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LA LETTRE DU CONSEIL
N° 61 - août 2015
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SOMMAIRE
4
Discours du Bâtonnier prononcé lors du Banquet de l’Ordre des avocats
du 27 mars 2015
Me Jean-Marc Carnicé
Communications du Bâtonnier
Me Jean-Marc Carnicé
11
Discours prononcé lors du Concours international de plaidoirie pour les droits de
l’Homme: «Le programme de torture de la CIA»
Me Nicolas Gurtner
16
Discours prononcé lors du Concours international d’éloquence de la rentrée solennelle du Barreau de Toulouse: «Toulouse or not to loose?»
Me Louis Frédéric Muskens
20
Le droit humain à l’eau, un concept mal compris?
Me Evelyne Fiechter-Widemann
25
20 ème édition du «Marathon du droit»
Me Philipp Fischer
29
Libres réflexions sur la médiation et le Barreau
Me Pierluca Degni et Me Guillaume Tattevin
32
Missions à Bamako, Mali
Me Philippe Currat et Me Arnaud Moutinot
36
L’innovation radicale ou la promesse d’un nouvel avenir économique
M. Christophe Donay
41
Le nouveau plan d’utilisation du sol de la Ville de Genève: nouveautés et incertitudes
Me Philippe Cottier
44
La contribution de l’avocat dans la pérennité et l’instauration de l’Etat de droit
Me Taoufik Ouanes
51
MAH+ Genève: droit de réponse
Me Philippe Cottier
61
Admissions à l’Ordre des avocats
65
N° 61 - août 2015
3
DISCOURS DU BATONNIER PRONONCE LORS DU BANQUET DE
L’ORDRE DES AVOCATS LE 27 MARS 2015
Me Jean-Marc Carnicé
Il incarnait pour nous tous l’avocat par excellence.
Monsieur le Procureur général,
Il a porté nos valeurs au plus haut, jusque dans l’élégance de son quotidien.
Monsieur le Conseiller d’Etat,
Elégance du verbe mais aussi des relations humaines.
Il n’était pas seulement un avocat d’une grande intelligence et un orateur d’exception mais aussi et peutêtre surtout un homme de dialogue et de tolérance.
Messieurs les députés genevois aux Chambres fédérales,
Madame et Messieurs les Bâtonniers,
Monsieur le Secrétaire général adjoint de la CIB,
Chers Amis,
Madame et Messieurs les Juges fédéraux,
Le Bâtonnier Halpérin a rejoint les grandes voix
éteintes de notre Barreau.
Madame la Présidente de la Cour des comptes,
Madame la Présidente d’Avocats Sans Frontières
Suisse,
Monsieur le représentant du Conseil national des barreaux de France,
Monsieur le Président du Conseil de direction de
l’Ecole d’avocature,
Mesdames les Présidentes de l’Association des juristes progressistes,
Monsieur le Directeur de la Prison de Champ-Dollon,
Monsieur le Président de la Société de droit et de
législation,
Madame la Cheffe de la Police,
Monsieur le Président de la Chambre des Notaires,
Monsieur le Président de la Fédération Suisse des
Avocats,
Monsieur le Président de l’Association des clercs,
Monsieur le Président de l’Union internationale des
avocats,
Monsieur le Président du Grand Conseil,
N° 61 - août 2015
Monsieur le Président de la Chambre des huissiers
judiciaires,
Monsieur le Premier secrétaire,
***
Madame et Messieurs les Bâtonniers des cantons de
Vaud, Fribourg, Neuchâtel, Jura et Valais,
Madame et Messieurs les Bâtonniers des Barreaux
de Paris, Nice, de l’Ain, de Thonon-les-Bains et du
Luxembourg,
4
Je l’accueille comme un signe de soutien, un geste
d’amitié.
Grâce à vous je suis un Bâtonnier heureux.
Monsieur le Conseiller municipal de la Ville de Genève,
Il ne se taisait pas quand il voyait la justice faire fausse
route, précisément parce qu’il la respectait.
Messieurs les Procureurs fédéraux,
Jamais vous n’avez été aussi nombreux.
Madame la Doyenne de la Faculté de droit de Genève,
Monsieur le Conseiller administratif de la Ville de Genève,
Mesdames et Messieurs les représentants du Pouvoir
judiciaire,
Monsieur le Procureur général de la Confédération,
Plus de 800.
Et votre présence compte beaucoup pour moi.
Michel Halpérin s’est battu pour la défense, contre la
gigantesque machine à broyer du pouvoir.
Ce soir il nous manque, il est dans nos pensées et
dans nos cœurs et il y restera pour toujours.
***
Vous êtes très nombreux ce soir.
Mesdames et Messieurs les Présidents de juridiction,
Mesdames et Messieurs les députés au Grand
Conseil,
Les avocats n’ont jamais eu de plus grand défenseur
que lui.
Chers Confrères,
Monsieur le Secrétaire général du Barreau pénal international,
La disparition du Bâtonnier Halpérin a laissé un immense vide dans notre Barreau et dans nos cœurs.
Son Bâtonnat brillant et éclairé a marqué l’histoire de
notre Ordre et nous lui en serons toujours infiniment
reconnaissants.
Madame et Messieurs les représentants des Bâtonniers du Barreau flamand de Bruxelles, d’Anvers, de
Liège, des Barreaux de Chambéry et de Milan,
Madame la Présidente de la Section des avocats
étrangers,
Pour celui qui aime être courtisé, le Bâtonnat est un
moment de jouissance.
Il l’est pour moi aussi, mais pour d’autres raisons.
Ce qui m’a particulièrement touché pendant cette
première année de Bâtonnat, c’est la confiance qu’on
m’a témoignée.
Dans les conflits, personnels ou professionnels, vous
pouvez compter sur moi pour être discrètement
médiateur ou simplement confident et vous aider à
résoudre les situations délicates auxquelles vous
pourriez être confrontés.
C’est mon activité quotidienne depuis que j’ai initié
mon Bâtonnat.
Madame la Secrétaire générale de l’Ordre,
Je veux être particulièrement attentif à cet aspect de
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Les avocats sont pratiquement les derniers de la
liste...
ma mission.
Pourtant lorsqu’on demande aux gens quelle profession ils voudraient voir leurs enfants exercer, ils
répondent d’abord: avocat!
L’Ordre vient d’ailleurs de créer une nouvelle Commission des droits de l’enfant, la première de Suisse,
qui a pour objectif de soutenir et former les avocats
qui pratiquent la justice aux côtés des mineurs et de
veiller au respect de la Convention internationale des
droits de l’enfant.
Quel paradoxe!
Tout cela mérite du respect et de la considération.
Et quelle injustice!
James Fazy disait: «il est plus facile de critiquer les
avocats que de s’en passer».
Je souhaite renforcer les actions bénévoles des avocats mais aussi les mettre en valeur, que le public
prenne conscience de notre engagement pour le
bien commun.
La défense de notre image nécessite de communiquer, de réagir tout le temps et partout.
Comment mieux le faire qu’en allant à la rencontre
des citoyens?
L’Ordre est présent chaque fois qu’il le faut dans les
médias.
Nous allons nous rendre plus accessibles et plus
visibles en descendant dans la rue!
Cela est nécessaire mais pas suffisant.
C’est le projet de l’Avocat dans la Cité auquel le
Conseil travaille depuis quelques mois.
Les affaires que j’ai gagnées m’ont fait plaisir.
Celles que j’ai conciliées m’ont rempli de bonheur.
***
Certains m’ont approché pour me dire leur inquiétude
face à la dégradation de notre image dans l’opinion.
Nous serions impopulaires.
A l’aide de cas pratiques, on expliquera aux écoliers
le rôle du droit dans la société, celui de l’avocat et
aussi le fonctionnement général de la justice.
Je remercie la Ville de Genève, M. Barazzone qui est
avec nous ce soir et qui est l’un des nôtres, et le
Département de l’instruction publique de leur intérêt
pour ce projet.
Tous les avocats seront bénévoles. Je solliciterai une
soixantaine d’entre vous.
Ici aussi, l’Ordre sera pionnier en Suisse.
Rien de nouveau cependant.
Voilà des millénaires que notre profession fait l’objet
de critiques.
Les avocats ne seraient que des mercenaires habités
par le goût de l’argent et un désir de gloire personnel.
Ils seraient au service des criminels et des nantis.
Les gens confondent malheureusement souvent défense et complicité.
Ils voudraient qu’on assiste les innocents et ne nous
pardonnent pas de nous occuper des autres.
Un institut a réalisé un sondage sur la cote d’amour
des professions.
En tête viennent les pompiers parce qu’ils sauvent
les animaux.
Ensuite les vétérinaires parce qu’ils les soignent.
Les médecins – qui ne soignent que les hommes –
viennent évidemment bien après.
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Ce qui importe plus que tout, c’est la nécessité de
défendre et faire vivre nos valeurs.
Et nos valeurs c’est aussi notre engagement, souvent désintéressé et discret, pour la communauté.
Les avocats se mobilisent pour des actions bénévoles de toutes sortes.
Ils s’engagent de façon citoyenne et solidaire et dispensent des services à ceux qui en ont besoin.
Pour la première fois, les Genevois pourront bénéficier d’un entretien gratuit d’environ vingt minutes en
prenant rendez-vous sur le site internet de l’Ordre ou
sans rendez-vous en se présentant spontanément
dans divers lieux de la République.
Cette opération ambitieuse, qui devrait se répéter
chaque année, aura pour point central une tente
dressée en ville.
Nous ne devons pas avoir peur d’être un Barreau
impliqué et visible parce que nous sommes un Barreau fort.
Une association de référence.
Il faut que cela se sache!
Notre Ordre est le deuxième plus grand de Suisse.
L’Ordre tel que nous le connaissons aujourd’hui fêtera ses cent vingt ans en novembre prochain.
Mais la profession est organisée depuis 1712.
Il y avait alors cinquante-et-un avocats à Genève.
Il y a ceux qui défendent les droits de l’Homme. Ceux
qui sont actifs au sein d’associations culturelles ou
environnementales.
Mais d’autres consultations juridiques gratuites seront dispensées à la Maison des Avocats, dans les
locaux de la permanence de l’Ordre et dans des mairies en périphérie.
Ceux qui s’occupent des familles de détenus ou encore du sort des enfants.
Des animations pédagogiques dans les écoles sont
prévues.
6
***
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L’événement mérite d’être célébré.
J’ai chargé un historien de rédiger un ouvrage sur
l’histoire de l’Ordre et de l’avocat dans la cité depuis
le dix-huitième siècle.
7
Ce livre, disponible cet automne, sera destiné aux
avocats mais sera aussi distribué en librairie et pourra
intéresser le grand public.
Nous avons envoyé une mission d’observation en
Chine, reçu des avocats africains, soutenu des
défenseurs des droits de l’Homme partout dans le
monde.
Je souhaite que le rôle des avocats dans l’histoire de
Genève soit expliqué et mis en valeur.
Je veux que chacun se sente fier d’appartenir à notre
Barreau.
Je tiens aussi à ce que l’Ordre intervienne et prenne
position chaque fois qu’un projet de loi touche à un
domaine du droit. Et nous le faisons plus que jamais.
***
Si le Barreau de Genève est écouté à l’étranger, c’est
parce que notre Cité a un attachement profond, viscéral, ancien et reconnu dans le monde entier à la
liberté d’expression et aux autres droits fondamentaux.
Veillons à ce que la Suisse reste un pays ouvert et
ne s’isole pas davantage sur la scène internationale.
L’Ordre se battra contre l’inscription dans la Constitution de la primauté du droit national et pour la
défense des droits humains parce que c’est notre
devoir d’avocat qui l’exige.
***
Et puisque je viens de parler du devoir de résistance
de l’avocat, permettez-moi de vous dire un mot de
notre serment.
L’indépendance, c’est d’abord la liberté.
Liberté de parole et de comportement que personne
n’a le droit de restreindre.
Quant à la notion d’humanité, elle est importante et
figure dans peu de serments.
Il s’agit d’un vrai sentiment de bienveillance, de compassion envers les autres.
Or notre serment ne s’arrête malheureusement pas à
ces cinq engagements.
C’est notre histoire qui l’explique.
Mais je tiens aussi à notre influence internationale.
Il devrait se limiter aux qualités qui figurent au rang de
principes essentiels de notre profession.
Mais soyons vigilants!
J’ai beaucoup voyagé cette année pour l’Ordre des
Avocats.
Je me suis rendu à Paris, à Madrid, à Barcelone, à
Florence et dans toute la Suisse.
Gardons à l’esprit qu’aucun pays, même le nôtre,
n’est à l’abri d’une érosion parfois subtile des droits
fondamentaux.
Soit honneur, dignité, conscience, indépendance et
humanité.
Les magistrats méritent bien entendu notre respect.
J’ai été représenté à Milan, à Tunis et ailleurs.
En Suisse et à l’étranger, notre Ordre est respecté
et écouté.
J’ai été heureux de constater que notre Barreau a
une réputation flatteuse.
A l’heure où les débats politiques s’enveniment à
propos de la Convention Européenne des Droits de
l’Homme, où certains irresponsables – y compris au
gouvernement – suggèrent qu’il serait judicieux de
dénoncer cette convention, battons-nous aussi pour
protéger nos droits fondamentaux et conserver les
mécanismes qui protègent nos libertés.
La CEDH a renforcé l’état de droit en Suisse.
Celle d’incarner l’esprit de Genève.
Et l’esprit de Genève c’est notre vocation unique
pour les droits de l’Homme.
L’Ordre est de plus en plus engagé dans l’assistance
et le soutien aux avocats menacés dans l’exercice de
leur profession ici et partout.
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Ce sont des évidences qui induisent l’idée d’une
forme de soumission aux autorités.
Ce sont les cinq vertus cardinales de l’avocat.
Cela est aussi valable en matière judiciaire.
Partout j’ai reçu un accueil chaleureux.
Nous avons aussi promis ou juré de respecter la loi et
de ne jamais nous écarter du respect dû aux Tribunaux et aux Autorités.
Elle permet également un regard extérieur sur le système légal de notre pays.
Enfin la Suisse, présente à Strasbourg, contribue au
respect des droits fondamentaux dans le reste du
monde.
Les méconnaître constituerait une faute professionnelle.
L’honneur de l’avocat c’est sa dignité morale, son
intégrité mais aussi sa forme toujours irréprochable.
La dignité c’est sans doute l’élégance que doit manifester en toute circonstance l’avocat et sa probité.
C’est aussi un comportement qui traduit ce sentiment, une allure dans les manières qui inspire le respect.
La conscience de l’avocat c’est son engagement de
défendre tout le monde, de ne jamais se taire sans
autre limite que la loi et les règles de la déontologie.
Mais cette partie du serment doit être supprimée.
Les qualités humaines et professionnelles suffisent.
Notre serment ne doit plus être celui d’un auxiliaire de
justice mais celui d’un véritable acteur et sa modification nous donner toute notre place dans la cité.
***
Je ne veux pas terminer sans adresser aux jeunes
avocats un message positif: vous n’avez rien à
craindre de l’avenir.
N’écoutez pas ceux qui vous disent que c’était mieux
avant et que la profession est morte.
L’avocat ne doit des comptes qu’à sa seule conscience.
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COMMUNICATIONS DU BÂTONNIER
Me Jean-Marc Carnicé
C’est tout le contraire: vous allez faire une belle carrière et l’Ordre est à vos côtés.
Veillez comme vos aînés au rayonnement intellectuel
de notre profession.
Maintenez vivant l’esprit de résistance des avocats.
A nos invités suisses, français, belges, luxembourgeois, italiens, espagnols, uruguayens, russes, sénégalais, burkinabé, canadiens, je dis que le Barreau
de Genève est très heureux et fier de vous accueillir.
Merci de tout cœur de votre présence ce soir. Vous
êtes ici chez vous.
Je remercie chaleureusement la Secrétaire générale,
Caroline Bydzovsky, les membres du Conseil, le Premier secrétaire et le Comité du Jeune Barreau, la Présidente du concours d’art oratoire, la Banque Pictet
ainsi que tous ceux qui contribuent à la réussite de
cette soirée, en particulier Mes Degni, de Lucia, Vecchio et Micucci, vidéastes et comédiens de talent,
Me Lembo et les Bâtonniers Reymond et Spira.
partenariat.
Le 8 mai 2015, à l’occasion de leur retraite biannuelle, les membres du Conseil ont notamment travaillé à l’organisation de l’Avocat dans la Cité et à la
célébration des 120 ans de l’Ordre.
Le Bâtonnier et très satisfait des relations entretenues avec la Banque Pictet.
Une conférence sur un thème d’actualité se tiendra
le 24 septembre 2015 dans les locaux de la banque.
La fête ne fait que commencer.
Ils ont également préparé diverses communications
aux membres en lien avec l’entrée en vigueur de la
loi FATCA.
Une communication sera adressée en septembre à
tous les membres à cet égard.
Je vous souhaite à toutes et à tous une très belle
soirée.
Le prochain séminaire du Conseil se tiendra du 1er au
3 octobre 2015.
5. Rencontre avec le Ministère public de la
Confédération
2. Rencontre avec le Conseil de l’Ordre des avocats vaudois
Le 28 mai 2015, le Bâtonnier a rencontré, avec les
autres Bâtonniers romands, les Procureurs en chefs
du Ministère public de la Confédération, à Lausanne.
Le Bâtonnier de Paris, Pierre-Olivier Sur, nous honore
ce soir de sa présence. Nos liens avec Paris sont précieux. Je vous réassure, Monsieur le Bâtonnier, du
soutien de notre Ordre suite aux terribles attentats
de Paris contre la liberté d’expression et contre des
innocents simplement parce qu’ils étaient juifs.
Le 21 mai 2015 a eu lieu la traditionnelle rencontre
annuelle entre les Conseillers des Ordres vaudois et
genevois. Divers sujets ont été abordés, dont notamment la surpopulation carcérale et la détention illicite.
La violation délibérée du secret professionnel de
certains avocats à Paris a profondément choqué le
Barreau genevois. Nous serons toujours à vos côtés
pour défendre les principes d’une défense libre et
indépendante, sans laquelle il n’y a ni justice ni démocratie.
3. Rencontre avec les Bâtonniers des Barreaux
lémaniques
Le 22 mai 2015, le Bâtonnier a rencontré les Bâtonniers des Barreaux de Thonon, de Bonneville, d’Annecy, de l’Ain, ainsi que les Bâtonniers du canton de
Vaud et du Valais.
Ma sympathie va aussi au Bâtonnier Mahfoudh de
Tunisie qui a dû renoncer à être présent ce soir suite
à l’attentat du Musée du Bardo. Nous serons en pensées avec nos Confrères tunisiens lors de la marche
de solidarité contre le terrorisme prévue dimanche à
Tunis.
Les Bâtonniers d’Annecy et Thonon ont décidé d’organiser un événement similaire à l’Avocat dans la Cité
aux mêmes dates que Genève.
4. Rencontre avec les représentants de la Banque
Pictet
Les magistrats sont très nombreux ce soir. Plus de
trente. Vous êtes et vous serez toujours les bienvenus
chez les avocats. Merci d’être parmi nous ce soir.
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1. Séminaire du Conseil
Le 28 mai 2015 a eu lieu une rencontre entre les
représentants de la Banque et le Conseil de l’Ordre.
Les discussions ont notamment porté sur l’avenir du
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N° 61 - août 2015
Diverses questions ont été abordées dont notamment celles de la sécurité, de l’utilisation de la vidéoconférence lors d’auditions de témoins à l’étranger
et de la remise des copies des dossiers. Le Ministère
public a accepté que les Ordres cantonaux dressent
une liste des avocats prêts à accepter des nominations d’office.
6. Election de Me Birgit Sambeth Glasner au
Conseil de la Fédération Suisse des Avocats
Du 4 au 6 juin a eu lieu à Lucerne le Congrès de la
FSA et la 114ème assemblée des délégués cantonaux
de la FSA à l’occasion de laquelle Me Birgit Sambeth
Glasner, ancien membre du Conseil de l’Ordre des
avocats de Genève, a été élue au Conseil de la Fédération Suisse des Avocats.
Le Bâtonnier et le Conseil de l’Ordre sont très heureux de cette élection et félicitent chaleureusement
Me Birgit Sambeth Glasner.
11
Le Bâtonnier était accompagné de plusieurs membres
du Conseil de l’Ordre et d’une importante délégation
genevoise.
13. Participation à des événements organisés
par les Barreaux suisses et étrangers
En mars et avril 2015, le Bâtonnier s’est rendu aux
Rentrées annuelles des Ordres des avocats vaudois
et fribourgeois. Il a également assisté à la Rentrée
de Madrid.
7. Rencontre avec le Département fédéral des
affaires étrangères à Berne
En mai, juin et juillet 2015, le Bâtonnier s’est rendu
aux Rentrées annuelles des Ordres neuchâtelois et
valaisans. Il s’est également rendu aux Rentrées des
Barreaux de Toulouse, de Thonon et de l’Ain. Il a été
représenté aux Rentrées de Bordeaux et du Tessin.
Le 11 juin 2015, le Bâtonnier a été reçu par Monsieur le Secrétaire d’Etat Yves Rossier, en compagnie notamment de Me Sandrine Giroud et Me JeanJacques Martin.
Il s’agissait d’examiner dans quelle mesure la Commission des droits de l’Homme et l’Ordre des avocats de Genève peuvent contribuer à aider les avocats chinois à exercer leur profession de la manière
la plus indépendante possible.
