m ini-revue Indications de la transplantation hépatique aucoursdelacirrhosealcoolique Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Indications of liver transplantation in alcoholic cirrhosis Stéphanie Faure, Georges Philippe Pageaux CHU Saint-Eloi, Service hépato-gastroentérologie et transplantation hépatique, 80, avenue Augustin-Fliche, 34245 Montpellier, France e-mail : <[email protected]> Résumé La transplantation hépatique est le traitement de choix de la cirrhose alcoolique grave. La cirrhose alcoolique, qui représente 90 % des causes de cirrhose en France, est parfois considérée comme une maladie autoinfligée. Cela pourrait expliquer les réticences à proposer une transplantation hépatique chez ces patients qui sont moins souvent adressés que les autres patients cirrhotiques aux centres de transplantation. Pourtant, les résultats de la transplantation hépatique pour cirrhose alcoolique (74 % de survie à cinq ans) sont comparables à ceux des autres indications. Les particularités de la transplantation hépatique chez le patient cirrhotique alcoolique comprennent la recherche de complications extra-hépatiques lors du bilan prégreffe et les risques de rechute et de développement d’un cancer de novo après la greffe. La place de la transplantation hépatique dans le traitement de l’hépatite alcoolique aiguë sévère et résistante au traitement médical conventionnel reste à définir. n Mots clés : transplantation hépatique, cirrhose alcoolique, rechute de la maladie alcoolique, cancers de novo, hépatite alcoolique aiguë Abstract Liver transplantation is the accepted treatment of severe alcoholic cirrhosis. Alcoholic cirrhosis, which represents 90% of the etiologies of cirrhosis in France, is sometimes considered as a self-inflicted disease. Patients with alcoholic cirrhosis are less frequently referred to transplant centers. However, the results of liver transplantation for alcoholic cirrhosis are compelling (74% survival at 5 years) and comparable to other indications. The specificities of liver transplantation of the alcoholic cirrhotic patients depend on the pre-transplant assessment of extra-hepatic complications of alcoholism and on the post-trasnplant risk of relapsing and of developing de novo malignancies. The place of liver transplantation for severe acute alcoholic hepatitis, resistant to conventional medical treatment, remains to be defined. n Key words: liver transplantation, alcoholic cirrhosis, relapse, de novo malignancies, acute alcoholic hepatitis n Tirés à part : S. Faure 282 n France, on estime qu’environ deux millions de personnes sont dépendantes de l’alcool et six millions E ont une consommation à risque. La Haute Autorité de santé (HAS) évalue à 15 % le nombre de buveurs HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive vol. 17 no 4, juillet-août 2010 doi: 10.1684/hpg.2010.0448 HEPATO GASTRO et Oncologie digestive Transplantation pour cirrhose alcoolique Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. excessifs d’alcool. En 2007, la cirrhose alcoolique représentait la première cause de mortalité imputable à l’alcool en France, responsable de 9 000 à 10 000 décès. Selon l’Agence française de biomédecine, on dénombrait, en 2008, 1 011 greffes hépatiques, dont 27 % pour cirrhose alcoolique. C’est la première indication de transplantation hépatique (TH) en France et la deuxième en Europe et aux États-Unis. “ En 2008, 1 011 greffes hépatiques dont 27 % pour cirrhose alcoolique ” Dès 1983, la TH a été reconnue par la conférence du NIH (National Institutes of Health) comme une indication dans la prise en charge des cirrhoses alcooliques, chez des patients abstinents et présentant des critères cliniques péjoratifs. Selon l’ELTR (registre européen de transplantation hépatique), de 1988 à 2008, 33 % des TH pour cirrhose et 21 % des TH toutes causes confondues avaient pour indication principale la cirrhose alcoolique. Ces chiffres révèlent l’évolution des mentalités, puisque la cirrhose alcoolique représentait seulement 4,6 % des indications en 1983. Cette évolution a été possible grâce aux résultats