© Didier Rousselet/PM/DR/Fotolia/Université franco-allemande/PLM2/OFAJ-DFJW- EXPOSITION Réalisation : ©Éditions Sépia • Tél. 01 43 97 22 14 • Fax : 01 43 97 32 62 • Site : editions-sepia.com • Mail : [email protected] Conception rédactionnelle : Didier Rousselet • Traduction et adaptation : Sven Leyder • Graphisme : Patrick Le Masurier De loin : de fortes ressemblances Hier… De près : bien des nuances La France et l’Allemagne sont deux pays voisins qui font partie du même ensemble géographique. Ils jouissent tous deux d’un climat tempéré. Les activités humaines – agriculture, industrie, commerce – sont comparables. Les paysages ruraux et urbains se ressemblent. Les populations ont un niveau de vie, une qualité de vie, une espérance de vie proches. Leurs modes de vie s’uniformisent. Pays développés, pays d’immigration, puissances économiques, l’Allemagne et la France sont deux éléments importants de l’Europe, ce continent qui s’unit dans la paix. Climat : La France est plus océanique, l’Allemagne plus continentale et sans région méditerranéenne. C « es amis qui ne se connaissent pas. » Laetitia Darmon, Entretien avec Claire Demesmay, chercheuse au Cerfa (Comité d’études des relations franco-allemandes). Relief : La haute montagne n’occupe qu’un mince liseré dans le sud de l’Allemagne. Elle est plus présente dans le paysage français. Activités : L’Allemagne est une plus grande puissance industrielle, la France, une plus grande puissance agricole. Population : L’Allemagne est plus dense et plus urbanisée que la France. Des pays proches mais différents La limite des langues latines et germaniques ne correspond pas aux frontières. Elle court sur les territoires de la France, la Belgique, le Luxembourg, la Suisse et l’Italie. Et surtout, quelques différences marquantes dues à l’histoire La langue L’allemand est une langue germanique alors que le français est une langue latine. Les Francs étaient des Germains mais les tribus de l’Ouest, qui vivaient sur le territoire du nord de la France actuelle, ont été romanisées. Principaux groupes linguistiques Roman Germanique Slave L’héritage religieux © Didier Rousselet L’organisation politique © Fotolia La France est un pays centralisé, l’Allemagne est un État fédéral composé de « länder ». La France a connu un lent accroissement de son « pré carré » autour du domaine royal alors que l’Allemagne fut un pays « à géométrie variable » dont le territoire divisé fluctua sur une grande partie de l’Europe. ©Éditions Sépia-www.editions-sepia.com La France est majoritairement de tradition catholique. L’Allemagne est divisée : elle a été à l’origine de la Réforme avec Martin Luther mais les catholiques, majoritaires en Rhénanie et en Bavière, sont aussi nombreux que les protestants. Statue de Martin Luther à Wittenberg. En France, les régions sont faibles face à la toute puissance de Paris. En Allemagne les länder sont de véritables États autonomes. 1 Des origines communes Au VIIIe siècle, les souverains carolingiens réunissent les divers royaumes francs. Mais le vaste empire sur lequel règne Charlemagne sera divisé en 843 au Partage de Verdun qu’on peut considérer comme l’acte de naissance de la France et de l’Allemagne. Hier… L’Allemagne meurtrie par la France Du XVIe au XVIIIe siècle, et plus particulièrement sous Richelieu et Louis XIV, le royaume de France tirant profit des querelles dynastiques et des divisions religieuses repousse de plus en plus ses frontières vers l’Est. À la suite de la Révolution Française, c’est par réaction contre l’occupation, l’enrôlement dans les armées napoléoniennes et la Confédération du Rhin imposée par l’empereur que se développera le sentiment national dans l’Allemagne humiliée. O « n a pu calculer qu’entre les premiers affrontements de Charles Quint et de François I er, et la Seconde Guerre mondiale, il y a eu vingt-trois conflits guerriers franco-allemands, dont la très grande majorité se sont déroulés sur le territoire allemand. » Joseph Rovan, Histoire de l’Allemagne. Les trois fils de Louis I le Pieux, fils de Charlemagne, se partagent l’empire. Le royaume de Lothaire sera de courte durée et deviendra le lieu des affrontements. « Frontière naturelle » L’idée du Rhin comme « frontière naturelle » développée par le Prussien Anarchasis Cloots et des « patriotes » rhénans, fut, bien sûr, reprise par la Révolution française : « C’est en vain qu’on veut nous faire craindre de donner trop d’étendue à la République. Ses limites sont marquées par la nature. Nous les atteindrons toutes des quatre coins de l’horizon, du côté du Rhin, du côté de l’Océan, du côté des Pyrénées, du côté des Alpes. Là