8. Délibération du Prix Ludovic-Trarieux 2015
Le 12 juin 2015, Me Isabelle Bühler Galladé, Me
Marc Joory et Me Arnaud Moutinot ont représenté
l’Ordre à l’occasion de la délibération du Prix Ludovic Trarieux 2015 qui s’est déroulée à Amsterdam.
Le Prix a été remis à Me Walid Abu al-Khair, avocat saoudien ayant largement œuvré en faveur de la
défense des droits de l’Homme. Il a participé depuis
plusieurs années à des actions intentées contre le
gouvernement pour avoir emprisonné des militants
sans charge et pour avoir interdit le vote des femmes
aux élections municipales. Il a notamment été l’avocat d’un célèbre blogueur saoudien condamné en
juillet 2013 à sept ans de prison et six cent coups
de fouets. Me Abu al-Khair a été condamné à quinze
ans de prison pour «désobéissance et rupture de
l’allégeance du souverain», «manque de respect envers les autorités» et «outrage à magistrats»1.
1
La remise du Prix Ludovic Trarieux se déroulera le 27
novembre 2015 pour la première fois à Genève, dans
le cadre de la célébration des 120 ans de l’Ordre des
avocats (cf. infra ch. 17).
9. Rencontre avec la Section des avocats de
Barreaux étrangers (SABE)
Le traditionnel dîner entre la Section des avocats de
barreaux étrangers (SABE) et le Conseil de l’Ordre a
eu lieu le 22 juin 2015. Le Bâtonnier remercie vivement la Présidente de la SABE, Me Karen Monroe,
pour son immense engagement pour l’Ordre des
avocats.
10. Rencontre avec la Chambre des notaires
Le 23 juin 2015, le Bâtonnier s’est rendu au dîner
annuel des notaires et a pu prononcer un discours.
Les relations avec les notaires sont excellentes et les
intérêts communs nombreux.
11. Cérémonie solennelle du brevet d’avocat
Cette promotion était parrainée par le Bâtonnier Luc
Argand. Le Bâtonnier a également prononcé un discours.
12. Prises de position sur des projets de lois
En avril 2015, l’Ordre des avocats a adressé au Département fédéral des finances une prise de position
sur la procédure de consultation relative à l’échange
international de renseignements en matière fiscale.
La Fédération Suisse des Avocats et l’Ordre des
avocats de Genève ont également conjointement
adressé au Département fédéral des finances une
prise de position sur le projet de loi fédérale sur le
blocage et la restitution des valeurs patrimoniales
d’origines illicites de personnes politiquement exposées (LVP).
En mai 2015, l’Ordre des avocats a adressé au Secrétariat d’Etat aux migrations une prise de position
sur la procédure de consultation relative à la révision
de la Loi fédérale sur les étrangers.
La dernière cérémonie solennelle du brevet d’avocat
Les Commissions sont vivement remerciées pour le
travail qu’elles ont accompli à cet égard.
Des informations complémentaires relatives à la biographie du Lauréat du Prix Trarieux 2015 sont disponibles depuis le lien suivant:
http://www.ludovictrarieux.org/fr-page3.callplt2015.htm.
N° 61 - août 2015
s’est déroulée le 29 juin 2015.
12
N° 61 - août 2015
14. Concours international de plaidoirie pour les
droits de l’Homme
Le Bâtonnier félicite Me Nicolas Gurtner, qui a remporté le 2ème Prix du concours international de plaidoirie pour les droits de l’Homme. Le concours s’est
déroulé à Nouakchott, en Mauritanie. La consigne
invitait les candidats à choisir un cas tiré de l’actualité représentant, selon eux, une violation des droits
de l’Homme. Me Gurtner a choisi de plaider contre
le programme de torture de la CIA.
15. Concours international d’éloquence de la
rentrée solennelle du Barreau de Toulouse
Le Bâtonnier félicite Me Louis Frédéric Muskens,
qui a remporté le 1er Prix du concours international
d’éloquence lors de la rentrée solennelle du Barreau
de Toulouse. Tous les candidats étaient invités à prononcer un discours, dont le sujet s’intitulait: «Toulouse or not to loose?».
16. L’Avocat dans la Cité
La manifestation s’inscrit dans le cadre de la semaine de la citoyenneté qui se déroulera à Genève
du 26 au 31 octobre 2015.
13
Tous les jours de la semaine, des avocats se rendront dans les Cycles d’orientation de la République
et transmettront à des jeunes de 13 ou 14 ans un
certain nombre de valeurs essentielles dans un Etat
de droit. Cet événement a été extrêmement bien
accueilli par le Département de l’instruction publique
avec lequel l’Ordre des avocats coopère étroitement.
La manifestation prévoit également un projet citoyen
destiné à servir la communauté genevoise qui se déroulera du vendredi 30 au samedi 31 octobre 2015.
Cette opération ambitieuse vise à rendre les avocats
plus accessibles et à permettre à ceux qui sont hésitants ou rebutés par les honoraires de bénéficier de
conseils gratuits. Une tente sera dressée au centreville et aménagée de telle manière que le secret professionnel soit préservé. Des consultations juridiques
auront également lieu à la Maison des avocats et à
la permanence de l’Ordre. L’avocat aura un droit de
suite. Il pourra gérer le dossier et accompagner la
personne qui l’a consulté.
Le Bâtonnier et le Conseil de l’Ordre des avocats de
Genève se sont engagés avec énergie et détermination dans ce projet qui a vocation à être reconduit
chaque année.
17.120 ans de l’Ordre des avocats
La célébration des 120 ans de l’Ordre des avocats
de Genève aura lieu du 25 au 27 novembre 2015.
La cérémonie solennelle des 120 ans de l’Ordre des
avocats se déroulera le 27 novembre 2015 au Palais
de justice dans la salle Dominique Poncet. Le Prix
Trarieux 2015 sera remis au Lauréat pour la première
fois à Genève (cf. supra ch. 8). Un livre consacré à
l’histoire des avocats dans la République et à l’Ordre
sera présenté à cette occasion. La cérémonie sera
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suivie d’un cocktail dînatoire. Une communication
sera adressée à tous les membres en septembre.
Présence nécessaire du Bâtonnier lors d’une
perquisition
18.Rappel de certaines règles déontologiques
Il arrive que l’avocat concerné par une perquisition
renonce à la présence du Bâtonnier, celle-ci n’étant
selon lui pas obligatoire.
Saisine du Bâtonnier
Le secrétariat de l’Ordre rappelle que les avocats
souhaitant soumettre un incident entre avocats au
Bâtonnier, conformément à l’art. 24 de nos Us et
coutumes, sont priés de s’adresser par écrit à la
Maison des avocats, sise 11, rue de l’Hôtel-de-Ville.
Les parties sont invitées à adresser systématiquement copie de leurs écritures à leur partie adverse
lors de toutes communications, à moins qu’un motif
légitime s’y oppose.
La présence du Bâtonnier ou de son suppléant lors
d’une perquisition est indispensable pour préserver
le secret professionnel, en évitant que soient emportés des documents non visés par l’ordonnance de
perquisition ou encore en assurant la mise sous scellés (art. 248 CPP) de tout document ayant trait à une
activité typique de l’avocat.
Les avocats faisant l’objet d’une perquisition sont
invités à exiger la présence du Bâtonnier ou de son
suppléant, sans exception.
Art. 8 LPav – Nominations d’office
En cas de défense obligatoire, le Bâtonnier invite les
avocats à s’adresser à la Commission du Barreau,
lorsqu’ils souhaitent se faire relever de leur ministère
en invoquant un motif légitime d’excuse.
En tout état, chaque fois que des pièces saisies sont
en lien avec une activité typique de l’avocat ou s’il
y a le moindre doute à ce sujet, il est impératif de
demander leur mise sous scellés immédiatement,
soit en cours de perquisition.
Si le motif d’excuse est admis, l’avocat transmettra
le préavis de la Commission à la direction de la procédure qui en principe donnera suite à la demande
de révocation.
Il est rappelé que l’identité de l’avocat et de son
Etude sont tenues confidentielles par le Bâtonnier
ou son suppléant, qui n’en informe pas les autres
membres du Conseil.
Aucune autre solution n’est acceptable au regard du
respect du secret professionnel. Exposer à la direction de la procédure les raisons pour lesquelles l’avocat souhaiterait être relevé de son mandat exposerait
l’avocat à violer ledit secret.
L’art. 8 LPAv a précisément pour but de protéger ce
secret.
14
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LE PROGRAMME DE TORTURE DE LA CIA
Me Nicolas Gurtner
Mesdames et Messieurs les membres du Comité
onusien des droits de l’Homme,
Votre organe est le gardien de l’un des traités les
plus importants de l’ONU, le Pacte relatif aux droits
civils et politiques. Ce Pacte confie à votre Comité
la mission de juger les plaintes déposées par les
particuliers contre les États pour violation de droits
fondamentaux.
Mon client, M. Abou Zoubaydah, vous soumet une
plainte contre le gouvernement américain.
En effet, la CIA a fait de lui le tout premier détenu
de la lutte anti-terroriste post-attentats du 11 septembre, mais aussi la première victime des «techniques d’interrogatoire renforcées».
Certains contradicteurs, à l’instar du représentant
du gouvernement américain, ne manqueront pas de
soutenir que ce cas serait dépourvu d’intérêt, car
pas assez actuel, car trop ancien. Je vous invite à
éconduire ces esprits chicaniers, pour plusieurs raisons. D’abord, le programme de torture de la CIA
est singulier par son ampleur, puisqu’il a touché 123
victimes. Ensuite, ce cas traite d’actes de torture,
mais aussi d’autres droits fondamentaux, j’y reviendrai. De plus, cette affaire conserve son actualité
puisqu’elle a refait surface en décembre 2014 en
raison du rapport sur la CIA et la torture, établi par la
Commission du Sénat américain et publié grâce au
courageux sénateur Dianne Feinstein. Enfin, dans le
contexte actuel de la lutte zélée contre le terrorisme,
on ne peut exclure que certains États sombrent à
l’avenir dans des excès antidémocratiques.
Ces implications, actuelles et futures, m’invitent à
plaider la cause de M. Zoubaydah.
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Mon client fut capturé le 28 mars 2002 au Pakistan;
en dépit d’une collaboration efficace avec le FBI, il fut
soumis à la CIA, qui opta pour une autre méthode:
les «techniques d’interrogatoire renforcées».
Sans explications, la CIA plaça M. Zoubaydah dans
une cellule dépourvue de fenêtres. Les premiers
sévices suivirent: privation de sommeil, harcèlement sonore permanent, nudité imposée, isolement
complet pendant 47 jours d’affilée, alimentation forcée. Deuxième phase, la violence s’accrut: gifles,
insultes, placement dans les «stress positions»: mon
client – menotté au sol et au plafond – était forcé
de tenir debout, quarante heures durant. Pénultième
supplice: on plaça M. Zoubaydah dans un coffre de
bois, on cloua ensuite un couvercle. C’était un cercueil. Il y restera pendant 11 jours. Dernière phase,
l’asphyxie: on bâillonna mon client, l’attacha, puis
déversa un torrent d’eau sur son visage. Sa gorge
se remplissait, il étouffait. La séance s’interrompit,
puis recommença, 83 fois, en un mois.
Les médecins et les agents du FBI confrontés à
ces scènes de noyade simulée protestaient. L’effroi
gagnait même des gardiens: certains pleuraient,
d’autres vomissaient.
Le cauchemar dura quatre ans et demi.
Aujourd’hui, ces faits sont incontestables, car la
Commission sénatoriale elle-même les a établis;
Leur qualification juridique confine à l’évidence: de
2002 à 2006, mon client fut bien victime de torture
au sens de l’art. 1er de la Convention éponyme.
Vous entendez déjà la riposte du représentant américain: «Actes de torture certes, mais la CIA a sauvé
des vies grâces aux interrogatoires». Sur cette question, Monsieur, consultez simplement le rapport du
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Sénat, qui a souligné l’inutilité... abyssale du programme vis-à-vis de la lutte contre le terrorisme;
mais surtout, j’aimerais vous rappeler cet aphorisme
de Benjamin Franklin, l’un de vos Pères fondateurs,
«[c]eux qui sont prêts à sacrifier une liberté fondamentale au profit d’un peu de sécurité temporaire ne
méritent ni l’une, ni l’autre».
Torture avérée, absence de faits justificatifs: Mesdames et Messieurs, je pourrais m’arrêter là. Mais
ce serait oublier – et j’ai promis de vous en parler –
que le programme de torture de la CIA a également
heurté les principes cardinaux de l’État de droit.
Le procès équitable et l’interdiction de la détention
arbitraire: mon client a été détenu pendant plusieurs années, sans aucune possibilité de contester
les charges à son encontre, et pour cause, aucune
charge, aucune accusation, n’a été notifiée à cet
homme, ici présent. Ah non, j’oubliais, il est toujours
détenu, sans procès, depuis treize ans.
Deuxième violation: nonobstant la preuve des actes
de torture, le gouvernement américain a explicitement refusé d’attraire les responsables devant les
Tribunaux. Cette omission consacre tant un déni
de justice, qu’une violation de l’obligation faite aux
États de poursuivre tout auteur de torture (art. 6 de
la Convention).
Le droit à l’information et la séparation des pouvoirs:
en 2005, la CIA a détruit plusieurs preuves du crime,
notamment des enregistrements vidéos. Le secrétariat d’État et la Maison Blanche se sont opposés à
la publication du rapport de la Commission sénatoriale. En 2010, la CIA a espionné les sénateurs de la
Commission en piratant leurs ordinateurs. Somme
toute, on a essayé, en violant la séparation des pouvoirs, de limiter l’information du public, oubliant par-
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là l’alexandrin de Racine: «Il n’est point de secret que
le temps ne révèle».
La presse a souvent dénoncé les actes itératifs de
torture de la CIA; elle s’est montrée moins diserte
au sujet des trois violations décrites à l’instant. Sontelles dérisoires? Je ne le pense pas: à quoi sert l’interdiction de la torture, si elle ne comprend pas le
droit des victimes d’attraire leurs tortionnaires devant
la justice? Loin d’être accessoires, ces points sont
cardinaux, car les droits fondamentaux ne doivent
pas se limiter à des niaiseries étalées sur un feuillet.
Ils doivent être effectifs.
Au vu des preuves apportées, je sollicite respectueusement de votre Comité les constats suivants: violation du droit au procès équitable, détention arbitraire,
déni de justice, violation du droit à l’information et
violation de la Convention contre la torture.
À supposer que vous me donniez raison, j’en serais certes aise, mais je dois vous avouer que cela
ne suffirait peut-être pas, car je vous devine aussi
curieux que moi de comprendre comment ce pays,
jadis cité par Alexis de Tocqueville comme un parangon de démocratie, a pu sombrer dans une telle
barbarie. En effet, les dérives de la CIA nous invitent
à nous interroger, au-delà de ce cas, sur la notion
même des droits de l’Homme, et, dans une certaine
mesure, sur la nature humaine.
Vous le savez, Rousseau considérait l’homme à
l’état originel comme foncièrement bon, alors que
Plaute et Machiavel le qualifiaient de naturellement
mauvais. Pour Sartre, l’homme naît sans programme
initial, sans nature particulière. Ni bon, ni mauvais, il
n’a pas d’essence propre, et se construit par son
existence, d’où le précepte «l’existence précède
l’essence»; Toujours pour Sartre, le corollaire est que
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l’homme jouit de la liberté, même si des éléments
extérieurs (statut, éducation, fortune, etc.) peuvent
influencer ce libre-arbitre.
Je sais, Monsieur le représentant américain, la thèse
de Sartre peut sembler abstraite, mais elle a heureusement été testée, notamment dans l’expérience
dite de Stanford en 1971. Un professeur de psychologie sociale avait attribué à des étudiants des rôles
de gardiens ou de prisonniers, pour examiner leur
comportement dans une prison fictive. Durant l’expérience, il constata que les étudiants surpassèrent
les rôles attribués: un tiers des gardiens avaient
même eu des comportements sadiques, à tel point
qu’il fallut interrompre l’exercice. Pour le scientifique,
ces gardiens n’auraient jamais sombré dans de tels
travers hors d’un contexte carcéral. Il considérait
donc que l’élément systémique avait participé à la
survenance de ces débordements et il craignait que
tout individu confronté aux mêmes circonstances fût
enclin aux mêmes excès.
Quel lien avec les droits de l’Homme, me direzvous? Pour Sartre et ce scientifique, toute personne
est susceptible de commettre le mal si on la soumet
à des conditions idoines. L’Histoire l’a malheureusement illustré à de multiples reprises. C’est précisément là qu’interviennent les droits fondamentaux, qui
découlent également de la liberté humaine, celle qui
permet à l’homme de choisir ses propres normes.
Je suis en effet convaincu que les droits fondamentaux ne sont pas innés: ils ne sont pas – pardonnez
l’expression incongrue – livrés à la naissance. Au
contraire, ils résultent d’une construction historique,
diachronique, car ils sont survenus, non pas avant,
mais après des violations commises par les États.
Plus qu’un héritage dont on profiterait de façon oisive, ces garanties sont une construction, un édifice,
fragile, sur lequel chacun doit veiller; veiller constam-
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ment, tant il est vrai que les abus surviennent souvent de manière sournoise.
Dans notre cas justement, les États-Unis n’ont pas
sombré dans la barbarie abruptement; les parois de
l’édifice démocratique se sont d’abord effritées, puis
fissurées, avant de choir.
Suivez les étapes: le 17 septembre 2001, le Président Bush autorisa l’arrestation extrajudiciaire de
toute personne représentant une menace grave pour
le pays. Au printemps 2002, la CIA octroya, au-delà
du décret présidentiel, le droit de détenir de simples
témoins potentiels. On créa cinq sites secrets de
détention à l’étranger. Ensuite, un «expert» psychologue, totalement inexpérimenté en interrogation,
recommanda les auditions violentes. Personne ne
remit en doute. Quelques mois plus tard, un juriste
du Département de la Justice donna son aval pour le
waterboarding. Personne ne contrôla.
récents: en Turquie, le refus d’accès à l’avocat
pour une personne accusée d’appartenir au PKK;
en France, la récente loi anti-terroriste qui permet,
sans passer par un juge, de bloquer la diffusion de
sites Internet; au Venezuela, l’arrestation du Maire
de Caracas au motif spécieux qu’il eût fomenté un
coup d’État; aux États-Unis, on a découvert qu’un
ancien tortionnaire de Guantanamo appliquait des
méthodes choquantes pour la police de Chicago.
Tous ces exemples sont autant d’indices d’un État
qui dysfonctionne. Ils rappellent donc le rôle de tout
avocat, qui doit dénoncer et combattre chacune de
ces violations, prémisses d’une procession macabre.
Mesdames et Messieurs, qu’André Malraux m’autorise à le paraphraser, les droits de l’Homme ne s’héritent pas, ils se conquièrent. Alors, restons vigilants
et agissons: la conquête des droits fondamentaux
ne fait que commencer.
Pendant quatre ans, alors même que les détenus
fournissaient des informations souvent erronées
pour faire cesser le supplice, on s’obstinait. Pendant
quatre ans, la CIA mentit au Département de la Justice, au Président, au Congrès. Alors que l’Amérique,
modèle démocratique depuis les Lumières, sombrait
doucement dans les ténèbres, aucun homme politique n’a osé s’interposer.
Ces événements le prouvent: dans une situation de
menace ou d’urgence, toute démocratie court le
risque de glisser dans la tyrannie. Il faut donc être
attentif à chaque atteinte aux droits fondamentaux,
car l’effritement imperceptible d’un pilier peut mener
l’édifice entier à s’écrouler.
Comme avocat, comme citoyen, nous devons garder un regard critique sur l’actualité, parfois annonciatrice de graves dérives. Prenez les exemples
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TOULOUSE OR NOT TO LOOSE?
Me Louis Frédéric MUSKENS, av. st. 1
Madame le Bâtonnier,
Mesdames et Messieurs les membres du Jury,
Chers Confrères,
Chers Amis,
A la question être ou ne pas être, je réponds: «J’expire
donc je ne suis plus».
En ces temps austères où nous courbons l’échine
sous le poids de la dette publique, la véritable question, essentielle parce qu’existentielle, métaphysique
parce que fondamentale, est et demeure celle d’être
ou de ne pas être… payé.
Ce glissement traduit une mouvance bien plus profonde et structurante: l’avènement du matérialisme.
Dans un monde où être se résume à posséder, lutter
pour son existence ne préoccupe guère plus que le
parti communiste français. Le reste du monde se bat
pour gagner, gagner, encore et toujours gagner.
Les Toulousains le résument à leur manière, c’est-àdire avec la désinvolture qu’on leur connaît, en disant:
«Per Tolosa totjorn mai» (Pour Toulouse toujours plus).
Devise qui équivaut à sa traduction anglaise «Toulouse or not to loose».
Avant toute chose, notez que l’analyse qui va suivre
provient d’un Genevois dont la ville a pour devise
«Post tenebras lux»2. Qui plus est, les Suisses se
plaisent à dire que les Genevois sont les Français des
Suisses, c’est vous dire la légitimité avec laquelle je
m’exprime devant vous.
triomphale ou de la lamentation du vaincu.