probants de la TH pour cirrhose alcoolique. Ainsi, la survie à 5 ans chez les patients atteints de cirrhose alcoolique décompensée est supérieure à 70 % s’ils sont transplantés, alors qu’elle est inférieure à 20 % en l’absence de transplantation. Dès 1988, Starzl et al. [1] ont montré que les survies à 1 et 3 ans des patients transplantés pour cirrhose alcoolique du foie étaient comparables à celle de patients transplantés pour cirrhose non alcoolique. Ces résultats ont été confirmés à maintes reprises et étendus à la survie à 5 ans qui demeurait identique [2, 3]. Les taux de survie chez les patients transplantés pour cirrhose alcoolique sont respectivement de 79 % à 3 ans, de 74 % à 5 ans, de 61 % à 8 ans et de 56 % à 10 ans. La Conférence de consensus française, qui s’est tenue à Lyon en 2005, a d’ailleurs validé « la cirrhose alcoolique comme une indication de la TH au même titre que les autres cirrhoses. ». Malgré ces données, il existe encore des réticences à proposer la TH pour cirrhose alcoolique. Dans cette revue, quatre points majeurs seront développés : – les spécificités du bilan pré-TH chez le patient porteur d’une cirrhose alcoolique ; – la prévalence, les facteurs de risque et les conséquences d’une rechute de la maladie alcoolique après TH ; – l’émergence des cancers de novo après TH pour cirrhose alcoolique ; – la place que pourrait prendre la TH dans l’hépatite alcoolique aiguë résistante au traitement conventionnel. Spécificités du bilan de prétransplantation hépatique chez un patient cirrhotique alcoolique Chez les patients atteints de cirrhose alcoolique, l’intoxication alcoolique chronique peut entraîner des atteintes extrahépatiques, qui doivent être cherchées au cours du bilan prégreffe. L’inscription de ces malades en liste d’attente de TH est possible, comme spécifié par la conférence de consensus de 2005, après « un bilan prégreffe particulièrement attentif à la recherche des lésions liées à une toxicité alcoolique, voire alcoolo-tabagique, extrahépatique, tels les cancers et états précancéreux ORL, bronchiques, œsophagiens, une affection cardiovasculaire et respiratoire ». “ L’intoxication alcoolique chronique peut entraîner des atteintes extra-hépatiques ” Les autres organes ou systèmes que le foie pouvant être affectés par une intoxication alcoolique chronique sont le pancréas, les reins, le cœur et le système nerveux. Une pancréatite chronique calcifiante évoluée entraîne des douleurs abdominales chroniques, un diabète et une dénutrition importante, qui devront être pris en compte en pré-TH. De plus, il faut être particulièrement vigilant aux séquelles possibles d’une poussée de pancréatite aiguë : abcès, thrombose des vaisseaux splanchniques, adhérences qui peuvent compliquer la procédure chirurgicale lors de la TH. La prévalence de l’adénocarcinome du pancréas est plus élevée chez les patients alcooliques, même si cela est surtout lié à l’intoxication tabagique. L’exclusion avec certitude d’un processus tumoral pancréatique nécessite un bilan morphologique exhaustif en pré-TH. Le système nerveux, central et périphérique peut être également touché. L’encéphalopathie de Gayet Wernicke et le syndrome de Korsakoff résultent d’une carence en thiamine (vitamine B1). La consommation excessive chronique d’alcool entraîne un déficit en thiamine, du fait d’un manque d’apport, d’une diminution de l’absorption digestive et d’une mauvaise intégration cellulaire de cette vitamine. Le traitement consiste en une compensation parentérale en thiamine, mais la récupération en cas de syndrome de Korsakoff est minime voire nulle. Cette démence alcoolique, touchant des sujets dès l’âge de 35-40 ans, contre-indique la TH. Ces troubles neurologiques sont difficilement mis en évidence quand il existe un état d’encéphalopathie hépatique chronique, fréquent en cas d’hépatopathie au stade terminal. Une neuropathie alcoolique périphérique se traduit par des crampes, des douleurs, une faiblesse musculaire pouvant mener à une impotence avec difficultés de la marche. Toutefois, elle ne HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive