelles mais une déviation même des
évolutions potentielles. La déviation xt - x ici
est l’écart d’une série par rapport à un sentier
stationnaire, caractérisé ou non par une croissance déterministe.
Les faits stylisés
de l’économie française
Initialement, les modèles DSGE étaient en
partie validés en comparant les propriétés
statistiques des composantes cycliques. Ces
propriétés sont l’amplitude des fluctuations
(écart-type), le co-mouvement avec le PIB
réel qui sert de mesure de pro- ou contrecyclicité (signe et ampleur de corrélation), la
persistance élevée des séries macroéconomiques, et le décalage de phase par rapport au
cycle économique. Le tableau ci-dessus
résume le cadre de référence pour les modèles DSGE français pour la période 1970-19905.
Ce tableau établit les faits stylisés biens
connus des conjoncturistes. Il existe un différentiel de variabilité des composantes du PIB,
avec une hiérarchie des volatilités.
L’investissement est la variable la plus volatile, puis le PIB et enfin la consommation. A
l’exception du chômage et de la balance courante, toutes les variables sont pro-cycliques,
les agrégats monétaires ont un léger décalage
de phase au sens où ils sont plus fortement
corrélés avec le PIB des périodes futures. La
variance relative de la consommation est élevée, les heures travaillées présentent une
variance proche de celle du PIB réel6. Quatre
faits stylisés importants vont discriminer les
modèles car ils sont difficiles à reproduire :
5
Je me suis limité volontairement à produire les
propriétés obtenues sur la période 1970-1990 car
elles correspondent à la période qui a été utilisée
pour la validation des modèles français.
6
Dans certains pays, le niveau des prix est corrélé
négativement avec le PIB et ce phénomène est
interprété comme une indication de la dominance de chocs d’offre.
i) faible corrélation entre la productivité et
les heures travaillées ;
ii) forte corrélation entre l’investissement et
l’épargne nationale ;
iii) comportement acyclique ou contra-cyclique des comptes courants ;
iv) pro cyclicité de l’offre de monnaie.
Tout modèle d’analyse des fluctuations de
court terme de l’économie doit être en
mesure de générer des séries conformes aux
faits stylisés mentionnés ci-dessus. Afin de
pouvoir évaluer les politiques publiques, on
exigera du modèle d’être dans sa construction conforme aux préceptes du projet de
Lucas.
Les modèles DSGE
échappent à la critique de Lucas
Les DSGE semblent supérieurs aux modèles
macro économétriques car ils échappent à la
critique de Lucas. Jusqu’à nos jours, la plupart des modèles de l’économie française, en
particulier les modèles macro-économétriques de grande taille, ont un noyau structurel
théorique commun rattaché au courant de la
synthèse néoclassique : les salaires sont
modélisés avec une courbe de Phillips, l’emploi dépend de la valeur ajoutée, les prix sont
déterminés par un taux de marge constant
sur les coûts unitaires. Ces modèles se présentent comme un système d’équations
simultanées estimées économétriquement
équation par équation. Bien que toutes les
décisions doivent être liées entre elles, ces
modèles sont construits par secteur (consommation, investissement, etc.), sans que ceuxci ne forment véritablement un tout cohérent.
Le faible ancrage de ces modèles dans la
théorie microéconomique cause un problème
majeur dans les exercices de simulation et de
prévision. La perception du futur par les
agents est incohérente et conduit à surestimer l’efficacité des politiques actives de stabilisation. Malgré les efforts consentis, les
effets d’offre continuent à jouer un rôle limité
aux horizons pertinents, ce qui conduit à
recommander des politiques de relance budgétaire jugées excessives. La taille imposante
29
Analyse structurelle
de ces modèles rend très difficile une analyse
économique et économétrique des mécanismes par lesquels un choc donné se propage à
l’ensemble de l’économie artificielle représentée par le modèle. Après avoir triomphé
dans les années 1970, ces modèles ont déçu
quant à leur qualité prévisionnelle et l’expérience montre que ces modèles ne peuvent
pas décrire correctement les effets des réformes structurelles. Pour les praticiens, les
modèles macro-économétriques keynésiens
ont surtout échoué à expliquer le comportement des économies, en particulier l’apparition de la stagflation qui remettait en question la façon de concevoir les lois de formation des salaires de ces modèles7.
Sur la manière de construire les modèles,
Lucas a attiré l’attention sur l’usage des
modèles pour analyser l’impact de la politique économique. Pour Lucas, les agents privés ont des comportements dynamiques
d’optimisation et exploitent rationnellement
l’information disponible. Suite à l’annonce
d’une décision de politique économique, ces
agents modifient forcément leurs décisions.
La structure même des équations du modèle
macro-économétrique keynésien est susceptible d’être affectée par une modification des
variables explicatives (“critique de Lucas”).
Selon Lucas, les économistes supposent à tort
que les équations sont stables, c’est-à-dire
que les comportements des agents économiques ne changent pas quand se modifie la
conjoncture, actuelle ou anticipée.
Le projet de Lucas
et la naissance
des modèles DSGE
Afin de remédier aux insuffisances des modèles macro-économétriques, Lucas proposa de
construire des maquettes d’une économie artificielle et simulable. Les équations dériveraient
d’objectifs microéconomiques et l’équilibre
7
Les salaires modélisés par une courbe de Phillips
suggèrent l’existence d’un arbitrage entre inflation et chômage à court terme. Or cette relation
n’était pas stable dans le temps.
30
général dynamique résulterait de l’interaction
entre les agents. Tout modèle DSGE consiste
d’abord en un exposé précis des choix qui s’offrent aux différents acteurs économiques
(ménages, entreprises, gouvernement et banque centrale) mis en scène dans le modèle, des
préférences de ces acteurs, de l’horizon de planification qu’ils retiennent et, finalement, de la
spécification de l’incertitude à laquelle ils font
face. Pour cela, les agents économiques doivent donc se faire une opinion sur la trajectoire
probable qu’emprunteront ces variables. On
fait ensuite l’hypothèse que, tenant compte de
ces différents paramètres, les agents individuels élaborent des règles de décision qui
maximisent leur utilité pour les ménages, et les
profits dans le cas des entreprises. Ces règles
de décision individuelle sont ensuite agrégées.
Ce sont ces agrégations qui représentent, une
fois que l’on s’est assuré de l’équilibre des différents marchés, les implications du modèle en
ce qui a trait aux grandes variables habituellement étudiées en macroéconomie.
Remise en cause
de l’influence de la monnaie
dans les fluctuations
Les ancêtres des DSGE :
les modèles RBC
Les modèles RBC représentent la meilleure
illustration des idées de Lucas8. Ils sont apparus
dans les années 1980 qui restent marquées par
une remise en cause de l’influence de la monnaie sur les fluctuations économiques. Exposée
pour la première fois dans l’article de Kydland
et Prescott paru en 1982, ces modèles peuvent
être définis comme la classe des outils qui cherchent à établir que les réponses optimales des
agents à des chocs de « nature réelle » engendrent des caractéristiques cycliques. Il faut
insister sur la nature réelle des chocs qui se
résumaient au départ à des chocs sur la productivité globale des facteurs de production.
8
L’expression RBC est apparue pour la première
fois dans un article publié par Long et Plosser
(1983).
Les modèles DSGE
Hypothèses du modèle canonique
Le modèle économique s’est développé sur le
modèle néoclassique de croissance de moyen
terme. L’approche RBC repose sur l’idée
qu’un même cadre théorique doit être utilisé
pour rendre compte des fluctuations conjoncturelles et des évolutions de long terme de
l’économie. Le modèle canonique (King,
Plosser, Rebelo, 1998) fait intervenir deux
types d’agents (les ménages et les entreprises) et un seul type de choc qui est de même
nature que celui donné par la relation (1).
Une structure de concurrence parfaite associée à une flexibilité totale des prix est retenue. Désirant maximiser leur utilité (relation 3) qui dépend de la consommation Ct et
du loisir Lt, les ménages doivent choisir à
chaque période le nombre d’heures de travail
Ht (relation 4) qu’ils vont consentir et la
manière dont ils vont répartir leurs revenus
entre la consommation Ct et l’épargne (l’investissement It relation 5). Ils parviennent à
ces choix en tenant compte du fait que leur
épargne a un effet sur leur consommation
future mais aussi du fait que cet effet dépend
des taux d’intérêt futurs, faisant ainsi intervenir leurs anticipations. Ces anticipations sont
supposées « rationnelles », ce qui veut dire
que les agents sont informés et prennent
leurs décisions sur la base de l’ensemble de
l’information dont ils disposent. Ces agents
très informés ont la particularité de ne pas
être surpris, à l’exception des situations où
des événements inattendus se produisent.
Les entreprises, quant à elles, cherchent à
maximiser leurs profits. Pour ce faire, elles
décident du volume d’heures de travail nécessaires et des investissements à effectuer,
compte tenu de la trajectoire anticipée des
salaires et du taux de rendement du capital.
Finalement, les seuls chocs affectant cette
petite économie touchent la productivité des
facteurs de production. En effet, 60% des fluctuations de la production agrégée sont attribuables à des variations du facteur travail, le
reste étant attribuable à des variations du
stock de capital (qui est à vrai dire peu variable à court terme) et à des variations de la productivité globale des facteurs de court terme.
Les cycles proviennent de chocs stochastiques
indépendants qui se répercutent sur les agrégats économiques sous l’effet des interdépendances des comportements et des marchés.
Les fluctuations sont la réponse optimale des
agents à des chocs réels exogènes.
∞
U 0 = E 0 ∑ β t u (C t , Lt )
(3)
1 − Lt = H t
(4)
t =0
Yt = C t + I t
(5)
K t +1 = K t (1 − δ ) + I t
(6)
Yt = et f ( Z t H t , K t ) )
(7)
Avec Eo l’opérateur de l’espérance, u(.) l’utilité du ménage, f(.) la fonction de production,
Zt le progrès technique au sens de Harrod, Kt
le stock de capital, Ht les heures travaillées,
Yt la production, Lt le loisir.
Prédictions des modèles RBC
Le pari fait avec ce petit modèle est de montrer qu’il est possible de rendre compte de
l’essentiel des fluctuations économiques sans
introduire de perturbations monétaires. Or
les fluctuations conjoncturelles sont perçues
comme révélatrices d’inefficacité dans le système économique. Leur existence justifiait
l’intervention de l’État par le jeu de politiques de stabilisation. On peut alors imaginer
comment les modèles RBC ont été accueillis
par les économistes européens quand on sait
que la plupart d’entre-deux attribuent un rôle
déterminant aux chocs de demande et aux
chocs monétaires. Compte-tenu des hypothèses des modèles RBC, ces outils prédisent que
les politiques économiques, notamment de
stabilisation conjoncturelle, n’ont aucune
efficacité. L’absence de frictions et d’imperfections a, en effet, pour corollaire que les
actions des agents parfaitement informés et
rationnels suffisent pour que l’économie se
place en permanence sur la meilleure trajectoire possible compte tenu des chocs de productivité qu’elle subit. La politique monétaire
ne devrait avoir aucun effet sur les variables
« réelles » (notamment la production), la politique fiscale (notamment les stabilisateurs
31
Analyse structurelle
automatiques) serait essentiellement néfaste,
et le coût des efforts de stabilisation seraient
contre-productifs (Prescott, 1986)
Résolution du modèle
et validation du modèle
La résolution du système d’équations composé
des conditions d’optimalité, des contraintes
d’optimisation ainsi que des conditions d’équilibre agrégé permet de déterminer les trajectoires suivies par les variables endogènes du
modèle pour les processus déterministes et stochastiques exogènes. Plusieurs méthodes de
résolution approchées sont envisagées dans la
littérature avec l’objectif de déterminer le comportement cyclique du modèle c’est-à- dire son
évolution autour de l’équilibre de long terme,
lorsqu’il est soumis à des chocs aléatoires.
L’équilibre de long terme est l’état stationnaire,
c’est-à-dire l’état pour lequel toutes les variables croissent au même taux. Ayant obtenu la
forme algébrique, il est nécessaire d’étalonner
le modèle (c’est-à-dire de donner des valeurs
aux paramètres du modèle) ou d’estimer les
paramètres. Si l’on reprend les relations (1) et
(2) et la structure du modèle algébrique (3-7),
on réécrira le modèle canonique résolu de la
manière suivante :
ht − h
Xt =
h
k t +1 − k
k
it − i
= AX t −1 + Be t ; avec xt = Xt / Zt
i
......
La spécification du processus des chocs affectant le système économique repose sur une
estimation préalable. Dans un cadre de
concurrence pure et parfaite et avec des rendements d’échelle constants, il est naturel de
mesurer le choc technologique sur la base des
propriétés statistiques du résidu de Solow9. Le
modèle est ensuite simulé en tirant de façon
aléatoire les innovations affectant le système
(choc technologique dans ce modèle simple)
afin de déterminer des vecteurs de séries
macroéconomiques brutes, séries qui seront
32
ensuite traitées avec le filtre Hodrick-Prescott
pour calculer les caractéristiques empiriques
du cycle ainsi obtenues (moments théoriques). Les caractéristiques du cycle théorique
filtré (variances, covariances, auto corrélations) sont données comme moyennes empiriques sur l’ensemble des n simulations. Il est
possible alors de calculer les écarts types
empiriques de ces moments différents. La validation du modèle consiste à comparer les principaux moments (variances, corrélations croisées, auto corrélations) des composantes cycliques des variables macroéconomiques observées avec ceux obtenus par simulation du
modèle. Une autre méthode consiste à comparer la dynamique des variables obtenues suite
à un choc exogène de productivité (déviation
par rapport à l’état stationnaire). Cette dynamique est analysée sur la base d’une fonction
de réponse générée par le modèle et comparée
ensuite avec celle obtenue par la méthodologie
vectorielle autorégressive (VAR) sur la base
des données observées.
Reproduction des faits stylisés
par les modèles RBC
En dépit de leur simplicité, les modèles RBC
permettent de reproduire des caractéristiques
essentielles du cycle des affaires, comme par
exemple l’amplitude des fluctuations de la
consommation relativement à celle de l’investissement au cours du cycle. Dans le
tableau ci-dessous, on reproduit les résultats
du modèle RBC canonique appliqué aux données françaises (Hairault, 1996). Les RBC orignaux ont cependant une difficulté à reproduire certains faits stylisés, notamment ceux
spécifiques au marché du travail. Ils sont incapables de reproduire des fluctuations réalistes
des heures travaillées et du salaire réel (le premier fait stylisé énoncé précédemment). Le
modèle de base sous-estime la variabilité des
heures travaillées et peine à reproduire une
9
En effet, Solow (1957) propose de mesurer le
taux de croissance imputable au progrès technique exogène (qualifié de résidu de Solow)
comme la partie de la croissance du PIB qui n’est
pas imputable à la croissance des facteurs de production (capital et travail).
Les modèles DSGE
Modèle RBC pour la France (économie fermée)
Y
PIB
Ecart-type
Ecart-type/ Ecart-type de Y
Auto corrélation d’ordre 1
Corrélation avec Y
Corrélation avec HL
1.42
1
0.68
1
C
I
HL
Consommation Investissement Heures travaillées
0.48
0.33
0.72
0.95
3.71
2.60
0.67
0.99
0.43
0.30
0.67
0.98
Y/HL
Productivité
0.99
0.69
0.69
0.99
0.97
Source : Hairault (1996).
composante cyclique des heures travaillées
aussi volatile que celle de la production. Le
salaire réel généré est fortement pro-cyclique,
en contradiction avec les observations empiriques. Globalement, le modèle canonique manque de propriétés d’amplification et de propagation des chocs. Indépendamment de la question de l’étendue de l'élasticité de l'offre de travail, la corrélation entre les heures travaillées
et le salaire réel prédit par le modèle est extrêmement élevée.
Autre problème, les modèles RBC accordent
une grande importance aux chocs technologiques. Les chocs technologiques ont un impact
sur les agrégats macroéconomiques qui a une
forte composante permanente. Les chocs de
demande agrégée, qui ont une place centrale
dans d'autres approches du cycle (par exemple l'approche keynésienne), ont un impact
temporaire. Kydland, King et Rebelo ont mis
l’accent sur la taille des chocs technologiques
nécessaire pour reproduire la variabilité observée de l'output et des autres agrégats macroéconomiques. Si l’on calibre le processus stochastique engendrant les chocs de façon à
pouvoir expliquer cette variabilité, la probabilité que l'économie subisse un choc technologique négatif devient relativement élevée.
Cette possibilité ne semble pas très plausible.
