V. Renaud
et al.
L’Encéphale, 2006 ;
32 :
474-7, cahier 1
476
L’état du patient allait s’améliorer en trois à quatre jours,
avec d’abord disparition des plaintes auditives, améliora-
tion du contact, de l’humeur, puis du ralentissement psy-
chomoteur. Par ailleurs, les entretiens avec le patient et
ses proches allaient mettre en évidence des éléments
évocateurs d’une personnalité schizotypique : tendance
au repli sur soi et à l’isolement, évitement des situations
sociales, difficultés pour s’organiser dans la vie courante,
méfiance, croyances étranges avec goût pour l’occultisme
(ce dernier élément étant à relativiser du fait de l’origine
antillaise du patient). Toutefois, ces particularités cogniti-
ves et comportementales ne semblaient s’être jamais
accompagnées d’idées délirantes ou d’hallucinations.
Les résultats du bilan organique allaient confirmer la
thrombopénie et surtout permettre la mise en évidence
d’une antigénémie P24, témoignant d’une primo-infection
par le VIH, avec une contamination pouvant remonter à
deux à quatre semaines plus tôt. Après l’annonce de ce
diagnostic au patient, ce dernier avait pu faire part d’un
rapport sexuel à risque quelques semaines auparavant.
Par ailleurs, la fibroscopie œsogastroduodénale n’avait
mis en évidence aucune lésion pouvant expliquer ni
authentifier un éventuel épisode d’hématémèse (dont le
souvenir était d’ailleurs assez flou pour le patient).
Le patient allait être alors transféré en service d’immu-
nologie clinique pour une prise en charge spécifique de
l’infection par le VIH. Un bilan complémentaire allait
alors confirmer la primo-infection par le VIH par la mise
en évidence d’une séroconversion en cours (Western-
Blot incomplet). La charge virale du VIH était à
315 711 Eq copies/mL et le nombre de lymphocytes
T CD4+ à 450/mm
3
. Dans ce contexte, une ponction
lombaire allait être réalisée et allait s’avérer normale
(pas d’élément dans le liquide céphalorachidien, protéi-
norachie subnormale à 0,66 g/L et glycorachie nor-
male). Le patient était alors asymptomatique, toujours
apyrétique, avec un examen neurologique toujours nor-
mal, sans syndrome méningé et sans plus aucune
céphalée. Il allait être décidé de ne pas instaurer pour
l’instant chez ce patient de traitement antirétroviral. Sur
le plan psychiatrique, l’état du patient était stable, le trai-
tement par venlafaxine à 200 mg/j et clorazépate à
30 mg/j allait être maintenu et un suivi psychiatrique
ambulatoire allait être mis en place.
DISCUSSION
La primo-infection par le VIH peut s’accompagner de
manifestations cliniques. La fréquence de la primo-infec-
tion symptomatique varie selon les études (1, 2, 11, 13),
elle est le plus souvent évaluée entre 50 et 70 % des cas
dans les études portant sur des patients homosexuels (2).
Les premiers symptômes surviennent le plus souvent 10
à 15 jours après la contamination (extrêmes de 5 à
30 jours) (1, 8, 13). Les signes cliniques sont peu spéci-
fiques et variables, les plus fréquemment retrouvés sont
une fièvre, des adénopathies, une odynophagie avec pha-
ryngite érythémateuse, une éruption cutanée maculopa-
puleuse, des myalgies, une asthénie, des céphalées, une
perte de poids, des signes digestifs (nausées, vomisse-
ments, diarrhée) (1, 2, 4, 6, 7, 8, 13, 15). De façon plus
exceptionnelle on peut observer des manifestations neu-
rologiques telles qu’une méningite aiguë lymphocytaire,
une paralysie faciale, un syndrome de Guillain et Barré
ou des signes d’encéphalite (2, 8, 10). En revanche,
aucune manifestation psychiatrique révélant une primo-
infection par le VIH n’a été décrite à ce jour (sur la base
de données Medline). Sur le plan biologique, les signes
les plus fréquemment observés sont : une thrombopénie,
une leucopénie, une élévation des transaminases hépa-
tiques (1, 6, 7, 15). La vitesse de sédimentation est sou-
vent accélérée et la protéine C réactive élevée (1, 2, 6).
Le diagnostic positif repose sur l’apparition plasmatique
de trois marqueurs virologiques : l’acide ribonucléique
(ARN) du VIH ou charge virale plasmatique (détectable
dès le dixième jour suivant la contamination), l’antigène
P24 (détectable vers le quinzième jour après la contami-
nation et qui persiste pendant 1 à 2 semaines) et les anti-
corps anti-VIH (détectables en moyenne 3 à 8 semaines
après la contamination par un test
enzyme-linked immu-
nosorbent assay
confirmé par le Western-Blot) (8).
Plusieurs études suggèrent une signification pronosti-
que péjorative du syndrome de primo-infection clinique-
ment symptomatique (1, 2, 8, 9, 11, 14). La présence de
manifestations neurologiques semble, de plus, associée
à une évolution accélérée de la maladie (1, 2, 3, 8, 10).
Bien qu’elle soit souvent symptomatique, la primo-
infection par le VIH est rarement diagnostiquée (13, 15).
Une étude américaine sur 29 patients présentant une
primo-infection par le VIH cliniquement symptomatique a
montré que plus de la moitié de ces patients avaient con-
sulté un médecin au moins trois fois avant que le diagnos-
tic ne soit posé. D’après les auteurs, ce retard pourrait être
lié à plusieurs facteurs : caractère aspécifique des symp-
tômes, difficulté à intégrer les personnes à risque dans le
système de soins, mauvaise connaissance par le corps
médical des tests diagnostiques et absence d’information
sur l’intérêt potentiel que peut représenter le diagnostic
précoce (15). La mise en évidence d’une primo-infection
par le VIH présente en effet un intérêt majeur, la mise en
route d’un traitement antirétroviral précoce pouvant modi-
fier l’évolution de la maladie (8, 10, 15). Le traitement anti-
rétroviral précoce est actuellement recommandé dans les
formes les plus sévères de primo-infection par le VIH.
Dans les autres cas de primo-infection symptomatique,
certains auteurs recommandent un traitement précoce,
bien qu’aucune preuve formelle de son avantage à long
terme par rapport à l’abstention thérapeutique n’ait été
jusqu’ici apportée (5). En termes de santé publique, la con-
naissance du diagnostic par le patient peut aussi permet-
tre d’éviter la transmission du virus, d’autant plus que le
risque de transmission semble plus important à ce stade
de l’infection qu’à un stade ultérieur (12, 13, 15).
Dans le cas que nous rapportons, plusieurs des symp-
tômes présentés par le patient correspondent aux mani-
festations habituelles de la primo-infection par le VIH
symptomatique (fièvre, céphalées, perte de poids, asthé-