Approvisionnements hospitaliers Des gains significatifs à la clef Optimiser les approvisionnements pharmaceutiques en hôpital contribue à baisser les coûts d’achats et à améliorer la qualité du circuit du médicament. De multiples actions peuvent être engagées à tous les niveaux avec des enjeux importants. Intégrer cette dimension dans les appels d’offre des nouveaux groupements hospitaliers en recherche d’efficience serait un plus. ©ARCOS Des pistes d’optimisation des approvisionnements externes Au niveau des approvisionnements externes, diverses sources d’optimisation peuvent être identifiées selon les situations rencontrées : 82 Daniel Boisson Directeur Associé Arcos [email protected] N°93 ■ SUPPLY CHAIN MAGAZINE - AVRIL 2015 ©RMAG-FOTOLIA L es approvisionnements pharmaceutiques de l’hôpital (médicaments et dispositifs médicaux) représentent des enjeux considérables, à la fois économiques (20 % du budget total de l’hôpital) et qualitatifs (fiabilité de la distribution à l’unité de soin et de l’administration au patient). Par approvisionnements pharmaceutiques, nous comprenons deux types d’approvisionnements : d’une part les approvisionnements « externes » (gestion des stocks de la Pharmacie à Usage Intérieur (PUI), création de la commande fournisseur, production et transport fournisseur/PUI, réception et mise en stock en PUI) ; d’autre part, les approvisionnements « internes » (gestion des stocks en unité de soin (UF), création de la demande de service par l’UF, validation et délivrance par la PUI, transport PUI/UF, réception et mise à disposition en UF), ces derniers constituant un des composants fonctionnels du circuit du médicament. Les processus d’approvisionnement externes et internes sont indissociables car les interactions entre eux sont nombreuses. En effet, la création de demandes urgentes par les UF peut générer des commandes urgentes de la PUI au fournisseur. Autres exemples : le processus de commande des produits hors stock, c’est-à-dire non stockés en PUI et qui représentent jusqu’à 80 % des consommations de dispositifs médicaux (DM), fait intervenir directement les UF. C’est pourquoi nous intégrons l’ensemble de ces processus dans notre démarche d’optimisation. ■ ruptures de stock en PUI, générant de petites commandes urgentes aux fournisseurs et des transports express coûteux ; ■ référencement non optimisé (références redondantes, obsolètes ou mal codifiées) engendrant des surstocks, des périmés et des coûts de stockage ; ■ à-coups dans la passation des commandes aux fournisseurs induisant des pointes de réception en volume et des délais de facturation excessifs qui expliquent certaines ruptures de stock de la part des fournisseurs ; ■ flux très importants de produits hors stock entraînant une faible maîtrise des réceptions et des en-cours, ainsi que des prix d’achat élevés ; systèmes d’information composés de modules imparfaitement interfacés entre eux, nécessitant des validations manuelles, avec des risques de stocks pas à jour, de surstocks ou de ruptures ; ■ prescriptions manuelles et délivrance globale, entraînant un faible niveau de validation pharmaceutique par la PUI et des risques d’erreurs iatrogéniques. Des points d’amélioration des approvisionnements internes La distribution aux UF, en tant que fonction d’approvisionnement interne, peut présenter des capacités d’amélioration de même nature, du fait notamment de : ■ demandes de service non justifiées : doublons, dotations non suivies ; ■ référencement trop étendu : temps d’analyse insuffisant, complexité des choix ; ■ règles de rangement des armoires en UF non définies ou non respectées, créant des ruptures de stock et des demandes urgentes, ou des surstocks, des retours en PUI et des périmés. Cette question est étroitement liée au fait que le personnel en UF change souvent : transition jour/nuit, absences et remplacements ; ■ demandes de service sur papier, par fax, provoquant des doublons ou des pertes d’information, des ressaisies et des retards de distribution ; prescriptions manuelles entraînant des erreurs de transcription et complexifiant la délivrance nominative. Des enjeux multiples et chiffrés Les gains obtenus grâce à l’optimisation de l’ensemble de ces approvisionnements se situent aussi bien au niveau des achats (réduction comprise entre 3 et 6 % des achats), que des stocks, véritables poumons des flux logistiques (réduction comprise entre 5 et 10 % des achats annuels mais réalisée une seule fois). Concernant les gains de personnel, les situations rencontrées sont diverses. Ils peuvent se traduire soit par un allègement de la pression sur le personnel en UF et en PUI, afin qu’il se concentre davantage sur les tâches à valeur ajoutée, soit par une réduction effective du personnel, lors de regroupements d’activité, par exemple. Les gains de stock en UF sont très significatifs : réduction de 30 à 50 %. Par ailleurs, ils s’accompagnent en général d’une amélioration de la qualité de service (moins de ruptures). De plus, les stocks en PUI peuvent être baissés d’environ 10 à 25 % pour les médicaments et de 10 à 35 % pour les DM, tout en diminuant les ruptures de stock. Les gains sur achats proviennent de la réduction des urgences, de l’accroissement induit de la taille des commandes, mais aussi d’un meilleur respect des barèmes procuré par une meilleure gestion des stocks, ainsi que par des