Des études empiriques fines sur les mesures
du résidu de Solow suggèrent que celui-ci est
beaucoup plus faible que ne l’indique Prescott
(1986). Une façon d'évaluer la capacité des
modèles RBC à expliquer le cycle est de mesurer l'importance de la composante permanente
des fluctuations du PIB. Or, les modèles RBC
éprouvent des difficultés à reproduire les propriétés de persistance des séries macroéconomiques (Cogley et Nason, 1995). Les filtres
Hodrick-Prescott (HP) peuvent introduire des
auto- corrélations fictives dans les séries
macroéconomiques. Le fait d'extirper une tendance en appliquant un filtre Hodrick-Prescott
ou en calculant une série en taux de croissance peut affecter la persistance de la série
(mesurée, par exemple, par sa fonction d'autocorrélation). Si l’on s'intéresse au comportement dynamique conjoint de deux ou de plusieurs séries, le fait d'utiliser le filtre HP ou le
taux de croissance peut influencer la relation
dynamique entre les séries, mesurée par
exemple par le calcul de coefficients de corrélation décalés entre deux séries différentes.
Le modèle RBC originel a été amendé afin de
produire le fait stylisé (1). Les premières innovations majeures ont été d’introduire les chocs
de dépense publique, l’indivisibilité des heures
de travail et les chocs sur les préférences. Pour
le marché du travail, on a d’abord fait l’hypothèse de rétention de main-d’œuvre. Les entreprises sont supposées faire leurs choix relatifs
à l’intrant travail avant d’avoir pu observer les
chocs qui frappent l’économie. En réponse à
ces derniers, elles peuvent faire varier l’effort
des salariés mais doivent attendre quelques
périodes avant de réajuster l’emploi à son
niveau désiré. Ces mécanismes, permettant de
propager les effets des chocs dans le temps,
contribuent à générer une plus forte persistance des agrégats macroéconomiques. Les
modèles RBC ont été couplés également aux
modèles d’appariement (Andolfatto, (1996),
Merz, 1995) afin de prendre en compte le chômage frictionnel et les négociations salariales.
Les insuffisances des modèles RBC ont
conduit progressivement à introduire dans
ces modèles des imperfections de marché
ainsi que des rigidités réelles et nominales,
de façon à obtenir un modèle reproduisant
les caractéristiques observées les plus importantes du cycle des affaires. Les économistes
33
Analyse structurelle
ont également ajouté au choc de productivité
de la théorie des cycles réels, un grand nombre de perturbations aléatoires, portant sur la
demande et les imperfections des marchés.
Quand le sigle RBC disparaît
progressivement au profit
de celui de DSGE
On peut considérer que la démarche d’amendement des RBC et de prise en compte des
rigidités et des imperfections des marchés
avait à peu près abouti dans la moitié de l’actuelle décennie, avec le modèle de Christiano,
Eichenbaum et Evans (2005), estimé sur données européennes par Smets et Wouters
(2003). Ce rapprochement entre la méthodologie de l’équilibre général dynamique et les
développements de la nouvelle économie keynésienne est à la base d’une nouvelle synthèse
néoclassique. L’objectif de ces travaux est
d’expliquer l’inertie de l’inflation et la réaction
persistante de la production en réponse à des
chocs de politique monétaire.
période. Dans ces conditions, la demande
agrégée, qui dépend aussi des taux d’intérêt
espérés, réagit fortement à des ajustements
graduels des taux d’intérêt. Les modèles n’ont
pu véritablement montré une quelconque
influence de la politique monétaire que
lorsqu’on a incorporé les rigidités nominales à
l’échelle des décisions individuelles. Dans ces
conditions, le rôle des banques centrales redevenait important puisqu’elles sont en mesure
de stabiliser l’activité économique. Notons
également que l’endogénisation de la monnaie
(King et Plosser (1984), Kydland et Freeman,
2000) permet de faire dépendre les variations
des encaisses nominales en fonction des fluctuations cycliques de la création endogène de
monnaie par le secteur bancaire. Cependant,
ces modèles ne parviennent pas à reproduire
les variations cycliques des taux d’intérêt réels
et nominaux (volatilité, persistance). Ils prédisent un accroissement du taux d’intérêt nominal à la suite d’un choc expansionniste sur la
masse monétaire, ce que les études empiriques
ne confirment pas (Avouy-Dovi et all).
Prise en compte de la monnaie
Prise en compte
de la concurrence monopolistique
Les premiers modèles DSGE supposaient que
le taux de croissance de l’offre de monnaie
suivait un processus exogène aléatoire. Le
taux de croissance de long terme de la monnaie devenait la cible de long terme de l’inflation. La deuxième modification a consisté
inclure la monnaie pour un motif de transaction (Cooley et Hansen, 1989) puis à l’introduire comme argument de la fonction d’utilité. Les résultats de ces travaux débouchent,
en général, sur une contribution insignifiante
des chocs monétaires aux fluctuations de l’activité. La politique monétaire a été ensuite
introduite par une règle de fixation du taux
d’intérêt nominal, ajusté par la banque centrale en fonction des écarts de l’inflation et de
production à leur cible de long terme. Les
innovations théoriques ont consisté à introduire une règle de Taylor généralisée qui permet une réponse retardée du taux d’intérêt à
sa valeur passée et qui évolue en fonction des
nouvelles infirmations qui arrivent à chaque
Le modèle canonique DSGE suppose que chaque ménage de l’économie a un pouvoir
monopolistique sur leur offre de travail (les
travailleurs sont en concurrence monopolistique sur le marché du travail). Puis, on suppose qu’il existe une « agence pour l’emploi »
qui agrège le travail en combinant le travail
offert par les ménages. L’agence minimise le
coût de production d’un l’indice du travail
agrégé en prenant pour donné le salaire des
ménages. Cet agence vend ensuite des unités
du travail agrégé au secteur productif à un
indice de salaire agrégé. Côté production, on
postule l’existence de deux catégories de
biens. Les entreprises produisant des biens
intermédiaires sont également en concurrence monopolistique. Elles utilisent du capital et une demande d’emploi pour offrir un
substitut imparfait aux biens intermédiaires
présents sur le marché. La deuxième catégorie d’entreprises évolue sur un marché
concurrentiel et produit des biens finaux en
34
Les modèles DSGE
prenant comme donné son propre prix ainsi
que celui des biens intermédiaires. Au total,
le bien final offert sur le marché devient la
combinaison d’un continuum de biens intermédiaires qui sont imparfaitement substituables. Ce programme permet d’exprimer le
prix du bien final comme une variable déterminée par les prix des biens intermédiaires.
L’introduction des comportements de marge
permet de réduire les effets des chocs de productivité (Hornstein, 1993) et d’augmenter
les effets des chocs budgétaires et monétaires
(Rotemberg et Woodford, 1992 et 1995).
Prise en compte
des rigidités réelles
Dans le modèle DSGE canonique, elles sont
au nombre de trois. Une première rigidité
réelle est introduite au niveau de l’évolution
de la consommation du ménage représentatif.
Celui-ci est censé retirer de l’utilité de sa
consommation courante qui dépend ellemême de ses consommations passées. On
introduit ici l’idée d’un ménage habitué à un
certain standard de vie, ce qui l’amène à
ajuster lentement sa consommation à la
hausse (ou à la baisse) lorsque son revenu
augmente (ou diminue) de façon permanente. La deuxième rigidité réelle porte sur le
taux d’utilisation du capital. On suppose que
celui-ci est associé à un coût par unité de
capital. Cette seconde rigidité réelle découle
du fait qu’un changement de rythme de l’investissement relativement au capital installé
est coûteux, ce qui incite les entreprises à
ajuster assez lentement leurs capacités de
production à un changement, même permanent, de l’environnement économique. Une
troisième rigidité est en somme assez classique puisqu’elle consiste à introduire des
coûts d’ajustement de l’investissement.
Prise en compte
des rigidités nominales
Les entreprises en concurrence monopolistique sont censés ne pas pouvoir modifier leurs
prix instantanément, car ils subissent des
coûts d’ajustements ou cherchent à préserver
des relations de clientèle. Smets et Wouters
(2003) trouvent une durée moyenne de fixation des prix d’environ deux ans alors que les
études microéconomiques estiment une
période de 6 à 12 mois. Ces rigidités nominales permettent de rationnaliser des effets
éventuellement persistants des chocs monétaires. Le comportement dynamique de l’inflation est une version prospective de la
courbe de Phillips qui relie l’inflation à sa
valeur passée, à sa valeur future et au coût
marginal réel de la production. Faire dépendre l’inflation du coût marginal réel de production a pour but de limiter la volatilité de
l’inflation. En effet, le coût marginal réel est
dans les faits persistant. Il semble même que
les modèles DSGE tendent à recourir à un
degré de rigidités nominales irréaliste pour
reproduire la persistance de l’inflation (Bils et
Klenow (2004), Dhyne et alii, 2006). Or, il
n’est pas nécessaire de postuler de fortes rigidités nominales pour justifier la faible pente
de la courbe de Phillips.
Pour rationaliser les rigidités nominales,
Woodford (2003) introduit la notion de complémentarités stratégiques qui stipule que le
choix de prix d’une entreprise dépend positivement des décisions prises par ses concurrents.
Face à un choc qui la pousse à réviser son prix
à la hausse, elle est tentée de ne le faire que
partiellement si elle craint que ses concurrents
n’augmentent pas les leurs. Selon l’hypothèse
de complémentarité stratégique, tous les producteurs en concurrence monopolistique finissent par adopter de faibles variations de leur
prix, ce qui tend à rendre l’inflation insensible
aux mouvements du coût marginal réel. Les
rigidités nominales sont formalisées par l’hypothèse dite de Calvo (1983) : les ménages et
les entreprises intermédiaires ne sont pas certains de pouvoir ajuster à chaque période leurs
salaires ou leurs prix de façon optimale. Quand
ils échouent dans leur ajustement, le salaire ou
le prix qui les concerne évolue de façon
conforme à l’inflation passée ou à l’inflation
tendancielle de l’économie. A chaque période
les ménages par exemple ne peuvent modifier
leurs salaires qu’avec une probabilité donnée,
indépendante du temps écoulé depuis leur der35
Analyse structurelle
nière révision de salaire10. La durée moyenne
de fixation des salaires, autrement dit le temps
moyen entre deux révisions, dépend de l’inverse de la probabilité de modification des
salaires. Ainsi, l’introduction de la viscosité
des prix et des salaires permet de créer des
salaires réels rigides. Cela les rend moins sensibles aux chocs, ce qui permet de lisser le coût
marginal réel qui, à son tour, a pour effet de
limiter la volatilité de l’inflation. L’inertie du
coût marginal réel est réalisée aussi par la
variabilité du taux d’utilisation du capital. En
effet, la variabilité du taux d’utilisation
absorbe une partie des chocs qui accroissent la
demande de capital, ce qui implique une faible
variation du prix du capital qui se transmet au
coût marginal réel.
Les utilisations possibles
des modèles DSGE
Vérification des hypothèses
du modèle
Lorsque le modèle est estimé sur les données
observées, il est possible de vérifier si les
rigidités réelles ou nominales sont nécessaires pour reproduire les données. Pour vérifier
l’importance des rigidités nominales, sur les
prix et les salaires, quatre modèles ont été
estimés sur les données européennes par
Moyen et Sahuc (2007) : le premier n’inclut
aucune rigidité nominale ; le second impose
une rigidité sur les prix mais laisse les salaires flexibles ; le troisième impose une rigidité
sur les salaires mais laisse les prix flexibles ;
le dernier possède à la fois des prix et des
salaires rigides. En comparant des fonctions
de vraisemblance obtenues, Moyen et Sahuc
montrent que le modèle incluant les deux
rigidités nominales est celui qui « colle » le
mieux aux données. Ce travail suggère que
l’hypothèse de rigidité à la fois des prix et des
salaires est importante et permet de pouvoir
10
Si les prix sont susceptibles d’être modifiés avec
une probabilité de 50%, alors en moyenne, la
moitié des entreprises modifient leurs prix à chaque période.
36
reproduire correctement les données. Afin
d’évaluer l’importance de la persistance
endogène de l’inflation et de l’inflation salariale, Moyen et Sahuc (2007) comparent les
modèles avec et sans indexation des salaires
et des prix. Les estimations effectuées par ces
auteurs permettent de penser que les indexations ne sont pas une hypothèse cruciale
dans le cadre de ce modèle. Le modèle préféré par les auteurs est cependant celui pour
lequel il n’y a qu’une indexation des prix.
Pour savoir quelle rigidité réelle retenir (le
taux d’utilisation du capital, l’habitude de
consommation ou les coûts d’ajustement sur
l’investissement), Moyen et Sahuc comparent
les différentes versions d’un DSGE en enlevant chacune des rigidités réelles mentionnées. Ils trouvent que le modèle DSGE appliqué sur données européennes semble n’avoir
pas besoin de rigidité des taux d’utilisation
du capital. Les hypothèses de formation d’habitude et de coûts d’ajustement sur l’investissement semblent par contre nécessaires. On
peut retenir surtout depuis le travail novateur
de Christiano et alii (2005) que seules les rigidités des salaires nominaux sont importantes.
Les rigidités des prix nominaux ne sont pas
toujours nécessaires.
Reproduction des faits stylisés
de l’économie européenne
Le modèle DSGE de base tel qu’estimé par
Moyen et Sahuc sur données européennes
reproduit plutôt bien la volatilité du taux d’intérêt et de l’inflation mais surestime la volatilité des variables réelles par un facteur de
deux (voire trois). En outre, retirer l’hypothèse
de formation d’habitude de consommation,
rapproche la volatilité des variables réelles
déduite du modèle de celle des données.
Globalement, le modèle de référence (ainsi
que les modèles avec une seule rigidité
réelle) a du mal à reproduire les auto-corrélations observées (cf. tableau ci-dessous). Le
modèle surestime l’auto-corrélation des
variables réelles (PIB, investissement, salaires) et sous-estime celle des variables nominales. Le modèle sans coûts d’ajustement sur
l’investissement implique les plus fortes
auto-corrélations.
Les modèles DSGE
Reproduction des faits stylisés
de l’économie européenne
InvestisTaux
Salaires
sement
d'intérêt
Volatilité (écarts-types)
6.851
4.121
0.648
PIB
Données
Rigidité nominales sur les prix
et sur les salaires avec indexation des prix
Sans taux d'utilisation du capital
Sans Habitude de consommation
Sans coût d'ajustement
1.979
Inflation
0.379
6.757
13.401
7.784
0.411
0.335
7.708
4.374
11.799
12.888
11.473
18.040
8.785
4.715
14.015
0.411
0.385
0.515
0.359
0.334
0.436
Source : Moyen et Sahuc (2007)
Auto-corrélations du PIB obtenues
à partir de quatre modèles DSGE
Données européennes (zone euro)
Rigidité nominales sur les prix et sur les salaires
avec indexation des prix
Sans taux d'utilisation du capital
Sans habitude de consommation
Sans coûts d'ajustement
1
0.939
Ordre des retards
2
3
4
0.870
0.796
0.713
5
0.6198
0.994
0.982
0.967
0.951
0.935
0.996
0.987
0.997
0.988
0.968
0.995
0.978
0.947
0.992
0.967
0.925
0.990
0.955
0.902
0.987
Source : Moyen Sahuc (2007)
Identification des chocs
L’opposition entre l’approche des modèles
RBC, qui privilégient les chocs réels (productivité, dépense publique) et les monétaristes, qui
avantagent les chocs monétaires, a poussé les
uns et les autres à chercher à identifier l’importance relative des différents chocs dans l’explication des cycles économiques. De même que
l’on a cherché avec des DSGE en économie
ouverte à vérifier si les chocs du commerce
extérieur ont une plus grande part explicative
des fluctuations économiques comparativement aux chocs domestiques. A ce titre, les
modèles VAR vont se révéler des outils précieux. On peut dire qu’il existe de nos jours un
consensus pour dire que les chocs de productivité ne sont pas les seules sources des fluctuations économiques. Cependant, il reste difficile
à évaluer la contribution des chocs monétaires.
Les résultats des différents travaux sont contradictoires car ils dépendent de la méthode
d’identification des chocs. Dans un modèle
DSGE, les chocs monétaires et les chocs réels
sont modélisés explicitement et doivent être
orthogonaux (ne pas s’influencer mutuellement) entre eux, afin qu’il soit possible d’inter-
préter les chocs. Les modèles diffèrent par le
nombre de chocs modélisés et les techniques
d’estimation utilisées. On peut citer cependant
l’étude d’Ireland(2004) qui utilise un DSGE
néo-keynésien et montrent que les chocs technologiques jouent un rôle marginal dans un
modèle où les prix sont visqueux. On peut
même penser, depuis le travail d’Ireland, que
ce résultat permet de discriminer entre les
modèles RBC et les modèles DSGE néo-keynésiens. Dans un autre travail, Bergin(2003)
estime un modèle d’économie ouverte sur les
données australiennes, britanniques et canadiennes. Il montre que les chocs d’offre monétaire ne jouent presque aucun rôle dans la
variabilité de la production et dans les fluctuations des comptes courants. Les chocs monétaires semblent par contre jouer un rôle sur
l’évolution des taux de change nominal et réel.
