Anne Gaudry Muller, com n° 173, Atelier 20

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Communication n°173 – Atelier 20 : Métier du soin : son exercice
Apprentissages informels des infirmiers à l’hôpital : autoformation et
transmission
Anne Gaudry Muller, Doctorante Université Paris Ouest Nanterre La Défense, EA 1589
Résumé
Les évolutions dans le domaine de la santé ont un impact sur les pratiques infirmières
hospitalières. Les savoirs à mobiliser évoluant rapidement, l’infirmière actualise ses
connaissances pour maintenir et développer ses compétences au jour le jour. Elle est en
situation d’apprenance permanente. A partir d’une recherche doctorale, nous démontrerons
que les infirmières réalisent en situation de pratique professionnelle des apprentissages
informels et ainsi s’autoforment pour être compétentes. L’analyse des données recueillies lors
d’une enquête qualitative précisera les caractéristiques des transmissions infirmières, inscrites
dans une temporalité, une dualité, effectuées de vive voix, non formalisées et ne donnant lieu
à aucune validation. Les résultats montrent des apprentissages quasi exclusifs liés à des
situations de soins présentant des éléments incidents et incrémentaux.
Mots clés : apprentissages informels, autoformation, infirmier, transmission.
-----------------------------------------Introduction
Les mutations sociétales, l’accroissement des besoins en santé, l’accélération des
progrès scientifiques et médicaux, le développement des technologies d’informations et de
communication, les contraintes économiques, la restructuration de l’hôpital génèrent de
nouvelles logiques de soins à l’hôpital et impactent les pratiques soignantes, notamment les
pratiques infirmières. Les professionnelles sont amenées à développer ou actualiser leurs
connaissances, leurs compétences en regard de ces différentes évolutions. Or, le champ des
savoirs mobilisés dans la pratique professionnelle quotidienne est étendu et ces savoirs
évoluent rapidement. Notre questionnement porte sur ce que les infirmières apprennent dans
les services de soins et la manière dont elles le font. A partir d’une recherche doctorale, nous
démontrerons que sur la base de transmission d’informations d’une professionnelle à une
autre, quotidiennement sur leur lieu de travail, les infirmières réalisent des apprentissages
informels et ainsi s’autoforment pour être compétentes. Un professionnel compétent est défini
comme « capable de mettre en œuvre dans une situation donnée,une pratique professionnelle
pertinente tout en mobilisant une combinatoire appropriée de ressources (savoirs, savoir-faire,
aptitudes,raisonnements, comportements… » (Le Boterf, 2010). L’autoformation, « notion clé
d’apprendre par soi-même » (Carré, 1997) est ici une « autoformation sociale » (Carré,
2010) : Les infirmières apprennent dans et par le groupe social.
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L’analyse du recueil des données permettra de préciser les transmissions infirmières
mises en évidence, leurs modalités, leurs contenus et finalités. Les liens entre transmission,
information, apprentissage, socialisation et professionnalisation seront ainsi mis en évidence.
La notion de « transmission » est, depuis tout temps au cœur du métier infirmier. Que
ce soit dans l’exercice professionnel libéral ou en institution, l’infirmière effectue de manière
quotidienne des transmissions aux professionnels avec lesquels elle travaille que ce soit en
collaboration ou en réseau. Les transmissions font partie de la « routine » infirmière, des
« habitus », et peuvent être de formes diverses ou variées, générales ou spécifiques,
individuelles ou collectives. Afin d’en esquisser les contours puis de les décliner plus
précisemment, nous les définirons, en répondant à la question qu’est ce que transmettre ?