Je suis de ceux qui estiment que les mots trahissent
davantage la nature de leur auteur que celle de leur
objet. Ne m’en voulez pas, j’ai un penchant certain
pour la psychanalyse et l’idée selon laquelle le verbe
tait souvent ce qu’il dit, au profit de ce qu’il suggère,
qu’il révèle la psyché de son locuteur, qu’il se fait le
témoin d’une réalité voilée parce qu’incarnée.
«Toulouse or not to loose». Si j’ose dire, dans les deux
cas c’est perdu. Un mot anglais, deux orthographes
différentes et pas une seule de correcte. Le verbe
perdre «to lose» ne s’écrit bien évidemment ni comme
la ville Toulouse ni comme le verbe «to loose» libérer.
S’il me fallait désigner les derniers des perdants en
matière de langues étrangères, mon choix se porterait
assurément sur les Français.
Ce n’est d’ailleurs pas Jean-Pierre Raffarin qui me
ferait mentir.
Souvenez-vous, lorsqu’en tant que Premier Ministre,
il y a une dizaine d’années de cela, il plaidait en faveur
du projet de Constitution européenne en déclarant:
«Le oui a besoin du débat pour gagner… win… the
yes… needs the no… to win. Against the no.»
Incompréhensible. Affligeant.
«Time flies like an arrow»3, les français comprennent:
«les mouches du temps aiment une flèche».
Révoltant, abjecte.
La question qui nous rassemble aujourd’hui est celle
de savoir si cette affirmation relève de la clameur
A tout le moins, votre incompétence en matière
Discours prononcé à l’occasion du Concours international d’éloquence de la rentrée solennelle du Barreau de Toulouse. L’auteur remercie particulièrement Me Charles-Louis Notter, Me Nathalie Hubert et Me Jennifer Crettaz pour leurs précieux conseils.
J’emprunte ce calembour, prononcé lors de la dernière Conférence Berryer, à Me Diane de Bavier, Secrétaire au Comité du Jeune Barreau.
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Célèbre exemple de phrase au sens équivoque.
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de langage shakespearien vous préserve-t-elle de
l’américanisation outrancière du droit et du monde
judiciaire, fléau qui sévit plus que jamais en Helvétie.
Voyons le bon côté des choses, vos élèves avocats
gardent un semblant de dignité puisqu’on ne les qualifie pas de trainees (prononciation à la française). Il
semblerait qu’outre-Atlantique cela signifie quelque
chose comme stagiaire. Bref, passons.
Le paiement viager, rien de plus qu’un moyen non
rentable lorsque son bénéficiaire vit âgé;
point de chauve à Toulouse, mais à Calvi si;
le film Spiderman a régné sur la toile, preuve que l’art
est niais;
on ne sait jamais par quel bout prendre une personne
qu’on vexe;
tous les ambassadeurs ont obtenu leur diplôme assis;
plus les hommes ont d’argent, plus les femmes en
brassent;
Johnny a une voix très rock.4
Vous l’aurez reconnu, c’est le calembour, la fiente
de l’esprit qui vole comme se plaît à le décrire Victor Hugo. Paroxysme de la pudeur, quiproquo de la
honte, il ne dupera personne. La rencontre de Toulouse et du revers s’avère aussi fortuite que celle du
marteau et de l’enclume.
Songez ne serait-ce qu’à la diversité des vocables
pour désigner la défaite en français: débâcle, déroute, perte, chute, déconfiture, échec, fiasco, revers,
bide, déculottée, capitulation, débandade, insuccès,
raclée, faillite.
Devant ce choix infini, pour quel substantif le Toulousain opte-t-il? Pour le mot «Toulouse». Voilà un hasard
qui éveille la suspicion plus qu’il ne la jugule. Ce d’autant plus que si ledit Toulousain avait voulu employer
un régionalisme il eût aisément pu parler de tuile.
Calembour et anglais de cuisine chez le Toulousain
participent tous deux d’une même tentative de dénégation de sa véritable nature, tentative tout aussi
risible que celle de l’avocat qui prétend que le gain de
cause s’explique par ses qualités personnelles et le
déboutement par la faiblesse de son dossier.
«Toulouse or not to loose» c’est ériger à tort la ville
rose en vainqueur. C’est nier l’évidence en s’exposant à un retour du refoulé aussi inattendu que violent.
Démarche éminemment magritéenne que d’affirmer:
«Ceci n’est pas une pipe» au-dessous de ladite pipe.
Certes, ce n’est pas cette pipe, raison pour laquelle
il s’agit précisément d’une pipe. Quod erat demonstrandum.
Quelles sont les débâcles que Toulouse occulte ainsi
à la vue du plus grand nombre?
Les clés de cette honte indicible se trouvent certainement dans une déchéance passée. Procédons par
anamnèse.
Au commencement étaient les Volques Tectosages,
ces Celtes qui avaient profané et pillé le sanctuaire
d’Apollon à Delphes, emportant avec eux moultes
tonnes d’un or aussi pur que celui des Nibelungen.
Revenus en terres gauloises ils comptaient bien dormir sur leur trésor de guerre. C’était sans compter
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Ce florilège de calembours est issu du site http://finallyover.com.
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les assauts de l’infortuné proconsul romain Quintus
Servilius Caepio, fils de Quintus Servilius Caepio et
père de Quintus Servilius Caepio. Celui-ci déroba aux
Volques Tectosages soixante-dix tonnes d’or avant
de se faire piller en chemin puis de subir à Arausio
une cuisante défaite qui coûta la vie à près de cent
mille Romains. Se faire piller par un vaincu, être battu par un Romain qui fut déchu de sa citoyenneté
et condamné à l’exil, n’est-ce pas là le destin d’un
peuple damné?
Rome par le pape Fabien pour évangéliser la Gaule.
A cette époque, nous nous situons au IIIe siècle, Tolosa était romaine, entourée de remparts et prospère.
Sous prétexte que sa présence rendait les oracles
muets, des prêtres païens lui demandèrent de sacrifier un taureau à l’empereur. Il refusa si bien qu’il fut
attaché au bovidé du sacrifice et condamné, sans
autre forme de jugement, à mourir entraîné dans la
course folle de ce dernier du haut du Capitole jusqu’à
la rase campagne.
Et que dire du temps des comtes de Toulouse et
de la Croisade contre les Albigeois (XIIIe siècle), du
temps où Raymond V, puis Raymond VI résistaient
aux sièges de Simon IV de Montfort, du temps où
Toulouse jouissait d’une indépendance de fait vis-àvis du roi de France et inventait une nouvelle forme de
gouvernement démocratique? Ô délices des temps
révolus, cruel acharnement d’un sort sans cœur: Raymond s’inclina, Toulouse fut annexée et les Capitouls
capitulèrent dans un vent de Révolution.
Citons une autre affaire, tout aussi parlante: celle de
Jean Calas, un marchand toulousain protestant, ou
plutôt calviniste, pour ainsi dire genevois. Jean Calas
eut le malheur d’être protestant dans une ville de plus
en plus hostile à sa croyance, le malheur d’avoir un fils
qui lui-même eût le malheur d’être dépressif et eût le
mauvais goût de se suicider. Jusqu’à ce moment-là,
tout allait bien, si j’ose dire.
Autre hypothèse. Peut-être Toulouse tente-t-elle de
se soustraire à la faillite intellectuelle française?
Après le Zadig et Voltaire de Frédéric Lefèbvre, place
à 1793 de Nicolas Sarkozy en attendant: Modem et
tabou, une saga politique; En rouge et noir, un récit
mélodieux; A la recherche du pain perdu, nouvelles
recettes de madeleines; L’Etrange haie, manuel de
jardinage; Crime et bâtiment, thriller étonnement bien
construit et Madame Rotary, roman social participatif.5
Peut-être encore s’agit-il d’occulter une capitulation
de son système judiciaire?
Saturnin, premier évêque de Toulouse fut envoyé de
Pour éviter que le suicidé ne fût trainé sur la claie,
Jean Calas prétendit que son fils avait été tué par
un inconnu. La rumeur accusa le père Calas d’avoir
étranglé son fils pour prévenir sa conversion au catholicisme. Condamné en première instance par le Tribunal des Capitouls, le Parlement prononça, en appel, à
l’encontre de Jean Calas une triple peine composée
du supplice de la roue, puis de l’étranglement et enfin
du bûcher.
Sur quelle base Jean Calas fut-il condamné à mort?
Sur la seule foi de témoignages indirects et d’autres
indices ténus, au terme d’une instruction strictement
à charge et quasi inquisitoriale. Il y a là de quoi transir
d’effroi tout homme de loi qui se respecte et heurter
irrémédiablement le sentiment de justice de chacun
d’entre nous.
Ces titres fantaisistes sont issus de l’actualité soit de tweets publiés avec le hashtag
#TweeteCommeSarko en réaction à l’erreur de Nicolas Sarkozy.
Et si le déni était dû à une déculottée culinaire?
Ce n’est en effet pas aux Toulousains que l’on doit le
cassoulet mais aux Chauriens qui durent confectionner un plat de résistance – au sens propre – alors que
Castelnaudary était assiégé par les Anglais durant la
guerre de Cent Ans (1337-1453).
A moins qu’il ne s’agisse de couper court à une déroute réputationnelle?
Comment prendre au sérieux une ville où l’art se
donne à voir aux Abattoirs et les concerts sont organisés au Bikini?
Rassurez-vous, tout n’est pas perdu pour Toulouse
et la clé du mystère réside peut-être dans ce que je
nommerai le miracle de la ville rose.
Il faut en effet reconnaître à Toulouse un don des
plus particuliers. Celui de transfigurer la déconfiture
en triomphe retentissant dans une démarche toute
napoléonienne.
Je m’explique.
Waterloo, il y a tout juste deux siècles, fut le théâtre
d’une chute rapide de l’Empereur français, contraint
de s’exiler à Sainte-Hélène où il mourut quelque
temps plus tard, chez les Anglais, sort peu enviable
au vu des talents linguistiques de vos chefs d’Etat. En
dépit de l’état de désolation et de ruine dans lequel il
avait laissé le pays et nonobstant sa dernière débâcle
le souvenir qu’il laissa fut celui d’un grand conquérant, d’un stratège hors pair, d’un Empereur tout puissant, marquant l’histoire de son sceau.
Abba fit d’ailleurs de la défaite de Waterloo une métaphore de l’abandon heureux de soi à l’autre, une
métaphore des transports immédiats et irrésistibles.
Toulouse, tu es nyctalope. Dans la pénombre du
désespoir, tu vois clair, tu t’avances resplendissante,
dardant les ténèbres de tes terribles rayons.
Ton stade toulousain porte sur son maillot les couleurs
du deuil, celui des Capitouls déchus. Et pourtant, en
rouge et noir, il perce les cieux dans sa chevauchée
victorieuse, éblouit par-delà les frontières, impose sa
loi aux équipes de l’Europe entière. Citons ses dixneuf titres nationaux et ses quatre titres européens.
Les toits de la vieille-ville de Dubrovnik furent endommagés au cours de la guerre d’indépendance de la
Croatie par des Serbo-Monténégrins impitoyables.
C’est sur ce champ de bataille, chaos de la déchéance humaine, que tu vins, Ô Toulouse, poser tes
roses tuiles, sublimant par là même la destruction à
l’état pur dans un mouvement ample et poétique.
Gloire à toi, Ô Toulouse et gloire à tes Toulousains,
car tes faiblesses sont tes forces. Aucune nation
n’a à rougir lorsqu’elle se contemple dans ton reflet.
Tu ne te bats pas pour exister mais pour la beauté
du geste. Tel Cyrano de Bergerac tu t’écries: «Que
dites-vous?... C’est inutile?... Je le sais! Mais on ne
se bat pas dans l’espoir du succès! Non! Non c’est
bien plus beau lorsque c’est inutile!».6 Ton fard efface
jusqu’au plus pénible échec, ton franglais te préserve
de l’américanisation judiciaire ainsi que de toute souillure culturelle du monde extérieur. Tu as la vue biaisée d’un solipsiste de fin de siècle, monochromatique
certes, mais au moins tu vois ta ville en rose.
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Rostand Edmond, Cyrano de Bergerac, Acte V, Scène V.
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LE DROIT HUMAIN A L’EAU, UN CONCEPT MAL COMPRIS?
Evelyne Fiechter-Widemann
Introduction
«Droit humain à l’eau: justice ou… imposture?»1
Peut-être audacieux, l’intitulé de mon étude devrait
inviter à réfléchir. En effet, avant d’être un droit, l’eau
n’est-elle pas une question de vie ou de mort?
Connaître l’histoire des droits de l’Homme
Le Conseiller fédéral Alain Berset, à l’occasion de la
commémoration de la bataille de Marignan de 1515
insistait, dans son allocution du 27 mars 2015 au
Musée national suisse de Zürich, sur la nécessité de
connaître l’histoire politique de la Suisse. Le Professeur d’histoire du droit, Alfred Dufour, enjoint quant à
lui tout juriste, dans un ouvrage de référence «Droits
de l’homme, droit naturel et histoire»2, à connaître
l’histoire des droits de l’Homme.
Il m’a paru donc judicieux de me laisser interpeller
par les sources fort anciennes de cette branche
du droit international public, au moment où, avec
l’adoption du nouveau «droit humain à l’eau» par
l’Assemblée générale de l’ONU le 28 juillet 20103, la
liste de nouveaux droits ne cesse de s’allonger.
Les Etats connaissaient-ils toutes ces sources
lorsqu’ils devaient, au sortir de la Seconde Guerre
mondiale, fixer un socle de valeurs communes pour
assurer la paix mondiale? Certes la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948 (ci-après
«DUDH») a permis de croire à un monde meilleur.
Il me paraît toutefois nécessaire, en 2015, d’avoir
un regard critique sur le langage onusien, lequel a
tendance aujourd’hui à devenir vernaculaire pour le
meilleur et pour le pire, selon l’avis même d’un professeur de droit américain, Samuel Moyn, dans un
récent ouvrage «The last Utopia, Human rights in
History»4.
gratuite, occulte le fait que le précieux liquide ne
tombe pas seulement du ciel, mais qu’il faut des infrastructures très coûteuses pour l’adduction, la distribution et surtout l’épuration des eaux usées pour
assurer sa réutilisation par d’autres.
S’il y a des linguistes responsables de nous enseigner l’origine des mots, les juristes à mon sens, ont
la responsabilité d’expliquer les concepts que tout
un chacun utilise sans se préoccuper de leur signification profonde.
Ces actions citoyennes, si elles devaient se multiplier au plan universel, me paraissent donc aller à fins
contraires et sont susceptibles de nuire à ceux que
ce droit devrait protéger.
Ambiguïté de la nouvelle norme onusienne
Le «droit humain à l’eau» me paraît figurer au nombre
de ces concepts sibyllins et mérite donc une attention particulière. Pourquoi? C’est qu’il paraît «couler
de source» en raison même de la nécessité pour
l’homme de disposer de la ressource «eau», sous
peine de mourir assoiffé. Il donne donc l’impression,
trompeuse, d’avoir existé depuis la nuit des temps.
Or, si je souhaite mettre en garde contre une utilisation abusive des droits de l’Homme pour la ressource vitale qu’est l’eau potable, c’est notamment
en raison de faits d’actualité récente. On peut citer
pour exemple les événements qui se sont déroulés en Irlande en automne 2014 où un groupe de
citoyens est descendu dans la rue pour manifester
bruyamment, au nom du nouveau droit humain à
l’eau, contre une décision du gouvernement visant
à mettre en place des compteurs d’eau pour justifier
une modification de la tarification de l’eau potable.
La croyance, profondément ancrée dans le subconscient de certains individus, que l’eau doit être
Me Evelyne Fiecher-Widemann, avocate honoraire du Barreau de Genève, a développé le thème de cette contribution «Droit humain à l’eau, Justice
ou…imposture?» dans sa thèse de doctorat à la Faculté de théologie de l’Université de Genève soutenue le 30 mars 2015 (http://archive-ouverte.
unige.ch/unige:5518).
2
Alfred Dufour, Droits de l’homme, droit naturel et histoire, Léviathan, PUF, Paris, 1991.
3
Il faut préciser que le «droit humain à l’eau» est déjà mentionné dans la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard
des femmes du 18 décembre 1979 et dans la Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989.
4
Samuel Moyn, The last Utopia, Human Rights in History, The Belknap Press of Harvard University Press, Cambridge, Massachusetts, and London,
2010.
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De fait, c’est dans le cadre d’un mandat au sein du
Conseil de fondation d’une ONG suisse, que j’ai été
vivement interpellée par l’ambiguïté du concept de
«droit humain à l’eau». Je tenais à élucider les raisons qui avaient conduit d’éminents représentants
de la communauté protestante suisse à s’opposer
de façon étonnamment virulente, finalement sans
succès, contre la nomination du directeur de Nestlé
(Suisse) au sein du Conseil de fondation. Cette levée
de boucliers ayant pour cible un employé d’une multinationale me paraissait absolument injuste, la personnalité visée étant non seulement profondément
croyante et engagée personnellement au service
des plus pauvres, mais aussi dotée de compétences
entrepreneuriales de tout premier plan, qualités bienvenues pour la bonne gouvernance de la fondation
humanitaire.
Ma perplexité devant la vivacité des sentiments
exprimés et fondés sur la certitude qu’ils étaient
justifiés par le «droit humain à l’eau», m’a conduit à
entreprendre une recherche interdisciplinaire à l’Université de Genève. Je partais de la prémisse que les
enjeux de l’eau, et de l’eau potable en particulier,
couvraient tous les domaines scientifiques au sens
large, et donc pas seulement le droit et le droit international5, la politique, l’économie et les sciences de
l’environnement, mais aussi la philosophie, et même
la théologie.
La Faculté de théologie de Genève comprenant un
Département d’éthique, c’est tout naturellement
cette Faculté que j’ai choisie comme cadre pour
mon travail.
Ce fut pour moi l’occasion de découvrir, sur le terrain6, l’immense complexité de la problématique,
la question de la pauvreté hydrique dans nombre
de lieux sur la planète devenant un réel problème
éthique, auquel tant les nations que les individus
sont et doivent être confrontés.
Des appels poignants comme ceux de Saint-Exupéry dans «Terre des Hommes»7 ou, tout récemment,
de Michaïl Gorbatchev8, ne peuvent nous laisser
indifférents.
Guidée dans ma recherche par la maxime kantienne
«oser penser»9, je me suis mise à penser à l’eau et
ses nombreux usages, non seulement pour couvrir les besoins vitaux, mais aussi notamment pour
l’agriculture, l’industrie, l’énergie, l’environnement,
les écosystèmes et le luxe (piscine et lavage de voiture).
Faculté de droit et «Plateforme pour le droit international de l’eau douce» créée par le Professeur Laurence Boisson-de-Chazournes (www.unige.ch/droit).
Visites de communautés africaines au Zimbabwe et en Afrique du Sud, ainsi qu’en Asie (cf. Fiechter-Widemann, op. cit.).
Antoine de Saint-Exupéry, Terre des Hommes, Gallimard, Collection Folio, Paris, 1939, p. 149: «Ce n’est pas ma faute si le corps humain ne peut
résister trois jours sans boire […]. On croit que l’homme est libre… On ne voit pas la corde qui le rattache au puits, qui le rattache, comme un cordon
ombilical, au ventre de la terre. S’il fait un pas de plus, il meurt».
8
Michaïl Gorbatchev, Allons-nous attendre d’avoir soif pour mesurer la valeur de l’eau?, Quotidien de Suisse romande, «Le Temps», 2 septembre 2013
(www.letemps.ch/Page/.../e5a26dbe-1326-11e3-acd6-023421410140%7...).
9
Emmanuel Kant, Qu’est-ce que les Lumières? (trad. par Jean-François Poirier et Françoise Proust), Flammarion, Paris, 2006, p. 43.
5
6
7
N° 61 - août 2015
25
Penser le droit humain à l’eau, c’est penser la
justice pour l’eau potable
rain agissent. Je ne donnerai qu’un exemple, celui
de Singapour.
Je me suis aussi et surtout mise à penser la «justice»
en lien avec l’eau, me souvenant que «droit et justice» étaient les deux faces d’une même médaille10.
Ce petit Etat de l’Asie du Sud-Est était considéré
comme un des plus pauvres de la planète au moment de son indépendance, en 1965. Alors qu’il
était fort souvent victime de sécheresses et d’inondations, son Premier Ministre de l’époque en a fait
un Etat prospère notamment grâce à la construction de canalisations pharaoniques. Lee Kuan Yew
obtenait ainsi la tolérance zéro pour les inondations.
Il faut souligner que le succès de cette vaste entreprise réside dans le fait que toute la population a été
appelée à participer à l’effort collectif. En cette année
du cinquantenaire de l’Etat singapourien, l’ensemble
de la communauté singapourienne honore spécialement les «pionniers» qui ont consenti d’importants
sacrifices personnels pour passer du «tiers monde»
au «premier»13.
Cela m’a permis de me souvenir que, selon Aristote,
il convient de distinguer la justice arithmétique ou
justice commutative, de la justice distributive fondée
sur le mérite, la compétence ou le besoin. Mais cela
m’a aussi permis de découvrir que des penseurs
contemporains avaient réfléchi à la justice selon
d’autres critères encore. Je me suis penchée notamment sur les travaux de John Rawls11 et d’Amartya
Sen12.