vol. 17 no 4, juillet-août 2010 283 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. constitue pas à elle seule une contre-indication à la TH. Une régression de cette neuropathie toxique a même été décrite après TH. Cependant, elle peut être aggravée du fait de la toxicité neurologique des inhibiteurs de la calcineurine, immunosuppresseurs utilisés après TH. La consommation d’alcool peut être responsable de trois maladies cardiovasculaires : l’hypertension artérielle, les troubles du rythme cardiaque et les myocardiopathies avec survenue d’une insuffisance cardiaque pouvant, en fonction de la fraction d’éjection résiduelle, contreindiquer la TH. Une échographie cardiaque transthoracique et un ECG font partie de tout bilan cardiologique en pré-TH. L’effet délétère de l’alcool sur le rein a été maintes fois décrit. Un retentissement tubulaire rénal de l’alcool peut être réversible grâce à l’abstinence. À l’inverse, une néphropathie à IgA est responsable de lésions glomérulaires irréversibles. Une double greffe foie-rein est alors nécessaire. L’évolution d’une maladie alcoolique du foie vers une cirrhose décompensée a un retentissement profond sur le métabolisme hépatique et, ultérieurement, sur la masse musculaire et le poids. Cela a pour conséquence une perturbation de l’état nutritionnel, avec un amaigrissement et une carence protéinique sévère. Un état nutritionnel précaire est prédictif d’un allongement de durée de séjour en soins intensifs et d’un risque infectieux plus important en post-TH. Par ailleurs, le tabagisme est plus fréquent chez les patients atteints d’une cirrhose alcoolique [4]. L’effet synergique du tabac et de l’alcool en terme de carcinogenèse est reconnu. Il est impératif de réaliser un dépistage approfondi en pré-TH chez ces patients alcoolo-tabagiques des tumeurs bronchiques et des voies aérodigestives supérieures qui sont une contre-indication absolue à la TH. Les dommages psychiques de l’alcool, tels que l’anxiété ou la dépression peuvent également se décompenser en post-TH. Des symptômes dépressifs sont présents chez plus de la moitié des malades avec cirrhose alcoolique et l’anxiété généralisée en concerne plus d’un tiers. La rechute La singularité de la TH pour maladie alcoolique du foie est liée au risque de reprise d’une consommation d’alcool après la greffe, considérée à tort ou à raison comme inacceptable. Les données de la littérature montrent des taux de rechute de la consommation d’alcool après TH très variés allant de 7 % à 95 % à trois ans. Il est cependant très difficile de comparer ces études entre elles. En effet, la définition de la rechute varie selon les études : la plupart utilisent une définition absolutiste qui considère toute consommation d’alcool après la greffe comme une rechute, quelle que soit la fréquence ou la quantité [5-7]. 284 D’autres utilisent une définition différenciée [8-12] qui consiste à séparer ce qui relève de l’alcoolodépendance telle qu’elle est définie dans le Diagnostic and Statistical Manual (DSM) IV de la reprise d’une consommation d’alcool caractérisée par sa fréquence et sa quantité. Cette définition sépare ainsi trois situations cliniques concernant la consommation d’alcool après la greffe : l’abstinence, la rechute modérée, et la rechute sévère. La rechute sévère concerne les patients présentant des critères d’alcoolodépendance, et/ou une consommation d’alcool supérieure à 210 g par semaine pour les hommes et 140 g par semaine pour les femmes (critères OMS), et/ou une consommation d’alcool supérieure à 50 g les jours de consommation. Certaines études ne considèrent que la rechute excessive c’est-à-dire supérieure à 30 g/jour ou 40 g/jour selon les études [13-15]. Enfin, le « slip », qui est une prise d’alcool isolée ou lors d’un événement avec poursuite de l’abstinence, est un concept récent qui n’est pas considéré comme une rechute dans la définition différenciée. Il n’y a d’ailleurs aucune différence de survie significative dans la littérature entre les patients présentant un épisode de « slip » après la TH et les abstinents [12]. Le diagnostic précoce de la rechute est difficile car toutes les méthodes de détection de la rechute, analysées de façon individuelle, sont imparfaites [16]. Certaines études utilisent l’interrogatoire du patient et de son entourage [5, 6, 8, 17], d’autres le questionnaire anonyme [9, 10], d’autres l’interrogatoire téléphonique [7], avec parfois corrélation aux tests biochimiques [7, 17]. Le diagnostic de rechute est difficile tant en post- qu’en pré-TH, les patients pouvant cacher leur consommation alcoolique afin de ne pas être exclus de la liste [18]. Enfin, toutes les études citées n’ont pas le même suivi moyen et plusieurs études montrent que le taux de rechute augmente avec la durée du suivi [19, 20]. “ La singularité de la transplantation hépatique pour maladie alcoolique du foie est liée au risque de reprise d’une consommation d’alcool après la greffe ” Au final, en tenant compte de toutes ces études, la rechute alcoolique à cinq ans après TH est estimée entre 11 et 54 % avec 7 à 26 % de récidive excessive [21]. En dehors du champ de la transplantation, il existe peu de facteurs prédictifs de rechute chez les patients alcooliques. La TH peut être ressentie comme une expérience traumatique par certains patients et exercer une action préventive sur la rechute. La culpabilité ressentie par certains patients vis-à-vis du donneur peut exercer le même effet. Le facteur prédictif de rechute en post-TH le plus souvent rapporté est la durée d’abstinence avant l’inscription sur liste [10]. HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive vol. 17 no 4, juillet-août 2010 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Transplantation pour cirrhose alcoolique En 1993, la conférence de consensus de Paris prônait une durée d’abstinence avant l’inscription sur liste de greffe de trois à six mois, voire plus. En 2005, la conférence de consensus de Lyon stipulait que « la durée de 6 mois d’abstinence avant la TH ne devait plus être une règle intangible et ne devait pas être considérée comme une condition à elle seule d’accès à la TH ». Le rationnel de « la règle des six mois » est de permettre une récupération de la fonction hépatocellulaire avec le sevrage, afin d’éviter une transplantation inutile, de mettre en place une prise en charge addictologique avec renforcement du sevrage et d’instaurer une uniformité entre les différents centres de greffe [2]. En 2005, aux États -Unis, 85 % des centres de TH continuaient de suivre la règle des six mois [22]. Cependant, aucune étude n’a prouvé l’intérêt d’une abstinence de six mois sur les complications pré-, péri- ou post-opératoires précoces dans la TH [23]. Les autres variables identifiées comme facteurs prédictifs de rechute sont le jeune âge, les antécédents familiaux d’alcoolisme, les antécédents personnels de toxicomanie, un contexte dépressif avec idées suicidaires et des conditions sociales précaires. Dans notre expérience, les antécédents familiaux d’alcoolisme et l’alcoolodépendance étaient les principaux facteurs prédictifs de rechute [10]. Afin de faire la distinction entre abus d’alcool et alcoolodépendance, l’un des outils les plus utilisés en milieu clinique est le DSM IV, valide et reproductible et recommandé au niveau international. Dans la littérature, toutes les études sont concordantes sur le fait que la survie du greffon et du patient à cinq ans ne sont pas modifiées par la rechute alcoolique, même en différenciant les rechuteurs excessifs des occasionnels [8, 13, 17] (figure 1). En revanche, deux études ont montré que la rechute excessive diminuait la survie au-delà de cinq 1,1 ans, avec une surmortalité imputable à l’apparition de cancers de novo et à la survenue de complications cardiovasculaires [12, 15]. “ La survie du greffon et du patient à cinq ans n’est pas modifiée par la rechute alcoolique ” Le fait qu’une rechute de la consommation d’alcool soit possible après TH pour maladie alcoolique du foie peut avoir un effet désastreux sur l’opinion publique, influencée alors par des arguments d’ordre moral. La cirrhose alcoolique du foie est