Transmettre est un verbe transitif signifiant « faire passer une chose concrète ou
abstraite, une qualité, un caractère, des connaissances d'une personne à une autre ; les
illustrations proposées étant « transmettre le savoir, des traditions » et les synonymes :
communiquer et faire connaître » ( site cnrtl, 2012) . Le dictionnaire encyclopédique de
l’éducation et de la formation indexe quatre articles à propos de « transmission »:
« Transmission voir acculturation ; Communication (techniques de) ; Sciences de
l’éducation », « Transmission culturelle voir Ecole parrallèle », « Transmission des savoirs
voir Vulgarisation » et « Transmission familiale voir Socialisation politique ». Dans le
classement des articles, « école parrallèle » et « vulgarisation » sont considérés comme des
« problématiques » des « Ressources pour l’information et l’éducation », alors que
« Socialisation politique » et « acculturation » sont situés respectivement dans « lien social »
et « culture et norme » des « aspects sociologiques et psychosociologiques ». Pour Dubar, la
socialisation professionnelle des sociologues de l’Ecole de Chicago et la socialisation
anticipatrice (Merton) permettent d’interpréter les conduites des infirmières en formation et de
« rétablir la place éminente de la socialisation latente, informelle, interactive, par rapport à
celle de la socialisation institutionnelle […]. Dans la 3ème édition de ce dictionnaire, le
concept est enrichi de deux articles « transmission de connaissances voir Enseignant ;
Machine à enseigner » et « Transmissions des valeurs voir Linguistique et éducation ».
Transmettre trouve donc une place entre socialisation et acculturation, formation et
profession, connaissances et savoirs.
Le terme de « transmission » est omniprésent dans les articles du champ professionnel
mais absent de la littérature scientifique infirmière ainsi que du glossaire du Centre Européen
pour le Développement de la Formation Professionnelle (CEDEFOP) définissant les cent
termes essentiels dans le domaine de la politique européenne d’éducation et de formation.
Cette absence interroge et apparaît paradoxale alors que dans le référentiel d’activités du
métier infirmier comme auprès des professionnelles, la transmission est considérée comme
une activité incontournable de la pratique, s’effectuant souvent de manière orale pour
informer ou s’informer de l’état de santé du patient. Les transmissions dans la pratique
quotidienne se limitent elles à la santé du patient ? Y aurait il différents types de
transmissions possibles : des transmissions autour du soin, d’une culture et d’une pratique
professionnelle, liées à l’apprentissage ?
Quelques jalons théoriques
Le terme de transmission peut être défini et précisé selon le sens professionnel qui lui
est attribué le plus couramment, qui est prescrit dans le referentiel métier, le referentiel
compétence ou encore le referentiel de la formation infirmière. Toutefois, ce n’est pas sur
celui-ci que notre regard est porté dans cette recherche mais sur une autre dimension réelle de
la transmission : la transmission comme vecteur d’apprentissages informels et
d’autoformation, mesurant ainsi l’écart entre le prescrit et le réel.
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Le référentiel métier infirmier décline la notion de transmission dans la sixième
activité nommée : coordination et organisation des activités et des soins. Sept items sont
classés selon deux axes. Le premier porte sur la transmission d’informations vers les
professionnels de santé, entre équipes de soins, orales et écrites à partir de documents utilisés
pour les soins, pour le suivi de la prise en charge du patient et l’élaboration de résumés
cliniques infirmiers. Le second considère la transmission orale d’informations au patient, à la
famille ou aux proches de la personne soignée.
Les transmissions ont pour finalité de prodiguer des soins de qualité, coordonnés au
patient, en regard des projets thérapeutiques ou de soins définis en équipe ou en réseau de
soin. Il s’agit de produire des soins de nature préventive, curative ou palliative, visant à
promouvoir, maintenir et restaurer la santé, de contribuer à l’éducation à la santé et à
l’accompagnement des personnes ou des groupes dans leur parcours de soins en lien avec leur
projet de vie.
Les transmissions sont un moyen de réaliser avec compétences des activités cœur du
métier infirmier telles que : évaluer l’état de santé d’une personne et analyser les situations de
soins, concevoir et définir des projets de soins personnalisés ; planifier des soins, les
prodiguer et les évaluer ou mettre en œuvre des traitements.