sont les bornes de la France » Danton, 13 janvier 1793. Deux peuples mêlés Pourtant malgré les hostilités, les peuples ont parfois trouvé refuge chez leurs voisins. Ainsi les Huguenots – protestants français – chassés par Louis XIV à la suite de la Révocation de l’Édit de Nantes sont accueillis par le Grand électeur de Prusse et d’autres princes allemands. Inversement au milieu du XIXe siècle, nombreux sont les militants politiques, les artistes, les intellectuels qui, fuyant la répression de nombreux É tats allemands, s’installent à Paris. « Ennemis héréditaires » Symétrique de la cathédrale allemande, la cathédrale française rappelle qu’à Berlin, au début du XVIII e siècle, les Huguenots formaient le quart de la population de la ville qu’ils aidèrent dans son essor. © Didier Rousselet On a qualifié les Allemands et les Français d’« ennemis héréditaires » mais de la guerre de Cent Ans (XIVe siècle) à la rivalité coloniale en Afrique (XIXe siècle), l’expression désignait le plus souvent les Anglais et les Français ! C’est l’Entente cordiale qui mit fin à cet antagonisme face à la montée de la puissance... allemande. Charlemagne (742-814), cet empereur franc parlait sa langue germanique mais admirait le latin. ©Éditions Sépia-www.editions-sepia.com © Nicolas Kopp-Fotolia ©DR Une histoire commune mouvementée HeinrichHeine (17971856), grand poète allemand, passa une grande partie de sa vie à Paris où il écrivit en français des ouvrages politiques. 2 Hier… 1870, le début : la dépêche d’Ems Le télégramme du roi de Prusse relatant son entretien à Bad Ems avec l’ambassadeur de France au sujet de la succession sur le trône d’Espagne est réécrit par Bismarck en un sens insultant pour la France. Publié pour produire sur « le taureau français l’effet du drapeau rouge », il provoque l’indignation à Paris. Emile Ollivier, Premier ministre de Napoléon III déclare, « d’un cœur léger », la guerre à la Prusse le 13 juillet 1870. L’ « Europe est devenue une demeure gigantesque où des hommes s’entretuent. [...] La barbarie la plus sauvage célèbre son triomphe sur tout ce qui était naguère la fierté de l’Humanité. » L’Alsace et la Lorraine. En 1871, le nouveau régime français, la IIIe République, doit accepter un traité de paix humiliant : énorme indemnité de guerre et perte de l’Alsace et de la moitié de la Lorraine. Belfort — qui avait résisté — resta français. Le Manifeste de Zimmerwald (Suisse, 1915). ©DR Bismarck (1815-1898), Premier ministre de Guillaume 1er, roi de Prusse, utilise la guerre, contre le Danemark en 1864, contre l’Autriche en 1866, contre la France en 1870, comme un moyen pour achever l’unité allemande autour de la Prusse. Trois guerres en75ans de plus en plus dévastatrices © lia to Fo BRUXELLES Calais Lille Vimy Lignes allemandes au début de la guerre début août 1914 Front àprès la première bataille de la Marne 13/09/14 Compiègne Reims Verdun Calais Château-Thierry PARIS St Mihiel Nancy Avance extrême allemande 5 septembre 1914 © Corbis Carte du front occidental de 1914 à 1918. C’est sur le sol français que s’affrontent pendant quatre ans, en de vaines et sanglantes offensives, les soldats français et allemands. La rivalité franco-allemande, cause de la guerre de 1870, contribue grandement à la première Guerre Mondiale dont toutes les grandes puissances partagent la responsabilité. Elle ne joue plus qu’un rôle secondaire dans la seconde guerre mondiale où l’Allemagne nazie qui domine l’Europe, affronte les nouveaux grands : États-Unis et URSS. Une file d’attente devant un magasin. Ni résistants, ni collaborateurs, la plupart des Français cherchent seulement à survivre sous l’occupation allemande (1940-1944). L’entrevue de Montoire. Le 20 octobre 1940, le Maréchal Pétain, le « vainqueur de Verdun », chef de l’Etat français, fait entrer celui-ci « dans la voie de la collaboration » avec Hitler. ©DR Amiens En 1914, après l’échec de la guerre de mouvement, le conflit s’enlise dans une guerre des tranchées qui durera jusqu’en 1918. agne 1945, la fin : l’Allem écrasée, la France au second plan Dans les deux actes de capitulation sans conditions de l’Allemagne nazie signés à Reims le 7 mai et à Berlin le 8 mai 1945, en présence des autorités militaires américaines et soviétiques, le représentant français n’a que le rôle de témoin. ©Éditions Sépia-www.editions-sepia.com Front après la Somme septembre 1918 ©DR Front lors de l’Armistice 11 novembre 1918 © Rue des Archives-Tal Arras 3 Deux peuples dressés l’un contre l’autre Par l’école et les associations, à travers la chanson ou la presse, sur les monuments, dans les manifestations ou les discours