Le principe de «justice comme équité» du philosophe
américain suscite de vifs débats, notamment parce
qu’il est réinterprété par ses détracteurs, les tenants
d’une «justice distributive globale», laquelle viserait
à revendiquer des Etats riches, que John Rawls appelle «Etats fourmis», de partager leurs biens avec
les Etats dits «cigales». Cela reviendrait-il à dire que
les premiers devraient payer les infrastructures pour
l’accès à l’eau aux seconds? Le Prix Nobel d’économie 1997 et philosophe d’origine indienne Amartya
Sen met en avant, pour sa part, le pragmatisme, approche salutaire dans le domaine de l’eau, car impliquant la responsabilité de chaque individu sur cette
planète pour un usage raisonnable de la ressource.
Pendant que les académies s’affrontent sur les meilleures théories à retenir, certains politiciens sur le ter-
Conclusion
l’eau, selon moi, compte au nombre des adiaphora15, c’est-à-dire n’a pas de valeur éthique et doit
être donc considéré comme un bien économique,
thèse retenue par les signataires de la Déclaration de
Dublin sur l’eau dans une perspective de développement durable de 199216.
La responsabilité première des Etats, ce n’est pas
tant l’eau gratuite ou subventionnée, mais l’éducation des populations à prendre soin de la ressource
vitale. Une bonne gestion de l’eau va de pair avec
une interdiction, strictement mise en œuvre, de
déverser dans les eaux toutes espèces de détritus,
pollutions subie notamment par la Yamouna River à
New Dehli.
Mon espoir: que les idéologies qui agitent les controverses autour de cette ressource vitale en abusant
de la notion de «droit de l’Homme», s’effacent au
profit d’une approche de justice surérogatoire, si
bien résumée par la Règle d’Or: «fais aux autres ce
que tu voudrais que l’on te fasse».
Je suis tous les jours davantage convaincue que si
la «guerre de l’eau», annoncée urbi et orbi, fait peur
à plus d’un parmi nous, il est possible d’éviter qu’elle
n’advienne. La majorité des internationalistes plaide
pour une application large du «droit humain à l’eau»,
implicitement contenu, selon eux, dans le droit à
l’alimentation des articles 25 de la DUDH et 11 du
Pacte I. Pour ma part, je défends un «droit humain
à l’eau» à appliquer de façon restrictive, fondé sur
le droit à la vie des articles 3 de la DUDH et 6 du
Pacte II, c’est-à-dire visant à assurer la couverture
minimale des besoins en eau14. Tout autre usage de
Aristote, Ethique à Nicomaque.
John Rawls, Théorie de justice (trad. Catherine Audard) Éd. Points, Paris, 2009.
Amartya Sen, L’idée de Justice [trad. Paul Chemla] Flammarion, Paris, 2009.
13 Lee Kuan Yew From Third World To First, The Singapore Story: 1965-2000, Marshall Cavendish Editions, Singapore, 2000.
14 Entre 20 et 70 litres par personne et par jour selon www.who.int/water_sanitation_health: «How much water is needed in emergencies», technical note
9, updated July 2013, p. 2.
10 11 12 N° 61 - août 2015
26
15 16 D’origine grecque, le terme d’adiaphora signifie «les choses indifférentes, médianes, neutres». La morale stoïcienne définit les adiaphora comme domaine
intermédiaire entre le bien et le mal. Leur valeur morale se décide dans l’usage qu’en fait le sage.
L’impact de cette déclaration est la mise sur pied, depuis 1997, par le «Conseil mondial de l’eau» de fora internationaux de l’eau, Marakech en 1997, La
Haye en 2000, Kyoto, Osaka et Shiga (Japon) en 2003, Mexico en 2006, Istanbul en 2009, Marseille en 2012 et Daegu-Gyeongbuk (Corée du Sud) en
2015.
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27
20 ème EDITION DU «MARATHON DU DROIT»
Me Philipp Fischer
Le 14 novembre 2015, le «Marathon du droit» fêtera sa 20ème édition. En créant ex nihilo ce nouveau
concept de formation continue il y a 10 ans, l’Ordre
des avocats de Genève a jeté les bases d’une nouvelle approche de la formation continue des avocats,
qui s’est immédiatement avérée indispensable dans
un environnement juridique soumis à des changements toujours plus rapides. L’impressionnant
nombre de participants (régulièrement plus de 360
au «Marathon du droit» du mois d’avril!) démontre
l’investissement des membres de notre Ordre (et des
autres participants) dans la formation continue. Formation continue qui n’est pas seulement un gage de
qualité à l’égard de notre clientèle, mais également
une nécessité: selon le Tribunal fédéral, l’avocat doit
connaître la jurisprudence des tribunaux supérieurs
et de la doctrine pour exécuter correctement son
mandat1.
Afin de célébrer la 20ème édition du «Marathon du
droit», la Commission de formation permanente de
l’Ordre des avocats (CFP) publie un ouvrage qui
cherche à faire revivre par écrit l’esprit de cette formule très particulière de formation continue. Pour ce
faire, la CFP a proposé aux orateurs du «Marathon
du droit» d’écrire une brève contribution dans leur
domaine de prédilection en choisissant l’une des
approches suivantes:
- l’anticipation: une vision prospective sur l’évolu tion d’un domaine juridique au cours des dix pro chaines années.
Liste des auteurs et thèmes
Manuel
Bianchi della Porta
Droit de la personnalité et des médias
Du droit de la personnalité à la procédure administrative, du droit de la protection des données aux
contrats bancaires, de l’aménagement du territoire
au droit du travail, plus de 50 orateurs – magistrats,
professeurs et avocats – ont répondu à l’appel et ont
fait revivre par écrit l’esprit du «Marathon du droit».
La liste des auteurs figure ci-dessous.
Yves Burnand
Droit de la personnalité et des médias
Anne
Reiser
Droit de la famille
Margareta
Baddeley
Droit des successions
Ce livre de plus de 480 pages, qui paraîtra en novembre 2015, sera offert à toutes les personnes
qui ont participé au «Marathon du droit» du 25 avril
2015 ou participeront au «Marathon du droit» du 14
novembre 2015. Par ailleurs, cet ouvrage est également disponible en souscription. Le bon de souscription peut être téléchargé sur le site de la CFP
(http://www.odage.ch/formation-permanente).
Responsabilité extracontractuelle et responsabilité fondée sur la
Christine
Chappuis
confiance
La CFP espère vous voir nombreux sur la ligne de
départ du 20ème «Marathon du droit» le samedi 14
novembre 2015 à Uni Dufour.
BénédictFoëxDroits réels
Giuseppe
Donatiello
Partie générale du Code des obligations
FrançoisChaixContrat d’entreprise
Fabien WaeltiContrat d’architecte
Vincent
Brulhart
Droit des assurances privées
Dominique
Burger
Droit du bail
Karin Grobet Thorens
Droit du bail
DavidLachatDroit du bail
PatrickSpinediDroit du travail
RémyWylerDroit du travail
«L’important, c’est de participer», comme le disait le
Baron Pierre de Coubertin.
- la photo: un fait juridique marquant des dix der nières années;
- le film: une évolution juridique intervenue au
cours des dix dernières années;
- la rupture: un changement législatif ou de pra tique intervenu au cours des dix dernières années;
1
MicaelaVaeriniTutelle et curatelle
Juliette
Ancelle
Droit de l’Internet et des nouvelles technologies
CarloLombardiniContrats bancaires
Olivier
Dunant
Droit de la SA
Rita
Trigo Trindade
Droit de la SA
Alexandre
Richa
Gouvernance des sociétés cotées ou réglementées
MichelOchsnerPoursuite et séquestre
Olivier
Hari
Procédures collectives de liquidation et assainissement
Vincent
Jeanneret
Procédures collectives de liquidation et assainissement
Elliott
Geisinger
Droit international privé et Convention de Lugano
Niklaus
Meier
Droit international privé et Convention de Lugano
ATF 127 III 357, c. 2d, JdT 2002 I 192 ; arrêt du TF, 11 août 2005, 4C.80/2005, c. 2.2.1 ; arrêt du TF, 15 novembre 2005, 6P.91/2005, c. 3.5.
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LIBRES REFLEXIONS SUR LA MEDIATION ET LE BARREAU
Me Pierluca Degni 1 et Me Guillaume Tattevin 2
FrédéricBernardLibertés fondamentales
L’uberisation est à la mode: à l’image de la société
californienne qui en a imposé le concept et à laquelle
elle doit son nom, elle remet en cause des situations établies et se joue des remparts élevés par la
loi autour de vieilles professions. L’actualité nous fait
penser aux taxis genevois, français ou californiens
mais il est dans l’air du temps d’imaginer le prochain
«Uber»: l’Uber du médicament, du transport, de
l’hôtellerie...
MichelHottelierDroits politiques
Olivier
Bindschedler Tornare
Droit administratif genevois
ChristineJunodDroit administratif genevois
StéphaneGrodeckiProcédure administrative
RomainJordanProcédure administrative
Valérie
Défago Gaudin
Droit de l’aménagement du territoire
Nicolas
Wisard
Droit de l’aménagement du territoire
Marc
Balavoine
Droit de la santé
Christian
Bovet
Droit de la concurrence
Jacques-André
Schneider
Assurances sociales
Uber n’est pourtant pas la première entreprise à
bousculer un marché. Le phénomène a été théorisé:
les acteurs dominants n’ayant pas d’intérêt immédiat à perturber leur propre marché sont voués, à
terme, à manquer le train de l’innovation et à céder
la place à de nouveaux entrants.3
Jean-Marc
CarnicéCriminalité économique
DanielTunikCriminalité économique
La spécificité de l’uberisation, c’est la rapidité. Alors
que Kodak a mis autrefois dix ans à disparaître, Maurice Lévy, le patron de Publicis, a résumé la nouvelle
donne de la manière suivante: «Aujourd’hui, tout le
monde a peur de se faire uberiser, de se réveiller un
matin pour s’apercevoir que son business traditionnel a disparu».4
RobertRothDroit pénal
Alain
Macaluso
Droit de la circulation routière
DanielKinzerProcédure pénale
BernhardSträuliProcédure pénale
Corinne
Corminboeuf Harari
Entraide judiciaire en matière pénale
LouisGaillardProcédure civile
Ce qui rend possible le phénomène Uber, c’est la
conjonction de deux astres: le progrès technologique, qui met le savoir à la portée du nouvel entrant
(on pense au GPS, qui permet au quidam de se repérer dans les dédales d’une métropole avec autant
de facilité qu’un taxi blanchi sous la bonbonne); et
un besoin des clients demeuré non-satisfait dans
le modèle traditionnel (et qui n’a pas une anecdote
déplaisante à partager sur les taxis de telle ou telle
ville?).
MichelJaccardProtection des données
Jean-Frédéric
MaraiaFiscalité directe
Xavier
Oberson
Entraide en matière fiscale
Benoît
Chappuis
Droit de la profession d’avocat
Christian
Reiser
Droit de la profession d’avocat
Michel
Valticos
Droit de la profession d’avocat
Pourquoi cette entrée en matière? Parce que, pour
les besoins des «P’tits Déjeuners de la Médiation»,
organisés chaque premier mercredi du mois à la
Chambre de commerce et d’industrie de Genève,5
nous avons conduit une enquête informelle auprès
de certains de nos Confrères sur la relation qu’ils
entretiennent avec la médiation. Précisons d’abord
qu’il s’agissait d’interroger les volontaires sur leur
activité d’ «avocat en médiation», c’est-à-dire l’avocat qui défend les intérêts de son client dans le cadre
d’une médiation. La question de l’avocat agissant
en tant que médiateur ne sera donc pas abordée.
Soulignons encore que cette enquête n’a pas de
prétentions scientifiques: l’échantillon a été constitué empiriquement de Confrères d’expériences et de
spécialités diverses, mais sans méthodologie particulière.
Les questions qui ont été posées étaient: «Que pensez-vous de la médiation? La pratiquez-vous? Pourquoi?».
La conclusion est sans surprise:
- La plupart des participants restituent une image
positive de la médiation, comme concept abstrait.
- Très peu la pratiquent.
- Peu l’intègrent dans la panoplie des outils de
l’avocat.
- Quelques-uns considèrent même la médiation
comme antithétique de l’activité de l’avocat en
Avocat au barreau de Genève, ancien Premier secrétaire.
Avocat à la Cour (Paris), inscrit au barreau de Genève, membre de la Commission ADR, membre du Comité de la Section des avocats de barreaux
étrangers (SABE).
3
C. Christensen, The Innovator’s Dilemma, Harper Business, 2011.
4
La Tribune, 17 décembre 2014.
5
Les «P’tits Déjeuners de la médiation» sont organisés à la CCIG sous les auspices de la Chambre suisse de médiation commerciale, Section romande
(www.csmc.ch). Voir http://www.ccig.ch/FileDownload/Download/21.
1
2
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31
contentieux: confesser une activité d’ «avo cat en médiation», c’est révéler une faiblesse,
condamner le client à l’échec et son avocat à la
médiocrité.
Ce constat est sans surprise parce qu’il n’est pas
propre à Genève. Dans de nombreux pays, les avocats sont perçus comme rétifs aux modes alternatifs/
amiables de résolution des conflits et à la médiation
en particulier.6 Bien plus, le Barreau est parfois soupçonné de s’opposer au développement de la médiation pour des raisons d’intérêt financier propre.7 La
première réponse à ce type d’insinuation doit être de
rappeler la déontologie, qui impose à l’avocat d’agir
au mieux des intérêts de son client, sans égard pour
son intérêt personnel.8 Il reste qu’il serait maladroit
d’ignorer une question qui fâche et qu’il est préférable de la poser ouvertement: le développement de
la médiation a-t-il pour conséquence une baisse du
chiffre d’affaire du Barreau dans son ensemble?9
Un simple calcul peut le laisser penser. Si la médiation remplit l’office que lui imputent ses promoteurs,
elle permet aux parties de réaliser des économies
substantielles par rapport aux coûts d’un procès ou
d’un arbitrage. Ces coûts étant pour une large part
des honoraires d’avocats, il en résulte qu’en faisant
le produit de l’économie moyenne réalisée, d’une
part, par le nombre de contentieux ainsi réglés,
d’autre part, on constaterait le manque à gagner
pour les membres du Barreau.
À titre individuel, des avocats pourraient certes
s’attirer la clientèle récurrente de plaideurs satisfaits
et s’approprier une part du chiffre d’affaires global
subsistant, créant ainsi des réussites individuelles.
Néanmoins, comme il faut être deux pour consentir
à une médiation, le reste du barreau aurait intérêt à
créer, par inertie, une entrave au développement de
la médiation.
Cependant, le calcul ci-dessus est faux parce qu’il
part du principe qu’il existe une quantité finie de
contentieux. Or, le coût et la complexité d’accès à
la justice créent une barrière à l’entrée qui en écarte
un certain nombre de litiges. C’est vrai pour les particuliers, mais également pour les entreprises, tant
le coût du contentieux a tendance à s’adapter à la
valeur litigieuse. En facilitant la résolution amiable/
alternative des différends, la médiation a vocation à
ouvrir la porte au traitement de nouveaux litiges.
Surtout, ce calcul relève à notre avis d’un mauvais
procès fait à la profession d’avocat. Si les avocats
ne montrent que peu d’intérêt pour le développement de la médiation, notre enquête nous a montré que la cause en est plutôt à chercher dans la
force de l’habitude. Même instruit de l’existence de
la médiation,10 l’avocat qui ne l’a jamais pratiquée
rechignera à la proposer à un client, à s’aventurer
en terre inconnue, au risque de se dévoiler novice.
Au contraire, la voie du contentieux est toute tracée,
l’avocat l’emprunte depuis ses premiers jours de
stage et peut, en confiance, y guider son client.
L’habitude étant acquise, peu importent la médiation
et ses bénéfices éventuels pour les parties ou leurs
Conseils, car ce sont les avocats qui contrôlent,
D. Peters, “Understanding why lawyers resist mediation”, Paper presented at 2nd AMA Conference, Kuala Lumpur, février 2011. L’auteur fait état de
résistance avérée à la médiation de la part des avocats américains, danois, écossais ou encore polonais.
7
Id.
8
Article 9 du Code suisse de déontologie.
9
D’aucuns prétendent que ADR veut dire Alarming Drop in Revenue et non pas Alternative Dispute Resolution.
10 A Genève, il existe depuis 2011 à l’Ecole d’avocature une formation à la médiation.
6
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aujourd’hui, les portes d’accès à la résolution des
différends et qui jouent un rôle de prescripteur de
premier recours.
la Cour de cassation française avait constaté la tendance de la justice à apporter «des réponses mortes
à des questions mortes».12
C’est à ce stade que nous voulons vous reparler
d’uberisation. Il est techniquement simple de créer
une plate-forme de médiation en ligne, d’ailleurs elles
existent déjà. Le contentieux en matière d’achats en
ligne se règle déjà très efficacement, à moindre coût,
en quelques jours et sans l’intervention d’avocats,
par le biais des systèmes mis en place par les principaux intermédiaires de paiement ou de vente (EBay,
PayPal, etc.). L’imperium que la loi attache à la décision du juge est rendu inutile par la sanction réputationnelle: en faisant ou défaisant une réputation de
vendeur ou d’acheteur en ligne, en interdisant ou
autorisant l’accès à une plate-forme de vente, ces
mécanismes garantissent la contrainte sociale sans
intervention de l’Etat.
Notre conviction est qu’à l’époque de la négociation
raisonnée et des techniques de résolution basées
sur les intérêts, la justice fondée sur le droit et l’affrontement des positions n’a plus vocation à demeurer le seul recours des parties. La flexibilité qu’offre la
médiation, la manière dont elle place les parties au
centre du processus, prend en compte leurs intérêts
plutôt que leurs positions, ainsi que la liberté qu’elle
offre en terme de solutions en font un complément
précieux aux méthodes traditionnelles de résolution
des différends.
Ces solutions sont pour l’instant limitées à certains
litiges de très faible valeur financière ou émotionnelle.
Il n’en demeure pas moins que l’offre technique est
susceptible de se développer à tout moment. On
pourrait imaginer par exemple qu’Apple – qui détient
plus de la moitié du marché suisse du smartphone11
– vienne à proposer à tous ses abonnés de soumettre en priorité à la médiation en ligne tout litige
entre eux, contre une somme modique.
Au-delà de la faisabilité technique, la seconde condition de l’uberisation est l’insatisfaction des clients
face à l’offre présente sur le marché. En matière
de justice, même en Suisse où les tribunaux fonctionnent globalement mieux qu’ailleurs, cette insatisfaction est évidente et relève de l’organisation judiciaire et de ses contraintes. Un Premier président de
11 12 Or, si les avocats n’ont pas d’emprise sur le progrès
technologique, ils en ont une sur la satisfaction des
plaideurs. Plutôt que d’ignorer la médiation, le Barreau aurait tout à gagner à l’investir pour y imposer ses pratiques. Contrairement à ce que pensent
certains médiateurs, les avocats, dès lors qu’ils y
sont préparés, sont les partenaires naturels de leurs
clients dans une médiation: ils ont les compétences
nécessaires pour analyser la situation et renseigner
précisément les parties sur leur situation; ils ont
l’expérience des situations de conflit et la capacité
à prendre du recul; ils sont des techniciens du droit
et peuvent mettre en œuvre pour leur client des solutions pérennes à l’issue d’une médiation réussie;
ils sont, enfin, des spécialistes de leur domaine capables d’apporter leur connaissance des situations
commerciales ou familiales similaires.
En bref, à condition de s’y être préparé, l’avocat peut
offrir en médiation la même valeur ajoutée qui le rend
aujourd’hui incontournable dans un procès ou un
A. Seydtaghia, Le Temps, 27 septembre 2014.
P. Drai, Discours prononcé à l’audience solennelle de rentrée de l’année 1995.
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MISSION À BAMAKO, MALI
Me Philippe Currat et Me Arnaud Moutinot
arbitrage: celle d’un expert et d’un guide.
Il n’est pas dans notre propos de suggérer que
tout avocat doit pratiquer la médiation, pas plus
que le droit pénal, l’enregistrement de marques ou
la fiducie. Le choix d’engager une activité d’avocat
en médiation est un risque entrepreneurial comme
un autre. La formation est coûteuse au moins en
temps. Les bénéfices demandent de considérer la
rémunération autrement que sur une base horaire
traditionnelle. On est même en droit de craindre que
la médiation reste l’équivalent de la fusion nucléaire,
dont on affirme par boutade que cela fait un demisiècle qu’elle est à dix ans d’être réalisée.
part de ses membres, gageons que le Barreau de
Genève pourrait être un moteur en la matière, en
Suisse et en Europe.
La Commission des droits de l’Homme de l’Ordre
des avocats œuvre en faveur des droits de l’Homme
tant en Suisse qu’à l’étranger par le biais d’interventions diverses. Elle effectue notamment un travail de
sensibilisation et de formation aux problématiques
liées aux droits de l’Homme et à la défense de la
défense et s’engage dans des missions de soutien
en faveur de Confrères étrangers.
Dans cette optique et pour répondre à l’invitation
du Bâtonnier du Mali, Me Seydou Sidiki Coulibaly, la
Commission des droits de l’Homme a décidé d’envoyer une délégation à Bamako.
Il reste que si le Barreau ne prend pas le virage des
techniques nouvelles de résolution des différends, il
risque de s’exposer soudainement à la situation peu
enviable des taxis devant l’arrivée d’Uber.
Cet évènement, soutenu par le Département fédéral
des affaires étrangères (DFAE) et La Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) a eu pour objet la tenue
d’un séminaire d’une semaine de formation en droit
de l’Homme et droit international pénal à l’attention
de nos Confrères maliens.