Ces transmissions représentent à la fois un moyen et une nécessité pour les infirmières
d’être compétentes dans le travail en réseau pour produire des soins de qualité de manière
individualisée, organisée et coordonnée à une personne soignée. Elles sont aussi le moyen, en
favorisant les apprentissages informels, l’autoformation des infirmières, d’actualiser leurs
connaissances au fur et à mesure des évolutions du métier, des savoirs et des techniques, des
recommandations et des normes professionnelles pour ajuster leurs compétences tout au long
de la vie professionnelle et maintenir leur professionnalité.
Méthodologie
L’enquête exploratoire de cette recherche, qui s’est déroulée en 2008 sur une durée de
neuf mois a eu lieu auprès d’une population de trente infirmiers, exerçant dans différents
services : médecine, chirurgie, réanimation, bloc, psychiatrie ou prison, sur deux terrains
d’enquête, une clinique et un hôpital en Ile de France. Un outil, le journal de bord, permet le
recueil des apprentissages réalisés chaque jour, pendant six semaines. Les infirmières y
consignent la date, les connaissances, savoir-faire, ou attitudes appris dans la journée,
l’occasion d’apprentissage, les ressources humaines ou matérielles utilisées, ainsi que
l’intérêt pour leur pratique professionnelle. Au terme des six semaines, un entretien en face à
face permet la compréhension objective des écrits.
L’analyse empirique des apprentissages met en évidence une typologie des
apprentissages qui peuvent être classés en trois catégories selon un degré variable
d’intentionnalité et/ou une conscience de l’acquisition de connaissances. A partir de ces
mêmes critères, Schugurensky (2007) a proposé une taxonomie de trois types d’apprentissage
informel : l’apprentissage autodirigé, l'apprentissage accessoire et la socialisation. Carré
(2005) établit, dans les modes d’expression de l’apprenance, trois types d’apprentissages
informels à partir de deux critères : l’intention et la direction (intentionnel, informel et dirigé ;
intentionnel, informel et autodirigé et informel, non-intentionnel et dirigé).
Au terme de notre analyse, trois types d’apprentissages informels sont déclinés. Une
première catégorie concerne des apprentissages conscients et volontaires : des apprentissages
autodirigés, liés à des projets individuels de l’infirmière. La seconde catégorie propose des
apprentissages inconscients et involontaires qui sont conscientisés au décours des entretiens.
La dernière catégorie, la plus représentée, concerne des apprentissages incidents, liés à des
situations inhabituelles ou nouvelles, rencontrées par l’infirmier dans la pratique, tels que les
changements de poste de travail, de prise de responsabilités nouvelles, de dysfonctionnements
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ou les situations quotidiennes de soins auprès des patients. Ces apprentissages, conscients et
involontaires, de survenue aléatoire sont des apprentissages incrémentaux concernant des
données ou des ressources modifiées, en lien avec l’évolution des savoirs, des techniques ou
des organisations. Ils sont les plus nombreux, car nécessaires dans l’activité infirmière pour
« savoir agir » dans l’ici et maintenant (leBoterf, 2010). Notre publication concerne ce type
d’apprentissage, la transmission entre pairs y tenant une place privilégiée.
Présentation des résultats
Au total, les trente infirmiers déclarent prés de 500 apprentissages composés de
savoirs, savoir-faire et attitudes. Soit 16,5 en moyenne par personne pour tous les
apprentissages confondus : les savoirs sont de l’ordre de 10 apprentissages par personne, les
savoir-faire de 3 par personne, les attitudes entre 1 à 2 par personne. Les savoirs, représentant
67% des apprentissages déclarés, concernent l’institution (administration, culture, valeurs,
organisation, projets, outils de communication intranet) ou des savoirs théoriques spécifiques
au service relatif à la spécialité (les progrès matériels et médicaux, les nouvelles molécules,
les pathologies, les techniques opératoires, et techniques de soins) et les soins infirmiers qui
en découlent, les protocoles et procédures d’entrée, de techniques de soin). Les savoir-faire
représente 21% (mise en œuvre de protocoles, de soins techniques, de commandes) et les
attitudes 9% (gestion de stress, de conflits, prise de position, savoir dire non). Deux
dimensions prépondérantes permettent de les préciser : les dimensions thérapeutique et
organisationnelle avec respectivement dans les deux cas : 53% et 12% pour les savoirs et 34%
et 17% pour les savoir-faire. La dimension thérapeutique des apprentissages est en lien avec
les évolutions scientifiques et techniques, le développement des procédures qualité.