Simulation des réactions des modèles
DSGE à des chocs exogènes
Afin d’illustrer les prédictions d’un DSGE
avec rigidités néo-keynésiennes et chocs
monétaires, on peut donner un exemple de
37
Analyse structurelle
mécanisme de propagation interne à l’économie européenne à partir du modèle de Moyen
et Sahuc. Prenons l’exemple de l’effet d’une
amélioration de la productivité totale des facteurs de 1%. La réponse du PIB donnée par
le modèle est automatiquement positive
(0,25%) et augmente graduellement jusqu’à
atteindre 1%. Le choc augmente également la
consommation puisque les ménages accroissent leurs dépenses (jusqu’à 0,80%). Il en est
de même pour l’investissement (jusqu’à 2%).
Les salaires réels sont indexés sur la productivité et suivent mimétiquement l’évolution
de la production. La production croît moins
que la production potentielle et l’écart de
production négatif qui en résulte crée des
pressions à la baisse sur les prix. Les autorités monétaires sont alors incitées à réduire le
taux d’intérêt (-0,1%). La politique monétaire devient alors accommodante et les prix
bougent très peu. La réponse de l’inflation
est négative et montre de la persistance.
Pour des simulations de chocs monétaires
(augmentation du taux d’intérêt nominal de
0,5%), Moyen et Sahuc montrent que ce choc
pousse les ménages à réduire leurs dépenses
de consommation (-2%) en même temps que
le taux d’intérêt réel augmente (0,5%). Les firmes réduisent massivement leurs dépenses
d’investissement (-10%), leur demande de travail et le taux d’utilisation du capital, causant
ainsi une chute importante du coût marginal.
Le déclin de l’investissement explique la majorité de l’évolution du PIB (-4%). L’hypothèse
de rigidité des prix induit une baisse persistante de l’inflation (-1%). Etant fortement procyclique, les salaires baissent suivant une
dynamique persistante (jusqu’à -3%). Si ces
résultats vont dans le sens attendu, ils semblent décrire une réaction de l’économie qui
paraît exagérée.
L’intérêt que suscite les modèles DSGE ne se
limite pas bien sûr aux utilisations possibles
qu’on vient d’énumérer. Une de leur « valeur
ajoutée » est de pouvoir simuler dans une
approche prospective, des changements
d’orientation des politiques publiques (politique fiscale, politique budgétaire) et des
38
règles des politiques monétaires et de pouvoir choisir parmi les différentes options
selon des critères à définir, notamment le
bien-être des ménages. Les modèles DSGE
peuvent également être utilisés pour obtenir
une interprétation d’une période passée particulièrement turbulente, comme la Grande
Dépression aux Etats-Unis. Au stade actuel
du développement des modèles DSGE, il
n’est pas sûr que leur utilisation à des fins de
prévision conjoncturelle soit convaincante.
Cependant, si les modèles macro-économétriques classiques restent utiles pour la prévision et permettent la réalisation de variantes
par rapport à un compte central, ils demeurent, dans leurs structures, inférieurs aux
modèles DSGE. Ces derniers sont, par opposition, structurels et ont cadre de long terme
bien défini, deux caractéristiques essentielles
pour l’évaluation des réformes structurelles.
Conclusion
On a présenté la démarche consistant à utiliser
des modèles DSGE pour l’explication des fluctuations économiques et l’analyse des politiques publiques. On a illustré la démarche en
reprenant les travaux récents et en se focalisant
sur les économies française et européenne. On
peut penser aujourd’hui que l’agenda du programme de recherche RBC a abouti avant tout
sur une méthodologie de modélisation. Ce programme a développé un nouveau mode de dérivation des implications d’une hypothèse et de
leur confrontation aux données. Cette tentative
d’expliquer des fluctuations économiques dans
un cadre « idéal » sans introduire d’imperfections a permis de fournir un cadre de référence
auquel des modèles plus riches ont pu être
comparés. L’incorporation de rigidités nominales et réelles et la prise en compte des chocs
monétaires ont donné lieu à un pot pourri de
modèles ayant pour objectif l’analyse dans un
cadre néo-keynésien des modifications des politiques publiques et une meilleure compréhension des sources des fluctuations économiques.
Achevé de rédiger le 8 janvier 2008
Mourad Ayouz - [email protected]
Les modèles DSGE
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40
Analyse structurelle
La compétitivité française
en 2007
par Denis Ferrand
Cet article présente une actualisation du dossier sur la compétitivité française
paru en janvier 2007 dans la revue Diagnostic(s). Il résume un document de
travail intitulé « La compétitivité française en 2007 » accessible sur le site de
Coe-Rexecode (www.coe-rexecode.fr)1.
Depuis début 2007, la part des exportations françaises de marchandises dans
les exportations européennes se stabilise. Cette stabilisation intervient après
sept années de recul consécutif. De 1999 à 2007, cette part a ainsi baissé de
16,5 % à 13,4 %.
Le recul des parts de marché qui est intervenu au cours de cette période a été
relativement homogène et a touché la plupart des marchés et des secteurs.
Loin d’être un phénomène exclusivement industriel, il a également concerné
les activités de services. Il s’est opéré en dépit d’une baisse de prix des produits exportés d’une ampleur inégalée en Europe. Les dérives de coûts salariaux sont devenues défavorables à la compétitivité-coût de la France, de
sorte que les résultats des entreprises à l’exportation ont fortement diminué.
L’amélioration de la compétitivité-prix s’est ainsi effectuée au prix d’un recul
des marges de sociétés industrielles opérant en France sans comparaison avec
ce qui s’est observé ailleurs dans la zone euro.
ous retenons comme acception du
terme compétitivité « l’aptitude
d’une économie à produire des
biens et des services qui satisfont au
test de la concurrence sur les marchés et à augmenter simultanément et de
façon durable le niveau de vie de leur population ». Notre démarche d’analyse de la compétitivité s’inscrit dans une optique où le
cœur de l’analyse relève de la compétitivité
d’un territoire et non de l’examen privilégié
de la compétitivité des entreprises. La compétitivité des économies comporte deux séries
de critères : les premiers sont relatifs aux performances commerciales sur les marchés
mondiaux, les seconds sont relatifs à l’évolu-
N
1
tion du niveau de vie de leur population et de
l’emploi. Pour qu’une économie puisse être
considérée comme compétitive, les produits
et les services offerts par les unités de production implantées sur son territoire doivent
répondre à la demande mondiale (exportations et demande intérieure), ce qui permet
au pays de maintenir ou d’améliorer ses positions sur le marché mondial. Il convient aussi
que ce maintien ne s’accompagne pas d’un
recul relatif du niveau de vie de la population. Cela pourrait être notamment le cas
d’une économie qui maintiendrait sa part de
marché en sacrifiant le pouvoir d’achat intérieur. Il faut également que cette situation
soit durable, c’est-à-dire que le maintien des
Ont également contribué à la rédaction de ce document de travail : Mourad Ayouz, Stéphane Capet, Alain
Henriot et Arnaud Louis.
41
Analyse structurelle
parts de marché ne soit pas acquis au prix
d’une baisse des niveaux salariaux, des prix
de vente et des profits des entreprises, ce qui
sacrifierait le pouvoir d’achat et la croissance
future. La situation de l’économie française
paraît cumuler les handicaps précédents :
une baisse des parts de marché des exportations françaises s’observe depuis la fin des
années 1990 en dépit d’un recul relatif des
prix de vente et d’efforts de marge consentis
par les entreprises. Une forte détérioration
des résultats des entreprises à l’exportation
s’est opérée conduisant à l’éviction d’entreprises installées sur le territoire hors des marchés à l’exportation.
France
3.0
Solde de la balance
des paiements courants
En % du PIB
2.0
1.0
0
-1.0
-2.0
-3.0
1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005
Source : Balance des paiements, Banque de France
Stabilité du solde
extérieur depuis mi-2006
Un premier indicateur classique fournissant
une représentation des tendances récentes
des performances à l’exportation comme sur
les marchés intérieurs est le solde de la
balance des paiements courants. En l’espace
de sept ans, l’excédent dégagé en 1999 par la
balance des paiements courants à hauteur de
3,1 % du PIB s’est transformé en un déficit
dont le montant est ressorti à 1,3 % du PIB
en 2006 comme sur l’ensemble du premier
semestre 2007. Cette dégradation du solde
des échanges extérieurs est sans précédent
par son ampleur et sa rapidité. Elle concerne
l’ensemble des types d’échanges internationaux, ceux des échanges de biens comme
ceux de services.
Erosion des parts de marché
de la France depuis 2000
Accroissement
de la pénétration du marché
intérieur par les importations
Le creusement du solde déficitaire des échanges extérieurs de l’économie française s’ex42
plique à la fois par des performances à l’exportation en retrait de la progression du commerce mondial et par un accroissement de la
pénétration du marché intérieur par les
importations. Nous nous arrêtons dans un
premier temps sur cette seconde tendance.
Sur longue période, les importations françaises en volume progressent à un rythme plus
rapide que l’ensemble de la ressource (PIB +
importations) dont dispose l’économie pour
répondre à la demande qui lui est adressée.
En moyenne de 1973 à 2006, la progression
des importations a été un peu moins de deux
fois plus rapide que la progression de l’ensemble de la ressource (4,7 % par an en
moyenne pour les importations contre 2,7 %
par an pour l’ensemble de la ressource). Cet
écart dans les rythmes de progression est
relativement constant au fil du temps. Une
légère accélération de la pénétration du marché intérieur par les importations semble toutefois s’opérer au cours de la période la plus
récente. Entre 2002 et 2006, les importations
ont progressé de 5 % par an contre 2,5 % par
an pour l’ensemble de la ressource.
Cette observation menée à l’échelle de l’ensemble de l’économie masque toutefois des
configurations sectorielles marquées. Ainsi le
dynamisme de la consommation des ménages
à l’œuvre de manière ininterrompue en
France depuis 1997 échappe-t-il pour l’essentiel aux producteurs installés en France. La
La compétitivité française en 2007
La part des échanges mondiaux
détenue par la France a baissé
d’un quart en l’espace de sept ans
majeure partie, de l’accroissement des dépenses de consommation a été satisfaite par une
dérive rapide des importations de biens
manufacturés. La production industrielle des
biens de consommation en volume a progressé de 8,2 % entre son niveau moyen de
2000 et le deuxième trimestre 2007 quand les
dépenses de consommation des ménages en
biens de consommation manufacturés avançaient de 22,2 % dans le même temps et les
importations de biens de consommation (en
volume) de 67,3 %. Pour l’ensemble des produits industriels, la production sur le territoire
a progressé de 3,8 % sur la même période
quand l’ensemble des emplois de produits
industriels progressait de 13,6 % et les importations de ces mêmes produits de 34,9 %.
Un indicateur classique pour évaluer l’aptitude d’un pays à produire des biens qui satisfont au test de la concurrence mondiale est
l’évolution de ses parts de marché à l’exportation. Celles-ci sont définies comme le rapport
entre les exportations du pays et les importations de ses partenaires commerciaux. Entre
1999 et le premier semestre 2007, la part de
marché de la France dans le monde (en
valeur) a reculé de 1,4 point de pourcentage,
passant de 5,3 % en 1999 à 4 % en moyenne
depuis le début de l’année en cours.
Ce phénomène d’accroissement de la pénétration du marché intérieur s’inscrit dans un
environnement marqué par la suppression
progressive des barrières à l’échange, notamment dans le cadre de la construction européenne, et par une tendance au morcellement
et à la globalisation des processus de production. Des évolutions similaires sont au
demeurant à l’œuvre dans tous les pays d’industrialisation ancienne. Dans le cas de la
zone euro prise dans son ensemble, la progression des importations en volume est également près de deux fois plus importante que
celle de l’ensemble de la ressource. Le taux
de pénétration mesuré en valeur a dépassé
son point haut de 2000.
Un indicateur de pénétration des marchés
étrangers à l’importation par les exportations
françaises peut également être construit. Il
aboutit à un constat proche du précédent.
Surtout sa décomposition marché par marché
souligne que ce recul est quasiment généralisé. Entre 1999 et 2006, sur l’ensemble des
cinquante premiers pays importateurs mondiaux, la part des importations en provenance de France dans les importations totales
de chaque pays pris individuellement n’a
progressé que pour cinq pays : Estonie,
Pologne, République slovaque, Australie et
Malaisie. Elle a été stable en Hongrie et à
Singapour. Partout ailleurs, le taux de pénétration des importations locales par les exporPart des exportations françaises
de marchandises dans les exportations
mondiales de marchandises en valeur
France
25
Taux de pénétration des importations
de biens et services
Importations de biens et services /
(PIB + imports) (en %)
7.0
en %
6.0
23
5.0
21
19
17
En volume
En valeur
4.0
Série mensuelle (moy. mob. / 3 mois)
3.0
15
90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 00 01 02 03 04 05 06 07 08
Source : INSEE, calculs Coe-Rexecode
1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005
Sources douanières nationales
43
Analyse structurelle
tations françaises a reculé. Pris globalement,
les pays pour lesquels la pénétration du marché à l’importation par les exportations françaises a progressé entre 1999 et 2006 ont été
la destination de seulement 3 % des exportations françaises en 2006. Cet indicateur de
part des exportations françaises de marchandises dans les échanges mondiaux ne fournit
toutefois qu’une information partielle sur
l’évolution de la compétitivité. Elle peut
notamment être perturbée par des aléas
conjoncturels et structurels (déformation de
la structure des prix relatifs, évolution du
taux de change) sans que la capacité de l’appareil productif à produire des biens et des
services satisfaisant au test de la concurrence
sur les marchés mondiaux ne soit en défaut.
L’euro fort pèse
sur la dynamique des exportations
Une comparaison du comportement des
exportations de la zone euro et de ses pays
membres par rapport à la demande mondiale
qui lui est adressée permet d’apprécier grossièrement l’impact exercé par l’évolution de
la valeur extérieure de la monnaie sur les performances à l’exportation. La progression de
la demande mondiale correspond à la croissance des exportations d’une économie qui
est permise, à parts de marché inchangées,
par la progression des importations de ses
économies partenaires. Entre 1999 et 2002,
période durant laquelle l’euro a valu en
moyenne 0,96 dollar, la progression des
exportations de la zone euro a dépassé celle
de la demande mondiale qui lui était adressée. C’est l’inverse qui s’est produit depuis
2002. Entre 2002 et 2007, la croissance des
exportations de la zone euro a été de 5,1 %
quand, dans le même temps, la demande
mondiale adressée à la zone euro progressait
de 7,5 %. Cet écart de 2,4 points de pourcentage par an en moyenne dans le cas de la
zone euro se monte à 4,4 points dans le cas
de la France de 2002 à 2007. Cet écart est en
revanche positif à hauteur de 0,5 point par an
dans le cas de l’Allemagne. Parmi les grands
pays de la zone euro, l’Allemagne est la seule
économie à avoir vu ses exportations progres44
ser plus rapidement que la demande mondiale qui lui était adressée de 2002 à 2007.
C’est l’Italie qui connaît les performances les
plus médiocres, les exportations italiennes en
volume n’ayant augmenté que de 2 % par an
entre 2002 et 2007 quand la demande mondiale adressée aux exportations italiennes
progressait de 8,1 % par an, soit le rythme le
plus rapide parmi les principales économies
européennes. L’estimation pour 2007 est
empruntée aux prévisions macro-économiques de Coe-Rexecode. Signalons par ailleurs
que, sur longue période (de 1975 à 2007),
dans le cas de la zone euro, les exportations
de biens et de services ont évolué au même
rythme que la demande mondiale adressée,
soit 5,5 % par an en moyenne annuelle. En
revanche, de 1975 à 2007, la dérive annuelle
moyenne des exportations françaises a été
inférieure à celle de la demande mondiale
adressée à l’économie française. Il est toutefois pour le moins rapide de ne voir dans
l’écart entre croissance des exportations et
croissance de la demande mondiale que le
seul impact de l’appréciation de la monnaie
unique. D’autres éléments peuvent entrer en
ligne de compte comme la recomposition sectorielle du volume des importations des économies partenaires ou une divergence des
comportements des exportateurs en matière
de fixation des prix reflet de dérives spécifiques des coûts de production.
