DESUETUDE APPEL

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 JOURNÉE D’ÉTUDE LA DESUETUDE Entre oubli et mort du droit ? LIMOGES – Faculté de Droit et des Sciences Économiques 11 Octobre 2012 La jurisprudence et la doctrine actuelles condamnent la désuétude et ses effets. Cette opinion semble assez récente et s’explique en partie par le légicentrisme révolutionnaire et par la toute-­‐puissance du positivisme des XIXe et XXe siècles. D’ailleurs, doctrine et jurisprudence ne font que suivre le législateur qui a posé comme principe l’impossibilité d’abrogation de la loi par désuétude. Cette triple attitude est depuis longtemps empreinte d’ambigüité. Déjà Portalis, dans son Discours préliminaire, sans reconnaître officiellement la désuétude en soulignait l’intérêt car elle permettait de corriger lentement et avec tranquillité les lois mauvaises. La désuétude pouvait ainsi apparaître comme le garde-­‐fou à des entreprises législatives périlleuses. Par ailleurs, François Gény, bien que rejetant l’idée d’une coutume contra legem, reconnaissait, après un long raisonnement qui soulignait la difficulté à saisir la notion, que l’évolution sociale a la capacité à rendre surannée une règle juridique qui n’est pas encore officiellement abrogée et qu’il est possible alors d’écarter le texte en raison de son inapplicabilité. Gény se permettait même d’affirmer que le législateur « abroge les textes comme on achève les blessés sur un champ de bataille ». Pourtant, les juges sont plus que méfiants quant aux effets de la désuétude. La jurisprudence contemporaine est en majeure partie défavorable à l’abrogation par désuétude et les arrêts, tant en droit civil qu’en droit pénal, refusent tout effet juridique à ce phénomène. Cette attitude est des plus logiques : partant du principe que le législateur dispose du monopole de création et de suppression de la norme, le législateur est obligatoirement amené à refuser le phénomène de la désuétude qui viendrait concurrencer son pouvoir d’abrogation. De plus, la loi peut s’analyser comme l’un des fondements de l’Etat et proclamer la désuétude de la loi revient à fragiliser son processus d’élaboration démocratique et par conséquence, l’Etat. Enfin, reconnaître la désuétude, c’est quelque part renoncer à la certitude et à la sécurité juridique à l’heure où les relations juridiques en ont le plus besoin. La désuétude présente toutefois des traits intéressants et tout à fait actuels. Il faut reconnaître sous le terme générique de désuétude deux phénomènes qui sont souvent confondus et qui sont très voisins. D’une part, la désuétude peut prendre la forme d’usages contraires (consuetudo abrogatoria) ; d’autre part, la désuétude peut désigner de manière stricte la disparition de la ratio legis qui donne sa force au droit. En tous les cas, l’analyse de la désuétude ne peut se cantonner à la simple étude du non-­‐
usage. Elle doit aussi prendre en compte la pratique d’usages contraires. Il faut aussi rappeler que si la désuétude n’est pas reconnue aujourd’hui, nombre d’adages juridiques semblent l’envisager, même de manière incidente. Ces adages illustrent la permanence de cette notion diffuse : déjà envisagée en droit romain, la désuétude a, dans le sillage de la réflexion sur la consuetudo et sur la consuetudo contra legem, toujours posé question, d’Isidore de Séville aux canonistes et civilistes médiévaux jusqu’à la doctrine d’Ancien Régime. Par ailleurs, la désuétude suscite une réflexion récente, notamment en matière de droit international public, tant par la doctrine que par les praticiens, afin de déterminer les modes de terminaison des traités. Notion aux contours flous, la désuétude a, d’un avis unanime, peu de portée juridique. Pourtant, à l’heure où le processus de création coutumier est connu, il est peut-­‐être utile de s’interroger sur le versant « obscur » de la coutume. La désuétude doit-­‐elle être interprétée obligatoirement comme une coutume négative dont le processus serait en quelque sorte calqué sur celui de la coutume positive, créatrice de droit ? En d’autres termes, faut-­‐il appréhender la coutume négative comme un processus juridique, liée au temps long et à l’inapplication, ou comme un acte juridique qui matérialiserait la volonté des sujets de droit et qui serait dès lors saisissable (R. KOLB, 2007) ? Toutes ces questions peuvent être envisagées selon la pratique du droit. Il faut néanmoins être conscient que la désuétude, qui relève en définitive de l’absence de la pratique du droit, est un phénomène difficile. C’est