L’infirmier apprend des gestes techniques, des procédures pour agir en situation, être
opérationnelle. La dimension organisationnelle des apprentissages est significative de
l’évolution des structures internes et externes à l’hôpital (la sectorisation, la répartition en
pôles d’activités, les parcours de soins des patients, les réseaux de soins, la collaboration), de
la rationalisation (économie, efficience) du processus qualité (certification des hôpitaux
(V2012,) du mode de management (mode participatif), des conditions et des modes de travail
(ajustement des effectifs, pénurie, flexibilité du travail). Ces savoirs et savoir-faire
représentent 89% des apprentissages.
La majorité de ces apprentissages, conscients et involontaires, se réalisent à l’occasion
de situations de soins dans le service auprès d’un patient, lors d’une activité de soins dans
laquelle l’infirmier agit. Ils ont lieu avant ou pendant l’activité par ce que nécessaires à la
réalisation de cette activité. Les infirmiers déclarent apprendre pour développer des
compétences pour 53% et gérer les situations de soins à 11%, assurer des soins de qualité à
25 % ou encore pour 11% informer le patient. 17% des infirmières déclarent apprendre
seules. 83% apprennent grâce à des ressources humaines : leurs pairs pour 44% puis avec les
médecins pour 27%. Les 12% restants sont répartis entre responsable qualité, agents
administratifs, autres paramédicaux ou patients. Le téléphone est un outil qui permet de
contacter la personne ressource au bon moment, pour répondre à un besoin d’information. La
majorité d’entre elles apprennent à partir d’une information transmisse par une autre
personne. Il est question de « transmission » en tant qu’action de transmettre, de faire passer
quelque chose à quelqu'un ». Une personne transmet une information à une autre,
l’information devient une nouvelle ressource qui peut être combinée avec d’autres pour être
compétent ou encore moyen d’apprentissage. Le résultat de cette action, est, in fine, la
réalisation d’un apprentissage par l’infirmière qui reçoit l’information. Ces apprentissages
sont des apprentissages professionnels informels définis comme : « tout phénomène
d’acquisition et/ou de modification durable de savoirs (déclaratifs, procéduraux ou
comportementaux) produits en dehors des périodes explicitement consacrées par le sujet aux
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actions de formation instituées (par l’organisation ou par un agent éducatif formel) et
susceptibles d’être investis dans l’activité professionnelle » (Carré, Charbonnier, 2003). La
transmission est un vecteur à finalité d’apprentissage.
Les caractéristiques d’une transmission vectrice d’apprentissage
De la même manière que les infirmières transmettent des informations concernant les
soins personnalisés aux patients, elles vont se transmettre des informations concernant les
pratiques de soins, les activités à réaliser pour produire des soins prescrits, en collaboration,
par le médecin, en regard des dernières recommandations professionnelles. De ce fait, ces
transmissions s’effectuent selon une temporalité significative, coordonnée à l’organisation des
activités dans la pratique professionnelle.
La transmission est quotidienne, séquencée au fil de la journée au cours des
différentes activités du travail, « dans le juste à temps », facile d’accès. Elle est
indispensable à l’infirmière à la fois demandeuse et receptrice de l’information pour « savoiragir » avec compétence. (Le Boterf, 2010). Cette transmission qui véhicule la réponse à une
demande formulée, est située, ancrée dans une pratique professionnelle, qui est « le déroulé
de choix, de décisions et d’actions mis en œuvre par le professionnel pour faire face aux
exigences d’une situation professionnelle à gérer » (Le Boterf, 2010).