Stabilité à un bas niveau
de la part des exportations françaises dans celles de la zone euro
Pour limiter les difficultés d’interprétation
liées aux fluctuations de court terme du taux
de change et aux mouvements de prix des
produits de base, nous comparons l’évolution
des exportations de la France à celles des
pays de la zone euro et, plus précisément, à
ceux dont la taille et le niveau de richesse
sont comparables. Le problème de conversion
monétaire ne se pose pas, au moins depuis
1997. Ce faisant, on élimine les perturbations
liées à la valeur du taux de change euro-dollar sans exclure du champ de l’analyse les
différences, en terme de sensibilité des expor-
La compétitivité française en 2007
Part des exportations françaises de marchandises
dans les exportations de marchandises
effectuées par les pays de la zone euro
moyenne mobile sur 3 mois (en %)
19
17
15
13
90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 00 01 02 03 04 05 06 07 08
Sources douanières nationales
tations au taux de change, qui peuvent résulter, par exemple, de la structure géographique
des échanges, des écarts d’inflation, de l’élasticité-prix des exportations, etc. Par ailleurs,
ces pays ont en commun qu’ils sont importateurs nets de matières premières et de
pétrole. L’analyse peut également être facilement étendue aux données en volume. Le
constat est similaire à celui effectué sur l’ensemble des exportations mondiales, à ceci
près que la dégradation paraît circonscrite à
la période récente. A partir de la mi-1999, les
exportations françaises, en valeur, ont progressé nettement moins vite que les exportations de la zone euro prise dans son ensemble, et notamment que celles des trois grands
pays que sont l’Allemagne, l’Espagne et, dans
une moindre mesure, l’Italie. La part des
exportations françaises de marchandises en
valeur dans le total des exportations en
valeur des pays de la zone euro était de
16,9 % en 1998 et 16,5 % en 1999, de 14 %
en moyenne en 2006, puis de 13,4 % en
moyenne durant les huit premiers mois de
2007. Il y a donc une érosion sensible du
revenu tiré de nos exportations relativement
aux autres pays européens. Toutefois, depuis
le début de l’année 2007, la part des exportations françaises dans les exportations de la
zone euro se stabilise à un niveau bas après
s’être vivement repliée au cours de la
seconde partie de l’exercice 2006.
A titre d’illustration, et toutes choses égales
par ailleurs, le montant des exportations françaises de marchandises en valeur aurait été
d’un montant supérieur de 104 milliards
d’euros à celui observé au cours des huit premiers mois de l’année 2007 si la part de marché des exportations françaises avait été stabilisée à son niveau de 1998, soit un montant
équivalent à 5,7 % du PIB en valeur attendu
pour 2007. Compte tenu du niveau de productivité moyen dans l’économie (mesuré
grossièrement par le rapport du PIB en valeur
à l’emploi intérieur total, soit 71 740 euros
par emploi), approximativement 1,4 million
d’emplois n’ont pas été créés ou préservés du
seul fait du recul des parts de marché des
exportations françaises de marchandises par
rapport à nos concurrents de la zone euro.
Cette évaluation doit toutefois être corrigée à
la baisse, dans des proportions délicates à
Taux de variation des exportations de marchandises FAB entre 1999
et le premier semestre 2007 mesuré
en écart à la variation des exportations de marchandises de la zone euro à 12 (%)
40
20
0
-20
-40
ag
ne
lle
m
A
Be
lg
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G
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ug
al
Po
lie
Ita
an
de
Irl
Fr
a
nc
e
-60
45
Analyse structurelle
estimer, du fait de la fuite à l’importation
qu’aurait nécessairement impliqué l’accroissement du montant des exportations.
La dégradation marquée des performances
françaises à l’exportation s’explique par la
combinaison d’un recul par rapport aux
exportations allemandes mais également par
rapport aux exportations des pays membres
de la zone euro autres que l’Allemagne. Entre
1999 et 2006, les exportations françaises de
marchandises en valeur ont progressé moins
vite que celles de tous les pays de la zone
euro pris isolément.
La part des exportations françaises dans les
exportations de la zone euro a reculé entre
1999 et 2006 sur la plupart des marchés à l’exportation pris individuellement. Seules deux
zones font exception : le Japon et les pays
d’Europe centrale et de l’Est membres de
l’Union européenne, zones où la part de marché à l’exportation de la France relativement à
l’ensemble des exportations de la zone euro a
progressé au cours de la période 1999– 2006.
Relativement homogène sur le plan des marchés nationaux, le recul des parts de marché
l’est également sur le plan sectoriel. L’écart de
croissance entre les exportations de la France
et celles des autres grands pays européens est
ainsi davantage lié à un problème de performance globale qu’à un problème de structure
du commerce extérieur qu’elle soit géographique ou sectorielle. Par produit, la croissance
des exportations françaises ne devance celle
des exportations des trois autres grands pays
européens que pour quatre catégories de produits (sur 63) : les animaux vivants, le caoutchouc brut, les minerais métallifères et
déchets métalliques et les articles en cuir et
peaux. En revanche, elle arrive en dernière
position sur 27 des 63 marchés de produits
analysés. Nous affinons ces conclusions dans
la dernière partie de cet article.
Recul de la part de marché
dans les échanges de services
Ce recul de la part des exportations françaises
dans les exportations de la zone euro s’étend
aux échanges de services. Il paraît même plus
prononcé dans ce cas. Entre 1999 et 2006, la
part des exportations françaises de services
dans les exportations de services effectués
par l’ensemble des pays de la zone euro a
reculé de 18,1 % à 13,4 %. Un quart de la
part de marché des exportations françaises de
services détenu en 1999 a été perdu durant
cette période. Dans le cas des exportations de
marchandises, ce n’est « qu’un cinquième »
des parts de marché à l’exportation qui a été
perdu relativement à la zone euro. Depuis
1992, c’est même un peu moins de la moitié
de la part de marché des exportations françaises de services qui a été perdue. A cette date,
les exportations françaises de services représentaient 24,2 % des exportations européennes de services.
Exportations françaises de marchandises
/ exportations de la zone euro
18
Part des exports françaises de services
dans les exports de services effectuées
par les pays de la zone euro (en %)
moy. mob. / 3 mois, en %
25
Toutes destinations confondues (part en %)
17
22
16
19
15
16
Echanges avec des pays
hors zone euro
Echanges intra-zone
14
13
13
90
92
94
96
98
00
02
04
Sources : Douanes françaises et Eurostat
46
06
08
1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006
Source : Eurostat, balance des paiements
Zone euro non consolidée
La compétitivité française en 2007
Les ressorts
de la compétitivité
Un important effort de prix
à l’exportation
Lorsque l’on cherche à analyser l’évolution à
court terme des parts de marché d’un pays, le
facteur explicatif le plus souvent évoqué est la
compétitivité-prix. On dira qu’un pays est
compétitif en termes de prix s’il est capable
de proposer sur un marché des produits similaires à ceux de ses concurrents mais à des
prix inférieurs. Cette compétitivité-prix repose
principalement sur les coûts de production, la
productivité (à travers les coûts salariaux unitaires), les taux de change et le comportement
de marge des entrepreneurs. Il ne faut donc
jamais perdre de vue que les mesures de compétitivité-prix et coût ne sont qu’en apparence
des indicateurs de compétitivité. Leur signification n'est pas univoque. Ces mesures doivent donc être interprétées avec précaution. Si
elles apparaissent favorables, cela ne signifie
pas forcément qu’elles assurent au pays
concerné les conditions de succès dans la
mondialisation. C’est du reste ce que suggère
la coïncidence dans le cas de la France d’un
recul des parts de marché et d’une « amélioration » apparente de sa compétitivité-prix.
Mais, au-delà de cette compétitivité-prix, de
nature conjoncturelle, l’évolution des parts de
marché est aussi fonction de la compétitivité
« hors prix », plus structurelle. Un pays est
alors considéré comme compétitif sur les
aspects hors prix s’il est capable d’imposer
ses produits indépendamment de leur prix.
Facteur de différenciation des produits, la
compétitivité « hors prix », via notamment la
notoriété des produits exportés prend une
importance croissante dans le commerce
international. Ainsi, la qualité, le contenu en
innovation technologique, l’ergonomie ou le
design d’un produit sont autant d’aspects qui
permettent à une entreprise de gagner des
parts de marché. De même, d’autres critères
hors prix tels que la performance des réseaux
de distribution (efficacité des services commerciaux, brièveté et respect des délais de
livraison) constituent des facteurs importants
dans la compétition internationale. Ces critères hors prix des produits évoluent plus lentement et sont moins sensibles aux fluctuations
conjoncturelles que les prix. Ils sont fonction
de déterminants tels que l’effort d’investissement matériel (augmentation et amélioration
des capacités de production) et immatériel
(formation, marketing, logiciels, recherche et
développement), l’organisation du travail et
de la production ou la politique économique.
L’importance de ces critères hors prix et la
performance des différents pays en la matière
sont souvent difficiles à évaluer. A ce titre,
l’enquête de Coe-Rexecode sur la compétitivité « hors prix » est précieuse.
Les évolutions des indicateurs classiques de
compétitivité prix à l’exportation qui consistent à rapprocher les évolutions des prix
observés dans un ensemble de pays soulignent que l’effort de prix accompli par les
exportateurs français a excédé celui effectué
par l’ensemble des exportateurs européens.
Cette dérive n’a toutefois pas empêché des
pertes de parts de marché des plus conséquentes. Le déflateur des exportations françaises de biens et services a en effet progressé de 3 % entre 1999 et le deuxième trimestre 2007. Il a avancé de 12,9 % dans le
cas de la zone euro. De même, l’indice des
prix à la production du secteur industriel
pour les seuls marchés extérieurs a progressé
de 2,8 % sur la même période en France et de
10,1 % dans le cas de la zone euro.
La compétitivité « hors prix »
des biens industriels français
se maintient
Au même titre que la compétitivité-prix des
biens exportés depuis la France s’est améliorée au cours des dernières années, aucune
dégradation particulière des aspects hors-prix
paraît s’être produite au cours des années
récentes. C’est le principal enseignement qui
ressort de l’enquête « image » des produits
exportés que réalise chaque année CoeRexecode auprès d’importateurs européens.
La France est même l’une des rares économies à avoir vu s’améliorer l’image du rap47
Analyse structurelle
port qualité-prix des produits qu’elle exporte
qu’il s’agisse de biens de consommation ou
de biens intermédiaires et d’équipement.
Cette enquête a fait l’objet d’une présentation
exhaustive dans le numéro d’avril 2007 de la
revue Diagnostic(s).
Les biens de consommation français sont les
seuls avec les produits espagnols et les produits exportés depuis les PECO à voir leur
ratio qualité-prix s’améliorer entre 2004 et
2006, principalement sous l’effet de l’amélioration de l’image-prix qui leur est associée. Il
en allait de même pour ce qui concerne
l’image prix et hors prix des biens intermédiaires et d’équipement qui avaient fait l’objet
de l’enquête menée fin 2005 et dont l’image
est à nouveau testée dans l’enquête pour 2007
qui est en cours de réalisation. Le score « prix
» de ces derniers biens s’est sensiblement
améliorée entre 2003 et 2005, les biens français étant parmi les seuls à connaître une telle
évolution avec là encore les produits espagnols et ceux des PECO. Le score « hors prix »
des biens intermédiaires et d’équipement restant stable alors qu’elle a reculé dans le cas
des produits allemands et britanniques.
Plus encore que la mesure de la compétitivitéprix, celle de la compétitivité-coût reste délicate à saisir. Une utilisation en comparaison
internationale des données de coût salarial,
d’emploi, de temps de travail, voire de valeur
ajoutée doit être faite avec précaution. Par ailleurs, la compétitivité-coût d’une économie
Coût horaire de la main d'œuvre
dans l'industrie manufacturière
115
France=100
110
105
ne se limite pas aux seuls coûts de main
d’œuvre, qu’ils soient horaires ou unitaires
(après prise en compte de la productivité). Il
faut naturellement tenir compte de multiples
autres facteurs dont l’un des plus importants
est la fiscalité. On peut aussi penser au degré
d’endettement des entreprises et aux taux
d’intérêt, etc. Toutefois, dans la mesure où les
coûts de main d’œuvre constituent l’essentiel
des coûts d’exploitation d’une entreprise, il
semble légitime de se focaliser sur les comparaisons de coûts salariaux. Le coût salarial
unitaire est constitué de deux éléments, le
coût de la main d’œuvre et sa productivité qui
peuvent chacun être analysés. Ces mêmes éléments peuvent être définis par personne occupée ou bien par heure.
La dérive des coûts salariaux
horaires en France reste l’une
des plus vives en Europe
Nous utilisons les données d’Eurostat qui portent sur les états membres de l’Union européenne à 27. Elles procèdent d’une enquête
quadriennale qui est menée de façon homogène par les différents instituts statistiques
nationaux, coordonnée par les équipes
d’Eurostat, dont la dernière date de 2004. Cette
enquête est lourde et fait l’objet d’une meilleure
homogénéisation des catégories que cela n’est
le cas pour l’enquête publiée par le Bureau of
Labour Statistics (BLS). Elle porte sur les entreprises de dix salariés et plus, et mesure de
façon exhaustive le coût horaire de la main
d’œuvre dans les différents secteurs d’activité à
l’exception des services non marchands.
L’actualisation des données entre deux enquêtes quadriennales est effectuée en appliquant
les dérives nationales en matière de coûts salariaux publiés à cadence trimestrielle par
Eurostat pour les vingt-cinq pays de l’Union
100
Zone euro
Allemagne
95
90
85
96 97 98 99 00 01 02 03 04 05 06 07
Source : Eurostat
48
Mesurée à partir des coûts salariaux horaires
dans l’industrie manufacturière, la compétitivité-coût de l’industrie française s’est régulièrement effritée au cours des dernières années.
Au deuxième trimestre 2007, le coût salarial
horaire dans l’industrie française n’était plus
inférieur que de 1,5 % à celui de l’industrie
La compétitivité française en 2007
Variation du coût salarial horaire dans l'industrie entre 1999 et le premier semestre 2007
mesurée en écart à la croissance du coût salarial horaire dans la zone euro à 12 (en %)
120
100
80
60
40
20
0
-20
rè
ce
G
an
de
Irl
Es
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A
ut
ric
he
-40
allemande contre un écart de 10 % en 1999.
Au-delà du cas allemand, le coût salarial
horaire dans l’industrie manufacturière en
France tend à augmenter par rapport au coût
salarial dans l’ensemble de la zone euro. Le
coût salarial horaire dans l’industrie française
excède désormais de 16,6 % celui de la zone
euro contre 12,4 % en 1999. Il y a donc une
dégradation relative des coûts horaires français par rapport à ceux de nos voisins.
Ces hausses de coût horaire n’ont pas été compensées à due proportion par des gains de productivité horaire : pour un indice basé à 100
en 1999, l’indice de productivité horaire en
France dans l’ensemble de l’économie ressort
à l’indice 114,6 en 2007, à l’indice 114,1 en
Coût salarial unitaire en France comparé
au coût salarial unitaire dans la zone euro
dans l'ensemble de l'économie
105
Base 100 en 2000
100
95
90
92
94
96
98
00
02
04
06
08
Source : Ameco, Commission européenne à partir
des comptes nationaux. Séries corrigées de la non-salarisation
Prévision Commission pour 2007
Allemagne et à l’indice 110,7 dans la zone
euro. Cette estimation des gains de productivité horaire est issue des données fournies par
la base Eu-Klems qui propose notamment une
mesure du volume d’heures travaillées dans
les économies européennes. Nous avons prolongé les observations délivrées jusqu’en 2003
par les observations d’emploi, de durée du travail et d’activité fournies par Eurostat. Il apparaît que la dérive des coûts salariaux unitaires
en France s’est accélérée par rapport à celle
observée dans l’ensemble de la zone euro.
En conclusion, d’importants efforts de maîtrise des prix à l’exportation ont été conduits
sans que les évolutions relatives de coûts
salariaux aient été favorables aux exportateurs français. Ces évolutions se sont traduites dans un écrasement des marges du secteur industriel manufacturier (qui réalise les
trois quart des exportations françaises) d’une
ampleur inégalée en Europe.
Nous effectuons désormais un examen plus
précis du compte d’exploitation des entreprises du seul secteur industriel manufacturier.
Pour ce faire, nous nous sommes appuyés sur
les données diffusées par l’OCDE, données
élaborées à partir des résultats fournis par les
comptes nationaux annuels. Nous utilisons les
données diffusées dans le cadre de la comptabilité nationale trimestrielle pour la France. La
période examinée va de 2000 à 2005 pour des
raisons de disponibilité de données.