engagements entre fournisseurs, centrales d’achat et hôpitaux sur les commandes urgentes et sur les commandes de produits de forte vente. La réduction des périmés, due à une meilleure gestion des stocks, intervient aussi mais dans une moindre mesure : 0,5 % des achats. Commencer par la stratégie d’approvisionnement des UF En premier lieu, c’est la stratégie d’approvisionnement des unités de soin qu’il faut définir : approvisionnement direct de l’IDE (Infirmier Diplômé d’Etat) par la PUI (délivrance nominative) ou passage par un stock intermédiaire (délivrance globale) ou approvisionnement direct de l’UF par le fournisseur en transitant par la réception PUI mais pas par le stock PUI (produits hors stocks : quelle stratégie adopter pour quelles familles de produits ? Quel niveau de service la PUI doit-elle apporter aux UF : taux de service, fréquence de réapprovisionnement, délai de distribution par la PUI, mode de suivi des stocks ? Tous les processus sont concernés et les actions doivent être cohérentes entre elles : par exemple, déterminer les stocks en UF dépend entre autres de la fréquence de réapprovisionnement de l’UF par la PUI ; de même, le taux de service en stock UF (rapport entre le nombre de lignes distribuées et nombre de lignes demandées) dépend de celui en stock PUI. Exemples d’actions à mener dans la PUI Au niveau de la PUI, à titre d’exemple et selon le degré de maturité des processus rencontrés, il peut être nécessaire de revoir le référencement et d’éviter de stocker des produits qui n’ont pas été consommés depuis plus d’un an. Le choix du type de conditionnement des produits est aussi un facteur de réduction des coûts : on peut se poser la question de l’opportunité d’acheter des produits sous blister pour ensuite découper les blisters et les faire mettre sous sachet par des robots de délivrance nominative. Mais la réponse n’est pas évidente puisqu’intervient le respect de la qualité du produit. De même, il serait souhaitable que les doses unitaires soient identifiées par un code datamatrix, mais tous les fournisseurs peuvent-ils le faire ? La réponse n’est certainement pas dans l’immobilisme. De même, les suremballages constituent une source de déchets de cartons et de plastiques volumineux et polluants. Il est recommandé de les extraire dès la réception pour maintenir propres les zones de stockage et de délivrance, et de mettre les produits en bac le plus souvent possible (solution coûteuse mais propre). En outre, les paramètres de gestion des stocks de la PUI (stock de sécurité, fréquence de réapprovisionnement, notamment) doivent être différenciés selon les classes de rotation des produits (liées aux montants d’achat). Les systèmes d’information SIH utilisent en général les notions de « stock mini » et « stock maxi » qui en découlent. Il faut aussi clarifier les délais de réapprovisionnement des fournisseurs. Par ailleurs, il y a lieu de traiter de façon spécifique les produits onéreux, les pro- AVRIL 2015 - SUPPLY CHAIN MAGAZINE ■ N°93 83 duits volumineux et les produits de consommation saisonnière, haussière ou baissière. Robotisation, mécanisation et automatisation se développent Les tâches administratives peuvent souvent aussi être allégées et les délais de réception/facturation être réduits grâce à la régulation des commandes aux fournisseurs (baisse des pointes d’activité) et à la dématérialisation des commandes, des livraisons et des factures. La délivrance nominative journalière, qui est l’une des clés de voûte de l’amélioration de la qualité du circuit du médicament, implique d’installer des robots du fait qu’elle génère en moyenne 15 à 20 fois plus de lignes de demande de service qu’une délivrance globale, et que la robotisation réduit les risques iatrogéniques. La fiabilité des opérations de rangement et de délivrance, et par voie de conséquence l’exactitude des stocks, peuvent être améliorées par l’instauration d’un système de pilotage de magasin WMS, avec a minima le contrôle des emplacements de stockage (par lecture de codes-barres ou équivalent). Ce WMS peut également inclure des fonctions de traçabilité des flux simples (médicaments, DMS) ou complexes (MDS, DMI, chimio) de façon à alléger les tâches de contrôle et à réduire les conflits potentiels entre PUI et UF. Le stockage en PUI est de plus en plus mécanisé pour réduire les surfaces, les trajets, les manutentions et garantir la fiabilité des données de stock : stockage de palettes par transstockeur, stockage de bacs par navette, stockage de boîtes par distributeurs rotatifs, navettes, robots de délivrance globale. De même, les transports s’automatisent : transport de chariots par AGV, transport de prélèvements de biologie ou de médicaments urgents par tube pneumatique ou bac automoteur. Là encore le SIH doit posséder des fonctions performantes d’interfaçage entre système de gestion, WMS et équipements automatiques. Il y a, pour le secteur hospitalier, encore beaucoup de chemin à parcourir dans ce domaine où l’industrie est maintenant arrivée à maturité. S’interroger sur l’organisation et sur les moyens Les SIH évoluent vers davantage de dématérialisation des échanges avec les fournisseurs, grâce à l’EDI pour les commandes et les attendus de réception, améliorant ainsi la fiabilité des informations et les délais de réception. La facturation, source de constitution de liasses énormes