politiques, les idées nationalistes se répandent dans l’opinion. L’esprit de revanche qui anima les Français avant 1914 saisira les Allemands après 1918. En temps de guerre, la propagande diabolise l’adversaire. N « ous sommes devenus des animaux dangereux [...] La fureur qui nous anime est insensée ; nous ne pouvons que détruire et tuer, pour nous sauver... pour nous sauver et nous venger. » E.M. Remarque, À l’Ouest, rien de nouveau © Didier Rousselet © DR L’instituteur, ce « hussard noir de la République » veut faire de ses élèves des hommes libres mais il leur apprend aussi l’amour de la patrie, les préparant ainsi au sacrifice. Hier… En 1913, en pleine marche vers la guerre, un siècle après l’événement qu’il commémore, est inauguré à Leipzig l’énorme monument de la Bataille des Nations qui célèbre la défaite des armées napoléoniennes. Quand la défaite ne peut s’expliquer que par la trahison Trahison version française ? Deux moments forts de l’histoire de la Galerie des Glaces à Versailles. C’est dans la Galerie des Glaces du château de Versailles, en 1871, que le roi Guillaume 1er devient « empereur allemand ». © DR C’est dans cette même Galerie des Glaces, en 1919, qu’est signé le Traité de Versailles, le « diktat », qui ampute et découpe l’Allemagne. Affiche diffusée par les Nazis en France pour dénoncer les « crimes » du groupe de résistants dirigé par l’Arménien Manouchian en 1944. C’est dans un wagon à Rethondes, en forêt de Compiègne, qu’est signé l’armistice du 11 novembre 1918 qui marque la défaite de l’Allemagne. C’est dans ce même wagon qu’est signé l’armistice du 22 juin 1940 qui marque l’effondrement et le découpage de la France. Et pourtant... Seuls, quelques monuments aux morts dénoncent la guerre comme à Strümpfelbach, près de Stuttgart, qui porte la mention « Plus jamais la guerre », ou à Gentioux, dans le département de la Creuse, qui proclame « Maudite soit la guerre ». Intellectuels et artistes n’ont jamais cessé de se rencontrer et de s’apprécier. Dans les tranchées de 1914-1918, des scènes de fraternisation ont lieu entre les soldats lassés d’être de la « chair à canon ». Après la première guerre mondiale qu’on souhaite être la « der des ders », un fort courant pacifiste se développe. Dans les années 20, les ministres des Affaires étrangères français et allemand, Aristide Briand et Gustav Stresemann travaillent à la réconciliation entre les deux pays. La France parraine l’entrée de l’Allemagne à la Société des Nations. ©Éditions Sépia-www.editions-sepia.com © The Granger Collection NYC-Rue des Archives Les chefs militaires allemands se rendent compte que la victoire n’est plus possible mais ce sont les émeutes révolutionnaires qui contraignent l’empereur à abdiquer le 9 novembre 1918. L’Allemagne, qui n’a pas été militairement vaincue, se voit imposer une paix dictée. L’humiliation favorise la naissance de groupuscules ultranationalistes et la haine de la Gauche jugée responsable du « coup de poignard dans le dos ». mitt-SIPA © Huf fsch Trahison version allemande ? © P.M. C’est le haut commandement – redditions de Napoléon III à Sedan et de Bazaine à Metz – qui est accusé d’avoir offert la victoire à l’ennemi. Le peuple parisien qui n’accepte pas la défaite se soulève et forme la Commune, mouvement insurrectionnel qui sera violemment réprimé (Semaine Sanglante, 22-28 mai 1871) par la IIIe République naissante. La symbolique des lieux ou échange d’humiliations : © DR © DR La Haine entretenue 4 Une reconstruction difficile En 1945 prend fin la guerre la plus meurtrière que l’humanité a connue. Le monde découvre l’ampleur des crimes contre l’humanité. L’étendue des pertes humaines et matérielles, l’effondrement politique et moral, l’occupation et la division du pays, le regard des autres nations accablent l’Allemagne. Mais en France aussi les destructions sont considérables et le régime de Vichy a été complice du pire. De plus, le pays est affaibli par les revendications qui montent dans ses colonies. De la méfiance de l’immédiat après-guerre… Aujourd’hui… N « ous le croyons, le temps est proche où l’Allemagne et la France se donneront la main pour réaliser la sainte alliance des peuples... » Après trois guerres et des années d’occupation, la France se méfie. Elle préfère une Allemagne faible, décentralisée, divisée. Mais la guerre froide la pousse à s’aligner sur la position des États-Unis et du Royaume-Uni qui souhaitent une Allemagne de l’Ouest forte face au bloc communiste. Robert Schuman, ministre des Affaires étrangères, cherche à garantir la sécurité de la France en travaillant avec l’Allemagne et non contre elle. Le Globe (journal saint-simonien), 25 décembre 1831. L’Allemagne, d’abord divisée en quatre zones d’occupation, donne naissance en 1949 à deux États : à l’ouest, la République Fédérale, à l’est, la République Démocratique. Les deux nations, l’une vaincue, l’autre admise au rang des vainqueurs, s’attellent à la même tâche, la reconstruction. © Rue des Archives/AGIP Une réconciliation unique Caen Dresde En 1945, la majorité des villes allemandes et un certain nombre de villes françaises ne sont plus que des champs de ruines. Une architecture de béton et un urbanisme au plan régulier caractériseront leur reconstruction. Charles de Gaulle (1890-1970), homme politique français, lança de Londres le 18 juin 1940 l’appel à la résistance. Il fut chef du gouvernement provisoire à la Libération et président de la République de 1958 à 1969. Konrad Adenauer (1876-1967), homme politique allemand, maire de Cologne, fondateur du Parti démocrate-chrétien (Christlich Demokratische Union ou CDU), Chancelier fédéral de 1949 à 1963. © Corbis © Corbis © Rue des Archives/Tal © DR L’affiche diffusée en1945 reprend le cri poussé en vain à la fin de la guerre précédente. Le rapprochement passe par l’économie. En 1951 la CECA (Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier) met en commun l’industrie lourde de la France, de l’Allemagne fédérale, du Benelux et de l’Italie. En 1957, par le Traité de Rome, les mêmes pays mettent en place un marché commun, la CEE (Communauté Économique E uropéenne). Ainsi le rapprochement franco-allemand devient le moteur de la construction européenne. Le 22 janvier 1963 les relations personnelles fortes entre le chancelier allemand Konrad Adenauer et le président français Charles de Gaulle aboutissent au Traité de l’Elysée, traité d’amitié franco-allemande. Robert Schuman (1886-1963), homme politique français, né allemand, un des pères de la construction européenne. ©Éditions Sépia-www.editions-sepia.com … à la coopération des années 50 5 1974-1981 Valéry Giscard d’Estaing, président de la République française, libéral. Helmut Schmidt, chancelier allemand, social-démocrate. Ils relancent la Communauté Économique Européenne en proposant l’élection du parlement européen au suffrage direct, la création du Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement, la mise en place du Système Monétaire Européen. Une procuration symbolique © DR Le 17 octobre 2003 à Bruxelles, au Conseil des chefs d’Etat et de gouvernement européens, Jacques Chirac s’exprime au nom de Gerhard Schröder qui doit participer à un vote important au Bundestag à Berlin. Cette procuration germano-française est une illustration spectaculaire de la force du lien entre les deux pays. En 1984, le président français François Mitterrand et le chancelier allemand Helmut Kohl rendent hommage aux victimes des deux guerres mondiales sur le lieu de la bataille la plus terrible, Verdun. Helmut Kohl, François Mitterrand, Verdun, le 22 septembre 1984. Le président français, Charles de Gaulle et le chancelier allemand Konrad Adenauer signent le Traité d’amitié à l’Élysée, le 22 janvier 1963. 1982-1995 François Mitterrand, président de la République française, socialiste. Helmut Kohl, chancelier allemand, démocrate-chrétien. Ils créent la Brigade Franco-allemande, à l’origine de l’Eurocorps. Après la réunification de l’Allemagne, ils proposent d’accélérer la construction politique européenne, ce qui aboutira au Traité de Maastricht ou Traité sur l’Union Européenne en 1992. 1998-2005 Jacques Chirac, président de la République française, gaulliste. Gerhard Schröder, chancelier allemand, social-Démocrate. En 2003, ils adoptent une position commune contre l’intervention militaire des États-Unis en Irak. 2007-… Nicolas Sarkozy, président de la République française, gaulliste. Angela Merkel, chancelière allemande, démocrate-chrétienne. Un témoignage d’amitié Preuve de l’importance accordée par le monde politique aux relations spéciales entre la France et l’Allemagne, le 16 mai 2007, le jour même où Nicolas Sarkozy prend officiellement ses fonctions de président de la République, il se rend à Berlin pour rencontrer la chancelière Angela Merkel. Gerhard Schröder et Jacques Chirac en 2004 au mémorial de Caen : Pour la première fois un chancelier allemand – et le premier qui n’a pas connu la guerre – participe aux côtés d’un président français, aux cérémonies du 6 juin pour le soixantième anniversaire du débarquement allié en Normandie. ©Éditions Sépia-www.editions-sepia.com Le président français Valérie Giscard d’Estaing avec le chancelier allemand Helmut Schmidt. N « ous nous sommes réconciliés,nous nous sommes compris, nous sommes devenus amis ». © Corbis © DR Le duo franco-allemand Aujourd’hui… © DR 1958-1963 Charles de Gaulle, président de la République française, à l’origine du parti gaulliste, droite. Konrad Adenauer, chancelier allemand, démocrate-chrétien. Les deux hommes d’État ne cessent d’œuvrer au rapprochement franco-allemand. © DR Les relations francoallemandes se sont renforcées grâce aux liens d’amitié qui ont uni les chanceliers allemands et les présidents français, indépendamment de leurs appartenances politiques. 