49
Analyse structurelle
Taux de croissance annuel de la valeur ajoutée de l'industrie manufacturière
entre 2000 et 2005 mesuré en écart au taux de croissance moyen
de la valeur ajoutée de la zone euro à 8 (en %)
3
2
1
0
Finlande
-1
Italie
Belgique
Pays-bas
Allemagne
Autriche
Espagne
-2
France
-3
Sources : OCDE, comptes nationaux trimestriels pour les données françaises, calculs Coe-Rexecode
Recul du prix de la valeur
ajoutée industrielle en France,
progression en Europe
Les premières différences entre la France,
d’une part, l’Allemagne et la zone euro, d’autre part, s’observent au niveau des évolutions
du prix de la valeur ajoutée. La valeur ajoutée exprimée en valeur nominale des entreprises industrielles manufacturières a baissé
de 1,1 % par an en France en moyenne de
2000 à 2005. Elle a augmenté de 2 % par an
en Allemagne et de 1,6 % par an dans les six
autres pays de la zone euro pris globalement
sur la même période. Le total de l’augmentation en zone euro est de 1,3 % par an. Le
recul dans le cas de la France s’explique par
un effort de baisse du prix de la valeur ajoutée, les évolutions des volumes étant plus
proches.
Un partage de la valeur ajoutée
de l’industrie défavorable
au résultat d’exploitation
des sociétés
Le recul du prix de la valeur ajoutée de l’industrie manufacturière a été effectué de
manière exclusive par un prélèvement sur les
marges d’exploitation des sociétés industriel50
les opérant en France. La valeur ajoutée est
composée des charges salariales (63,5 % de la
valeur ajoutée en moyenne en zone euro en
2005), de l’EBE (34,2 %) et d’impôts et subventions liés à la production (2,3 %). La
France se distingue de l’ensemble européen
par un poids élevé de ce dernier poste dans la
valeur ajoutée, poids qui ressort à 6,4 % de la
valeur ajoutée de l’industrie manufacturière
en 2005. Les impôts liés à la production
(moins les subventions) comprennent notamment les impôts frappant la production et
l’importation de biens et services, l’emploi de
main-d’œuvre et la propriété ou l’utilisation
de terrains, bâtiments et autres actifs utilisés
à des fins de production. Ils sont dus indépendamment de la réalisation de bénéfices d’exploitation. La taxe professionnelle qui frappe
les immobilisations se retrouve ainsi dans cet
ensemble. A l’inverse, le taux de marge de
l’industrie manufacturière en France, taux qui
rapproche l’excédent brut d’exploitation de la
valeur ajoutée, est le plus faible de l’ensemble
européen pris en considération.
Les tableaux décrivent la contribution à la
croissance de la valeur ajoutée de ses différentes composantes. Il ne faut pas lire ces contributions comme des explications de la croissance de la valeur ajoutée, car la causalité ne
va pas dans ce sens, mais comme des évolutions de ses différentes composantes pondérées par leurs poids dans la valeur ajoutée. A la
La compétitivité française en 2007
Taux de croissance annuel de l'excédent brut d'exploitation de l'industrie manufacturière
entre 2000 et 2005 mesuré en écart au taux de croissance
moyen de l'EBE de la zone euro à 8 (en %)
6
4
2
France
0
Italie
Finlande
Belgique
Pays-bas
Autriche
Espagne
Allemagne
-2
-4
-6
-8
Sources : OCDE, comptes nationaux trimestriels pour les données françaises, calculs Coe-Rexecode
lecture des deux tableaux, il apparaît clairement que c’est l’excédent brut d’exploitation
qui « capte » la croissance de la valeur ajoutée
industrielle manufacturière en Allemagne.
Dans la zone euro à huit pays, la croissance de
la valeur ajoutée est répartie à parts quasiment
identiques entre progression des salaires chargés et excédent brut d’exploitation. La France
se distingue par le recul de l’excédent brut
d’exploitation des sociétés industrielles manufacturières. Ce dernier s’est contracté au
rythme de 5,6 % par an en moyenne de 2000 à
2005. Il s’est stabilisé depuis lors à son niveau
de 2005. Il a eu une croissance positive dans
l’ensemble composé par les huit principaux
pays de la zone euro (+1,7 %). En particulier,
en Allemagne, l’excédent brut d’exploitation a
cru de 6,8 % l’an (0,4 % par an dans les pays
de la zone euro hors Allemagne et France).
Les évolutions nationales de l’excédent brut
d’exploitation se retrouvent traduites dans les
tendances du taux de marge. Ce dernier représente ce qui reste à l’entreprise une fois
qu’elle s’est acquittée de ses coûts de personnel, de ses consommations intermédiaires et
de diverses charges liées à la production (taxe
foncière, taxe professionnelle etc.) Schématiquement, le taux de marge permet de rémunérer les apporteurs de capitaux, de payer
l’impôt sur les sociétés ou encore d’investir.
De 2000 à 2005, le taux de marge a reculé de
6,3 points de valeur ajoutée en France contre
une progression de 6,6 points de valeur ajoutée en Allemagne et un recul moyen de 2,5
points dans les six autres principaux pays de
la zone euro. Le taux de marge de l’industrie
manufacturière en Allemagne s’inscrit à 32 %
de la valeur ajoutée en 2005, il s’établit à 24
% en France en 2005. Au cours des années
2000 à 2005, les positions françaises et allemandes en termes de taux de marge des
entreprises industrielles se sont donc inversées. Dans l’ensemble de la zone euro (à huit
Variation annuelle moyenne des composantes de la valeur ajoutée de l’industrie
entre 2000 et 2005
Valeur ajoutée
Charges salariales
Excédent brut d’exploitation
Impôts liés à la production - subventions
France
-1.1
0,4
-5,6
3,4
Allemagne
2
0
6,8
7,7
Zone euro*
1,3
1,1
1,7
5,3
Zone euro**
1,6
2,5
0,4
5,9
* 8 pays ; ** hors Allemagne et France
Sources : OCDE, comptes nationaux trimestriels pour les données françaises, calculs Coe-Rexecode
51
Analyse structurelle
Ratio France / Allemagne
Ratio France / Zone euro
%
55
%
16.5
50
15.5
14.5
45
13.5
40
12.5
35
11.5
Valeur ajoutée industrielle
Exportations en valeur
EBE industriel
30
Valeur ajoutée industrielle
Exportations en valeur
EBE industriel
10.5
25
9.5
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
Source : OCDE, comptes nationaux trimestriels pour les données françaises, calculs Coe-Rexecode
Investissement en volume dans l'industrie
hors énergie (variation annuelle en %)
20
Stock brut de capital dans l'industrie
hors énergie (variation annuelle en %)
6
10
4
France
Allemagne
0
2
-10
0
France
Allemagne
-20
-30
-2
1992
1994
1996
1998
2000
2002
2004
2006
1992
1994
1996
1998
2000
2002
2004
200
Source : EU klems pour l'Allemagne, Comptes nationaux annuels et trimestriels pour la France,
calculs Coe-rexecode
pays) sur la période 2000-2005, le taux de
marge des entreprises industrielles françaises
est celui qui a le plus baissé. A l’inverse, le
taux de marge allemand a enregistré l’augmentation la plus forte. Les graphiques cidessus montrent que le recul de l’excédent
brut d’exploitation des entreprises industrielles manufacturières installées en France relativement à l’excédent brut d’exploitation des
mêmes entreprises installées en Allemagne ou
à celui de la zone euro à huit pays est bien
plus prononcé que le recul du poids relatif de
la valeur ajoutée en France ou de la valeur
des exportations françaises. Il s’agit bien
d’une recomposition de la valeur ajoutée
industrielle manufacturière très défavorable à
l’excédent brut d’exploitation des sociétés du
secteur qui s’est effectuée en France.
52
Un repli de l’investissement
plus marqué en France
qu’en Allemagne
Le repli de l’investissement observé pour
l’Allemagne et la France entre 2000 et 2005
est plus marqué dans l’industrie française
(-3,6 % l’an) qu’outre-Rhin (-1,2 % l’an). Si
l’on retient une base 100 pour l’exercice
2000, il apparaît que l’indice de l’investissement dans l’industrie manufacturière en
France se situe à 83,1 en 2005 contre 94,4
pour l’Allemagne. La dégradation du résultat
des entreprises françaises sur la période est
une des raisons pour expliquer le repli plus
marqué de l’investissement. Le repli relatif de
l’investissement industriel en France est tou-
La compétitivité française en 2007
tefois moins marqué que celui qui touche
l’excédent brut d’exploitation. Conséquence
de la baisse plus marquée de l’investissement, la dérive du stock de capital se modère
plus en France qu’en Allemagne. Elle est
même devenue négative en France quand on
regarde le stock de capital brut (-0,1 % en
2005). Pour sa part, le stock de capital net
des flux d’amortissement dans les secteurs
industriels se contracte en France depuis
2002. Le risque de contraction de la base
industrielle française est réel et pourrait se
matérialiser s’il n’est pas mis un terme rapide
à une dégradation de la compétitivité qui
pèse fortement sur les résultats des entreprises. Le risque est alors de tomber dans le cercle vicieux : baisse de compétitivité, baisse
des prix pour sauvegarder des parts de marché, baisse du revenu disponible pour les
entreprises industrielles exportatrices, baisse
de l’investissement, dégradation du stock de
capital et perte accrue de compétitivité.
Une analyse fine, aussi bien sur le plan sectoriel que géographique, de l’évolution des
parts de marché, met en évidence l’importance de la spécialisation de la France dans la
mauvaise performance enregistrée depuis le
début des années 2000. En fait, le recul des
parts de marché de la France est commun à de
nombreux secteurs et intervient sur la plupart
des zones géographiques, ce qui suggère que
des facteurs macro-économiques en sont la
cause. Cependant, certains traits distinctifs
méritent d’être soulignés. Si peu de secteurs
ont réussi à maintenir leur position sur le
marché mondial, l’aéronautique
constitue
un réel atout pour le commerce extérieur, en
étant un des rares secteurs à avoir gagné des
parts de marché depuis le début de la décennie. A l’inverse, le matériel informatique, les
équipements de télécommunication enregistrent des reculs très importants de leur part de
marché mondial, en liaison notamment avec
la montée en puissance de la Chine. Certains
composants de la filière chimique sont également en net recul. Vis-à-vis de l’Allemagne,
c’est aussi pour le matériel informatique et les
télécommunications que les performances à
l’exportation se sont le plus dégradées, alors
que certains secteurs, même s’ils ont perdu
du terrain vis-à-vis de leurs homologues alle-
mands, résistent mieux (notamment la mécanique). En termes géographiques, les pertes
de parts de marché de la France sont surtout
concentrées sur l’Europe, compte tenu du
poids de ces marchés dans nos exportations.
Mais vis-à-vis de l’Allemagne, les différences
de performances sont aussi très marquées à la
« grande exportation », notamment en Chine.
La variation globale de parts de marché observées peut être le fait de quelques secteurs ou
au contraire être commune à la plupart des
secteurs. Dans le second cas, des éléments
d’explication macro-économiques doivent
être privilégiés, tandis qu’au contraire, le premier cas renvoie à des considérations d’ordre
micro-économique. Par exemple, une spécialisation initiale sur des secteurs peu porteurs
(dont la croissance est plus faible que celle de
l’ensemble des échanges mondiaux) se traduira par une perte globale de parts de marché. En effet, à court terme, la spécialisation
peut être considérée comme donnée, même si
cela n’exclut pas de réfléchir à la dynamique
de moyen terme. Intuitivement, sous cet
angle, une bonne spécialisation se réfère à un
positionnement sur les marchés en forte croissance. Il faut néanmoins utiliser cette approche avec précaution dans le sens où la spécialisation internationale reflète en grande partie
l’état du système productif. Si par exemple un
pays avancé est doté en abondance de travailleurs qualifiés et que la demande, du fait du
développement de marchés naissants, se
concentre sur des biens dont la production est
intensive en travail non qualifié, ce pays perdra des parts de marché. Faudrait-il pour
autant recommander aux autorités de développer le travail non qualifié ?
Le recul des parts de marché
concerne la plupart des grands
secteurs d’activité
Le tassement des parts de marché concerne
quasiment toutes les grandes filières d’activité. Il est parfois très ancien, comme pour la
sidérurgie. Dans l’agro-alimentaire, la détérioration des parts de marché intervient après
une période de conquête qui a culminé au
53
Analyse structurelle
début des années 1990. Le décrochage est plus
récent dans l’électronique, après une assez
bonne résistance entre le milieu des années
1980 et le milieu des années 1990. Il y a une
certaine résilience des parts de marché françaises pour les véhicules, au moins jusqu’en
2005. On peut cependant s’interroger de savoir
si ce mouvement va se prolonger, compte tenu
des déboires de l’automobile depuis deux ans.
A un niveau plus détaillé, les pertes de parts
de marché de la France sur la première moitié
de la décennie touchent de nombreux produits. Sur les 72 produits étudiés, pour seulement 17 d’entre eux les parts de marché mondiales détenues par la France se sont accrues
ou ont été maintenues. L’aéronautique est l’exception la plus significative. Le secteur de l’armement a aussi réussi à consolider ses positions. De manière intéressante, l’industrie du
cuir, dont les parts de marché n’avaient cessé
de se contracter depuis de nombreuses
années, a réussi à retrouver sa part de marché
mondial du début des années 1990, ce qui traduit probablement un déplacement réussi vers
des produits hauts de gamme. A l’autre extrémité, les matériels de télécommunications et
le matériel informatique enregistrent les plus
fortes érosions, avec une division par deux de
leurs parts de marché, à partir d’un niveau qui
était loin d’être négligeable au début des
années 2000. Par ailleurs, la disparition des
deux entreprises phares du secteur se traduit
par un recul considérable des parts de marché
françaises dans l’électroménager.
Inertie de la spécialisation
française par grandes filières
L’analyse sur longue période de la spécialisation à partir des avantages comparatifs révélés (voir La compétitivité française en 2007,
Document de travail de Coe-Rexecode) par
grandes filières d’activité montre une grande
permanence dans la hiérarchie des atouts et
faiblesses de la France. Quatre filières sont
constamment restées des points forts : la chimie, l’agro-alimentaire, l’automobile et la
mécanique, cette dernière ayant bénéficié de
l’envol de l’aéronautique. Une grande
constance se dégage aussi du côté des points
faibles : outre l’énergie, on trouve le textile,
la filière bois-papier et enfin l’électronique,
qui après un redressement dans les années
1990 a replongé depuis lors. Par comparaison
avec d’autres pays, deux caractéristiques distinguent la spécialisation de la France. Tout
d’abord, celle-ci reste peu marquée, les
points forts et les points faibles n’étant pas
très prononcés. En ce sens, la France se
trouve à l’opposé d’un pays comme la Chine.
D’autre part, on ne voit émerger aucun point
fort nouveau, au niveau des grandes filières,
dans la spécialisation de la France. Beaucoup
de pays ont, au contraire, connu un net renforcement de leurs points forts traditionnels
(l’Allemagne avec la mécanique et l’automobile, l’Italie avec également la mécanique),
ou ont su en développer de nouveaux (la
Parts de marchés de la France par grandes zones géographiques
10
%
18
%
15
8
12
Union européenne
Etats-Unis
Japon
6
Asie-Océanie (hors Japon)
Amérique Latine
Europe de l'est
Afrique
Moyen orient
9
4
6
2
3
0
0
1990
1993
1996
1999
2002
Source : Banque de données Cepii-Chelem
54
2005
1990
1993
1996
1999
2002
2005
La compétitivité française en 2007
Parts de marchés mondiales de la France par grandes filières
12
France
12
10
10
8
8
6
6
4
4
2
2
0
France
0
1967 1972 1977 1982 1987 1992 1997 2002
Energétique
Agroalimentaire
Textile
Bois papiers
Chimique
Sidérurgique
1967 1972 1977 1982 1987 1992 1997 2002
Source : Banque de données Cepii-Chelem
Finlande avec l’électronique). Comme on raisonne ici sur un ensemble de produits
regroupés par filières de production, on peut
ainsi en déduire que certains pays ont bâti en
quelque sorte des filières de spécialisation. A
un niveau plus détaillé, on voit toutefois
émerger des points forts et des points faibles
plus marqués dans la spécialisation de la
France. C’est typiquement le cas de l’aéronautique. Ce secteur est suivi des produits
pharmaceutiques, des automobiles particulières, des produits de toilette et des boissons. On retrouve ici en quelque sorte les
fleurons traditionnels de la France, puisque
la liste des dix principaux points a peu évolué au cours des quinze dernières années. Du
côté des points faibles, outre le pétrole, on
trouve le matériel informatique et l’électronique grand public, alors que les composants
électroniques sont plutôt à ranger du côté
des points forts. On mesure ici la grande
absence de la France sur ces marchés porteurs. Certes, le commerce de matériel informatique relève plutôt d’activités d’assemblage, dans lesquelles la Chine excelle,
l’Europe ayant largement disparu de ce secteur. Mais on peut s’interroger si cette
absence d’une filière très dynamique ne marque pas une faiblesse structurelle de la
France.