peut-­‐être dans des moments de crise, où le besoin de recours à une règle juridique précise, que la désuétude se laisse davantage saisir. De plus, il est évident qu’une large place doit être faite à la doctrine afin de comprendre les motivations qui, au fil des siècles, ont conduit à refuser toute force à la désuétude. Enfin, ces questions qui se posent pour les systèmes juridiques légicentrés sont tout à fait d’actualité en Common Law. Le système juridique anglo-­‐saxon, par essence coutumier et jurisprudentiel, peut fournir des exemples concrets de désuétude et conduire ainsi à une approche comparée du droit. Ce questionnement général quant au phénomène de la désuétude pourrait être précisé selon trois angles de recherches : L’oubli du droit L’existence d’un usage ou d’une coutume implique habituellement la compréhension et l’adhésion de ceux qui l’utilisent. Pour reprendre une expression de J. Carbonnier, « les forces sociales vives sont à l’œuvre » dans la coutume mais aussi dans la désuétude. D’une manière générale, le non-­‐usage doit-­‐il être considéré comme un oubli volontaire, conscient, du droit ? Par ailleurs, s’il n’est pas invoqué régulièrement, la force contraignante s’amenuise-­‐t-­‐elle pour finalement disparaître ? Ces interrogations posent finalement le problème du rapport du temps au droit. Si le droit apparaît comme un phénomène perpétuel et continu, il faut lui reconnaître comme corollaire l’existence des « pauses de non-­‐droit » (F. OST). La mort du droit En deuxième lieu, l’absence de la pratique entraine-­‐t-­‐il de facto la mort du droit ? Faut-­‐il plutôt y voir un droit en sommeil qui peut avoir le loisir d’être réveillé ? D’un point de vue positif, l’application de la loi ne relève pas de sa définition. Il lui suffit d’avoir été promulguée pour que son existence soit acquise. Cependant, l’inapplication de la norme pose le problème de sa validité (H. KELSEN, Théorie générale des normes). Dans cette perspective, les positions de la doctrine ont semble-­‐t-­‐il évolué, passant d’une acceptation possible de l’abrogation par désuétude sous l’Ancien Régime à un refus marqué au XIXe siècle, étapes qui manifestent peut-­‐être le passage à une société légicentrée. L’évolution, si sensible soit-­‐elle, mérite d’être étudiée afin de comprendre quels ont été les ressorts de l’argumentation doctrinale. Du côté de la pratique, l’inapplication du droit pose le problème du fondement de la règle. Il faut ainsi peut-­‐être essayer d’analyser les notions d’inapplication et d’inapplicabilité. Si la règle de droit n’est pas utilisée, alors qu’il existe des occasions de le faire, quelles en sont les raisons ? Cette question renvoie également à la situation où, à un moment donné, une situation correspond au droit énoncé mais qui n’a jamais été appliqué effectivement. Dès lors, son emploi soudain s’accompagne-­‐t-­‐il de résistances et d’incompréhension ? La mémoire du droit En dernier lieu, la désuétude renferme une forte dimension anthropologique qu’il s’agit d’éclairer. La question pose en effet directement la question de la mémoire du droit. Si l’apparition de la coutume s’envisage à travers la répétition régulière d’actes et de pratiques, il faut convenir qu’un des éléments constitutifs de la coutume se trouve dans la gestion mémorielle de la pratique. Dès lors, il faut peut-­‐être reconnaître dans la désuétude un déficit de mémoire. Cette question implique donc de s’intéresser à la preuve de la désuétude comme il existe une preuve de la coutume. Faut-­‐il considérer qu’un usage qui n’est pas utilisé peut être invoqué de nouveau ? Si oui, quels en sont les effets ? Ces effets sont-­‐ils identiques à une situation où le droit est régulièrement invoqué ? Par ailleurs, peut-­‐on apercevoir des phénomènes de réminiscence mémorielle dans le cadre de la désuétude qui permettrait de faire resurgir un usage et de lui rendre ses effets juridiques ? Ce qu’il revient d’interroger, à travers ces différentes pistes de réflexion, c’est l’inscription du droit dans la mémoire collective. La désuétude semble autoriser le corps social à faire entrer la norme (loi ou coutume) dans le champ du souvenir. Ce poids du souvenir, ou de la tradition, peut vivre à travers le folklore juridique et conduire à faire renaître à un moment donné le droit sous une forme actualisée. Les processus d’acculturation juridique peuvent ainsi être un champ d’études privilégié afin d’analyser la gestion de la mémoire du droit. Contact : [email protected] 
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