6 Les grandes lignes Rédigé dix-huit ans après la guerre, le Traité de coopération, appelé aussi Traité de l’Elysée, signé à Paris en 1963, marque à la fois l’aboutissement de la réconciliation francoallemande et le début d’une fructueuse coopération. Le traité prévoit des rencontres à intervalles réguliers entre les chefs d’État et de gouvernement et divers ministres. Il stipule que les deux gouvernements se consulteront avant toute décision sur toutes les questions importantes de politique étrangère. Il précise que les deux pays coopéreront également dans les domaines de la défense et de la recherche scientifique. Le brise-glaces Polarstern de l’AWI (Allemagne) embarque le Victor, engin téléopéré de l’Ifremer (France), pour une nouvelle campagne scientifique en 2003. Aujourd’hui… L « a réconciliation du peuple allemand et du peuple français,mettant fin à une rivalité séculaire, constitue un événement historique qui transforme profondément les relations entre les deux peuples [...] » Extrait de la Déclaration commune préfaçant le Traité de coopération franco-allemand. © Fotolia Dans une campagne publicitaire, l’université franco-allemande invite à apprendre la langue et la culture du pays voisin. © Université franco-allemande La jeunesse au cœur de la coopération franco-allemande Constatant « que la jeunesse a pris conscience de cette solidarité [qui unit les deux peuples] et se trouve appelée à jouer un rôle déterminant dans la consolidation de l’amitié francoallemande », le traité définit quelques buts pour l’encourager à jouer ce rôle : • accroître le nombre des élèves allemands apprenant le français et le nombre d’élèves français apprenant l’allemand ; • arriver à l’équivalence des scolarités, des examens et des diplômes universitaires ; • créer un organisme chargé de développer les échanges entre écoliers, étudiants, jeunes artisans, travailleurs. © MBI-Fotolia Au lycée franco-allemand de Sarrebruck, véritable pionnier antérieur au traité, sont venus s’ajouter, dans les années 70, deux établissements bi-nationaux : le lycée de Fribourg-en-Brisgau et le lycée de Buc, près de Versailles. • Depuis un décret de 1994, dans une cinquantaine de lycées français et une quarantaine de leurs équivalents allemands, il est possible d’obtenir simultanément l’Abitur et le Baccalauréat, en passant l’AbiBac. • En 2006, sur 96 collèges du département de la Moselle, 85 ont des classes de 6 e bilingues. • Depuis 1997 il existe une Université Franco-allemande, université à campus dispersé, constituée d’un réseau de 150 établissements d’enseignement supérieur, et dont le siège est à Sarrebruck. L’OFAJ (Office francoallemand pour la jeunesse) soutient de nombreuses organisations partenaires dans la réalisation des échanges (scolaires, sportifs, professionnels, universitaires, formation, etc.), sur le plan financier, pédagogique et linguistique. Depuis 1963, il a permis à environ 8 millions de jeunes Français et Allemands de participer à 300 000 programmes. ©Éditions Sépia-www.editions-sepia.com © Tracy Fowler-Fotolia Le laboratoire Inserm 375 (France), spécialiste en virologie, est installé au sein du Centre anti-cancéreux allemand DKFZ à Heidelberg. © OFAJ-DFJW © Fotolia Le rôle déterminant de la jeunesse 7 Au milieu de la violence, l’humanité La réconciliation francoallemande ne se fit pas seulement au sommet de l’État. Des individus, des associations, des collectivités locales furent les acteurs modestes mais essentiels de ce mouvement historique. Aujourd’hui… L « a réconciliation ne peut être décrétée par les autorités, elle ne peut venir que des sociétés elles-mêmes. » Les prisonniers qui ont eu la chance de ne pas être affectés dans les mines ou la grande industrie, ont pu avoir avec les familles d’agriculteurs ou d’artisans chez qui ils travaillaient des relations amicales. Ces liens forgés en temps de guerre ne sont pas oubliés en temps de paix. Corinne Defrance, Les jumelages franco-allemands : une invention de l’après-guerre, site de l’Unité Mixte de Recherche IRICE (Identités, relations internationales et civilisations de