Non ferreux
Mécanique
Véhicules
Electrique
Electronique
La France est plutôt spécialisée
dans les moyennes technologies
Pour compléter l’approche sectorielle présentée ci-dessus, on peut évaluer les avantages
comparatifs révélés (ACR) par niveaux de
technologie. Pour ce faire, on regroupe les produits par gamme technologique, selon un classement défini ex ante. En pratique, on retient
ici la classification adoptée par l’OCDE.
Certes, ce type de classement comporte une
part d’arbitraire, en ce sens qu’une activité
donnée peut avoir un contenu technologique
plus important que celui qui est attribué par
hypothèse au secteur dans lequel elle s’exerce.
Par exemple, la production de fibres synthétiques peut requérir une technologie sophistiquée, alors que le textile est considéré comme
un secteur au faible contenu technologique.
De même, les activités d’assemblage d’un produit high-tech comportent un faible contenu
technologique. Il faudrait donc croiser les données ci-dessous avec un positionnement dans
la chaîne de valeur. La conception d’un produit est ainsi en générale intensive en travail
qualifié, tandis que sa production finale peut
avoir un contenu technologique plus faible et
être intensive en travail non qualifié. Au-delà
de ces limites, l’examen des ACR par gamme
55
Analyse structurelle
technologique suggère que la France est plutôt
spécialisée dans les activités de moyenne technologie. Les ACR dans les activités high-tech
sont plus faibles, bien qu’ils soient en croissance. Par rapport à d’autres pays européens,
on observe des différences importantes dans la
spécialisation technologique. L’avantage comparatif de l’Allemagne dans les moyennes
technologies est écrasant notamment, alors
qu’au contraire l’Italie reste surtout positionnée dans les faibles technologies. Ce constat
est important dans le sens où le positionnement technologique peut expliquer une plus
ou moins grande sensibilité à certains chocs
exogènes (notamment de change).
La spécialisation initiale
n’explique pas les pertes
de parts de marché
La part de marché de la France connaît un
point d’inflexion à la fin des années 1990.
Nous adoptons ici une optique méso-économique à partir d’une décomposition de cette évolution par secteurs et zones géographiques.
L’analyse est menée à partir de la décomposition proposée par Holcblat et Tavernier (1989).
Entre 1999 et 2005, la France a perdu 0,9 point
de part de marché mondial, celle-ci passant de
5,2 % des exportations mondiales à 4,3 %. Le
tableau ci-dessous montre que l’essentiel de
ces pertes relève d’une érosion des parts de
marché élémentaires. Ceci signifie que des facteurs communs, d’ordre macro-économique,
expliquent l’essentiel de ces pertes. La spécialisation initiale n’a joué qu’à hauteur de 0,1
point. L’aspect sectoriel n’est pas négligeable
puisqu’à lui seul, il explique 0,25 point de pertes de parts de marché. En revanche, la spécia-
lisation géographique a joué plutôt positivement. L’effet d’adaptation, c'est-à-dire la capacité à faire évoluer la spécialisation initiale
vers des marchés porteurs, a joué légèrement
négativement et n’a donc pas compensé les
effets négatifs de la spécialisation initiale.
Quelques secteurs ont joué
un rôle clef dans les pertes
de parts de marché françaises
Si l’essentiel des pertes de parts de marché de
la France depuis le début de la décennie tient
à un recul des parts élémentaires, cela ne
signifie pas que les aspects méso-économiques (sectoriels ou géographiques) ne jouent
aucun rôle. En effet, un recul global des parts
élémentaires peut être le fait de quelques secteurs et/ou n’intervenir que sur quelques
marchés ou bien concerner de manière relativement homogène l’ensemble des secteurs
et/ou zones géographiques.
La décomposition précédente permet de calculer la contribution des secteurs ou zones géographiques aux évolutions des parts de marché élémentaires. Par définition, cette contribution est fonction à la fois du poids du secteur/de la zone dans les échanges de la France
et du commerce mondial et de l’importance de
la variation de la part de marché de la France
(exprimée en valeur absolue, c'est-à-dire en
points de pourcentage). Une analyse détaillée
de la variation des parts de marché élémentaires montre que la très grande majorité des secteurs a été concernée par ce phénomène, l’aéronautique étant la seule exception notable. Le
matériel informatique et le matériel de télécommunications se distinguent néanmoins par
Décomposition de la variation des parts de marché entre 1999 et 2005
Parts de
marché
France
Allemagne
Italie
-0,91
0,15
-0,50
Effets parts
Effet
élémentaires d'adaptation
-0,72
0,25
-0,28
-0,07
-0,20
-0,01
Effet de
spécialisation
initiale
-0,12
0,10
-0,20
Source : calculs Coe-Rexecode à partir de la banque de données Cepii-Chelem
56
dt spécialisa- dt spécialisation secto- tion géograrielle
phique
-0,25
-0,20
-0,28
0,13
0,30
0,08
La compétitivité française en 2007
une très forte contribution négative, suivie par
la chimie organique de base. A eux seuls, ces
trois secteurs contribuent à expliquer environ
un tiers des pertes de parts de marché de la
France. Une comparaison des performances à
l’exportation de la France avec celles de
l’Allemagne suggère également que les secteurs où les pertes de parts de marché de la
France ont été importantes sont aussi ceux où
le différentiel de croissance des flux d’exportation avec l’Allemagne est le plus élevé. On
retrouve en particulier le matériel informatique et le matériel de télécommunications.
Cette comparaison montre également qu’en
dépit d’une contre-performance globale
importante, pour environ la moitié des secteurs étudiés, la France a fait mieux que
l’Allemagne.
Une analyse similaire menée en termes d’évolution des parts de marché par zones géographiques montre une érosion assez diffuse des
positions de la France, les grands marchés
européens arrivant en tête de liste. A eux
seuls, les reculs enregistré en Europe méridionale (qui regroupe ici l’Espagne, la Grèce, le
Portugal, la Turquie et Israël), en Allemagne,
en Italie et dans les Iles Britanniques expliquent plus de la moitié des pertes de parts de
marché de la France. Cette forte contribution
reflète surtout le poids important dans les
échanges de ces quatre marchés. En termes de
performances relatives, la France a surtout
perdu des parts de marché considérables à la «
grande exportation », notamment en Chine où
la différence avec l’Allemagne est patente. Les
pays du Golfe, qui avec le recyclage des pétrodollars ont très nettement accru leurs importations, sont aussi une destination où la France
a fait une contre-performance significative visà-vis de l’Allemagne au cours des dernières
années. Les positions traditionnellement fortes
de la France sur les marchés africains s’érodent également, mais là l’Allemagne fait
encore moins bien que la France. En revanche,
la France fait mieux que l’Allemagne en
Europe centrale sur la période récente, même
si le niveau des parts de marché allemands est
considérablement plus élevé que celui de la
France (environ cinq fois plus).
*
*
La France a perdu d’importantes parts de
marché depuis le début des années 2000. Ce
recul tient davantage à la contraction des
parts de marché élémentaires qu’à la spécialisation sectorielle et géographique initiale. De
fait, cette contraction touche à peu près tous
les secteurs d’activité et quasiment toutes les
zones géographiques. Certains secteurs ont
néanmoins fortement contribué à la détérioration des parts de marché de la France, en particulier une partie de la filière électronique,
un secteur stratégique même si la croissance
de son poids dans le commerce mondial est
limité par une baisse des prix relatifs du secteur. De même, si les pertes de parts de marché sont concentrées sur le marché européen
du fait du poids de ce dernier dans les exportations françaises, les contre-performances les
plus notables interviennent sur des marchés
plus lointains. C’est notamment le cas en
Chine où la France est distancée par
l’Allemagne, mais aussi en Afrique où les bastions français sont remis en question par la
montée en puissance de la Chine. Enfin, le
positionnement par gamme prémunit mal la
France contre les chocs externes, notamment
de change. Plusieurs axes seraient susceptibles de prolonger et compléter utilement
l’analyse qui précède. Une des possibilités
serait notamment d’articuler les évolutions
décrites des échanges avec des données d’activité et d’emploi pour mieux en saisir les ressorts au niveau de l’ensemble du système productif. Un deuxième axe serait de prolonger
ces travaux sur les échanges de services.
Enfin, grâce à de nouvelles bases de données
permettant d’effectuer un partage entre les
volumes et les valeurs unitaires, les déterminants de l’évolution des échanges pourraient
être appréhendés à un niveau sectoriel fin.
Achevé de rédiger le 10 janvier 2008
Denis Ferrand - [email protected]
Référence
Holcblat N. et Tavernier J.L. (1989), « Entre
1979 et 1986 la France a perdu des parts de
marché industriel », Economie et statistique,
janvier-février 1989.
*
57
Analyse structurelle
Crise de l’immobilier résidentiel :
la France est-elle à l’abri ?
par Carole Deneuve
Alors que le secteur immobilier a constitué un soutien majeur de l’activité
dans bon nombre de pays au cours de ces dernières années, l’éclatement de
la crise des subprime (crédits à risque) survenue aux Etats-Unis au cours de
l’été 2007 soulève de nombreuses questions quant aux risques qui planent
sur la croissance outre-Atlantique mais aussi en Europe. De crise bancaire en
crise financière, la crainte d’une contagion d’un retournement accéléré des
marchés immobiliers est particulièrement aiguë dans les pays d’Europe où le
dynamisme du secteur résidentiel avait pris des allures de bulle immobilière,
comme au Royaume-Uni ou en Espagne1. La France ne semble pas épargnée
non plus par le retournement du cycle de l’immobilier. Doit-elle pour autant
redouter un ajustement drastique du marché, comparable à ce qui s’était produit au début des années 1990 ? Sa situation est-elle analogue à ce que
connaissent l’Espagne et le Royaume-Uni ? Le resserrement des conditions de
crédit consécutif aux turbulences de l’été est-il aussi dommageable pour le
marché immobilier français que pour le marché espagnol ? Une analyse plus
approfondie de ces marchés immobiliers respectifs montre en réalité que la
France se distingue de ses homologues européens à de nombreux égards.
n France, les caractéristiques en termes d’état du marché, de conditions
de financement ou encore d’offre et
de demande potentielles de logements sont en réalité assez éloignées,
à la fois, de la configuration qui prévalait
lors de la dernière crise immobilière mais
aussi des schémas espagnol et britannique.
Ces constats placent le marché immobilier
français quelque peu à l’abri, non pas d’un
retournement du marché, déjà acquis, mais
d’une correction très sévère de ses niveaux.
E
Les facteurs de résilience liés
à l’état actuel du marché
immobilier
L’examen des indicateurs clefs du marché
résidentiel comme le volume des transactions, le niveau des stocks, qui en découle, et
1
le prix des logements suggère que, aussi bien
en France qu’en Espagne ou au RoyaumeUni, un retournement à la baisse du marché
immobilier s’est amorcé bien avant que
n’éclate la crise des subprime aux Etats-Unis.
Le cycle de l’immobilier résidentiel avait
ainsi déjà franchi son point haut aux EtatsUnis et en Europe, la datation du « pic » cyclique étant toutefois différente selon les pays.
Il y a dans l’évolution actuelle des marchés
immobiliers une composante structurelle propre à la dynamique du cycle, que certains facteurs conjoncturels, comme l’évolution des
taux d’intérêt, peuvent amplifier ou amortir.
En l’occurrence, il s’agit donc de voir dans
quelle mesure la crise financière de cet été
peut amplifier le retournement cyclique en
cours et, in fine, affecter la croissance.
Les mécanismes de transmission entre la
conjoncture immobilière et la croissance d’un
Voir à ce titre, l’article de Julian Pérez, « Le modèle de croissance espagnol est-il épuisé ? » dans la rubrique Point de Vue de ce numéro de Diagnostic(s).
59
Analyse structurelle
pays dépendent beaucoup, d’une part, de la
place que ce secteur occupe dans l’économie,
mais aussi des pratiques d’octroi de crédit et
des politiques publiques du logement. En
Espagne, par exemple, le secteur de la
construction constitue l’un des principaux
moteurs de l’activité : en 2005, soit avant le
retournement du marché, avec un peu plus
de 715 000 logements commencés (contre
environ 400 000 en France et 230 000 au
Royaume-Uni), le bâtiment draine, en
Espagne, près de 12 % de la valeur ajoutée,
son volume de production représente 23 %
du PIB et le secteur emploie 12 % des actifs.
En France, les proportions sont environ deux
fois moindres. Par ailleurs, le poids de l’investissement en construction dans le PIB est
en France beaucoup plus faible qu’en
Espagne (10,7 % contre 18 % et 11,2 % au
Royaume-Uni). Le secteur de la construction
a toutefois été, en France, un des principaux
contributeurs aux créations nettes d’emplois
enregistrées au cours des deux dernières
années avec une hausse des effectifs de près
de 4 % l’an (près de 60 000 postes créés entre
le deuxième trimestre 2006 et le deuxième trimestre 2007). Autrement dit, une crise immobilière, pour dommageable qu’elle serait en
termes d’activité, n’aura pas le même impact
sur la croissance française que sur la crois-
sance espagnole. Au Royaume-Uni, l’offre de
logements étant encadrée par des normes
d’urbanisme assez strictes, l’essor du secteur
du bâtiment est limité mais ce sont, en revanche, les modalités de financement du logement qui peuvent fragiliser le marché et donc
la croissance, un point que nous aborderons
dans une deuxième partie.
Tassement du volume
des transactions dans l’ancien
et le neuf
A la différence de l’Espagne où un net recul
est à l’œuvre, le volume des transactions
immobilières en France et au Royaume-Uni
est resté dynamique sur l’ensemble de l’année 2007. Certes, un certain tassement s’observe sur les derniers mois au Royaume-Uni,
mais le nombre de transactions a avoisiné
452 000 en cumul au troisième trimestre, ce
qui représente encore une hausse de 3,9 %
sur un an. En France, le volume des ventes
dans l’ancien s’est stabilisé en 2007 à son
niveau de 2006 pour l’ensemble du territoire
(soit environ 800 000 transactions) alors qu’il
était encore en progression de 3 % entre 2005
et 2006. En revanche, en Ile de France, et en
Taux d'investissement en France, au Royaume-Uni et en Espagne
France
12
en % du PIB
Royaume-Uni
12
9
9
6
6
en % du PIB
Espagne
20
en % du PIB
16
12
8
3
3
0
0
00 01 02 03 04 05 06 07 08
Construction : bâtiment et TP
Ménages
Entreprises
Administrations publiques
Source : comptes nationaux
60
4
0
00 01 02 03 04 05 06 07 08
Construction
Constructions non résidentielles
Logement
Equipement (y.c immatériel)
00 01 02 03 04 05 06 07 08
Construction
Logement
Equipement
autres
Crise de l’immobilier résidentiel : la France est-elle à l’abri ?
France
Commercialisation de maisons neuves
15
Milliers
Stocks
Mises en vente
Ventes
10
5
0
00
01
02
03
04
05
06
07
Source : MEDAD/SG/DAEI/SESP
dépit d’indicateurs a priori moins bien orientés, les derniers chiffres de la Chambre des
Notaires de Paris-Ile de France font état d’une
progression des ventes au troisième trimestre.
En effet, tous biens immobiliers confondus,
les transactions ont crû de 1,5 % par rapport
à la même période de l’an passé. Cependant,
ce résultat global masque de très grandes disparités selon les différents compartiments du
marché et les zones géographiques.
En ce qui concerne les logements neufs, les
dernières données disponibles font état d’une
baisse de 10,5 % des logements vendus au
troisième trimestre 2007 par rapport au trimestre précédent, soit un repli de 7,8 % en
glissement annuel. Il convient de noter que
ce repli n’a rien de particulièrement alarmant
et était attendu de la part des promoteurs
dans un contexte de resserrement des conditions de crédit et de persistance de hausses
de prix en raison notamment des contraintes
réglementaires techniques. Avec un volume
de 29 100 ventes, l’évolution demeure positive sur un an, de l’ordre de 5,5 %. En dépit
d’un certain tassement de l’activité, les promoteurs français s’attendent toutefois à ce
que le volume des ventes pour 2007 soit, au
pire, équivalent à celui de 2006 (soit
126 300).