de dossiers pour la Trésorerie Principale (TP), se verra aussi transformée par le développement du scanner de factures, ou la dématérialisation des 84 N°93 ■ SUPPLY CHAIN MAGAZINE - AVRIL 2015 échanges avec la TP (solution encore jeune). Ces évolutions technologiques entraînent souvent des changements d’organisation : avec la dispensation à délivrance nominative, il y a lieu de créer des postes de validation pharmaceutique et de réduire le nombre de postes de préparation, par exemple. Le degré de polyvalence des préparateurs est aussi un sujet qui fait débat. Par ailleurs, la question de la validation des demandes globales par la PUI se pose aussi : en PUI ? En UF par la PUI, avec ou sans antenne ou par l’UF ? Lorsqu’il s’agit de créer des locaux, la configuration des lieux doit être en adéquation avec les technologies prévues et non l’inverse, comme c’est souvent le cas : attention à la hauteur réellement disponible des espaces de stockage, du fait du passage de gaines de climatisation par exemple. Attention à la disposition des allées de circulation des engins de manutention, les plus rectilignes possibles. De même les voiries de circulation des véhicules lourds doivent inclure des aires de déchargement suffisantes pour éviter les pertes de temps. Bien choisir les références stockées en UF La gamme des références en stock UF doit être discutée entre prescripteurs, IDE et pharmaciens. Ce travail est long et fastidieux mais très utile ensuite : réduction de la surface de stock en UF et des périmés, réduction des hors stocks, simplification du suivi des stocks. La gestion des stocks des UF repose sur les mêmes règles que pour les stocks centraux en PUI, avec des paramètres adaptés en termes de stock de sécurité et de fréquence de réapprovisionnement. L’arrivée du mode de gestion en plein/vide a simplifié et de fiabilisé le travail de l’IDE : chaque référence comprend deux bacs. Le réapprovisionnement est déclenché lorsqu’un bac devient vide, par lecture code-barres d’une étiquette portant la quantité à réapprovisionner (ou dotation) et transmission automatique à la PUI. Ce mode présente cependant quelques contraintes et ne s’applique pas à tous les produits. Une informatisation indispensable des prescriptions De plus, l’informatisation des prescriptions est devenue indispensable si l’on veut permettre aux pharmaciens de valider les prescriptions. Quant à l’informatisation de la délivrance globale, à mener parallèlement à une révision des dotations, à un rangement des stocks UF, à un inventaire et à un suivi, elle permet à la PUI et aux UF de réduire leur « temps logistique », ainsi que de maîtriser les stocks en UF. En outre, la déli- ©SUDOK1-FOTOLIA vrance nominative en PUI est aussi un facteur clé d’optimisation des tâches de l’IDE et du cadre de santé en UF, ainsi que de sécurisation des opérations de l’ensemble de la chaîne de distribution. Les armoires sécurisées, à réapprovisionnement automatique sur base des prescriptions (délivrance re-globalisée) et de paramètres de type point de commande (stock de sécurité, quantité et délai de réapprovisionnement), équipées d’un lecteur d’empreintes digitales de l’IDE, réduisent aussi les consommations et les stocks. Elles sont par contre adaptées à des UF dont la prescription est stable dans la journée. Des projets impliquant des investissements Les actions à engager sur les approvisionnements pharmaceutiques permettent donc de réduire les montants d’achats, par l’optimisation du référencement, la baisse des demandes urgentes, l’accroissement de la taille des commandes, l’optimisation des stocks, la réduction des délais de réception et de facturation et la modernisation du SIH. Les gains sur achats provenant des approvisionnements sont du même ordre de grandeur que ceux obtenus par les plans d’action portant sur les achats purs. De plus, la qualité des opérations est impactée : meilleure fiabilité de l’approvisionnement des UF, davantage d’opérations à valeur ajoutée, meilleure qualité des données. Par contre, à la différence des plans d’action Achats, la mise en œuvre des plans d’action Approvisionnements nécessite en général des investissements. Par conséquent, il est nécessaire de construire des dossiers technico-économiques les justifiant. Un échelonnement des projets est également nécessaire en fonction des priorités de l’établissement. Les établissements hospitaliers peuvent s’évaluer via des matrices de maturité sur chacun des domaines : processus, organisation, SIH, infrastructures. Ces matrices constituent une aide à la gestion de ces priorités. Ces opérations impliquent d’avoir une vision d’ensemble des processus et de leurs principales imbrications. Les nombreux acteurs concernés, pharmaciens, acheteurs, approvisionneurs, cadres de santé, peuvent être formés à cette vision globale des processus et aux techniques associées : gestion des stocks en PUI et en UF, mise en place de solutions robotisées, constitution d’un dossier d’investissement, pilotage de projet et création d’un tableau de bord logistique. Il serait souhaitable que cette « dimension approvisionnements » soit davantage reflétée dans les appels d’offres relatifs aux nouveaux groupements hospitaliers en particulier et, de façon plus générale, dans tous ceux relatifs à la recherche de l’efficience hospitalière. ■ AVRIL 2015 - SUPPLY CHAIN MAGAZINE ■ N°93 85