Cette transmission est une activité secondaire, qui précède ou se superpose à une
autre activité, parce que nécessaire à la réalisation de celle-ci, en regard de critères de
performance attendus. La transmission est séquencée dans la journée en fonction et au fur et à
mesure des besoins d’informations et de connaissances requis dans les différentes activités
quotidiennes, en fonction des aléas du travail. Avant ou au cours d’une activité de soin,
l’infirmière identifie ne pas avoir la connaissance nécessaire pour effectuer le soin dans les
« règles de l’art » et recherche l’information auprès d’une collègue qui « sait » comment faire,
comment agir dans la situation et lui transmet l’information utile pour être en capacité
d’effectuer seule l’activité. La transmission d’information se réalise soit avant le soin mettant
en capacité l’infirmière de produire le soin, soit en cours de soin. Elle correspond à une
variable d’ajustement de la compétence. Les informations transmises viennent enrichir les
ressources de la professionnelle qui les mobilise et les articule avec pertinence dans l’activité
et ainsi se professionnalise (Le Boterf, 2003). La transmission permet de développer ou
d’actualiser les compétences des professionnelles en situation en vue de garantir la qualité de
la production du soin. Elle concoure ainsi à développer la professionnalité des infirmières,
entendue comme l’amélioration de leur développement professionnel (Bourdoncle, 2000),
leur permettant de « gérer une gamme de situations professionnelles qui peuvent aller du
simple au complexe, de l’habituel à l’inédit, du normal au dégradé, de l’incidentel à
l’accidentel » (Le Boterf, 2003) et par extension la professionnalité de l’organisation. Le
professionnalisme est aussi convoqué : la transmission permet à la professionnelle de
respecter dans sa pratique les procédures, les normes ou les valeurs établies par la profession
(Bourdoncle, 2000). Selon un « processus d’identification », en faisant partie d’une équipe,
les professionnelles infirmières suivent la logique de soin actuelle vers l’injonction de qualité
des soins (Dubar, 1998). Cette socialisation peut être qualifiée de socialisation
professionnelle, la socialisation étant définie dans le dictionnaire des Sciences sociales ou
humaines comme « le processus dans lequel les individus intègrent les normes, les codes de
conduite, les valeurs, de la société à laquelle ils appartiennent ». Les infirmières transmettent,
intériorisent et intègrent les valeurs d’appartenance et les normes de fonctionnement de la
communauté de pratique dans laquelle elles se situent, en participant à des activités entre pairs
au travail.
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La transmission est toujours singulière et située car adaptée, ciblée à un
professionnel dans une situation et un contexte donnés. Un professionnel transmet une
information à un autre professionnel et à un seul pour une activité donnée. Le pluriel n’existe
pas : une infirmière ne transmet ni plusieurs informations ni à plusieurs collègues. Cette
dimension significative s’explique par la temporalité des transmissions et la stratégie de
l’infirmière qui est de questionner une seule personne à la fois, avant tout un pair, dans son
environnement de travail proche, sans avoir recours à une autre source d’information. Si
celui-ci répond, l’infirmière prend en compte la donnée, sinon elle demande à une autre
personne dans son environnement proche, dans le service, et ainsi de suite, plutôt que d’avoir
recours à une ressource matérielle. Les rapports sociaux sont privilégiés au sein de la
communauté de pratique infirmière, définie comme groupe de personnes qui partagent un
intérêt pour une pratique et qui apprennent comment l’améliorer par des interactions
régulières. (Wenger, 1998).
L’oralité est le mode de transmission privilégié à 83% par les professionnels. Les
deux principaux « transmetteurs », médecins et pairs dispensent 71% de transmissions de
manière orale. Cette modalité orale de transmission est considérée comme étant plus rapide,
valide et efficiente. Aucune infirmière n’a évoqué le fait d’écrire, mais toujours de « dire » ou
« redire aux collègues ». La transmission peut être limitée entre deux professionnels ou alors
devenir un maillon d’une chaine de « transmissions » entre professionnels, mais toujours de
l’un à l’autre. Les transmissions peuvent donner lieu à des écrits à usage individuel, pour « se
souvenir dans une autre situation ». Aucune transmission à un collectif n’est évoquée. Une
infirmière, disposant d’un choix des ressources varié pour trouver une information, à propos
d’un protocole à mettre en œuvre, va privilégier comme source d’information une collègue
plutôt que d’aller dans l’intranet de l’hôpital où l’information, stockée, est validée. Ceci
confirme le fait que le métier infirmier est un métier d’oralité. La transmission orale, liée aux
pratiques sociales, permettent des apprentissages sur le tas. L’infirmière qui a reçu
l’information, a ensuite l’intention de la transmettre à ses collègues pour qu’elles puissent à
leur tour, faire preuve d’efficience dans la réalisation de l’activité de soin. Les transmissions
s’inscrivent donc dans un processus de continuité de « sachant » à « non-sachant », qui prend
une posture d’ « apprenant ». (Carré, 2005). Au fil des transmissions successives, les
informations se déploient ainsi dans l’organisation.