Le niveau des ventes étant inférieur à celui
des mises en vente, le stock de logements
neufs disponibles à la vente continue de croître. Il est vrai que les promoteurs ont fait
preuve de faculté d’adaptation en réduisant
graduellement le volume des mises en vente.
En effet, ces dernières ont marqué le pas avec
un repli de 13,5 % au troisième trimestre 2007
en glissement sur un an. Cet ajustement permet d’éviter un gonflement des stocks trop
important et donc une baisse des prix trop
brutale dans un contexte de ralentissement de
la demande. Au 30 septembre 2007, le niveau
de l’offre commerciale atteignait toutefois
94 631 logements (+35% en un an), soit un
niveau comparable à ce que l’on pouvait
constater à la fin 1992. La situation est cependant un peu différente car le délai moyen
d’écoulement des stocks est actuellement
d’environ neuf mois au troisième trimestre
2007, contre dix huit mois à la fin 1992. Le
niveau des stocks demeure donc bien inférieur au délai d’écoulement observé à
l’amorce de la précédente phase de vif retournement de l’immobilier. En outre, cette offre
commerciale excédentaire est composée pour
moitié de logements qui n’ont pas encore été
construits. Le stock de logements terminés
(environ 2 100 unités), quant à lui, est resté
stable par rapport au trimestre précédent.
Ces tendances traduisent donc bien un certain tassement du marché immobilier en
France, freinage qui s’opère à partir de
niveaux particulièrement élevés au regard du
passé.
Si l’on observe les principaux résultats des
enquêtes menées auprès des chefs d‘entreFrance
Commercialisation d'appartements neufs
100
Milliers
Stocks
Mises en vente
Ventes
80
60
40
20
0
00
01
02
03
04
05
06
07
Source : MEDAD/SG/DAEI/SESP
61
Analyse structurelle
n’a fait que ramener le poids de ce dernier
dans le PIB à son niveau moyen de longue
période. Ainsi, ce taux d’investissement, qui
était redescendu à 3,4 % en 1993, est revenu
autour de 4,3 %, soit le niveau moyen observé
sur la période 1978-2007. Du reste, l’investissement logement des ménages (achats de
logements et gros travaux de rénovation) s’est
stabilisé en volume depuis la mi-2006.
France
50
Enquête auprès des promoteurs
Demande de logements neufs à acheter
Solde des réponses en %
Total
Secteur libre
25
0
-25
-50
00
01
02
03
04
05
06
07
Source : Enquête auprès des promoteurs
prise du bâtiment et de la construction immobilière, on constate que l’heure n’est cependant pas au catastrophisme même si les
mises en chantier et les demandes de permis
de logements se sont sensiblement repliées
en fin d’année 2007. Certes, les promoteurs
constructeurs, interrogés en janvier 2008,
confirmaient une érosion de la demande de
logements neufs et leurs prévisions de mises
en chantier se sont repliées après le rebond
de l’été. Toutefois, le marché destiné à la
location se redresse et le niveau des stocks
tend à se stabiliser. Enfin, l’indicateur de
confiance des professionnels du bâtiment
quant à leur niveau d’activité demeurait bien
orienté en janvier 2008. Ce dernier s’est stabilisé à un niveau supérieur à sa moyenne de
longue période mais devrait toutefois nettement ralentir dans les prochains mois. En
effet, même si les carnets de commandes permettent d’assurer encore sept mois de travail
à temps plein, (le point haut de ces dix dernières années), les perspectives d’activité à
venir s’érodent. Ces différents indicateurs
plaident donc davantage pour un freinage,
voire une stabilisation de l’activité à partir
d’un point haut, que pour effondrement du
marché.
La demande de logements en France sur la
période récente est donc apparue « raisonnable » et assise sur des facteurs structurels
objectifs. Elle ne nécessite aucune correction
de grande ampleur de ses niveaux, le marché
n’ayant pas à éponger des excès passés. A la
différence des Etats-Unis, où la devise du
« Tous propriétaires » a conduit de nombreux
ménages à s’endetter au-delà de leurs
moyens, les français se distinguent encore
par l’une des proportions de propriétaires les
plus faibles des pays de l’OCDE (57 % des
Français sont propriétaires, contre environ
90 % des Espagnols et 75 % des Britanniques
en 2006).
En outre, à la différence des Etats-Unis, le
marché français de l’immobilier résidentiel
est essentiellement investi par les ménages,
ce qui limite les mouvements spéculatifs. En
effet, sur la période récente, les motivations
d’achat des français ont reposé sur le désir de
devenir propriétaire ou encore sur la préférence pour la pierre en matière de placement.
Aux Etats-Unis, en revanche, (ou dans les
France
Enquête mensuelle
d'activité dans le bâtiment
50
Solde des réponses en %
Récente
Prévue
25
0
Par ailleurs, la demande de logements de la
part des ménages ne semble pas s’être écartée
de sa tendance longue d’une manière telle
qu’une importante correction à la baisse
puisse s’opérer. En effet, la remontée récente
de l’investissement des ménages en logements
62
-25
00
01
Source : INSEE
02
03
04
05
06
07
Crise de l’immobilier résidentiel : la France est-elle à l’abri ?
années 1980 en France), la fièvre immobilière
a été alimentée par des capitaux d’investisseurs en quête de plus-values de court terme.
L’état actuel du marché français apparaît
donc beaucoup plus sain, des mouvements
de ventes massives n’étant pas à redouter de
la part des ménages dès les premiers signes
de baisse des prix.
France
Investissement des ménages
en produits de la construction
7.0
En % du PIB en valeur
6.0
Moy. 78-2007 : 4.3 %
5.0
L’évolution
des prix des logements :
bulle immobilière ou pas ?
4.0
3.0
79 81 83 85 87 89 91 93 95 97 99 01 03 05 07
L’évolution des prix de l’immobilier est souvent observée de près pour diagnostiquer
l’apparition ou non d’une bulle spéculative.
Elle permet en outre de refléter les mouvements de l’offre et de la demande et, par là
même, la santé du marché. Sur la période
récente, en France comme en Espagne ou au
Royaume-Uni, la hausse des prix de l’immobilier s’est sensiblement ralentie après une
progression régulière et soutenue. Entre 1995
et 2006, la hausse cumulée des prix des logements a dépassé 100 % aux Etats-Unis,
atteint près de 150 % en France, 250 % au
Royaume-Uni et 195 % en Espagne. Il n’y a
guère qu’en Allemagne et au Japon que de
telles évolutions n’ont pas été constatées, ces
deux pays souffrant à la fois d’un surcroît
d’offre immobilière accumulée lors du précédent cycle et d’une démographie déprimée
qui ralentit la demande de logements.
France
Carnet de commandes en mois d'activité
8.0
Solde des réponses en %
7.0
Source : INSEE
L’impact d’un freinage des prix de l’immobilier, a fortiori d’une baisse, est très différent
d’un pays à l’autre, selon que le système de
financement repose ou non sur la valeur du
bien. En effet, aux Etats-Unis, au RoyaumeUni ou encore aux Pays-Bas, la valorisation
du patrimoine immobilier liée à la hausse
des prix produit des « effets de richesse ». Un
accédant à la propriété peut, en d’autres termes, consommer une part de sa richesse
immobilière en transformant en liquidités les
plus-values potentielles de son logement.
Ainsi, dès qu’une partie de son crédit est
remboursée ou que son bien a pris de la
valeur, le propriétaire peut prétendre à de
nouveaux prêts, ces derniers restant garantis
par l’hypothèque de départ. La hausse des
prix de l’immobilier est donc comparable,
dans ces pays, à une pseudo-augmentation
de l’épargne. Ce mécanisme explique en partie pourquoi aux Etats-Unis, le taux d’épargne des ménages atteint des niveaux si faibles, proches de zéro. Ces dispositifs qualifiés d’« extraction hypothécaire » n’existent
pas en France où il est très discutable de parler d’effets de richesse2.
Certes, depuis l’automne dernier, de nouvelles
dispositions ont été prises permettant aux
ménages français de bénéficier du principe de
6.0
5.0
2
4.0
00
01
02
Source : INSEE
03
04
05
06
07
Antonin Aviat, Jean-Charles Bricongne et PierreAlain Pionnier, « Richesse patrimoniale et
consommation : un lien ténu en France, fort aux
Etats-Unis », in Note de Conjoncture de l’INSEE,
décembre 2007.
63
Analyse structurelle
Prix du logement
30
Glissement annuel en %
25
20
15
10
5
0
-5
97 98 99 00 01 02 03 04 05 06 07
France : prix des logements anciens
Etats-Unis : prix médian dans l'ancien
Royaume-Uni : indice Halifax
Espagne : prix moyen des logements
l’« hypothèque rechargeable », un mécanisme
se rapprochant des solutions offertes aux propriétaires anglais et américains. Ce système
permet aux accédants à la propriété d’obtenir
de nouveaux prêts à mesure que l’emprunt initial est remboursé. Toutefois, à la différence du
Royaume-Uni ou des Etats-Unis, cette hypothèque rechargeable est limitée à la valeur d’acquisition du bien et non pas à sa valorisation
au prix de marché ce qui exclue l’octroi de
« rallonges d’emprunts » au fur et à mesure
que les prix de l’immobilier augmentent.
Ce système beaucoup plus limitatif en termes
de possibilité de crédits constitue néanmoins
un bon garde-fou quand les prix de l’immobilier se retournent. En outre, il évite que la
dynamique de l’endettement ne soit autoentretenue. En effet, quand l’octroi de prêt est
conditionné par la qualité de la garantie,
c’est-à-dire la valeur de l’actif et non pas la
qualité de l’emprunteur, plus les prix montent et plus il est possible de s’endetter et
donc plus les prix continuent de monter. Au
final, les ménages se retrouvent avec des
charges d’endettement bien supérieures à
leur capacité de remboursement. En France,
c’est avant tout la qualité de l’emprunteur
qui détermine le montant emprunté. En ce
sens, la hausse des prix immobiliers en
France, bien que très prononcée, n’a pas les
mêmes impacts sur les marchés immobiliers
et sur la croissance que dans d’autres pays.
Par ailleurs, il convient de se demander si
cette hausse des prix a abouti à une surévaluation des actifs. Autrement dit, peut-on parler d’une bulle spéculative dont l’éclatement
se traduirait par une chute durable et très
marquée des prix ? A l’heure actuelle, on
observe déjà un net ralentissement des prix
de l’immobilier dans la plupart des pays. Au
Royaume-Uni, la hausse des prix des logements (indice Halifax) marque une nette
décélération (+ 5,3 % au quatrième trimestre 2007 en glissement sur un an contre environ 10 % il y a un an). En Espagne aussi, la
hausse des prix du logement ralentit depuis
fin 2004. Au deuxième trimestre 2007, le prix
France
France
Nouveaux crédits à l'habitat des ménages
Crédits à l'habitat
16
Variations sur 1 an en %
100
80
14
Ensemble
Ménages
12
60
10
40
8
20
6
0
-20
4
00
01
02
03
04
Source : Banque de France
64
En milliards d'euros (mm3, au taux annuel)
05
06
07
95 96 97 98 99 00 01 02 03 04 05 06 07
Source : Banque de France
Crise de l’immobilier résidentiel : la France est-elle à l’abri ?
moyen des logements ne progressait plus que
de 5,8 % en glissement annuel contre 10,8 %
au même trimestre de l’année précédente.
Enfin en France, la décélération des prix des
logements anciens amorcée en 2004 se poursuit graduellement pour atteindre 7,7 % en
glissement sur un an au troisième trimestre,
après avoir connu un pic à 16,9 % au troisième trimestre 2004. Cette tendance est également perceptible dans le neuf.
Toutefois, même si les prix de l’immobilier
ont moins progressé en France qu’au
Royaume-Uni ou en Espagne, ces derniers ont
dépassé, de loin, leurs points hauts de 1991
lors du cycle précédent, et ce, même corrigés
de l’inflation. Les prix des logements sont-ils
pour autant surévalués ? En réalité, la hausse
des prix doit être rapportée à l’évolution des
taux d’intérêt, à celle des loyers ou encore
celle des revenus.
Ainsi, en France, de 1996 à 2006, l’inflation
immobilière s’est accompagnée d’un recul
sensible et prolongé du coût du crédit à l’habitat, ce qui n’était pas le cas lors du précédent cycle de 1991. De sorte que la « prime de
risque », qui correspond à l’écart entre le
taux de rendement de l’investissement immobilier (revenus futurs générés par le bien,
loyers et plus-values) et celui d’un placement
sans risque (obligation d’Etat) est toujours
restée positive. En d’autres termes, bien que
la hausse des prix des logements ait été plus
rapide que celle des loyers, le choix de l’achat
immobilier correspondait à un investissement
rationnel, dont le prix n’était pas surévalué.
Sur la base des mêmes critères, on peut également considérer qu’au Royaume-Uni, les
prix ne souffrent pas d’une grosse surévaluation. En revanche, en Espagne, certains
experts estimaient, à la mi-2007, que les prix
immobiliers étaient surévalués de 20 à 30 %,
la prime de risque sur un investissement
locatif étant devenue négative.
La solvabilité des acquéreurs, on encore la
part du revenu consacrée à la charge de la
dette immobilière, constitue également un
bon critère d’évaluation du prix des logements et donc de la solidité du marché. Là
encore, la France semble se distinguer par de
meilleurs fondamentaux au regard des autres
pays même si certaines évolutions sont à surveiller de près.
Les facteurs de résilience
liés aux conditions et aux
modalités de financement
En dix ans, de 1995 à 2005, la dette des
ménages a sensiblement augmenté dans la
majeure partie des pays de l’OCDE. Cette
dette, constituée pour les trois quarts par des
emprunts immobiliers, est passée, en France,
de 41,7 % du PIB en 1995 à 56,2 % en 2005,
précisément sous l’effet de la hausse de l’endettement logement. Ce niveau demeure toutefois inférieur à ceux du Royaume-Uni (de
73,5 % à 104,2 % sur la même période), des
Etats-Unis (de 68,3 % à 98 %) et de
l’Espagne (de 42 % à 69 %). Pour autant, en
France comme dans de nombreux pays européens, la hausse des encours de crédits a nettement ralenti au cours des derniers mois.
La solvabilité
des ménages : des situations
très différenciées en Europe
La capacité d’achat des ménages a été fortement affectée par le renchérissement des prix
de l’immobilier. Ainsi, cette dernière a sensiblement diminué en France sur la période
Indicateurs de solvabilité
1991
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007*
Coût relatif
Indicateur de
moyen en années solvabilité après
de revenu
crédit d’impôt
(neuf et ancien)
nd
67,8
2,87
100
3,02
100,7
3,2
97,6
3,41
96,4
3,63
98
3,82
96,7
3,87
97
Source : Crédit Logement / CSA – Observatoire du
financement des marchés résidentiels – octobre 2007
* estimation
65
Analyse structurelle
France
Solvabilité des ménages
80
%
Coût d'une annuité d'un prêt immobilier
en % du RDB moyen
70
60
50
40
30
90
92
94
96
98
00
02
04
06
08
Le calcul est fait pour un appartement ancien à Paris
Source: Chambre des Notaires de Paris
récente : en consacrant environ un tiers de
son revenu au remboursement d’un emprunt,
un ménage français pouvait acquérir, en
2005, une surface de 30 % inférieure à celle
qu’il pouvait s’acheter en 1998. Cette surface
demeure toutefois supérieure à celle qu’il
pouvait acquérir au début des années 1990,
signe que l’état de solvabilité des ménages
français s’est moins dégradé qu’au cours du
précédent cycle. En moyenne, le taux d’endettement hypothécaire (remboursement
d’une annuité d’emprunt immobilier
/revenu) est passé de 30 % à 55 % du revenu
disponible brut moyen des ménages acquéreurs entre 1998 (point bas) et 2007.
La solvabilité des ménages français, bien
qu’en dégradation sur la période récente,
demeure relativement acceptable, à la fois en
termes absolus et au regard des autres pays.
Le taux d’endettement hypothécaire continue
de s’accroître mais demeure inférieur à celui
de la majorité des autres pays (135 % au
Royaume-Uni, 100 % aux Etats-Unis et 90 %
en Espagne). Si la solvabilité des ménages a
continué de se dégrader au cours des derniers
mois en liaison avec la remontée des taux sur
les nouveaux crédits au logement
(+ 135 points de base entre le point bas de
2005 à 3,40 % et début 2008 à 4,75 %), le
taux d’effort des ménages pour l’acquisition
d’un bien immobilier reste encore très éloigné de ses records inscrits au début des
années 1990. A titre d’illustration, le coût
d’une annuité d’un prêt immobilier standard
rapporté au revenu disponible brut moyen a
augmenté de 79 % pour les appartements
anciens à Paris entre le point bas du troisième
trimestre 1998 et la mi-2007. Au deuxième
trimestre 2007, le coût d’une annuité d’un
prêt immobilier standard était de 30,8 % du
revenu moyen des ménages pour l’acquisition d’un appartement neuf en France entière
(il était de 55,5% pour l’achat d’un appartement ancien à Paris). En 1990, ces mêmes
taux d’effort étaient respectivement de 40 %
pour un appartement neuf en France entière
et de 75,2 % pour l’ancien à Paris.