parfois encore jugée comme une maladie « auto-infligée ». Ceci peut avoir des conséquences néfastes sur le don d’organes, et aggraver la situation de pénurie de greffon. Dans une étude anglaise ayant interrogé 1 000 personnes dans la population générale [24], l’opinion publique avait classé les patients cirrhotiques alcooliques dans le groupe le moins prioritaire pour recevoir un greffon hépatique, et ce quelle que soit la pertinence de l’indication de TH. En raison de leur mauvaise image dans la société, les patients ayant une cirrhose alcoolique sont moins souvent adressés aux centres de transplantation. Dans une étude portant sur 199 candidats potentiels à une TH pour cirrhose alcoolique décompensée, seulement 41 (21 %) ont été adressés à un centre référent et seulement 15 (8 %) ont eu une évaluation complète avec un bilan prégreffe finalisé [25]. Une autre étude menée en 2008 aux États-Unis a confirmé ces chiffres, avec un taux de patients atteints de cirrhose alcoolique décompensée confiés à un centre référent pour bilan prétransplantation variant entre 5 et 10 % [21]. De plus, sur l’association de critères médicaux, Taux de survie après transplantation hépatique 1 0,9 0,8 Consommateurs occasionnels 0,7 Abstinents 0,6 Consommateurs excessifs 0,5 0,4 0 20 40 80 60 100 120 140 Mois Figure 1. Taux de survie après transplantation hépatique : comparaison entre abstinents, consommateurs occasionnels ou excessifs. (D’après [17]). HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive vol. 17 no 4, juillet-août 2010 285 cirrhose alcoolique ; plus de 40 % des patients étaient fumeurs en post-TH avec, en général, du fait de la nicotinodépendance, une majoration de leur consommation tabagique au fil du temps. La poursuite d’une intoxication tabagique était trouvée chez tous les patients rechuteurs excessifs [15]. chirurgicaux et psychiatriques, certains programment récusent plus de 50 % des cirrhotiques alcooliques adressés pour TH [14]. Au final, seule une petite proportion, estimée à 6 %, des malades susceptibles de décéder d’une cirrhose alcoolique sont transplantés [26]. “ Les cancers de novo La survenue de cancers de novo est l’une des complications émergentes à long terme après transplantation hépatique Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. La survenue de cancers de novo est une des complications émergentes à long terme après TH, en particulier chez les patients greffés pour cirrhose alcoolique. Un risque majoré de cancer de novo, notamment des tumeurs des voies aérodigestives supérieures après TH pour cirrhose alcoolique a été démontré [27]. Jain et al. [3] ont trouvé un risque relatif multiplié par 25,4 de développer un carcinome de l’oropharynx chez les patients greffés pour cirrhose alcoolique. La survenue d’un cancer de novo diminuait de manière significative la survie à long terme avec un risque de décès multiplié par 3,5 dans la série publiée en 2007 par Dumortier et al. [13] (figure 2). Il s’agissait majoritairement de tumeurs ORL et du tractus digestif. Les facteurs de risque de développer un cancer de novo étaient le sexe masculin et le tabac. Un risque accru de développer un cancer du poumon chez les patients transplantés pour maladie alcoolique du foie a été mis en évidence sur le suivi à long terme [3]. Dans une autre étude publiée en 2007 [4], le taux de cancers du poumon chez les patients transplantés pour cirrhose alcoolique était de 4,3 % versus 0,7 % chez les patients transplantés pour maladie non alcoolique du foie. DiMartini et al. [28] se sont intéressés à l’intoxication tabagique post-TH des transplantés hépatiques pour ” Cette susceptibilité aux cancers en post-TH, du fait de l’immunosuppression induite, doit faire peser chaque indication de TH. Elle ne doit être proposée qu’aux patients avec cirrhose alcoolique décompensée. En effet, en cas de TH chez ces patients cirrhotiques Child B, un risque accru de cancer de novo post-TH, hors carcinome hépato cellulaire, a été constaté [29]. Le bénéfice de la TH doit être évalué face au risque de développer un cancer de novo en post-TH pour un patient cirrhotique alcoolique. Situation particulière : l’hépatite alcoolique aiguë Les formes sévères d’hépatite alcoolique aiguë sont définies par un score de Maddrey supérieur à 32. En l’absence de traitement, plus de 50 % des patients atteints d’hépatite Taux de survie 1 8 o 6 4 2 kc 0 0 2 4 6 8 10 12 Années Figure 2. Courbes de survie en fonction de la survenue d’un cancer de novo (Kc). D’après [13]. 