l’Europe), Paris. s Quand les adversaire res deviennent partenai Moins connu que le sort des prisonniers français en Allemagne pendant la guerre (plus de 1,5 million) et des travailleurs forcés du Service du Travail Obligatoire ou STO (plus de 600 000), celui des prisonniers allemands en France après la guerre (750 000) fut, à une époque de pénurie, très difficile. Mais, avec l’amélioration des conditions économiques à laquelle ils contribuent, lorsque le gouvernement français leur propose en 1948 de rester avec un contrat de travailleur libre, 40% signent un engagement d’un an minimum. Deux sociétés œuvrent pour la paix Son amitié avec l’écrivain allemand Franz Hessel, malgré la coupure de la première guerre mondiale, inspira au français Henri Pierre Roché son roman autobiographique Jules et Jim que François Truffaut adapta au cinéma en 1961. Dans son numéro de mars 2006, ce magazine biculturel titre sur les nombreux mariages francoallemands avec en couverture un couple célèbre du cinéma : Marlène Dietrich et Jean Gabin Allemands et/ou Français Les échanges culturels Des intellectuels, des artistes reprennent le dialogue. Des universités, des instituts, des fondations, des associations culturelles coopèrent et organisent des échanges. Ainsi l’Office allemand d’échanges universitaires ouvre son bureau parisien en 1963. À l’entrée d’un village français, un panneau porte le nom de son village allemand « frère ». La ville jumelée est aussi parfois honorée par une place ou une rue qui porte son nom, comme ici à SwisttalBuschhoven, près de Bonn. © Didier Rousselet © Didier Rousselet Les jumelages Quelques années après la fin de la seconde guerre mondiale, dans un climat parfois encore hostile, des villes allemandes et françaises se jumellent pour travailler à la compréhension réciproque. Elles forment aujourd’hui près de 2500 paires. Des cantons, des départements, des régions (Bourgogne et Rhénanie-Palatinat, par exemple) les ont suivies. Des intellectuels français nés allemands, de familles juives qui ont fui le nazisme en 1933, comme les historiens Joseph Rovan (cidessus),ou Alfred Grosser, servent de ponts entre les deux pays par leur connaissance des deux cultures qu’ils font partager dans leurs cours et leurs écrits. ©Éditions Sépia-www.editions-sepia.com © SIPA © Paris-Berlin Les relations amoureuses mixtes, dangereuses pendant la guerre, mal vues dans l’immédiat après-guerre, sont progressivement bien accueillies. De nos jours c’est près de 2000 mariages francoallemands qui sont célébrés chaque année. © Sophie Bassouls-Corbis Les mariages mixtes 8 Des faits impressionnants Aujourd’hui… Dans bien des domaines la coopération est remarquable. Économie : L’Allemagne et la France sont l’une pour l’autre le 1er partenaire économique (premier exportateur, premier importateur). Au total, plus de 4000 entreprises nées dans l’un des deux pays sont implantées dans l’autre. J’ « ai dit alors : je retourne en Europe. Je n’ai pas dit : en Allemagne, je n’ai pas dit : en France, j’ai dit : en Europe. » Wim Wenders, La Vérité des images. Diplomatie et défense : Les réunions prévues par le Traité de l’Élysée se multiplient. Soldats français et allemands sont côte à côte au sein de la Brigade franco-allemande. Né à la suite d’un vœu exprimé par le Parlement Européen des Jeunes réunis à Berlin en 2003, le premier manuel d’histoire commun (Terminale/12e-13e), conçu et réalisé par des historiens des deux pays a vu le jour en 2006. an t-Éditions Nath © Éditions Klet Culture et éducation : Français et Allemands peuvent regarder leur chaîne de télévision commune, ARTE. Les lycéens peuvent apprendre l’histoire contemporaine dans le même manuel. Avec Erasmus, programme européen d’échanges d’étudiants et d’enseignants du supérieur créé en 1987, chaque année plus de 7 000 jeunes Allemands étudient en France et plus de 6 000 jeunes Français en Allemagne. Une entente exemplaire au sein de l’Europe unie Une attitude chaleureuse L’image de l’autre a changé. Les enquêtes montrent qu’Allemands et Français se sentent plus proches entre eux sur certains sujets, comme la politique étrangère, qu’ils ne le sont d’autres peuples. Le rapprochement dû à la raison prend maintenant un caractère affectif. Question : ARTE, c’est donc de l’art ? Réponse : En effet, le nom a été choisi pour évoquer l’art mais ARTE est un GEIE (Groupement Européen d’Intérêt Économique) dont l’acronyme signifie Association Relative à la Télévision Européenne. La chaîne culturelle de télévision francoallemande dont le siège est à Strasbourg diffuse ses programmes depuis 1992. L’A 380, dernier-né d’Airbus, filiale d’EADS, (European