En Espagne, la progression des crédits hypothécaires aux ménages a nettement ralenti,
passant de + 24,3 % en décembre 2005 (en
terme nominal) à + 15 % fin 2007. Dans le
même temps, les taux d’intérêt hypothécaires
réels sont passés de — 0,3 % à 2 %. Le poids
de l’endettement des ménages s’est donc sensiblement accru. Début 2007, les seules charges d’intérêt dépassaient 16 % de leur revenu
disponible brut. Par ailleurs, l’épargne financière des ménages espagnols est négative (à
hauteur de -3,2 % du revenu disponible brut
fin 2006) et leur taux d’endettement atteint
Caractéristiques de la dette des ménages européens, 2006
Propriétaires
Allemagne
Espagne
Finlande
France
Royaume-Uni
%
43
85
64
56
70
Emprunts
immobiliers/PIB
%
52
46
38
26
72
Dettes totales/RDB
(%)
102
115
80
67
146
Sources : Nationals statistics, ESCB, OECD, Eurostat, in FNAIM “Overview of European property markets”,
january 2007, Situation Letter N°47.
66
Crise de l’immobilier résidentiel : la France est-elle à l’abri ?
Créances douteuses
et politique d’octroi des crédits
France
Taux d'endettement des ménages
52
En % du revenu disponible brut
49
Crédits à l'habitat
46
43
40
37
34
31
00
01
02
03
04
05
06
07
Source : Banque de France
des niveaux historiquement élevés, ce qui
leur laisse peu de marge de manœuvre. En
dépit de la modération des prix de l’immobilier, l’accessibilité au logement, mesurée par
le coût d’une annuité d’un prêt immobilier
standard rapporté au revenu médian des
ménages, continue donc de se dégrader : elle
est ainsi passée à 44,8 % au deuxième trimestre 2007 contre 31,7 % en moyenne pour
l’année 2003 (sans déductions fiscales) et à
36 % contre 22,5 % (avec déductions fiscales). Ce phénomène est d’autant plus marqué
que le relèvement des taux d’intérêt affecte
plus particulièrement les ménages espagnols
majoritairement endettés à taux variable, un
point sur lequel nous reviendrons.
Si, au Royaume-Uni, l’allongement de la durée
des prêts a permis à certains ménages de pouvoir accéder au crédit, il s’est aussi soldé par
un accroissement de leur taux d’endettement
qui demeure l’un des plus élevés d’Europe. Le
prix moyen des maisons, qui représentait à
peine 3 fois le revenu moyen des ménages en
2002, en représente désormais plus de 5 fois
(données du troisième trimestre 2007). Dans
certaines régions du Royaume-Uni, ce rapport
est encore plus élevé puisqu’il atteint 7,1 dans
la capitale et 7,7 en Irlande du Nord. Cela se
traduit par l’éviction des ménages les moins
solvables. Dans ces conditions, l’accès à la
propriété devient de plus en plus sélectif : le
revenu moyen des acquéreurs est actuellement
supérieur de plus de 60 % au revenu moyen
des ménages.
La dégradation de la solvabilité des ménages
se solde souvent par une remontée des créances douteuses. En France, bien que l’encours
de ces créances douteuses et litigieuses (CDL)
ait quelque peu progressé, passant de
24,3 milliards d’euros au premier trimestre
2006 à 25,4 milliards d’euros au premier trimestre 2007, leur poids dans le total des
encours de crédits n’a quasiment jamais été
aussi bas. Il atteignait 3,1 % au premier trimestre 2007 contre 3,3 % un an plus tôt. Si
l’on se limite aux seuls crédits habitats, ce
ratio de CDL est encore plus modeste puisqu’il
atteignait 0,9 % en moyenne en 2006.
Autant dire que la France est bien loin de la
configuration des crédits à risque que connaissent les Etats-Unis ou encore le Royaume-Uni.
Certes, le segment subprime britannique apparaît moins risqué que son équivalent américain
mais le nombre de saisies de biens s’est tout de
même inscrit en hausse sur la période récente.
Ainsi, sur la base des chiffres avancés par le
Council of Mortgage Lender, le nombre de saisies se serait accru en moyenne de 53 % en
rythme annualisé entre le point bas de 2004 et
les six premiers mois de l’année 2007. Elles se
chiffraient au premier semestre 2007 à près de
14 000, ce qui ne représente toutefois que
0,12 % des encours totaux de prêts. On est
encore loin, il est vrai, des niveaux historiquement élevés observés au début des années 1990
lors de l’éclatement de la bulle immobilière, où
le nombre de saisies était alors environ trois
fois plus important, mais il n’empêche qu’elles
continuent de s’accroître régulièrement.
Le relèvement des taux d’intérêt est un facteur
décisif de l’évolution de la solvabilité des ménages. Toutefois, en France, le risque pour les
ménages de voir la charge de la dette s’alourdir
est réduit. En effet, ce sont les taux longs qui
déterminent ceux des crédits à l’habitat et ces
deniers n’ont que faiblement augmenté en
France en dépit d’une remontée des taux directeurs de la Banque Centrale Européenne (BCE).
En outre, les ménages français sont, en grande
majorité, endettés à taux fixe. Dans les pays
67
Analyse structurelle
Caractéristiques des prêts en Europe,
2005
Part des prêts à Durée moyenne
taux variable, % des prêts (années)
Allemagne
Espagne
Finlande
France
Roy.-Uni
72
75
97
20
72
25-30
15
15-18
19
25
Sources : Nationals statistics, ESCB, OECD, Eurostat,
in FNAIM “Overview of European property markets”,
january 2007, Situation Letter N°47.
comme l’Espagne ou le Royaume-Uni où l’endettement à taux variable prédomine, la solvabilité des ménages est beaucoup plus sensible
au resserrement des politiques monétaires. En
2006, la part des crédits à taux variable dans
l’ensemble de l’encours de prêts n’était que de
20 % en France contre 75 % en Espagne et
72 % au Royaume-Uni.
S’il n’existe pas en France de marché du crédit subprime, c’est parce que le contrôle du
risque par les établissements de crédits est
particulièrement élevé. C’est en effet la qualité de l’emprunteur qui conditionne l’octroi
du prêt (régularité, montant des revenus,
prêts en cours, etc.), la norme d’un taux d’effort plafonné à un tiers du revenu étant appliquée par la plupart des établissements bancaires. On constate d’ailleurs, sur la période
très récente et dans le contexte actuel de
rationnement des liquidités bancaires, un
renforcement des exigences et de la sélectivité de la part des banques vis-à-vis des
ménages emprunteurs. C’est là une différence
essentielle avec les marchés mortgage anglosaxons. Evidemment, cette plus grande prudence dans la pratique des banques se traduit
par un endettement des ménages moins développé et surtout par un accès à la propriété
plus sélectif et plus inégalitaire. Ainsi, en
France, seulement le quart des accédants à la
propriété se recrute dans la moitié inférieure
de l’échelle des revenus quand le dixième
supérieur en fournit près du quart.
Au Royaume-Uni, la démocratisation du crédit passe par des établissements spécialisés
dans les prêts aux ménages auxquels les banques refusent de faire crédit, mais cette pratique se solde pour ces ménages les plus fragiles par un accroissement encore plus grand
de leur vulnérabilité. En France, de telles pratiques ne sont pas autorisées car il est interdit aux banques de prêter au-dessus du taux
d’usure (soit un tiers au-dessus de la
moyenne des taux pratiqués). En revanche,
avec l’ouverture de la concurrence bancaire,
on voit apparaître en France des établissements de crédits étrangers qui proposent des
crédits immobiliers sur des durées de quarante, voire cinquante ans, contre une durée
de 21,5 ans en moyenne actuellement (16 ans
en 2002), selon la Fédération nationale de
l’immobilier (FNAIM).
Ainsi donc, la politique assez stricte d’octroi
des crédits en France, la nature des prêts et la
structure de l’endettement des ménages
constituent un rempart au risque de « banqueroute » du marché immobilier et permet
aux ménages, sans toutefois totalement les
protéger, de ne pas sombrer trop rapidement
dans des situations d’insolvabilité.
Au-delà de tous ces facteurs de résilience du
marché immobilier français, il en est encore
certains qui peuvent constituer un soutien non
Durée moyenne des prêts immobiliers
Part des prêts, en
%, financés à…
10 ans
15 ans
20 ans
25 ans
30 ans
2002
2004
2005
2006
2007
7,8
5,9
6,7
4,1
3,6
36,3
25,7
18,4
14,8
12,4
33,1
32
26,5
24,9
21,8
2,3
11,9
21,9
31,7
33,5
0,2
1,3
1,6
8,4
16
Source : Meilleurtaux.com, Lettre de conjoncture n°51, janvier 2008
68
Durée
moyenne (ans)
(ans)
16,3
17,5
18,3
20,5
21,5
Crise de l’immobilier résidentiel : la France est-elle à l’abri ?
population française croît sur un rythme de
0,6 % l’an ce qui contribue à court et moyen
terme, à nourrir la demande de logements.
France
Coût du crédit
8.0
%
OAT à 10 ans
Prêts immobiliers
(taux fixe, secteur libre)
Taux variable
7.0
6.0
5.0
4.0
3.0
00
01
02
03
04
05
06
07
Source : Banque de France
négligeable au secteur du logement. En effet,
la démographie, la politique du logement ou
encore les incitations fiscales sont des spécificités qui pourraient, à la différence des autres
pays, continuer d’alimenter la dynamique de
la construction résidentielle en France ou, tout
au moins, contribuer à en atténuer le freinage.
Les facteurs de résilience
liés à l’offre et la demande
potentielles
Une démographie dynamique
et une offre de logements
insuffisante
Au sein de l’Europe, la France jouit d’une
position particulièrement envieuse en terme
démographique. Alors que l’Espagne,
l’Allemagne ou encore l’Italie ne connaissent
qu’une faible croissance de leur population
alimentée par les seuls flux migratoires,
l’Hexagone enregistre un excédent naturel.
En 2006, le nombre de naissances en France
métropolitaine et dans les départements
d’Outre-mer était en hausse de 23 100 par
rapport à 2005 et le nombre de décès en
baisse de 7 100. L’excédent naturel est ainsi
proche de 300 000 personnes, niveau inégalé
depuis plus de trente ans. Quant au solde
migratoire, il est estimé à 93 600 personnes,
soit un peu plus qu’en 2005. Au total, la
Ainsi, en France, la demande potentielle de
logements progresse depuis le début des
années 2000 à un rythme supérieur à
350 000 logements par an, sous l’effet principalement de la vive progression du nombre de
ménages (+1,6 % en 2006). La hausse de la
demande potentielle de logements a été, de
manière quasi-constante, supérieure au nombre de mises en chantier de logements depuis
près de quinze années. Même si la construction de logements s’est redressée en 2005 et
2006, avec un nombre de mises en chantier
proche de 410 000 unités, il reste que les pénuries sont loin d’avoir été résorbées après
quinze années où les constructions de logements n’ont pas dépassé les 300 000 unités par
an. La simple comparaison entre l’évolution
de la demande potentielle de logements et le
nombre de mises en chantier fournit une évaluation grossière du déficit de logements en
France. Celui-ci serait compris entre 700 000 et
800 000. Le marché résidentiel français souffre
donc d’une insuffisance structurelle de l’offre.
Cette insuffisance de l’offre se retrouve d’ailleurs aussi du côté du logement social avec un
parc locatif qui, certes, continue de croître
mais à un rythme peu soutenu au regard des
besoins. Une récente étude du ministère de
l’Ecologie montre que le nombre de ces logements (plus de 4 300 000) n’a augmenté que
de 0,6 % en 2005. Certes, 49 000 logements
nouveaux ont été proposés mais, dans le
même temps, on dénombrait 7 700 ventes et
13 100 démolitions, soit un solde net de quelque 24 000 logements seulement. L’offre nette
de logements locatifs sociaux en 2005 accuse
donc une baisse de 29 % par rapport à 2004.
Le recul de l’offre s’accentue, puisqu’il n’était
que de 11,8 % en 2003. Depuis 2003, le
rythme de croissance est resté inférieur à 1 %
alors qu’il y a dix ans, il était plutôt proche de
2 %. Selon certaines estimations, le nombre
de logements sociaux manquants s’élèverait à
500 000, ce qui, compte tenu du rythme
actuel de croissance de l’offre, conduirait à
attendre au moins vingt ans pour résorber les
pénuries existantes.
69
Analyse structurelle
Les mesures fiscales incitatives
La mise en place récente de la mesure fiscale
de déductibilité des intérêts d’emprunts
immobiliers au titre de l’acquisition ou la
construction de la résidence principale
devrait contribuer à soutenir la demande de
logements des nouveaux acheteurs. Ce dispositif, introduit dans le paquet fiscal voté en
août 2007, prévoit en effet la déductibilité des
intérêts d’emprunt plafonnée à 40 % la première année et 20 % les quatre années suivantes. Cette mesure porte sur un montant
d’environ 420 millions d’euros en 2008, selon
les estimations qui figurent dans le REF (rapport économique et financier), puis de
3,7 milliards d’euros en rythme de croisière.
Même s’il semble encore délicat d’estimer exante l’impact de cette mesure en particulier
quant à son aptitude à soutenir plutôt les prix
ou l’activité, elle ne peut que constituer un
élément de soutien du marché immobilier,
tout comme, du reste, les dispositifs d’allégement des droits de donation. Elle peut notamment compenser partiellement l’effet du
récent relèvement des taux d’intérêt.
Conclusion
Au total, le cas de l’immobilier français semble bel et bien se distinguer des configurations américaine, espagnole ou encore britannique. Ses particularités ne le placent pas en
dehors de la phase de ralentissement du cycle
immobilier qui touche actuellement ces pays
mais semble en tout cas le protéger d’un risque de correction brutale et prononcée. Le
marché est donc tout au plus dans une phase
de freinage, voire de stabilisation à la fois en
ce qui concerne les transactions, les prix, les
mises en chantier ou encore l’octroi de crédit,
une phase qu’il avait d’ailleurs amorcée voilà
plus d’un an.
Dans un contexte où les prix de l’immobilier
en France ne sont pas surévalués, où la politique d’octroi de crédit reste prudente, où la
demande de logements n’a pas connu d’excès
et où l’offre demeure structurellement insuffisante compte tenu des besoins démographiques, il est raisonnable de penser que le marché immobilier français ne connaîtra pas
d’ajustement drastique dans les mois qui viennent. La crise financière de l’été a sans doute
eu pour effet de précipiter quelque peu les
ajustements cycliques en cours sans toutefois
en accentuer l’ampleur. Ce scénario d’atterrissage en douceur apparaît peut-être moins évident en Espagne ou au Royaume-Uni où les
facteurs de fragilité, qui exposent davantage
les ménages et le marché immobilier aux risques de la remontée de taux d’intérêt, sont
plus nombreux. Enfin, le cycle actuel français
se distingue assez clairement du cycle précédent. Les fondamentaux du marché apparaissent plus solides et le marché, loin d’avoir à
résorber un trop-plein de logements, connaît
plutôt une situation de relative pénurie.
Achevé de rédiger le 20 janvier 2008
Carole Deneuve - [email protected]
Références
Chambre des Notaires, (2008), « La conjoncture immobilière France, Paris, Ile de France ».
Crédit Logement / Institut CSA – Observatoire du Financement des Marchés résidentiels, (2007),
« Le marché en 2007 et ses tendances récentes », « Tableaux de bord mensuels ».
Indicateurs de la construction, SESP, Infos Rapides, Sitadel, Ministère de l’écologie, du développement et de l’aménagement durables.
Indice Notaires/INSEE des prix des logements anciens, Infos Rapides, INSEE.
L’observatoire des marchés de l’ancien, FNAIM, (2008), « Lettre de conjoncture » n°51.
L’Observatoire National des Marchés de l’Immobilier, (2007), La lettre, n°46.
Notes de synthèse du SESP, (2007), « La demande potentielle de logements : un chiffrage à l’horizon
2020 », n°165.
Observatoire du BTP, Tableau de bord trimestriel, ministère de l’équipement.
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