La transmission a un caractère positif, sans jugement de valeur , ni rapport au
pouvoir. La transmission d’information, puisque permettant un agir compétent, est vécue
comme satisfaisante par les professionnels, qu’ils en soient l’émetteur ou le recepteur. Ceci
est renforcé par le fait que toute demande conduit à une transmission d’information. Le fait
que l’information transmise résulte de l’experience positive d’autrui, d’un savoir issu de
l’expérience, d’un savoir d’action (Barbier, 1996), et d’une action réussie accentue encore le
caractère positif de la transmission, telles les expériences vicariantes (Bandura, 1986). Sans
jugement de valeur, donnant à l’infirmière le sentiment de sa compétence à agir, entrainant
ainsi la satisfaction des deux professionnels, émetteur et récepteur, ainsi que celle du patient,
elle induit une boucle de reproduction de transmission identique pour le futur. L’infirmière
perçoit un sentiment d’auto-efficacité personnel relatif à l’activité dans le contexte (Bandura,
2003). Lors de cet apprentissage autorégulé, la satisfaction éprouvée et les inferences
adaptatives ont un effet positif sur les prochains cycles d’apprentissages. (Zimmerman, 2002).
Il n’y a pas de formateur, ni de formé mais un « apprenant » et une infirmière détentrice d’une
ressource, d’un savoir (Carré, 2005; Le Boterf, 2003). Les transmissions sont de type
horizontal, souvent par les pairs présents dans le service de soins, du fait de la proximité dans
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la pratique de soin, au sein de l’équipe. Il n’est pas question de transmission de l’experte à une
novice (Benner,1995). Les transmissions sont relatives à l’évolution du métier, aux savoirs
nouveaux, aux techniques nouvelles. Les anciennes professionnelles apprennent en même
temps et au même rythme que les plus jeunes. Le caractère générationnel n’intervient pas plus
que celui de l’expertise, puisque les informations transmises sont en lien avec les évolutions
récentes des sciences, des techniques et des situations de travail inédites pour la
professionnelle. Il s’agit d’actualisation des connaissances, de protocoles, de
recommandations professionnelles à appliquer dans la pratique quotidienne. Les évolutions
sont communes à tous les professionnels infirmiers, chacun est au même niveau dans cette
communauté de pratique, œuvre pour une finalité commune, la qualité des soins au patient.
C’est le savoir expérientiel acquis lors de la confrontation à une situation identique qui permet
la connaissance de l’infirmière qui transmet. Toute infirmière est susceptible ou en capacité
de transmettre, du fait de sa présence dans le service, si elle a déjà l’expérience de la situation
questionnée. Si notion de pouvoir il y a, elle est de la professionnelle, « sujet social
apprenant » qui prend du pouvoir sur ses propres moyens de formation dans une société
éducative émergente. (Carré, 1997).
Le contenu de la transmission n’est ni vérifié ni validé
Aucune information transmise ne fait l’objet d’évaluation ni de validation de la part d’un tiers.