Pour éviter cela, il existe quelques solutions pratiques simples:
– si vous n’êtes pas entraîné à la négociation sur
les intérêts et à la médiation, profitez des for mations organisées par la Commission ADR de
l’ODA;
– lorsque vous rédigez une clause de résolution
des différends, pensez à y inclure une phase de
médiation, sauf cas d’incompatibilité;13
–
I. Introduction
II. Situation actuelle au Mali
Les groupes armés
Le Mali connaît actuellement et depuis le coup d’Etat
de mars 2012 une situation d’instabilité et de conflit
armé, affectant essentiellement le nord du pays, soit
les provinces de Tombouctou, Kidal et Gao. Dans ces
régions, divers groupes armés combattent l’armée
nationale, appuyée par l’armée française et les forces
internationales des Nations Unies, ces dernières étant
essentiellement composées de soldats tchadiens.
Le conflit a pris de l’ampleur avec l’engagement de
lorsque vous examinerez votre prochain dossier de contentieux, ne cédez pas à la force de
l’habitude et demandez-vous – vraiment – si
une médiation ne serait pas appropriée.
Sous réserve d’un soupçon de volontarisme de la
1
13 La Swiss Chambers’ Arbitration Institution propose sur son site internet des clauses de médiation et arbitrage: https://www.swissarbitration.org/sm/fr/.
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certains groupes dans des activités armées ou terroristes, parmi lesquels on peut citer:
Le Mouvement national de libération de l’Azawad
(MNLA), essentiellement touareg, indépendantiste
et laïc qui se concentre désormais dans quelques
régions autour d’Hombori et le long de la frontière
mauritanienne.
Ansar Dine (les Partisans de la religion, en arabe) est
le groupe touareg rival du MNLA et semble être aujourd’hui le mouvement le plus important. Considéré
comme proche d’al-Qaida au Maghreb islamique
(Aqmi), il prône l’application stricte de la charia. Il
compterait des Touaregs mais aussi dans ses rangs
de jeunes étrangers venus du Sénégal, du Niger et
du Nigeria. Ansar Dine a fait de Tombouctou sa base
principale.
Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) est une cellule africaine de la nébuleuse terroriste née en 2007
des restes du Groupe salafiste pour la prédication et
le combat (GSPC), un mouvement terroriste algérien.
Depuis une décennie, ses membres, pour la plupart
algériens, ont infiltré le Sahel, et particulièrement le
Mali pour échapper aux forces de sécurité d’Alger.
Aqmi s’est signalée par de nombreux attentats et
enlèvements et détient encore certains otages européens.1
Le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de
l’Ouest (Mujao) est un groupe djihadiste, né d’une
scission d’Aqmi et composé d’Arabes maliens ou
mauritaniens. Ce groupe a pris un essor rapide en
2012. Comme Ansar Dine, il multiplie les recrues
à l’étranger, au Sénégal et au Nigeria auprès du
groupe Boko Haram mais aussi dans les commu-
Voir not. Stuart Casey-Maslen, éditor, The War Report 2012, Oxford, 2013, Armed conflict in Mali in 2012, pp. 117 et ss. Les informations ci-dessus
sont reprises d’éléments publiquement accessibles; la situation réelle sur le terrain peut avoir évolué.
N° 61 - août 2015
35
nautés noires maliennes, les Songhaïs et les Peuls.
Plusieurs sources mentionnent aussi la présence,
dans son état-major, de personnalités connues
pour leur implication dans le trafic international de
stupéfiants. Les objectifs politiques poursuivis par le
Mujao sont peu clairs.
L’évolution des groupes armés, leurs divisions, le fait
que les autorités nationales maliennes soutiennent
et arment certains groupes afin qu’ils en combattent
d’autres, rendent la situation particulièrement
confuse et instable.
L’ONU au Mali
La MINUSMA a été créée par la résolution 2100 du
Conseil de sécurité, du 25 avril 2013, pour appuyer
le processus politique dans ce pays et effectuer
un certain nombre de tâches d’ordre sécuritaire.
Le Conseil de sécurité a demandé à la MINUSMA
d’aider les autorités de transition maliennes à stabiliser le pays et à appliquer la feuille de route pour la
transition. Par l’adoption de la résolution 2164, du
25 juin 2014, le Conseil a décidé d’axer le mandat
de la MINUSMA sur des tâches prioritaires telles
que la sécurité, la stabilisation et la protection des
civils, l’appui au dialogue politique national et à la
réconciliation nationale, ainsi qu’à l’appui au rétablissement de l’autorité de l’État dans tout le pays, à la
reconstruction du secteur de la sécurité malien, à la
promotion et la protection des droits de l’Homme et
à l’aide humanitaire.2
Le 16 janvier 2013, le Bureau du Procureur de la
Cour pénale internationale a ouvert une enquête sur
les crimes qui pourraient être commis sur le territoire
du Mali depuis janvier 2012. La situation au Mali a
2
3
4
été déférée à la Cour par le Gouvernement du Mali
le 13 juillet 2012. Après avoir procédé à un examen
préliminaire de la situation, notamment une évaluation de la recevabilité d’affaires éventuelles, le Bureau du Procureur de la Cour pénale internationale a
conclu qu’il existait une base raisonnable pour ouvrir
une enquête, laquelle se poursuit actuellement avec
la coopération des autorités nationales.3
Système judiciaire et accords de paix
Le dernier rapport annuel de «Human Rights Watch»,
World Report 2015, Events of 2014, qui vient de
sortir, souligne le manque de progrès dans la lutte
contre l’impunité relative aux exactions commises
durant le conflit armé en 2012 et 2013. Il y est également fait mention, depuis l’entrée en fonction du Président Ibrahim Boubacar Keita, en septembre 2013,
de sa volonté de mettre en place un mécanisme de
justice transitionnelle, composé d’une Commission
Vérité, Justice et Réconciliation, laquelle devra, dans
un mandat de trois ans, investiguer toute la période
1960-2013, soit depuis l’indépendance du pays.
HRW souligne quelques progrès dans la réinstallation d’éléments du pouvoir judiciaire au nord du
pays, en particulier dans les régions de Tombouctou
et de Gao.4
Un accord de paix entre le gouvernement malien et
les groupes armés du nord du Mali a été paraphé le
1er mars 2015 à Alger par le gouvernement malien et
six groupes armés du nord engagés dans les négociations. Cet accord est le cinquième depuis l’été
2014. Il demeure des inquiétudes sur un retour en
force des djihadistes dont la présence est à nouveau
signalée dans le nord du Mali. La reprise des trafics
en tout genre – dont les armes et les stupéfiants –
Vhttp://www.un.org/fr/peacekeeping/missions/minusma/.
http://www.icc-cpi.int/fr_menus/icc/situations%20and%20cases/situations/icc0112/ Pages/situation%20index.aspx.
HRW, World Report 2015, Events of 2014, mars 2015, pp. 371 et ss.
N° 61 - août 2015
36
qui s’imbriquent aussi avec les groupes djihadistes,
fait craindre, sur fond de multiplication des groupes
armés au nord, un retour à l’instabilité. L’expérience
des accords passés montre que l’on est toujours
dans un processus difficile de reconstruction d’une
confiance, laminée par des décennies de conflit,
entre les populations du nord et Bamako. Les attentats du 7 mars 2015 à Bamako et les attaques du 8
mars 2015 contre les bases militaires de la MINUSMA à Gao et Kidal montrent que la situation reste
dangereuse dans le pays. Néanmoins, de nouveaux
accords paraphés le 22 juin 2015 par le Mouvement
arabe de l’Azawad rallument l’espoir de paix.
Il ressort de l’expérience acquise au Mali depuis ces
douze derniers mois, que la faiblesse du système
judiciaire, lequel ne dispose ni de moyens ni d’expertise suffisante en matière de crimes complexes, est
abyssale. Il existe environ 500 Magistrats et Procureurs au Mali, toutes fonctions confondues, et un peu
plus de 300 avocats composent l’Ordre des avocats
Malien, couvrant un territoire grand comme 30 fois la
Suisse et comptant plus de 17 millions d’habitants.
III. Le séminaire
La délégation de l’Ordre des avocats de Genève,
composée de Mes Philippe Currat et Arnaud
Moutinot, s’est enrichie d’un Confrère de l’Ordre des
avocats neuchâtelois, Me Claude Nicati, anciennement Procureur général suppléant de la Confédération et Conseiller d’Etat du canton de Neuchâtel,
qui a fait office de chef de délégation; le Barreau
pénal international, dont Me Philippe Currat est
le Secrétaire général, s’est associé à la formation.
La cérémonie d’ouverture a permis de constater la
présence, qui se maintiendra tout au long du programme de formation, d’environ deux cents de nos
Confrères maliens, soit les deux tiers de l’effectif
total du Barreau. Leur présence s’est avérée à ce
N° 61 - août 2015
point massive, que le Bâtonnier Coulibaly a requis
et obtenu la suspension de toutes les procédures
judiciaires dans le pays, afin de permettre aux avocats de se former. Après un discours d’accueil du
Bâtonnier Coulibaly, Me Claude Nicati a pris la parole, avant que le Ministre de la Justice et des Droits
de l’Homme, Garde des Sceaux de la République
du Mali, ne prononce formellement l’ouverture des
travaux.
Au cours de la leçon inaugurale, donnée conjointement par l’ancienne Juge et Vice-Présidente de
la Cour pénale internationale, Fatoumata Dembele
Diarra, et Me Philippe Currat, le besoin d’intégrer
une vision complète de la société malienne a été
mis en avant. Dans un pays où le système judiciaire
s’est complètement retiré des zones de conflits, une
forme de justice transitionnelle apparaît nécessaire.
Afin de présenter à nos Confrères maliens un programme adapté à leurs attentes et après un exposé
sur l’état des droits de l’Homme au Mali par Me
Moctar Mariko, Président de l’Association malienne
des droits de l’Homme, tous les thèmes ont été
abordés en binômes par un avocat malien et un
avocat suisse. C’est ainsi que Mes Amadou Diarra
et Claude Nicati ont présenté les problématiques
de la participation et de la protection des victimes
et des témoins aux audiences pénales, notamment
lorsqu’elles portent sur des crimes de masse. Mes
Cire Clédor Ly, du Barreau du Sénégal, et Arnaud
37
Moutinot ont traité, avec le Procureur général Daniel
Tessougue, des standards du procès équitable,
avant de prolonger sur les droits de la défense. Monsieur Oumarou Bocar, Magistrat pénaliste, Ancien
Directeur de l’institut de Formation Judiciaire des
Magistrats, Mes Magatte A. Seye, Ancien Bâtonnier
de l’Ordre malien, et Philippe Currat ont présenté les
infractions de droit international pénal, ainsi que les
règles de complémentarité et de coopération régissant la Cour pénale internationale. La Juge Fatoumata
Dembele Diarra a abordé avec Me Arnaud Moutinot
les problématiques essentielles de la déontologie
de la profession tandis que Monsieur Wafi Ougadèye Cisse, Magistrat, Ancien Procureur Général
et Ancien Consul Général du Mali en France, Mes
Alhassane Sangare et Claude Nicati ont traité des
enquêtes et des droits de la défense dans le cadre
des poursuites devant les juridictions nationales. Le
Professeur Alioune Sall, Juge à la Cour de Justice de
la CEDEAO et Me Philippe Currat ont enfin présenté
les règles de la responsabilité pénale internationale,
en se concentrant essentiellement sur le cas spécifique des groupes armés.
Une séance de travail complémentaire a été organisée à l’attention du Jeune Barreau malien, dans
les locaux de l’Ordre au Palais de justice, séance
intense qui a débouché sur une visite du Palais de
justice de Bamako et des rencontres impromptues
avec un Procureur et un Juge d’instruction esseulés
N° 61 - août 2015
dans un Palais fermé en ce samedi après-midi étouffant de chaleur.
IV. Le suivi
Les séances d’analyse qui ont suivi avec les participants comme avec la MINUSMA ont permis de
mettre en avant la qualité de la participation de chacun, les débats avec les participants étant toujours
très denses, pour toutes les thématiques abordées.
La volonté que cette mission ne soit pas sans lendemain a engagé la Commission dans un intense
programme de suivi.
Il doit être noté que le séminaire s’inscrit déjà dans
une forme de suivi, du fait de la participation de certains avocats maliens aux séances de formations
organisées par la MINUSMA en février et septembre
2014 et en février 2015, auxquels Me Philippe Currat
a participé également, en tant que formateur.
Par ailleurs et en date du 26 mars 2015, la Commission a reçu à Genève, dans le cadre de l’examen
périodique universel du Mali, une délégation malienne avec laquelle plusieurs pistes de suivis furent
évoquées.
En date du 8 juin 2015, Monsieur le Bâtonnier JeanMarc Carnicé a rencontré Me Guillaume Ngefa afin
d’évoquer les collaborations futures de l’Ordre avec la
MINUSMA. A cette occasion, Me Guillaume Ngefa a
fait part au Bâtonnier de l’enthousiasme de la MINUSMA et du Barreau du Mali avec le projet réalisé qui est
le premier de ce type depuis la création d’un Barreau
au Mali. Il a également souligné l’influence favorable
de cette action sur le plan diplomatique. Il a également
été évoqué la conclusion d’une convention de collaboration entre le Barreau du Mali et l’Ordre des avocats portant sur la mise en œuvre des projets futurs
et les engagements respectifs des uns et des autres.
38
Le dernier jour du séminaire s’est vu consacré à une
synthèse effectuée tant avec les participants qu’avec
la MINUSMA et en vue de préparer le suivi. A cette
occasion, tant la forme que les sujets à aborder lors
des éditions futures de ce séminaire furent abordés.
En partenariat avec la MINUSMA et le Barreau du
Mali, il a également été largement débattu des modalités d’un projet du type «caravane des droits de
l’Homme», selon un concept similaire à la mission à
laquelle la Commission des droits de l’Homme avait
déjà participé au Bénin en 2011.
utilisés comme support de cours par les intervenants ont été distribués aux participants au format
numérique et sont naturellement susceptibles d’être
réutilisés lors de formations futures, la Commission
s’employant d’ailleurs à la création de modules de
formation prêts à l’emploi.
Il est enfin important de mentionner la réception très
favorable de ce projet par nos Confrères maliens
dont l’enthousiasme encourage la Commission à
poursuivre ce projet qui s’inscrit dans la droite ligne
de son mandat.
Sous réserve de la question de la sécurité, problématique hautement évolutive, la MINUSMA considère en effet que les conditions cadres d’une telle
approche sont réunies et qu’elle répond à un besoin
drastique. En effet, les avocats locaux ne quittent
jamais Bamako et les cas tant des victimes du conflit
que des détenus de droit commun ne voient jamais
l’intervention d’un avocat. Une telle intervention
paraît pourtant largement nécessaire compte tenu
notamment des nombreuses détentions provisoires
dépassant largement les maximas admis.
D’une manière générale, il est apparu que la MINUSMA est hautement preneuse de toute l’aide que la
Commission serait en mesure de fournir en matière
de soutien, développement et reconstruction du système judiciaire, l’appui financier, logistique et sécuritaire de la MINUSMA pouvant être largement sollicité
dans le cadre des futurs projets.
Il a également été noté un accès très limité à la littérature scientifique, la bibliothèque du Barreau du
Mali étant presque inexistante. Un projet de sélection/collecte/achat d’ouvrages topiques à faire parvenir est en examen.
Il doit enfin être noté que les documents de référence
N° 61 - août 2015
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L’INNOVATION RADICALE OU LA PROMESSE D’UN NOUVEL AVENIR
ECONOMIQUE
M. Christophe Donay 1
Les économies occidentales se situent à un tournant de leur histoire. Deux grandes voies opposées
s’ouvrent devant elles. Sans changement de paradigme – c’est-à-dire sans choc positif de croissance
– elles plieront sous le poids d’une dette croissante,
perdront constamment du terrain vis-à-vis des pays
émergents, puis, finalement, s’appauvriront. A l’inverse, elles peuvent reprendre l’initiative en renouant
avec une croissance économique soutenue. Comment peuvent-elles générer une nouvelle croissance?
Les déterminants de celle-ci sont nombreux et leur interaction complexe. De cette complexité émerge une
idée simple: dans les économies modernes matures,
l’offre précède la demande. L’innovation, à la source
d’une nouvelle offre, est donc le moteur essentiel de la
croissance économique.
Croissance économique: une histoire d’innovation
Dès lors qu’une offre nouvelle apparaît, une phase
d’expansion de l’investissement se développe. Le
rôle de l’investissement dans la dynamique de croissance est donc essentiel. Car à travers celui-ci, les
nouveaux produits et services se diffusent dans l’ensemble des strates de l’économie, conduisant à un
large processus de transformation par l’innovation.
Plus le couple innovation-investissement est fort, plus
la croissance économique est à la fois pérenne et élevée. Par exemple, dans les années 90, la croissance
économique américaine, stimulée par l’investissement dans les nouvelles technologies d’information
et de communication, s’est établie à 4 pour cent.
Cela correspond à 1,5 points de pourcentage de plus
que la croissance susceptible d’être produite par les
Etats-Unis dans les prochaines années. L’innovation
est le meilleur remède pour transformer une économie léthargique en une économie prospère. Il en est
ainsi depuis l’avènement du capitalisme au XIIe siècle.
1
L’innovation doit être, plus que jamais, le leitmotiv des
économies matures, pour qu’elles prorogent l’histoire
de leur fabuleux développement.
Sept sources majeures d’innovation pour transformer les économies développées
Peut-on espérer, voire percevoir, une nouvelle vague
d’innovation susceptible de conduire les économies
américaines et européennes sur un chemin de croissance économique à la fois plus équilibrée et plus élevée? La réponse à cette question se heurte à la difficulté de percevoir l’éventuel prochain choc d’innovation,
d’autant plus que les véritables révolutions technologiques mettent du temps avant de produire des effets
visibles et durables dans les économies dans leur ensemble. Si nous sommes en mesure d’apporter une
réponse positive à cette question, alors nous devrions
être remplis de bienveillance à l’égard de l’avenir. Alors
que de notre analyse découle une question cruciale,
son enjeu mérite que nous apportions une réponse.
Aucune réponse définitive ne peut être apportée à ce
stade du développement des innovations quant à leur
impact à long terme sur la croissance. Toutefois, parmi les sept sources majeures d’innovation que nous
avons identifiées, quelques-unes sont susceptibles de
produire un avenir très différent des réalités actuelles,
en repoussant les limites et les contraintes technologiques d’aujourd’hui. Ces sources d’innovation radicale se forment dans des secteurs aussi divers que
l’énergie, la communication, l’informatique, la médecine ou encore le transport. C’est donc au cœur des
entreprises audacieuses et innovantes de ces sept
secteurs que se façonnent l’avenir et que réside la
croissance économique de la prochaine décennie. Le
tableau numéro 2 ci-dessous résume les sept principales sources d’innovation.
La capacité de ces sources d’innovation à transformer rapidement les économies dépend de leur vitesse
de diffusion à grande échelle. Nous pouvons observer qu’au cours de l’histoire, la vitesse d’adoption des
nouvelles technologies s’est constamment accélérée.
Comme l’illustre le tableau 1 ci-dessous, il a fallu 85
années pour que la voiture soit adoptée par 50 pour
cent de la population américaine, 30 ans pour la
télévision et 10 ans pour le téléphone mobile. Parallèlement, la diffusion internationale des innovations
radicales s’est accélérée, comme le montre la rapidité
avec laquelle les téléphones portables ont été adoptés dans les économies émergentes. Selon le Pew
Research Center aux Etats-Unis, seulement 1 pour
cent de la population au Nigeria, au Ghana, au Bangladesh ou encore en Ouganda possède un téléphone
fixe dans leur ménage. Mais 89 pour cent d’entre elle
au Nigeria, 83 pour cent au Ghana, 76 pour cent au
Bangladesh et 65 pour cent en Ouganda possèdent
un téléphone mobile.
Capacité d’innovation: avantage confirmé aux
Etats-Unis
Les entreprises à l’origine de ces sept sources d’innovation sont principalement américaines. La construction d’indices boursiers d’innovation par source
nous enseigne, sans ambiguïté, que les entreprises
américaines y sont majoritairement représentées: en
moyenne, elles comptent pour les trois quarts des 10
premières sociétés en termes de capitalisation boursière, alors que les entreprises européennes ne représentent que 15 pour cent et les asiatiques 10 pour
cent.
Les Etats-Unis sont en bonne voie pour rester au
cœur – notamment dans les centres de la côte Ouest
Directeur de l’allocation d’actif et de la recherche macroéconomique auprès de Pictet & Cie.
N° 61 - août 2015
L’accélération de la vitesse de diffusion de l’innovation accélère la vitesse de transformation
40
N° 61 - août 2015
– de l’innovation et du système capitaliste. Tandis
qu’il existe quelques centres de référence en Europe,
comme à Stockholm ou à Cambridge, le Vieux continent fait malheureusement largement partie de la périphérie dans ce domaine. En outre, les pays de la zone
euro émergent à peine de plusieurs années d’austérité. Il est peu probable d’assister à un retour de
l’Europe dans la course à l’innovation. Les différences
des dynamiques d’innovation de part et d’autre de
l’Atlantique se reflètent dans leurs taux de croissance
historiques respectifs. La croissance réelle au cours
des 20 dernières années a été en moyenne de près de
2,5 pour cent aux Etats-Unis, alors qu’elle n’a été que
de 1,5 pour cent en Europe.