Aeronautic Defence and Space company) groupe industriel dans l’aéronautique et le spatial, civil et militaire, dont les principaux actionnaires sont français et allemands L’Allemagne et la France sont deux pays différents mais complémentaires. Leur situation, leur taille, leur histoire les rendent nécessaires à la construction européenne. Leur entente l’accélère. À l’exemple d’EADS, beaucoup de projets européens ont d’abord été des initiatives franco-allemandes. ©Éditions Sépia-www.editions-sepia.com © Gilles Cohen-Fotolia Un effet d’entraînement pour l’Europe © Plantu 9 Après la guerre, après tant de morts et de ruines, chacun rêvait de prospérité et pouvait comprendre la nécessité de la concorde. Maintenant que la réconciliation a eu lieu, l’enjeu n’est plus le même. L’entente risque de devenir routine. Danger : pour les États, des intérêts divergents La bonne relation entre les deux pays n’a jamais empêché le déséquilibre. Quand l’Allemagne était divisée et occupée, ce déséquilibre était en faveur de la France, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies. À la suite de la réunification et de l’élargissement de l’Europe vers l’Est, la balance penche du côté de l’Allemagne, alors que la France peut paraître marginalisée. Par ailleurs, plus l’Europe s’agrandit, moins le partenariat France-Allemagne influence les autres États-membres. Danger : pour les peuples, la méconnaissance Demain… E « st-ce “ la fin de l’histoire ” entre la France et l’Allemagne ? Il n’en est rien, énormément reste à faire ! » D’après un discours d’Immo Stabreit, ancien ambassadeur d’Allemagne en France, L’Amitié franco-allemande, une cathédrale inachevée, 1997. Connaissez-vous les noms du chancelier et du président allemands ? Et ceux du premier ministre et du président français ? Pas évident ! Cette méconnaissance risque de s’accentuer car pour connaître un peuple il vaut mieux connaître sa langue. Or la politique linguistique subit de nombreux revers. Dans chaque pays, on apprend de moins en moins la langue du pays voisin. © PLM2 © Thorsten-Fotolia « La cathédrale inachevée » De moins en moins de jeunes Français apprennent l’allemand et de moins en moins de jeunes Allemands apprennent le français. Ainsi la communication passe de plus en plus par une troisième langue : l’anglais ! © DR © DR Sorti en 2007, le film allemand La vie des autres a fait plus de 1,5 million d’entrées en France. C’est encore loin des 3,2 millions d’entrées en Allemagne pour Le fabuleux destin d’Amélie Poulain sorti en 2001. Mais savez-vous que celui-ci est une coproduction franco-allemande ? Danger : pour tous, l’apathie Les responsables politiques négligent les engagements de leurs prédécesseurs. Ainsi en 2004, les contributions des gouvernements à l’OFAJ /DFJW ne représentent que 34% du pouvoir d’achat des contributions de 1964. Au fur et à mesure que l’on s’éloigne de la guerre, on oublie les raisons vitales du rapprochement francoallemand. Dans chaque pays des minorités nationalistes extrémistes redressent la tête. Ne semblant pas apprécier à leur juste valeur les soixante ans de paix et la chance historique qu’elles vivent, les générations actuelles sont-elles devenues les enfants gâtés de la « post réconciliation » ? ©Éditions Sépia-www.editions-sepia.com © Goodshoot Cinquante ans après l’Europe des Six, l’Union Européenne est maintenant forte de 27 États. 10 Demain… © Didier Rousselet Ne plus craindre une guerre prochaine, franchir des frontières grandes ouvertes, utiliser la même monnaie, être côte à côte dans les amphithéâtres universitaires ou les lieux de loisirs... Montrons-nous reconnaissants envers cette époque exceptionnelle et travaillons à nourrir et embellir une relation privilégiée pour transmettre ce cadeau aux générations futures. Hier : des combattants allemands et français de 14-18 dont les restes ne purent être identifiés ont été inhumés, pêle-mêle. Aujourd’hui : au festival de cinéma de Berlin, un groupe de jeunes forme un jury franco-allemand. P « our mon grand-père [...], la réconciliation avec la France était quelque chose d’inconcevable et pour mon père [...], quelque chose d’inouï. Ainsi, j’appris que la réconciliation francoallemande, qui se transforma [...] en une amitié entre deux peuples, était un cadeau de l’histoire pour lequel il fallait être reconnaissant. » © Andres otolia Rodriguez-F D’abord, continuer et développer ce qui marche Les jumelages, les échanges, les visites, les projets communs, tout ce qui fait la trame de ce lien privilégié peut être approfondi, multiplié pour que les relations entre les sociétés civiles deviennent aussi denses