La transmission n’est pas anticipée par l’infirmière qui transmet : elle répond à la demande
de sa collègue quand elle la questionne, dans le « juste à temps » de l’activité. Elles sont
considérées de fait comme étant juste et pertinente, puisque permettant d’ « agir en
situation ». C’est la performance obtenue lors de leur mobilisation dans la réalisation de
l’activité qui les valide, en référence aux trois jugements que sont les jugements d’efficacité,
qui porte sur les résultats, de conformité qui porte sur les conditions de réalisation et les
façons d’agir et de beauté, qui porte sur les règles de l’art. Celui-ci ne peut être fait que par
des pairs ou des experts. (Le Boterf, 2003). Bateson classe cette transmission d’information,
caractérisée par l’immédiateté et la facilité d’accès, à un degré zéro de l’apprentissage,
spécifique mais non réajustable : la réponse n’est ni transformée, ni corrigée. (Bateson, 1997).
Un questionnement émerge : est-ce lié à la confiance mise dans les savoirs de la
professionnelle qui transmet ? Est-ce dû au caractère inopiné de la transmission ou encore à la
primauté de l’oral sur l’écrit ? L’écrit permettrait dans sa fonction de trace et de preuve de
vérifier la pertinence de l’information recherchée. L’ambigüité des professionnels apparaît
ici : elles questionnent ou transmettent pour le bien du patient, la qualité des soins, leur
professionnalité, celle de leur pair et de l’institution mais elles vont à l’encontre des principes
mêmes du professionnalisme qui est la rigueur dans la recherche, dans l’exploitation de
l’information.
Transmission en situation de travail et réalisation d’un apprentissage informel.
Une transmission d’information, matière première mise en forme, peut-elle être source
d’apprentissage informel ? Une première professionnelle questionne, la seconde en lui
transmettant l’information la renseigne, permettant ainsi un possible apprentissage. Comment
passe t’on d’une transmission d’information à un apprentissage ? Une recension des écrits sur
le thème nous y aide. La transmission concerne des « informations », le terme d’information
pouvant être défini tel un savoir « un énoncé communicable socialement validé », « un énoncé
descriptif ou explicatif d’une réalité, établi et reconnu par et dans une communauté
scientifique et culturelle donnée à une époque donnée » (Wittorski, 1998), disponibles dans
les encyclopédies et les ouvrages spécialisés ou une « connaissance en acte » (Vergnaud,
1995). L’infirmière qui reçoit l’information, se l’approprie en transformant ses représentations
en connaissances. Puis dans un second temps, elle la mobilise en agissant dans cette situation.
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Cette nouvelle connaissance dépend des pré-requis de la professionnelle sur le sujet, des
conditions d’élaboration et des contraintes de la situation. Les infirmières s’approprient donc
en situation les ressources qui lui manquent et qui lui sont transmises. La pratique quotidienne
de travail invite l’infirmière à mettre à l'épreuve ses connaissances, à les confronter à celles de
ses collègues, à les déconstruire ou à les enrichir en regard de l’activité de soin qui évolue.
Les informations sont soumises à un processus de transmission-appropriation. La
professionnelle passe du « savoir que » résultat de la transmission au « savoir faire », elle a
réalisé un apprentissage, de niveau 1, celui du « savoir-faire » selon le processus
« apprendre » (Reboul, 1980), celui du changement de comportement (Bateson, 1977). Cet
apprentissage, qui correspond à un processus d'acquisition de connaissances réalisé dans
l'interaction entre le sujet et l'environnement dans lequel il évolue, passe par la reconstruction
et l'intériorisation des rapports sociaux de mise en œuvre des savoirs transmis , en référence à
une conception socioconstructiviste, courant théorique qui privilégie la position de
« l'apprenant ».
Apprentissages informels, auto et éco-formation
Dans leur pratique professionnelle, les infirmières réalisent des apprentissages de manière
incidente en fonction des aléas du travail quotidien, liés à la discipline du service hospitalier, à
leur poste de travail ou à la rotation de ce poste, aux dysfonctionnements de ressources
humaines ou matérielles notamment. Les infirmières apprennent « en faisant » ce qui renvoie
au « learning by doing » (Dewey) et à la notion de praticien réflexif (Schön, 1994, 1996).