En conclusion, nous pouvons tirer un enseignement
de la fantastique dynamique de l’innovation pour
résoudre le douloureux problème du surendettement
des Etats européens, à l’origine de la crise de la zone
euro: des politiques économiques visant à stimuler
davantage l’innovation et à attirer les investissements
seraient souhaitables. Si ce virage n’est pas rapidement pris, l’Europe est destinée à se languir dans la
périphérie de l’économique mondiale.
Tableau 1: Vitesse d’adoption des nouvelles technologies
Automobile
85 ans
Avion
75 ans
Téléphone
69 ans
Electricité
53 ans
Caméra vidéo
35 ans
Radio
30 ans
Télévision
30 ans
Ordinateur personnel
27 ans
Internet
18 ans
Téléphone portable
10 ans
41
LE NOUVEAU PLAN D’UTILISATION DU SOL DE LA VILLE DE GENÈVE:
NOUVEAUTÉS ET INCERTITUDES
Me Philippe Cottier
Tableau 2: Sept sources potentielles pour la prochaine vague d’innovation
SECTEURS TECHNOLOGIQUES
INNOVATIONS RADICALES POTENTIELLES
1. Internet
- Applications mobiles
1.Introduction
- Internet des choses
- Crowd sourcing, crowd funding, crowd teaching
2. Informatique / Traitement
de l’information
- Extension de la loi de Moore (microprocesseurs de nouvelle génération)
- Informatique quantique
- Big data
3. Automatisation
- Robotique avancée - automatisation de travail manuel et d’expertise (intelligence
artificielle), interface homme-machine, drones, processus décisionnels
- Impression 3D
4. Transports
Cet instrument a longtemps été utilisé pour créer un
équilibre entre logements et activités et pour favoriser
l’implantation de commerces aux rez-de-chaussée
des bâtiments du centre-ville de Genève (point 3 cidessous).
- Véhicules autonomes
- Véhicules fonctionnant avec de nouvelles énergies
5. Energie
- Pétrole et gaz de schiste
- Stockage et gestion de l’énergie électrique
- Nouvelles énergies - solaire, biomasse, éolien, géothermique, énergie des océans et
hydrogène
6. Sciences de la vie
- Pharmaceutique
‐ Biotechnologie – bio-marqueurs, nano-biotechnologie, bio-médicaments ciblés,
génomique (décodage de l’ADN), génétique moléculaire et cellulaire
‐ Neurobiologie
‐ Bioinformatique
‐ Immunologie
‐ Oncologie
7. Matériaux intelligents
Le 28 juin 2011, le Conseil municipal a proposé de
modifier le RPUS du 15 juin 2009. La Ville de Genève
vise deux objectifs avec cette modification: premièrement, elle veut garantir le maintien de cafés, restaurants, théâtres, cinémas, musées et autres activités,
qualifiées d’indispensables. Ensuite, elle entend maintenir une certaine diversité de l’offre, c’est-à-dire qu’un
café peut changer d’enseigne, mais doit être remplacé
par un café (point 4 ci-dessous).
Les propositions de modifications sont éminemment
politiques et semblent motivées par le souci de la Ville
de sauvegarder quelques enseignes emblématiques
de Genève, dont notamment le bar «Cristallina» ou le
restaurant «l’Entrecôte», qui tendent à disparaître au
profit d’autres commerces tels que banques et bijouteries.
‐ Nanotechnologies
‐ Graphène
‐ Matériaux composites
- Contrôle de la matière douce (polymères, protéines)
N° 61 - août 2015
Depuis 1983, la Ville de Genève dispose d’un instrument afin de maintenir et de rétablir l’habitat ainsi
que de favoriser une implantation harmonieuse et
équilibrée des activités économiques, il s’agit du plan
d’utilisation du sol (ci-après le «PUS») et du Règlement
d’application du plan d’utilisation du sol (ci-après le
«RPUS»). Cet outil est l’aboutissement d’une initiative
populaire pour la protection de l’habitat et contre les
constructions abusives qui a donné lieu à l’adoption
du chapitre II A. de la loi sur l’extension des voies de
communication et l’aménagement des quartiers ou
localités (ci-après «LExt») (point 2 ci-dessous).
42
N° 61 - août 2015
Cependant, ces modifications sont extrêmement incisives et limitent le droit de propriété et la liberté économique des propriétaires des bâtiments sis dans les
périmètres concernés. Plusieurs associations se sont
regroupées afin de recourir contre ce nouveau RPUS,
recours qui a été porté jusque devant le Tribunal fédéral (point 5 ci-dessous).
La mise en œuvre du règlement sera susceptible de
poser quelques problèmes également car le RPUS luimême ne contient aucune règle d’application (point 6
ci-dessous).
2. Plans relatifs à l’utilisation du sol — définition
et procédure d’adoption
Le 1er juillet 1983, le chapitre II A. de la LExt est entré
en vigueur. L’art. 15A LExt prévoit à son alinéa 1 qu’
«afin de maintenir et de rétablir l’habitat dans les 4 premières zones de construction au sens de l’article 19
de la loi d’application de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire, du 4 juin 1987, et dans leurs zones
de développement, d’y favoriser une implantation des
activités qui soit harmonieuse et équilibrée, tout en
garantissant le mieux possible l’espace habitable et en
limitant les nuisances qui pourraient résulter de l’activité économique, les communes élaborent en collaboration avec l’Etat et adoptent des plans d’utilisation du
sol approuvés par leur Conseil municipal.»
Les moyens envisagés pour atteindre le but visé par
l’art. 15A LExt sont notamment de répartir les terrains
de la commune en terrains à bâtir et en espaces verts,
privés ou publics. Les terrains à bâtir peuvent ensuite
être répartis en secteur d’intérêt public, d’habitation
ou de logement et d’activités (art. 15B LExt). Finalement, à l’intérieur de ces secteurs, les communes
peuvent établir des pourcentages de répartition entre
43
l’habitat et les activités (art. 15C LExt).
La procédure d’adoption des plans d’utilisation du sol
est décrite aux articles 15D et 15F LExt. Tout d’abord,
le plan et son règlement doivent obligatoirement être
soumis à une enquête publique la plus large possible.
Ils doivent ensuite être traités et adoptés par le Conseil
municipal de la commune intéressée. Le Conseil
d’Etat doit ensuite approuver des versions du plan
et du règlement validées par le Conseil municipal, en
vérifiant notamment qu’ils sont conformes aux plans
de zones et au plan directeur cantonal et aux plans
directeurs localisés.
Une fois le plan d’utilisation du sol et son règlement
adoptés par le Conseil d’Etat, ils peuvent faire l’objet
d’un recours dans un délai de 30 jours dès la publication de l’arrêté d’approbation du Conseil d’Etat dans
la Feuille d’avis officielle. Le recours doit être déposé
auprès de la Chambre administrative de la Cour de
justice. La décision de la Cour de justice peut ensuite
faire l’objet d’un recours en matière de droit public au
Tribunal fédéral.
3. Historique du RPUS de la Ville de Genève
Suite à l’adoption du chapitre II. A de la LExt, le Conseil
municipal et le Conseil d’Etat de Genève ont rédigé un
règlement transitoire relatif au plan d’utilisation du sol
de la Ville de Genève (ci-après «RTPUS»). Le RTPUS
est entré en vigueur le 1er septembre 1988.
tition entre le logement et les activités, variant
selon les secteurs.
4. Modifications du RPUS selon l’arrêté du
Conseil municipal du 28 juin 2011
- Le RTPUS visait également à maintenir les hôtels de catégorie modestes.
Le 28 juin 2011, le Conseil municipal de la Ville de
Genève a adopté un arrêté visant la modification du
RPUS. La nouvelle version du plan ne comporte plus
uniquement une répartition de la ville en secteurs visant à répartir les locaux destinés aux logements et
aux activités. Il comporte également une délimitation
des secteurs d’animation (réglementé par le nouvel
article 9 que nous détaillerons ci-dessous), avec un
secteur A (vieille-ville – trait-tillé orange) et un secteur B
(rues commerçantes de quartiers - ligne orange):
- Le RTPUS comportait des restrictions d’affectation des locaux situés aux rez-de-chaussée
en interdisant par exemple l’implantation de
bureaux fermés au public.
Parallèlement à l’adoption du RTPUS, la Ville de Genève a élaboré un projet de RPUS. Après plusieurs
modifications et mises à l’enquête, le RPUS est entré
en vigueur le 15 juin 2009.
Le plan répartit la Ville en plusieurs secteurs auxquels
sont appliqués des taux de réparation entre logements
et activités dans les bâtiments concernés. Le RPUS
reprend les buts visés par le RTPUS en renforçant
la réglementation relative à l’affectation des rez-dechaussée et en restreignant les règles relatives aux hôtels. Il instaure un taux minimal d’espaces verts et met
également en place des restrictions quant aux changements d’affectation des bâtiments commerciaux.
Son article 9 indique en effet que «les surfaces au rezde-chaussée, lorsqu’elles donnent sur des lieux de
passage ouverts au public, doivent être affectées ou
rester affectées, pour la nette majorité de chaque surface, à des activités accessibles au public en matière
de commerce, d’artisanat ou d’équipements sociaux
ou culturels à l’exclusion des locaux fermés au public.»
Les buts principaux du RTPUS étaient les suivants:
-En cas de construction, démolition-reconstruction ou d’agrandissement d’un bâtiment, il
imposait une obligation d’affecter des surfaces
nouvelles au logement, selon un taux de répar1
Après une longue procédure relative principalement à
la validité de l’article 11 RPUS concernant le maintien
de l’affectation des hôtels, le Tribunal fédéral a confirmé sa validité par arrêt du 20 février 20071.
Arrêt du TF 1C_229/2009.
N° 61 - août 2015
44
étages ouverts au public, notamment destinés
au commerce, à l’artisanat, aux loisirs, aux activités sociales ou culturelles, à l’exclusion des
locaux fermés au public.
3. L’article 9 al. 2.2 définit les locaux fermés au
public comme des locaux inoccupés par des
personnes ou des locaux occupés essentiellement par des personnes de l’entreprise ou qui
sont destinés à une clientèle accueillie dans des
conditions de confidentialité, notamment des
bureaux, cabinets médicaux, études d’avocats,
de notaires, fiduciaires, experts-comptables,
agents immobiliers, etc.
Cependant, ce qui est frappant dans cette version du
RPUS, ce sont les nouvelles restrictions qu’il comporte, notamment en relation avec le changement
d’affectation des locaux:
Cette version du RPUS comporte plusieurs nouvelles
définitions:
1. L’article 3 al. 6 définit les bâtiments d’activités
comme tout bâtiment comportant des locaux
qui, par leur destination, leur aménagement et
leur distribution, sont destinés à des activités
telles que les services de prestations ou administratifs, les diverses catégories de magasins,
les cafés, les restaurants, les tea-rooms, les
théâtres, les cinémas, les musées, les salles de
concert, de spectacles, de conférences, ou les
lieux de loisirs.
2. L’article 9 al. 2.1 définit les activités accessibles
au public comme les locaux ouverts au public,
les arcades ou les bâtiments accessibles depuis le rez-de-chaussée, quels que soient les
N° 61 - août 2015
1. l’article 9 al. 3 indique qu’un certain nombre
d’activités telles que cafés, restaurants, lieux
de loisirs etc. situés tout particulièrement au
centre-ville (secteur A) ou en bordure des
rues commerçantes de quartiers (secteur B)
conservent en règle générale leur catégorie
d’activité en cours d’exploitation ou leur dernière exploitation, s’il s’agit de locaux vacants.
2. L’article 9 al. 4 indique que les commerces et
les diverses catégories de magasins ouverts au
public, au centre-ville (secteur A) conservent ou
changent, selon leur activité, afin d’améliorer
et de développer la diversité de l’offre, le commerce de proximité et l’animation du centreville.
3. L’article 9 al. 5 comporte une exception à ce
principe. S’il est démontré que l’exploitation
des activités mentionnées à l’alinéa 3 ne peut
45
pas être poursuivie, pour d’autres motifs qu’une
majoration de loyer excessive ou un prix d’acquisition disproportionné du bien immobilier
ou du fonds de commerce, une dérogation au
sens de l’article 14 peut être octroyée.
municipaux ont également soulevé ce point en argumentant que seuls les petits commerces tels que magasins de proximité, cafés et restaurants, situés dans
l’hyper centre de la ville, doivent être protégés et non
l’ensemble des activités4.
ment déguisé de lutte contre les hausses abusives de
loyer, prérogative du législateur fédéral uniquement.
4. L’article 14 mentionne qu’une dérogation peut
être octroyée lorsqu’une utilisation plus judicieuse du sol ou des bâtiments l’exige impérieusement.
Quoiqu’il en soit, de vives réactions se sont vite fait
entendre au sujet de cette nouvelle version du RPUS.
Plusieurs associations et un particulier ont recouru
contre ce texte.
Le Tribunal fédéral a rendu son arrêt en date du 1er
novembre 2013, suite à la décision de la Cour de justice du 29 janvier 2013.
Il découle de ces nouveaux articles qu’en règle générale, un café devra demeurer un café, une boulangerie
une boulangerie, un restaurant un restaurant, les exceptions à ce principe étant limitées. De plus, ce principe ne se limitera pas au centre-ville puisque l’alinéa
3 mentionne «tout particulièrement» au centre-ville et
en bordure des rues commerçantes de quartier. Ces
modifications sont donc lourdes de conséquences
pour les propriétaires de bâtiments situés dans le large
périmètre concerné.
A la lecture des débats du Conseil municipal, l’on peut
toutefois constater que les différents intervenants ont
tenté de limiter l’impact du nouveau RPUS. En effet, il
a été précisé à plusieurs reprises par les partisans du
nouveau règlement qu’un établissement qui ne fonctionne pas pourra devenir autre chose, car le règlement doit être souple2.
M. Pagani a précisé lors des débats qu’en matière
de changement d’affectation et contre le phénomène
de disparition des petits commerces, la Ville n’avait
actuellement aucun outil pour agir3. M. Pagani parle
donc bien d’un instrument pour lutter contre la disparition de petits commerces et non pas pour figer toutes
les activités actuelles coûte que coûte. Les Conseillers
5. Procédure de recours contre la modification
du RPUS du 28 juin 2011
a. Arguments des recourants
Selon les recourants, le but du RPUS est de fixer un
taux de répartition dans les différents secteurs, afin de
s’assurer un équilibre entre l’habitat et l’artisanat, le
commerce, l’administration et les secteurs de détente.
Le nouvel article 9 al. 3 et 4 RPUS ne se borne pas
selon les recourants à répartir diverses affectations en
fonction de secteurs, il fige l’ensemble des activités
qualifiées «d’animation». En outre, la sélection des
activités apparaît arbitraire.
De plus, ces alinéas obligent un propriétaire à poursuivre une activité déterminée même contre son gré. Il
s’agit là d’une mesure de politique économique, intervenant dans la libre concurrence pour favoriser certaines branches d’activités.
Toujours selon les recourants, le nouvel article 9 al. 5
RPUS attribue aux autorités cantonales une nouvelle
prérogative, à savoir le contrôle de la juste valeur des
loyers, respectivement de la juste valeur des fonds de
commerce. L’article 9 al. 5 RPUS est donc un instru-
b.Décision du Tribunal fédéral confirmant
l’arrêt de la Cour de justice
Le Tribunal fédéral a jugé que l’article 9 al. 3 RPUS
ne consacre pas une atteinte inadmissible à la liberté
économique et à la garantie de la propriété. Selon lui,
une réglementation est admissible même si elle peut
avoir des répercussions susceptibles d’être qualifiées
de politique économique, par exemple en favorisant
une catégorie d’entreprises par rapport à d’autres,
pour autant que l’objectif principal relève de l’aménagement du territoire5. Les mesures contenues dans
l’art. 9 al. 3 RPUS poursuivent un intérêt public reconnu, qui est de favoriser une implantation des activités
qui soit harmonieuse et équilibrée, conformément aux
objectifs visés par les articles 15A et suivants LExt. Il
s’agit donc de favoriser un équilibre des activités et de
garantir un approvisionnement suffisant de la population et non de favoriser certains branches d’activités par rapport à d’autres, comme le soutiennent les
recourants6.
D’une manière succincte, le Tribunal fédéral relève
que par l’utilisation des termes «en général», l’art. 9 al.
3 RPUS laisse à l’autorité d’application une certaine
marge d’appréciation7.
Le Tribunal fédéral a ensuite jugé que l’article 9 al. 5
RPUS n’a pas pour objectif le contrôle des loyers et
n’empiète dès lors pas sur l’art. 271 CO, contrairement à ce que soutiennent les recourants8. Selon le
Tribunal fédéral, cette disposition est analogue à l’art.
11 RPUS concernant les hôtels, dont la conformité au
droit supérieur a déjà été approuvée. En résumé, le Tribunal fédéral avait jugé en rapport avec l’art. 11 RPUS
que la disposition n’empêche pas les propriétaires de
disposer de leur bien car il existe une dispense au principe du maintien de l’affectation pour le cas où il est
établi que l’exploitation ne peut pas être poursuivie. La
marge d’appréciation laissée à l’administration pour
vérifier que les conditions de la dérogation sont remplies peut certes mener à des abus mais il appartient,
cas échéant, à l’autorité judiciaire de les sanctionner9.
Le Tribunal fédéral a finalement confirmé l’arrêt de
la Cour de justice en ce qui concerne l’article 9 al. 4
RPUS. Lors de l’application de cet article, la Ville de
Genève pourrait s’opposer à la réouverture d’un café
ou d’un restaurant, ou d’une autre activité déjà offerte
en abondance dans des secteurs bien définis, afin de
garantir une diversité des services à la population. Cet
examen suppose que l’autorité prévoie quel type de
commerce serait, cas échéant, manquant dans l’offre
existante ou encore lesquels seraient pléthoriques.
Cette mesure n’est à l’évidence pas neutre sur le
plan économique et intervient directement sur la libre
concurrence. Elle doit donc être qualifiée de mesure
de politique économique et n’est pas compatible avec
la liberté économique10.
Il découle de l’arrêt du Tribunal fédéral que l’article 9 al.
5 devient l’article 9 al. 4 RPUS et l’article 9 al. 6 l’article
9 al. 5 RPUS.
Arrêt du TF 1C_453/2007, consid. 8.2.
Arrêt du TF 1C_253/2013, consid. 4.2.
Idem.
8
Arrêt du TF 1C_253/2013, consid. 5.2.
9
Arrêt du TF 1C_229/2009, consid. 4.4
10
Arrêt du TF 1C_229/2009, consid. 6.
5
6
7
2
3
4
Pour exemple, Mme Belmonte, p. 7 du rapport de la Commission de l’aménagement (PA-78A).
M. Pagani, p. 7 du rapport de la Commission de l’aménagement (PA-78A).
Pour exemple, M. Chappuis, séance du 28 juin 2011, p. 620.
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46
N° 61 - août 2015
47
portants permettant une certaine marge de manœuvre
dans la souplesse de l’application de l’article 9 RPUS:
6. Mise en œuvre du RPUS
municipal afin d’obtenir une dérogation au préavis.
Selon l’article 9 al. 5 RPUS, «les changements de destination de surfaces de plancher, au sens du présent
article seront soumis à autorisation du Département
de l’aménagement, du logement et de l’énergie (ciaprès le «DALE»), même en l’absence de travaux, en
application de l’article 1 al. 1 let. b) de la loi sur les
constructions et installations diverses».
Finalement, en cas de refus de la dérogation, l’administré devra-t-il recourir contre la décision de refus de
la Ville ou devra-t-il recourir contre le refus du DALE?
Nous partons du principe qu’il devra recourir contre la
décision du refus de la dérogation, rendue par la Ville.
- L’indication «en général» de l’al. 3 permettant à
l’autorité d’application de bénéficier d’une certaine marge de manœuvre.
Ces questions de mise en œuvre du règlement devront
être éclaircies avec la pratique car le RPUS lui-même
ne contient aucune règle de mise en œuvre.
- La possibilité de faire constater par les autorités judiciaires l’abus du pouvoir d’appréciation
laissée à l’administration pour vérifier que les
conditions de la dérogation au sens de l’article
9 al. 4 RPUS sont remplies.
Il en découle que le DALE demandera, lors de chaque
dépôt d’une demande d’autorisation de modifier la
destination de locaux situés dans le périmètre d’application du PUS, un préavis de la Ville. Le RPUS ne
contient aucune règle d’exécution mentionnant quelle
autorité est habilitée à l’appliquer. Il faut donc se référer aux règles d’organisation de la commune de Genève. Selon l’art. 48 let. o) de la loi sur l’administration
des communes, «le Conseil administratif est chargé
d’exécuter les lois, les règlements et les arrêtés si
cette compétence est conférée à la commune.»
Se pose la question de savoir, en cas de préavis négatif de la Ville, si le DALE peut ne pas tenir compte
du préavis et autoriser la modification d’affectation. A
notre avis, le DALE ne pourra pas écarter le préavis
de la Ville car ce dernier met en œuvre un règlement
communal, de nature obligatoire pour les administrés.
En cas de préavis négatif de la Ville, une nouvelle question se pose: l’administré doit-il déposer une demande
de dérogation au sens de l’article 9 al. 4 et 14 RPUS
ou doit-il attendre la décision négative du DALE et
recourir? Et, s’il ne demande pas de dérogation, son
droit de recours contre la décision du refus du DALE
existe-il toujours pour un motif découlant du RPUS?