286 HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive vol. 17 no 4, juillet-août 2010 14 16 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Transplantation pour cirrhose alcoolique alcoolique aiguë sévère décèdent dans les six mois qui suivent le diagnostic justifiant un traitement par corticostéroïdes et/ou pentoxyphilline. L’équipe de Lille a mis en évidence des facteurs de non-réponse à ce traitement et a modélisé, à partir de cinq variables indépendantes, le pronostic de ces patients. Ce modèle permet de prédire près de 80 % des décès à six mois [30]. En cas de nonréponse au traitement médical, la TH pourrait être une alternative thérapeutique. Il est éthiquement difficile de ne pas proposer une TH à ces patients avec une hépatite alcoolique aiguë sévère non répondeurs au traitement médical, alors que leur mortalité est prévisible dès le septième jour. Cependant, du fait de la gravité du score de Meld de ces patients et de la pénurie de greffons, il est évident que seul un nombre restreint de patients pourrait avoir un traitement par TH. La présence d’une hépatite alcoolique de découverte fortuite, lors de l’analyse histologique du foie explanté, n’a pas de conséquence en terme de survie du greffon, du patient et de la rechute alcoolique en post-TH [11]. Cependant, aucune donnée publiée n’est disponible sur l’efficacité de la TH chez les malades atteints de forme sévère d’hépatite alcoolique aiguë. L’association fréquente de comorbidités et de défaillance multiviscérale chez ces malades, ainsi que la crainte de la récidive alcoolique par l’équipe de transplantation et son retentissement sur l’opinion publique, sont autant de freins à proposer une TH dans ces cas là. Conclusion La TH est le traitement de choix de la cirrhose alcoolique grave en 2010 avec des résultats identiques aux autres indications. Cependant, la rechute de la maladie alcoolique et la survenue cancers de novo affectent les résultats à long terme. Le bilan pré-TH, à la recherche d’une contreindication, doit être exhaustif et tenir compte du terrain sous-jacent. En post-TH, la prise en charge addictologique et le maintien de l’abstinence doivent rester une priorité. Un sevrage tabagique devrait également idéalement être obtenu, afin de limiter le risque de cancer. Un schéma strict de dépistage des cancers de novo, notamment des voies aérodigestives et pulmonaires pourrait être mis en place chez ces patients transplantés pour cirrhose alcoolique. Cinq ans après la dernière conférence de consensus, la place de la transplantation hépatique comme traitement n de l’hépatite alcoolique aiguë sévère reste à définir. Conflit d’intérêts : aucun. n n T ake home messages n n La cirrhose alcoolique est une bonne indication de transplantation hépatique, avec un taux de survie de 74 % à cinq ans. n La récidive de la maladie alcoolique et la survenue de cancers de novo ont un impact négatif sur la survie à long terme. n La rechute de la maladie alcoolique doit être prévenue et nécessite une prise en charge multidisciplinaire. n Il persiste des réticences à proposer la transplantation hépatique aux patients cirrhotiques alcooliques, qui restent encore insuffisamment adressés aux centres de transplantation hépatique. n La place de la transplantation hépatique dans l’hépatite alcoolique aiguë sévère reste à définir. Références Les références importantes apparaissent en gras 1. Starzl TE, Van Thiel D, Tzakis AG, Iwatsuki S, Todo S, Marsh JW, et al. Orthotopic liver transplantation for alcoholic cirrhosis. JAMA 1988 ; 260 : 2542-4. 2. Neuberger J, Schulz KH, Day C, Fleig W, Berlakovich GA, Berenguer M, et al. 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