L’infirmière interroge sa pratique, prend conscience de ce qu’elle fait ou devrait faire et ainsi
réalise un apprentissage informel, défini comme : « apprentissage découlant des activités de la
vie quotidienne liées au travail, à la famille ou aux loisirs. Il n’est ni organisé ni structuré (en
termes d’objectifs, de temps ou de ressources). L’apprentissage informel possède la plupart du
temps un caractère non intentionnel de la part de l’apprenant » (Cedefop, 2008). Il est
autorégulé et contraint : l’infirmière régule de façon autonome ses apprentissage en regard des
contraintes liées à l’environnement, que ce soit lors des occasions d’apprentissage ou du
respect des normes professionnelles à respecter (Carré, 2010). Il permet à l’infirmière de
developper son agentivité (Piguet, 2008). L’agentivité correspond à la « puissance personnelle
d’agir » (Ricœur, 2000) ou encore à l’influence personnelle sur son fonctionnement et son
environnement (Bandura, 1986). Les infirmières apprennent de nouvelles connaissances pour
répondre au caractère inédit d’une situation ou encore pour transformer ou approfondir leurs
connaissances, en les réinvestissant dans des activités professionnelles relatives au rôle
infirmier sur prescription. Cet apprentissage est dépendant de l’environnement et de notre
rapport à cet environnement, ce qui renvoie à la notion d’éco-formation (Pineau, 1989). La
transmission participe à la diffusion des savoirs infirmiers à l’hopital. L’hôpital pourrait être
considéré comme organisation apprenante dans le sens où il est le lieu qui propose et expose
aux situations apprenantes, dans lesquelles les infirmières sont amenées à réaliser des
activités, et parce qu’il favorise la diffusion, le traitement et l’interprétation de l’information
indispensable pour répondre aux exigences des soins, et réaliser des apprentissages informels.
Conclusion
De la même manière que les infirmières transmettent à leur pair ou aux autres membres de
l’équipe soignante des informations concernant l’etat clinique du patient et l’organisation du
plan de soin pour y répondre, elles transmettent des informations concernant le cœur du
métier, la pratique de soin, en regard de l’évolution des savoirs, des normes professionnelles
ou des techniques. Cette « autre » transmission n’est pas celle d’une experte à une novice,
inter-générationnelle, mais entre pairs au sein d’une même communauté. L’infirmière est
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amenée à transmettre l’information qu’elle a acquise, pour avoir déjà été confrontée à cette
situation et y avoir répondu. Ses buts sont directement tournés vers l’opérationnalité et
l’efficience. La transmission favorise le developpement des compétences infirmières, permet
de soigner le patient dans le juste à temps, de répondre en temps réel au travail prescrit.
Insérée dans l’activité quotidienne, élaborée dans les collectifs de travail, elle est souvent
invisible mais répond à des enjeux, économiques, sociaux, individuels ou collectifs pour les
acteurs, patients, professionnels et institution hospitalière. Elle permet de diffuser des savoirs
d’évolution du métier sans lesquels l’institution serait en difficulté pour « produire » les soins,
de développer la professionnalité des acteurs. La transmission des savoirs informels non
codifiés interroge. Quelle est la précision des informations recueillies et remises en jeu dans le
soin, sans avoir été l’objet de critique ? La transmission renseigne aussi l’observateur sur les
formes d’organisation du travail à l’hôpital et l’axe sur lequel porte essentiellement la
reconnaissance du travail infirmier : les activités relatives au rôle en collaboration prescrit par
les médecins. Les professionnels pour exercer se réfèrent à des savoirs fondés à la fois sur la
recherche scientifique et sur ce qui est défini comme « l’état de l’art » dans leur discipline.
(Perrenoud, 2010). Dans notre recherche, ce sont les infirmières eux-mêmes qui diffusent et
contrôlent le protocole ou la référence prescrite par l’état et l’organisation. Les infirmières
participent actuellement à la diffusion de savoirs pour soigner mais peu à leur production ou
leur validation, qui permettraient d’élaborer des savoirs disciplinaires et de progresser d’un
métier vers une profession (Perrenoud, 2010).
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