Nous comprenons de l’article 9 al. 4 RPUS qu’en cas
de préavis négatif de la Ville, il faudra déposer un dossier complet auprès du service compétent du Conseil
N° 61 - août 2015
7. Conclusion
Le RPUS est un instrument qui existe depuis plusieurs
années. Il s’est limité dans un premier temps à assurer
un pourcentage équilibré de logements et d’activités
dans le périmètre limité du centre-ville. Il a ensuite été
modifié pour y intégrer une notion de promotion des
activités ouvertes au public aux rez-de-chaussée des
immeubles situés au centre-ville, avec une protection
particulière pour les hôtels.
Il faudra donc attendre les premières décisions de
la Ville de Genève pour connaître le niveau de souplesse avec lequel ce Règlement sera appliqué et le
cas échéant, comme le souligne le Tribunal fédéral,
l’on devra s’adresser aux autorités judiciaires en cas
d’abus du pouvoir d’appréciation du Conseil administratif.
Aujourd’hui, ce règlement va beaucoup plus loin et
prend une connotation nettement plus politique visant
à protéger les petits commerces du centre-ville et
alentours. Si l’on en fait une lecture stricte, les activités
exercées actuellement dans les bâtiments situés non
seulement au centre-ville mais également aux abords
des routes commerçantes seront figées pour l’avenir.
Cette règlementation porte atteinte aux droits constitutionnels des propriétaires des bâtiments concernés.
Le Tribunal fédéral a certes jugé que les droits de
propriété et de liberté économique étaient respectés
par le nouveau RPUS mais il s’est retranché derrière
l’argument selon lequel il s’impose une certaine retenue lorsqu’il s’agit de tenir compte des circonstances
locales, mieux connues des autorités cantonales. Le
Tribunal fédéral a cependant soulevé deux points im-
48
N° 61 - août 2015
49
LA CONTRIBUTION DE L’AVOCAT DANS LA PÉRENNITÉ ET L’INSTAURATION DE L’ETAT DE DROIT
Me Taoufik Ouanes 1
Si le rôle de l’avocat est bien connu en matière de
défense des intérêts privés, sa contribution à la défense de l’intérêt général est moins connue. Pourtant,
la défense des intérêts privés constitue également et
par ricochet une contribution substantielle à l’application de la norme juridique et à la mise en œuvre
de la primauté du droit. Ceci est aussi bien valable
en droit privé qu’en droit public. Cette contribution
constitue, selon les pays et les conditions d’exercice
de notre métier, une contribution à l’instauration de
l’état de droit (ou de l’Etat de droit) et à celle de sa
pérennité. Ce rôle que joue l’avocat dans ce domaine
est suffisamment complexe et important pour ne pas
prétendre en dresser un tableau exhaustif dans les
limites de quelques pages. Nous ne ferons ainsi que
mettre en relief ses traits les plus saillants en espérant que d’autres études plus approfondies viennent
nous éclairer sur les subtilités et les fins contours de ce
rôle. Mais avant d’en arriver là, nous tâcherons de jeter
certains éclairages sur le concept même de «l’état de
droit».
A. Signification et évolution du concept de
«l’état de droit»
Toute norme légale se rattache à un système juridique
et à ses fondements métajuridiques. Aucune norme
juridique ne peut exister ex nihilo et d’une manière
isolée, et n’appartenant à aucun ensemble, interne,
international ou encore universel, tel que les principes
généraux du droit. Elle est toujours rattachée à un
système qui constitue son socle nécessaire pour son
interprétation ou de son application. Aucune norme ne
peut prétendre à la moindre juridicité si elle ne renvoie pas au lien qui la rattache à un système de droit
– ou plus précisément – un ensemble normatif qui la
fonde et l’encadre. Cependant, un tel ensemble normatif ne devient un ordre juridique que si les normes
qui le constituent sont à la fois cohérentes, générales,
accessibles à tous et assorties de fortes structures
d’application.
1. «Etat de droit» ou «état de droit»
Toutefois, il est accepté depuis Aristote2 que tout
ordre juridique doit également prévoir en son sein des
institutions et des professions judiciaires et légales
indépendantes pour protéger les justiciables contre
l’arbitraire de la puissance publique, des individus
ou de toute autre part. De là on voit pointer la notion
de justice et de la primauté du droit par opposition à
l’arbitraire. C’est ce qui fonde les concepts d’«état de
droit» et «Etat de droit».
Le concept de l’état de droit trouve ses racines dans
de nombreuses cultures juridiques dans tous les continents. La marche vers l’instauration et de la pérennité
de l’état de droit et de sa primauté est étroitement liée
à l’évolution de l’histoire du droit elle-même. Le Code
de Hammourabi, promulgué par le roi de Babylone
vers 1760 avant J.-C., est l’un des premiers exemples
de la codification du droit et de la reconnaissance de
la primauté de ses règles dans les relations sociales,
interpersonnelles et avec les gouvernants. Cependant,
le principe de la primauté du droit ne peut se traduire
dans la pratique et dans les faits sans établir en son
sein une hiérarchisation des normes juridiques. Cette
hiérarchisation a présidé à la naissance du constitutionnalisme3.
Avocat au barreau de Tunis, membre de la Section des avocats de barreaux étrangers (SABE).
Aristote, Livre III, 11, section 3: «Il faut donc préférer la souveraineté de la loi à celle d’un des citoyens». Cette citation est considérée comme l’origine
de la notion d’état de droit.
3
Selon une définition plus ancienne, l’état de droit est un système institutionnel dans lequel la puissance publique est soumise au droit. Le juriste autrichien Hans Kelsen a redéfini cette notion d’origine allemande (Rechtsstaat) au début du XXe siècle, comme un «État dans lequel les normes juridiques
sont hiérarchisées de telle sorte que sa puissance s’en trouve limitée».
Par ailleurs, le respect de ces normes et de leur hiérarchie ne pouvait être assuré que par des corps et
des institutions indépendants: La magistrature dans
la plénitude de ses compétences, ses auxiliaires ainsi
que d’autres organes à commencer par la défense
représentée par sa cheville ouvrière, les avocats. Le
principe de la séparation des pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire) – fondement de la théorie de l’Etat
moderne – garantit l’indépendance du pouvoir judicaire et de ses organes, à savoir les magistrats et
les avocats. Tous ces aspects, essentiellement normatifs et organisationnels, ne peuvent avoir de sens
sans les mettre en relation avec la notion fondatrice
de toute la coexistence humaine, à savoir la justice.
Ainsi et à travers l’histoire du droit, ces aspects normatifs et organisationnels ont progressivement trouvé
leur pleine signification dans le développement des
droits fondamentaux, à savoir les droits de l’Homme,
le droit humanitaire et le droit pénal international. Par
ailleurs et dans une évolution remarquable durant ces
dernières décennies, la notion d’état de droit et de sa
primauté dans sa hiérarchie s’est considérablement
rapprochée de la notion de démocratie. Ce fut une
très significative étape à tel point que Raymond Carré
De Malberg considère que «La naissance de l’Etat se
place au moment même où il se trouve pourvu de
sa première Constitution»4, car les constitutions sont
censées déclarer et attribuer les droits fondamentaux
aux citoyens. Ainsi, dans la notion moderne de l’état
de droit, la légalité ne suffit plus, dans la mesure où le
respect de ces droits fondamentaux vient s’ajouter à
la nécessaire conformité de toute règle de droit à la
hiérarchie des normes telle que prévue par la constitution. Ainsi, on est passé de «l’état de droit», simple
constatation de légalité (et qui se rapproche plutôt de
la notion de «due process»), à «l’Etat de droit». L’Etat
de droit suppose non seulement un système juridique
hiérarchisé mais aussi et surtout une structure étatique dotée d’un ordonnancement juridique démocratique basé sur l’intérêt des sujets de droit et disposant
d’une puissance publique, elle-même soumise au
droit et juridiquement responsable de ses actes. Dans
ce sens, l’Etat de droit se rapproche de la notion de
«rule of law».
De nos jours, «état de droit» et «Etat de droit» tendent
de plus en plus à se confondre au gré de l’évolution de
l’histoire et du développement des libertés publiques,
vecteurs essentiels de la démocratie.5
2. Normes internationales et «état de droit»
Ce développement a été également favorisé par l’évolution juridique au niveau international. Ainsi, le principe
de l’état de droit et sa nature obligatoire en tant que
principe général de droit ont été mis en exergue, déjà
en 1948, dans la Déclaration Universelle des Droits de
l’Homme qui stipule dans son préambule «…qu’il est
essentiel que les droits de l’homme soient protégés
par un régime de droit6 pour que l’homme ne soit pas
contraint, en suprême recours, à la révolte contre la
tyrannie et l’oppression». Les Nations Unies ont, elles
aussi et à plusieurs reprises, affirmé que l’état de droit
et la bonne administration de la justice sont nécessaires pour la promotion et la protection des droits
de l’Homme. L’ONU définit l’état de droit comme «un
principe de gouvernance en vertu duquel l’ensemble
des individus, des institutions et des entités publiques
et privées, y compris l’État lui-même, ont à répondre
de l’observation de lois promulguées publiquement,
1
2
N° 61 - août 2015
50
Raymond Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’Etat, Ed. Dalloz. p 66.
Afin de ne pas trop compliquer la sémantique de ce texte, nous et du moment que cette distinction ne présente pas d’utilité fondamentale aux fins
de cette brève étude, nous utiliserons ces deux concepts avec cette seule distinction, certes un peu schématique.
6
Dans le contexte du préambule de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, le sens de l’expression «régime de droit» est identique à celle
de «état de droit».
4
5
N° 61 - août 2015
51
appliquées de façon identique pour tous et administrées de manière indépendante, et compatibles avec
les règles et normes internationales en matière de
droits de l’homme.»7
Toutefois, le concept «d’état de droit», ainsi que tous
les principes qui en dérivent, seraient totalement illusoires sans l’existence de professions judiciaires et
légales indépendantes chargées de mettre en œuvre,
défendre et développer l’état de droit. Il s’agit principalement des magistrats et des avocats. Si le rôle
de la magistrature est facilement percevable dans la
pérennité de l’état de droit par l’application du droit,
celui de l’avocat est moins perceptible malgré son
importance fondamentale.
B. Rôle de l’avocat dans la pérennité et le renforcement de l’état de droit
Quand il s’agit de défendre les intérêts ou les droits du
justiciable, l’avocat finit inéluctablement par défendre
le «Droit» et sa bonne application. Certes, l’avocat
injecte une certaine dose de sa propre subjectivité
quand il défend le droit de son client; mais il n’y a
pas de droits à défendre qui ne s’inscrivent dans un
ordonnancement juridique public ou privé, interne ou
international. En défendant les intérêts de son client
l’avocat exerce toujours sa mission dans le cadre d’un
ordonnancement juridique donné. Lorsque cet ordonnancement constitue un «Etat de droit» qui respecte,
non seulement la primauté du droit, mais également
les droits de l’Homme et les libertés fondamentales –
telles que constitutionnellement et internationalement
prévues et garanties – le rôle de l’avocat consiste aussi à pérenniser et développer l’Etat de droit. Le droit
constitutionnel, le droit administratif et le droit pénal
international sont des exemples parlants de l’évolution
vers l’Etat de droit. Le fait que l’avocat, lors de l’exercice du droit de la défense, questionne la constitutionnalité des lois constitue une composante importante
de l’état de droit et de l’attachement de l’avocat à sa
bonne application et à sa pérennité. Dans le même
sens, l’avocat peut aussi soulever la question de la
conformité du droit interne aux engagements internationaux conclus par l’Etat par le biais des conventions
bi ou multilatérales. Un tel moyen de défense trouve
son fondement dans le fait que l’état de droit n’est
pas l’apanage unique des pouvoirs internes, mais est
également constitué par des normes de droit international comme partie intégrante de l’état de droit. Le
domaine de prédilection où l’avocat fait appel aux
normes internationales de l’état de droit est celui
des droits de l’Homme. A telle enseigne que de plus
en plus systématiquement, les avocats européens
exercent des recours supranationaux devant les cours
européennes, surtout devant la Cour Européenne des
Droits de l’Homme. A l’occasion de ces recours, les
avocats jouent un rôle important non seulement dans
la mise en œuvre des normes de l’état de droit, mais
également dans l’affirmation et le renforcement de ces
mêmes normes.
(1748), Montesquieu considère que «le juge n’est que
la bouche qui prononce les paroles de la loi». Cette
citation paraît avoir beaucoup perdu de sa pertinence
depuis la reconnaissance du rôle du juge dans la
création du droit à travers son œuvre jurisprudentielle.
Cependant, il est indéniable que l’avocat contribue
toujours à cette œuvre de création du droit car la jurisprudence n’est, en général, que la consécration par le
juge, de l’une ou l’autre thèse défendue par les avocats des parties dans le cadre d’un litige donné. Ainsi,
l’œuvre créatrice du droit par la jurisprudence est de
parenté double: le magistrat et l’avocat. Si l’avocat
n’est pas le créateur direct de la jurisprudence, il n’en
demeure pas moins son inspirateur et son fécondateur. Ceci constitue une autre forme de contribution de
l’avocat à la pérennité et au renforcement de l’état de
droit et fait partie de la mission de l’avocat et de l’exercice du droit de la défense. Cependant l’exercice du
droit de la défense et la contribution au renforcement
de l’état de droit ne sont possibles que si l’avocat jouit
d’une indépendance réelle dans l’accomplissement
de sa mission.
De la même manière et dans le domaine du droit administratif, l’avocat en défendant son client contre les
actes arbitraires de l’administration, défend aussi l’état
de droit car, l’une des avancées les plus remarquables
de ce dernier a été de soumettre l’administration –
apanage le plus puissant de la puissance publique –
à l’autorité du droit et de son contrôle. Là aussi et à
travers le contentieux administratif, l’avocat contribue
substantiellement à la pérennité et au renforcement de
l’état de droit.
Dans son célèbre discours en 1693, le célèbre magistrat français Henri François d’ Aguesseau s’adressant
aux avocats prononça ces paroles: «Vous êtes placés,
pour le bien du public, entre le tumulte des passions
humaines et le trône de la justice (...); vous êtes également redevables et aux juges et à vos parties, et c’est
ce double engagement qui est le double principe de
toutes vos obligations.»8
Dans sa fameuse phrase, issue de l’Esprit des Lois
L’indépendance de l’avocat
Cette formulation est proche de celle de la Cour Européenne des Droits de l’Homme dans son arrêt Nikula
c. Finlande en 2002: «Le statut spécifique des avocats
les place dans une situation centrale dans l’administration de la justice, comme intermédiaires entre les
justiciables et les tribunaux (...). Eu égard au rôle clé
des avocats dans ce domaine, on peut attendre d’eux
qu’ils contribuent au bon fonctionnement de la justice
et, ainsi, à la confiance du public en celle-ci.»9
L’indépendance de l’avocat est cruciale, tout comme
sa protection. L’avocat en tant que défenseur des
droits doit être à l’abri de tout arbitraire afin de pouvoir utiliser tous les moyens légaux pour la défense
de son client. Mieux, cette protection est d’autant
plus nécessaire à l’avocat car, d’une façon ou d’une
autre et même en filigrane, il assure une fonction «de
service public» qui consiste à assurer les sacro-saints
principes du «droit à la défense», de «l’accès à la justice» et du «droit à un procès équitable». L’institution
de «l’aide juridictionnelle»10 est une éclatante illustration car l’avocat peut être réquisitionné, aux frais de
l’Etat, pour prêter son concours à des justiciables nécessiteux ou incapables de payer les honoraires d’un
avocat ou les frais de justice. La Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur l’indépendance des juges
et des avocats définit l’aide juridique (ou judiciaire)
comme suit: «De ce fait, la définition de l’aide juridique
doit être aussi large que possible et comprendre non
seulement le droit à une assistance juridique gratuite
en matière pénale, au sens de l’article 14, paragraphe
3 d), du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques, mais aussi à une assistance juridique efficace dans toute procédure judiciaire ou extrajudiciaire
Cf. Intervention de l’avocat historien du droit Jean-Luc Chartier évoquant la figure vertueuse du Chancelier d’Aguesseau et sa conception de la vertu
pour les avocats et magistrats. http://www.canalacademie.com/ida2520-La-vertu-des-hommes-du-droit-selon-le-chancelier-d-Aguesseau.html.
Alexandre Cordahi,«Les garanties de l’indépendance des avocats».http://www.oib-france.com/wp-content/uploads/LesGarantiesdelindependancedesavocatsTunisMars2013.pdf.
10 L’aide juridictionnelle est une aide financière accordée aux personnes disposant de ressources modestes souhaitant l’assistance d’un avocat. Elle
leur permet de faire valoir leurs droits en justice pour faire un procès ou se défendre, trouver un accord, faire exécuter une décision de justice.
8
9
7
Rapport du Secrétaire général «Rendre la justice: programme d’action visant à renforcer l’état de droit aux niveaux national et international»
(A/66/749).
N° 61 - août 2015
52
N° 61 - août 2015
53
visant à statuer sur des droits ou des obligations, y
compris les droits civils.»11
L’avocat doit être totalement exempt de toute subordination à qui ou quoi que ce soit sur les plans matériel,
moral, social ou autre. L’indépendance est aussi bien
une garantie qu’une obligation de l’avocat car il jure
d’exercer ses fonctions avec indépendance lorsqu’il
prête serment.
Comme souligne Me Anne Marion de Cayeux «Le
Code de déontologie des avocats de l’Union européenne, adopté le 28 octobre 1988 à Strasbourg – qui
est désormais érigé au rang de norme déontologique
européenne – fait figurer au premier rang des principes généraux de la déontologie, l’indépendance.»12
Cette indépendance est aussi bien valable vis-à-vis
du client que des magistrats. La Recommandation
du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe sur
la liberté d’exercice de la profession d’avocat adoptée
le 25 octobre 2000 pose en substance six principales
conditions:
1)un véritable «droit d’accès aux clients»;
2) un accès total aux informations, renseignements et pièces des dossiers;
3) le droit à la «liberté d’opinion, d’expression,
mais aussi d’associations et de réunions»;
4) le droit de se déplacer;
5) le droit de participer à des débats publics sur
les questions relatives à la loi et à l’administration de la justice et de suggérer des réformes;
6) le droit de s’associer librement au sein d’organisations professionnelles ou de barreaux
eux-mêmes autonomes et indépendants.»13
Ces assurances données à l’avocat dans l’exercice
de ses fonctions lui octroient des prérogatives de nature fonctionnelles qui dépassent les droits du simple
citoyen. Le rationale de ces prérogatives réside dans
le fait que le droit de la défense dépasse le strict intérêt privé du client pour déborder sur l’intérêt général
à la mise en œuvre juste et égalitaire de l’arsenal des
normes qu’édicte l’état de droit. Par ailleurs, ce même
intérêt général se retrouve dans l’aspiration collective
à ce que ces normes soient en phase avec les droits
humains, tels que secrétés par l’évolution de l’histoire
du droit. Ainsi et par conséquent, l’avocat se trouve
– lui aussi – investi d’une mission d’intérêt général,
à savoir la défense et la promotion de l’état de droit.
C’est dans ce sens que la Recommandation R (2000)
21, adoptée le 25 octobre 2000 par le Comité des
ministres du Conseil de l’Europe porte sur la liberté
d’exercice de la profession d’avocat et précise qu’elle
a pour objet de «promouvoir la liberté d’exercice de la
profession d’avocat afin de renforcer l’Etat de droit,
auquel participe l’avocat, notamment dans le rôle de
défense des libertés individuelles». Donc de mettre
en œuvre «un système judiciaire équitable garantissant l’indépendance des avocats dans l’exercice de
leur profession sans restriction injustifiée et sans être
l’objet d’influences, d’incitations, de pressions, de
menaces ou d’interventions indues, directes ou indirectes, de la part de qui que ce soit ou pour quelque
raison que ce soit».
Au-delà des domaines des droits constitutionnel,
pénal, administratif et des droits de l’Homme, le rôle
Documents des Nations Unies A/69/294.
Maître Anne Marion de Cayeux, Avocat au Barreau de Paris. Article publié sur internet le 6 Mai 2011, http://www.decayeux-avocat.com/2011/05/
independance-definition/.
13 Ibid.
de l’avocat dans la mise en œuvre et le renforcement
de l’état de droit connaît une évolution importante en
s’étendant au droit des affaires dans ses branches
économiques et financières.
L’intensification et la complexification des relations
économiques à l’échelle nationale et internationale
impliquent l’impérieuse nécessité d’un cadre juridique
précis, intelligible et stable. Bref, un état de droit fiable.
Les investissements internationaux – directs ou indirects – dans les pays du tiers-monde ont soulevé à
ce propos de graves litiges car dans plusieurs de ces
pays, l’état de droit est souvent confus ou défectueux
aussi bien dans ses aspects législatifs que dans ses
aspects judiciaires. Par ailleurs, certaines pratiques
de mauvaise gouvernance peuvent ressembler à des
pratiques arbitraires telles que des pseudo-nationalisations de nature plutôt intempestive que juridique ou
des dénis de justice caractérisés.
