Agrégation de sciences économiques et sociales / Préparations ENS 2005-2006 2
2. Implications théoriques
Les concepts centraux de la sociologie (pouvoir, égalité, liberté, action)3 peuvent être reformulées en termes
relationnels. Pour le pouvoir, cf. Foucault et Bourdieu ; pour l’égalité, cf. C. Tilly ; pour la liberté, cf. Arthur
Stinchcombe4 ; pour l’action, il ne faut plus la rapporter à l’intention et à la volonté de l’acteur, mais aux
dynamiques de situations. Pour Husserl, toute conscience est conscience de quelque chose ; de même, toute action est
action en vue de quelque chose, vers quelque chose, qui permet aux acteurs de rentrer en relation avec le reste du
monde (personnes, endroits, évènements, etc). L’action est en ce sens un processus dialogique, autant dépendant
qu’encastré dans des situations, des contextes temporels et spatiaux.
La perspective transactionnelle permet aussi de reconceptualiser différents termes de l’analyse sociologique, du
« macro » au « micro ».
Au niveau « macro » : Pour Michael Mann (94), il faut considérer la société comme « constituée d’un écheveau de
multiples réseaux socio-spatiaux de pouvoir entrecroisé ». Il n’y a pas tant une « société » qu’une matrice de
relations multiples.
Au niveau « méso », Emirbayer considère que la perspective transactionnelle est développée par Goffman dans son
analyse des interactions en face à face (face-to-face encounters5). Il s’appuie sur cette citation tirée de l’introduction
des Rites d’interaction : « une étude convenable des interactions s’intéresse, non pas à l’individu et à sa psychologie,
mais plutôt aux relations syntaxiques qui unissent les actions de diverses personnes mutuellement en présence. »6
Au niveau « micro », la notion d’individu a été revue et corrigée par Alessandro Pizzorno, pour qui les identités
individuelles sont avant tout constituées par des « cercles de reconnaissance », éminemment relationnels. Et même
au niveau des processus intra-psychiques, la perspective relationnelle peut le faire, en proposant une théorie de
« l’individualisme relationnel », qui considère les transactions avec autrui (et non les instincts innés) comme les
unités de base de l’investigation psychologique.
3. Directions et techniques de recherche
Pour l’étude de la structure sociale, la perspective relationnelle s’est évidemment développée dans l’analyse des
réseaux sociaux. Référence à White, qui rejette tout individu ou groupe préconstitué, toute « variable » au sens
classique et substantialiste, pour ne considérer que des dynamiques, des « processus relationnels » observables. Les
réseaux sociaux transcendent et traversent toutes les entités substantielles, comme les communautés. La méthodologie
est celle de la sociométrie, de l’analyse de graphe : « blockmodeling »…
Pour l’étude de la culture, la perspective relationnelle est moins développée. La linguistique de Saussure et
l’anthropologie de Lévi-Strauss peuvent néanmoins être considérée comme des précurseurs en ce domaine : elles
considèrent toutes deux le symbolique comme éminemment relationnel : il ne découle non pas d’une propriété
intrinsèque des symboles, mais de leurs rapports aux autres symboles dans un système sémiologique. Mais
aujourd’hui, certains analyses relationnelles de la culture doivent moins à ces analyses sémiotiques et linguistiques
qu’aux apports de l’analyse des réseaux. Par exemple, on analyse les liens entre des concepts au sein de « réseaux
sémantiques »en terme de « densité », « conductivité », etc. (Carley et Faufer, 1993, 1994)
Pour l’étude de la socio-psychologie, on trouve encore très peu de travaux relationnistes, à l’exception notable des
travaux de Randall Collins (1981, 1993) sur les émotions, qu’il étudie dans le cadre de « manières d’agir situées
dans des interactions conversationnelles ». Il ouvre ainsi à la possibilité de cartographier la structure des flux
émotionnels au travers d’un environnement socio-psychologique plus large7.
3 Pourquoi ces concepts en particulier sont-ils centraux, plutôt que d’autres ? Z’avez qu’à lui demander…
44 Grosso modo, le monsieur il dit, en 95, que la liberté doit être redéfinie de manière pragmatique comme l’ensemble
des libertés dont on jouit, qu’elles soient protégées par des droits ou pas. La liberté n’est jamais acquise et fixée, elle
est actualisée et dépend des possibilités offertes par les circonstances.
5 Qui justement ne doivent pas être pensée en terme substantialiste d’« interaction » ! Evidemment, là, il y a un gros
problèmes de traduction, puisque que « encounters » a été traduit par « interactions » en français. De toute façon,
faire de Goffman un auteur « transactionnaliste » ressemble fort à un coup de force, et la phrase que cite Emirbayer
est de toute façon bien extraite d’un ouvrage qui s’intitule Interaction ritual.
6 Goffman, Les rites d’interaction, Paris, Minuit, 1974, p.8.
7 Et même que pour ça, il est en train de développer un logiciel informatique spécifique…