qu’elles le sont entre les dirigeants. Même s’il n’a pas encore cours dans tous les pays de l’Union, l’euro est un symbole fort de l’Europe d’aujourd’hui. Wolf Lepenies, L’héritage français : un souvenir personnel dans la Revue des Deux Mondes, octobre-novembre 2005. Apprendre la langue et la culture de l’autre Pour connaître son voisin, il faut connaître sa culture, pour le comprendre, il faut parler sa langue. Que l’allemand et le français soient appris dès l’école primaire comme premières langues : il sera alors facile d’apprendre plus tard la langue « universelle », l’anglais. © Goodshoot © Sabine Bochmann-Fotolia Un nouvel élan pour l’Avenir © Didier Rousselet Faire évoluer les célébrations et les symboles © Didier Rousselet Entre poteaux indicateurs et plaques de rues, le panneau annonçant l’entrée en Allemagne est bien discret. Le devoir de mémoire, par respect pour ceux qui nous ont précédés et par nécessité de tirer les leçons du passé, nous incite à commémorer les paix revenues mais les célébrations patriotiques doivent laisser la place à l’hommage aux victimes. En France, peut-être faut-il arrêter de commémorer, ou commémorer autrement, le 11 novembre 1918 et le 8 mai 1945 ? Que l’on célèbre plutôt le 22 janvier, déclaré Journée France-Allemagne en 2003 pour le quarantième anniversaire du Traité de l’Elysée. Et vous ? Soyez les ar tisans de cette amitié. Vous pouvez œuvrer dans votre commune, votre école, votre club sportif ou votre quartier. Que l’on change notre environnement mental en débaptisant les rues et les bâtiments publics qui portent les noms de généraux et de politiciens fauteurs de guerre et que ceux-ci soient remplacés par : • les noms de ceux qui œuvrèrent pour la paix, • les noms des grands artistes du pays voisin, • des mots et expressions comme « de la paix », « de l’Europe », « de l’amitié franco-allemande », etc. ©Éditions Sépia-www.editions-sepia.com Que l’on célèbre plutôt le 9 mai, déclaré Journée de l’Europe par le Conseil de l’Europe en 1985, anniversaire de la déclaration Schuman, point de départ de la CECA. 11 D’après l’Institut de recherche sur les conflits à Heidelberg, il y eut, dans le monde, 328 conflits en 2007 dont 198 non-violents et 130 violents dont 25 crises graves et 6 guerres. Partout, des conflits chroniques Sur tous les continents, des « ennemis héréditaires » s’affrontent, génération après génération, en de vains et sanglants combats. Demain… Que faire pour arrêter le cycle infernal ? À l’image de l’Allemagne et de la France, que peuvent les peuples pour mettre derrière eux les querelles du passé ? • Développer des échanges économiques. • Multiplier les échanges culturels, scientifiques, sportifs, les rencontres entre les jeunes. • Se souvenir du passé en reconnaissant ses torts et en cessant d’accuser son voisin ; • Éduquer, dans l’école et hors de l’école, aussi bien la population que ses dirigeants. « C’est que les préjugés Sont la raison des sots ; Il ne faut pas pour eux Se déclarer la guerre (...) La paix enfin, la paix, Que l’on trouble et qu’on aime, Est d’un prix aussi grand Que la vérité même.» Voltaire, Poème sur la loi naturelle, Potsdam, 1752. L’objectif est de changer les mentalités de tous et que la paix apparaisse souhaitable et possible. © Channi Anand-AP-SIPA © DR Un modèle pour le monde ? La paix enfin, la paix ! Mais comment était-ce possible ? ©Éditions Sépia-www.editions-sepia.com iner-AP-SIPA © Sebastian Sche © Corbis • ...lorsque, les « raisons » ayant disparu, les guerres du passé apparaissent à tous irréelles et absurdes, et que chacun se pose la question : Malgré les rancœurs encore vives, le président chinois Hu Jintao et le Premier ministre japonais Yasuo Fukuda se rencontrent à Tokyo en mai 2008, pour développer leurs échanges économiques. © Fotolia Parfois, c’est une rencontre sportive qui est le premier pas d’un pays vers l’autre. Ainsi une tournée de pongistes américains en Chine, à l’époque du président Nixon, inaugura le rapprochement entre les deux États. • une génération n’a pas connu la guerre ; • les préjugés disparaissent, les injures sont oubliées ; • les peuples se mêlent, les mariages mixtes se multiplient ; • les économies apparaissent complémentaires et non concurrentes ; • des échanges ont lieu dans tous les domaines ; • les frontières sont perméables ; © Mark Ralston-AP-SIPA Le spectre de la guerre s’éloigne lorsque : Deux affrontements nés après la seconde guerre mondiale, qui ont débouché sur des guerres ouvertes en 1947, 1965 et 1971 entre l’Inde et le Pakistan, et en 1948, 1967, 1973 entre Israël et les pays arabes, ne sont toujours pas résolus. 12