La multiplicité et la diversité du contentieux économique sont en croissance exponentielle. L’implication de l’avocat dans ces domaines est évidente. Vu
l’importance des enjeux, toute défaillance, application
arbitraire ou déstabilisation de l’état de droit, impliquerait une perte de confiance des acteurs économiques
aussi bien nationaux qu’étrangers avec les grands
risques qui ne manqueront pas de peser immédiatement sur la prospérité, le progrès et même la cohésion
sociale de tels pays. A cet effet, et afin de limiter les
inconvénients ou les insuffisances de l’état de droit, la
tendance est de soumettre, de plus en plus, les litiges
économiques à l’arbitrage, une ingéniosité juridique
imaginée et instituée afin de pallier les éventuelles carences ou lenteur du ou de l’état ou (Etat de droit). La
très forte implication des avocats dans l’arbitrage (interne et international) n’est un secret pour personne.
Dans l’arbitrage (tout comme dans la médiation,
l’avocat n’est plus cantonné dans son rôle originel de
défenseur de droits, mais se trouve très souvent dans
la position d’arbitre ou de médiateur. Ceci constitue
une véritable reconnaissance légale et institutionnelle
de l’importance du rôle de l’avocat dans le prononcé,
l’application et même la création du droit. Ces trois
fonctions étant essentiellement celles dévolues à l’instauration et la pérennité de l’état de droit.
Le rôle de l’avocat dans le renforcement de l’état de
droit a été également reconnu au niveau international
en ces termes: «L’état de droit est renforcé lorsque
chacun a la possibilité de faire valoir ses droits,
de disposer d’un recours utile et de demander des
comptes légitimes aux autorités publiques au regard
de leur responsabilité de fournir des services publics
justes et équitables. Les organisations de la société
civile, notamment les associations professionnelles
d’avocats, (…) contribuent grandement à renforcer les
services garants de l’état de droit, particulièrement en
informant la population et en lui donnant les moyens
d’agir.»14
Si le rôle de l’avocat dans la pérennité et le renforcement de l’état de droit est important, son rôle en
cas d’absence d’Etat de droit ou de sa violation massive est non seulement crucial mais peut également
comporter des risques pour l’avocat. Ainsi, le rôle de
l’avocat devient double: Il ne s’agit plus seulement
d’exercer les droits de la défense, mais de le faire dans
un environnement où l’Etat de droit est gravement défaillant ou carrément inexistant. C’est largement plus
complexe et plus périlleux.
11 12 N° 61 - août 2015
54
Nations Unies, Rendre la justice: programme d’action visant à renforcer l’état de droit aux niveaux national et international, Rapport du Secrétaire
général, Document A/66/749, p 8.
14 N° 61 - août 2015
55
C. Rôle de l’avocat dans la restauration ou l’instauration de l’Etat de droit
Dans son discours du 24 septembre 2014 devant la
réunion de haut niveau tenue par l’Assemblée générale à sa soixante-septième session sur le thème
«L’état de droit aux niveaux national et international», le
Secrétaire général des Nations Unies s’exprimait ainsi:
«L’état de droit est comme la loi de la pesanteur. C’est
lui qui fait que notre monde et nos sociétés restent
soudés, que l’ordre prévaut sur le chaos. Il nous rassemble autour de valeurs communes; il nous ancre
dans le bien commun. Mais contrairement à la loi de
la pesanteur, l’état de droit ne se manifeste pas spontanément. Il doit être nourri par les efforts continus et
concertés de dirigeants véritables.»15. Dans certaines
situations, malheureusement assez nombreuses, le
manque de démocratie, le fanatisme ou la pauvreté
débouchent sur de graves déficits de l’état de droit ou
à sa faillite et sa disparition.
1. Les déficits de l’état de droit
Depuis longtemps, le métier d’avocat a été ressenti
comme un contre-pouvoir par les gouvernants ayant
instauré des régimes autoritaires. «Quand j’entends
le mot avocat, je sors mon épée» s’écriait Napoléon
Bonaparte. Mieux encore, «Je veux qu’on puisse couper la langue à un avocat qui s’en servirait contre le
gouvernement», écrivait le même Napoléon Bonaparte à Cambacérès en 1804. Bonaparte, et il n’est
pas le seul, avait une hostilité déclarée à l’égard d’une
profession qu’il jugeait difficilement contrôlable. Il pensait, à juste titre d’ailleurs, que la mission première de
l’avocat est d’assurer le respect du droit de l’Etat et
non de l’Etat de droit.
En effet, l’attachement de l’avocat au droit, lui répugnerait de se soumettre ou de faire soumettre les
intérêts qu’il défend à l’arbitraire. Sa vocation, sa formation et sa fonction l’en empêcheraient. La loi, ou
plus précisément la légalité (aussi bien substantielle
que formelle) sont ses seuls outils lors de l’exercice
des droits de la défense. Dans un Etat de droit et en
présence d’un ordonnancement juridique basé sur
la justice et la démocratie, la mission de l’avocat est
relativement simple du point de vue philosophique et
moral. En effet dans une telle situation, le droit dans
un Etat de droit ne peut consacrer l’arbitraire par les
normes juridiques. Si un avocat croit que l’existence
ou l’absence d’une règle de droit – substantielle ou
procédurale – causant ou contribuant à un résultat
injuste ou absurde, il pourrait et devrait essayer par
des moyens légaux d’en obtenir les changements
appropriés.
l’essence de sa fonction et de son rôle. De ce fait, il
se trouve également démuni de son indépendance,
condition sine qua non pour le droit de la défense et
donc en porte à faux vis-à-vis de son client. Ce déchirement est l’une des causes profondes qui font que
les avocats se trouvent habituellement aux premiers
rangs des professions qui luttent contre l’arbitraire qui
les prive non seulement de leur outil de travail, mais de
la raison d’être de leur profession16.
L’avancement et la promotion de tout système légal
n’est réellement possible qu’avec la contribution des
avocats. Ce sont eux qui, les premiers, se rendent
compte des carences, des défaillances ou des incohérences du système juridique. Ce sont donc eux qui
sont souvent à l’origine des initiatives d’abrogations
ou d’amendements adéquats pour renforcer et faire
progresser l’état de droit. De même, l’avocat est souvent l’inspirateur du législateur pour simplifier ou améliorer les procédures légales ou initier l’adoption de
nouvelles normes juridiques.
2. La faillite de l’état de droit
Malheureusement, dans les Etats de non droit, l’état
de droit instaure et légalise l’arbitraire. Et c’est là que
réside le dilemme pour l’avocat car il se trouverait
souvent dans des situations professionnelles antinomiques et même schizophréniques quand il doit utiliser des outils diamétralement opposés à l’objet et à
Mhttp://www.unrol.org/article.aspx?article_id=168.
15 N° 61 - août 2015
56
Certes, il y a des degrés et des différences dans les situations où l’arbitraire supplante la justice et les droits
fondamentaux. Mais le seuil de l’intolérable peut rapidement être atteint et les avocats peuvent se transformer en défenseurs, non seulement de leurs clients,
mais aussi et surtout des défenseurs de la nécessité
de restaurer un Etat de droit à cause de la faillite de
l’état de droit.
Dans le cas où un pseudo état de droit est mis en
œuvre par un Etat de non droit qui gouverne par l’arbitraire et la violence, très vite et très souvent les avocats
et les défenseurs de droits de l’Homme, deviennent
menacés, intimidés et parfois harcelés, torturés et
même tués17. De telles situations s’avèreront – tôt ou
tard – insoutenables et déboucheront quasi inéluctablement sur une violence généralisée. Et si la violence
généralisée perdure, cela dégénère en guerre civile et
aboutit très vite à la dislocation sinon la disparition de
toute forme de puissance publique organisée.18 Le rôle
de l’avocat dans une telle situation, tout comme les
autres professions judiciaires se trouve pratiquement
anéanti.
Une restauration de l’état de droit ne paraît envisageable qu’en cas de cessation ou au moins une
décrue de la violence qui pourra donner naissance
à une volonté de reconstruction. En premier lieu et
comme mesure d’urgence, les mécanismes de la justice doivent être réhabilités, au moins dans une forme
transitoire afin d’apaiser les passions et commencer à
réparer les violations massives du droit. Une telle mission dans un état de conflit ou même qui commence
à en sortir, est extrêmement compliquée et délicate,
car les institutions compétentes (magistrature) et leurs
règles et moyens de fonctionnement (législation respectueuse des droits, et surtout des avocats pour les
défendre) font terriblement défaut en cas de crise ou
de sortie de crise. Le rétablissement de l’état de droit
et l’administration de la justice pendant la période de
transition dans les sociétés en proie à un conflit devient donc une nécessité impérieuse.
C’est pour cela que le génie de la pensée juridique a
inventé la notion de «justice transitionnelle», concept
d’administration de la justice pendant les périodes
de transition vers la démocratie et l’état de droit.
Le Secrétaire général de l’ONU la décrit comme
«englob[ant] l’éventail complet des divers processus
et mécanismes mis en œuvre par une société pour
tenter de faire face à des exactions massives commises dans le passé, en vue d’établir les responsa-
A ce propos, il faudrait rappeler que les avocats tunisiens avaient mené des actions d’opposition au régime de Ben Ali pendant deux décades. En
effet et malgré les manipulations du gouvernement, le Barreau tunisien a toujours élu son Bâtonnier dans des conditions de démocratie et de transparence. Par ailleurs, beaucoup de juristes, et surtout des avocats ont été emprisonnés et torturés à cause de leur position contre la torture! Citons
à ce propos, le cas de Maître Mohamed Abbou qui a passé plusieurs années en prison pour la simple raison d’avoir publié un article sur la toile
informatique dénonçant la torture dans les prisons tunisiennes.
17
Salwa Bugaighis, une des figures de la révolution libyenne contre le colonel Kadhafi en 2011et brillante juriste de 51 ans a été assassinée mercredi
25 juin 2014 vers 20 heures, à Benghazi. Cf. Le Monde, 26 juin 2014.
18 Les événements liés à ce qu’on appelle «printemps arabe» ont dégénéré d’une manière dramatique dans des pays tels que la Lybie, la Syrie ou le
Yémen. Dans d’autres pays, un peu partout dans le monde, ces situations de violence généralisée risquent de durer très longtemps, comme en
Somalie par exemple.
16 N° 61 - août 2015
57
bilités, de rendre la justice et de permettre la réconciliation. Peuvent figurer au nombre de ces processus
des mécanismes tant judiciaires que non judiciaires,
avec (le cas échéant) une intervention plus ou moins
importante de la communauté internationale, et des
poursuites engagées contre des individus, des indemnisations, des enquêtes visant à établir la vérité, une
réforme des institutions, des contrôles et des révocations, ou une combinaison de ces mesures»19.
A la pratique, les avocats ont joué les premiers rôles
dans de tels processus. Dans le continent africain,
en particulier en Afrique du sud, les avocats (et les
religieux), tout comme en Amérique latine, avaient
accompli un travail gigantesque pour mener des enquêtes afin de rétablir la vérité, indemniser les victimes
et favoriser la réconciliation.
formation des défenseurs publics et la sensibilisation
des justiciables à leurs droits.
D.Conclusion
Cantonal par sa géographie, international par son
prestige, l’Ordre des avocats de Genève (OdA) est
universel par ses intérêts et ses principes. Profondément enraciné dans l’histoire depuis plusieurs siècles,
l’OdA a substantiellement contribué à l’édification de
l’un des Etats de droit les plus avancés du monde, la
Suisse. De la Genève savoyarde à la Genève helvétique, l’OdA a toujours porté l’étendard et développé
l’indépendance de la profession et l’attachement à la
primauté du droit et au renforcement de l’état de droit.
Le droit à être défendu, également dans sa dimension
sociale, a toujours été un centre d’intérêt de l’OdA qui
a été «à l’origine de plusieurs institutions destinées à
venir en aide au plus grand nombre, y compris les plus
démunis, afin de leur offrir, dans un cadre organisé,
un accès facilité à une consultation juridique ou à une
défense immédiate en cas de privation de liberté»20.
Un autre travail similaire mais non moins important
a été accompli par les avocats avec l’appui d’autres
avocats d’autres pays et le soutien de l’ONU et de
l’Union européenne. Il consiste dans la mise en œuvre
de réformes institutionnelles de la justice et l’appui
donné aux instances nationales pour l’adoption de
législations qui consacrent l’état de droit et le renforcement des protections contre l’arbitraire. Le droit
d’accès à la justice dans les pays de non droit ou qui
connaissent de graves conflits est fortement handicapé par des coûts prohibitifs, la corruption et les préjugés socioculturels.
Dans le même esprit, signalons la tenue de la Conférence du 12 juin 2014 sur l’activité pro bono des avocats organisée par la Section des avocats de barreaux
étrangers (SABE) de l’OdA. Cette conférence et les
débats qui l’ont suivie démontrent l’importance qu’attachent les avocats de Genève à ce que l’état de droit
règne partout et pour tous.
Plusieurs avocats de tous les pays ont substantiellement contribué dans les programmes d’accès à la justice de l’ONU et ont aidé des dizaines de milliers d’individus vulnérables à obtenir justice. Un autre domaine
où l’avocat peut jouer un rôle essentiel est celui de la
La fécondation mutuelle entre la Genève internationale
et l’OdA est également un facteur qui mérite d’être
noté car, comme signalé plus haut, la promotion des
droits humains est un facteur fondamental dans le renforcement de l’état de droit. C’est ainsi que le Conseil
Rapport du Secrétaire général: «Rétablissement de l’état de droit et administration de la justice pendant la période de transition dans les sociétés en
proie à un conflit ou sortant d’un conflit»,S/2004/616 23.8.2004. Paragraphe 8.
Cf. Caroline Bydzovsky, L’Ordre des avocats de Genève, in Revue de l’Avocat (01/ 2014), p. 15.
21 www.odage.ch/commissions/droits-de-l-homme
de l’Ordre a institué une Commission des droits de
l’Homme qui œuvre tant en Suisse qu’à l’étranger,
par le biais d’interventions diverses, telles que des
communiqués de presse, des missions d’observation judiciaire et des interpellations écrites ou orales,
notamment auprès des autorités. Des rapports sur les
interventions de la Commission sont périodiquement
publiés dans la Lettre du Conseil.21
L’évolution du monde telle que nous l’observons depuis le début de ce siècle nous laisse assez inquiets
sur le futur du règne du droit et de la liberté. La montée de l’intolérance et des fanatismes de tout ordre
menace l’état de droit et compromettent l’espoir dans
l’émergence de nouveaux Etats de droit. Même les
Etats traditionnellement démocratiques où l’état de
droit paraît irréversible ne doivent pas sous-estimer les
dangers de la propagation de la violence aveugle qui
risquent de mettre à mal les droits de tous et dont le
but ultime est le renoncement à l’état de droit. Seuls
l’attachement, la défense de ces droits et leur protection constituent la réponse adéquate. Dans cette
perspective, l’avocat a toujours eu et aura toujours un
rôle prépondérant.
19 20
N° 61 - août 2015
58
www.odage.ch/commissions/droits-de-l-homme
21 N° 61 - août 2015
59
MAH+ GENEVE: DROIT DE RÉPONSE
Me Philippe Cottier
Quelque peu surpris de lire, dans la Lettre du Conseil
de mars 2015, un plaidoyer en faveur du projet
MAH+, j’ai sollicité un droit de réponse. Le voici.
Personne ne conteste la nécessité de rénover voire
d’agrandir le MAH. Je suis également plutôt sensible au mélange des genres et la combinaison entre
architecture contemporaine et bâtiments protégés a
donné lieu à de belles réussites en Europe et ailleurs.
En tant qu’homme de loi, je me suis donc principalement intéressé au processus décisionnel. Il s’agit
du plus important investissement à ce jour pour la
Ville de Genève, ce n’est donc pas un souci de pur
formalisme.
Cette composition différente du Comité de sélection
entre les deux tours viole gravement le principe de la
transparence, principe cardinal en matière de marchés publics, et pose donc sérieusement la question
de savoir si la décision d’attribution du marché du
MAH à Jean Nouvel & consorts n’est pas nulle de
plein droit. A méditer!
Cette contribution se veut non-partisane et objective. Nous sommes des avocats et notre pain quotidien est de nous assurer que les lois et règlements
ont été appliqués correctement quel que soit l’enjeu
au risque sinon d’y perdre notre indépendance et
notre liberté.
Passons maintenant à la Convention passée en mars
2010 entre la Ville de Genève et la Fondation Gandur pour l’Art. Si les partenariats public/privé sont
sans conteste possible un excellent moyen d’alléger
les finances d’une collectivité et de rassembler les
divers acteurs de la société civile autour d’un projet
commun, encore faut-il que les formes soient respectées.
A-t-on respecté tant la forme que le fond?
Examinons tout d’abord l’appel d’offres publié dans
la FAO des 5 et 14 octobre 1998. Il s’agissait d’une
procédure sélective à deux tours fondée sur le
Règlement cantonal sur la passation des marchés
publics en matière de construction (RMP – RS/GE L
6 05.01). Le coût estimé des «travaux de rénovation
partielle et réaménagement» était de CHF 10 millions
et il était clairement stipulé que ces travaux se dérouleraient «par étapes, en maintenant l’exploitation».
34 concurrents ont répondu à cet appel d’offres. 5
d’entre eux ont été retenus pour le second tour. C’est
là que le bât blesse déjà! La composition du Comité de sélection du premier tour et du second tour
n’était pas la même ce qui est parfaitement contraire
aux principes régissant les marchés publics.
Au premier tour, 29 concurrents ont donc été éliminés par le directeur de la division de l’aménagement et des constructions de la Ville de Genève de
l’époque et ses deux adjoints!
N° 61 - août 2015
L’article 30 al. 1 let j) de la loi sur l’administration des
communes (LAC – RS/GE B 6 05) précise:
«Le conseil municipal délibère sur les objets suivants:
(…)
j) l’acceptation des donations et les legs à la commune avec ou sans destination mais avec charges
et conditions sous réserve de l’article 48, lettre i; ».
Une lecture attentive de cette Convention démontre
qu’elle tombait clairement sous le coup de l’article
précité et que le Conseil Municipal de la Ville de Genève aurait donc dû se prononcer sur son contenu.
La réalité est qu’elle n’a jamais été soumise au pouvoir législatif de la Ville puisqu’elle a été signée par
la seule volonté du seul Conseiller administratif en
charge du Département de la Culture de l’époque.
L’exception de l’article 48 lettre i) LAC n’est d’aucun
secours. Quelles conséquences juridiques? Annulabilité ou nullité absolue? À méditer.
60
N° 61 - août 2015
61
ADMISSIONS À L’ORDRE
Mélisande NUSSBAUM
Schellenberg Wittmer SA
Noémie RAETZO
Fontanet & Associés
AvocatsEtude
Emilia REBETEZ
Lenz & Staehelin
Gian-Reto AGRAMUNT
Bjondina REDZEPI
Schellenberg Wittmer SA
Hélène CASTRO*Lenz & Staehelin
Daphnée ROULIN
Etude de Me Stephane Rey
Nicolas LEROUXKalexius
Isabelle SEIDLER
Perréard de Boccard
Krista MAHONEY*Lecocq Associate
Nadia SMAHI
Lenz & Staehelin
Giulia MARCHETTINI
Victoria SURER
FBT Avocats
Jeremy NACHTLenz & Staehelin
Olivia TEREINS
Etude de Me Karin Grobet Thorens
François TRIPET*LHA Avocats
Doris VELLUT
Fontanet & Associés
Mirolub VOUTOVVoutov Avocat
Caroline VIRET
Dayer Ahlström Fauconnet
* membre de la Section des avocats de barreaux étrangers de l’Ordre (SABE)
Wanda SERENA
Felder, Lammar, Bolivar, Sommaruga & de Morawitz
SEANCE D’ADMISSION DU 23 JUIN 2015
Budin & Associés
Schellenberg Wittmer SA
Avocats stagiairesEtude
Quentin ADLER
Baker & McKenzie
Ramona AKKAWI
Etude d’avocat-e-s Collectif de défense à Genève
Emmanuel BADOUD
FBT Avocats
Laura BISIANI
Ming Halpérin Burger Inaudi
Rivka BOBROVSKY
Cabinet Mayor
Mathias BUHLER
Eversheds
Alison CARLUY
100 Rhône Avocats
Emeline CAZZOLA
BM Avocats
Giulia CORTI
BCCC Avocats
Romain COSANDIER
Pfyffer Avocats
Jennifer CRETTAZ
Köstenbaum & Associés
Adrien CURTIN
Etude Junod & Associés
Amélie EVEQUOZ
Rouvinet Avocats
Romain FAKHOURY
Python & Peter
Natasha HAERING
Keppeler & Associés
Clément JATON
Lenz & Staehelin
Jacques JOHNER
Meyerlustenberger Lachenal Avocats
Chrystie KALALA
Oberson-Vouilloz
Yolande LAGRANGE
GVA law
Elodie MAURIS
Mont-de-Sion 8
Damien MENUT
Meyerlustenberger Lachenal Avocats
Léonard MICHELI-JEANNET
Emery & Ribeiro
Duy-Lam NGUYEN
Python & Peter
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62
N° 61 - août 2015
63
Asset Management
Wealth Management
Asset Services
Vous êtes
indépendants. Nous
sommes indépendants.
Nous sommes faits
pour nous entendre.
Genève Lausanne Zurich Bâle Luxembourg Londres
Amsterdam Bruxelles Paris Francfort Madrid Barcelone
Turin Milan Florence Rome Tel Aviv Dubai Nassau
Montréal Hong Kong Singapour Taipei Osaka Tokyo
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