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REPÈRES
HISTOIRE ET SCIENCES SOCIALES
ment d’un travail beaucoup plus ambitieux, qui n’a jamais pu être terminé,
mais dont l’intérêt s’affirme à la lumière de notes inédites.
Variations des orchidées indigènes en Lorraine, 1886-1903, notes
manuscrites
En 1904, ce travail scientifique considérable est sur le point d’être ter-
miné. Mais Gallé n’aura pas le temps de le publier. Commencé en 1886,
six ans avant la publication de l’article sur les anomalies des gentia-
nacées, ce travail a mobilisé en 1902 et 1903 une part importante de
l’énergie d’Émile Gallé qui sent ses forces le trahir et veut, avant de
mourir, mener à bien ses recherches sur les orchidées, les plantes qui
le passionnent le plus. En 1903, ne pouvant plus lui-même récolter les
échantillons, il continue à décrire ceux que ses amis ou parents lui
apportent (Paul Couleru, Paul Nicolas, Émile Nicolas et Gaston May).
Chaque échantillon est décrit soigneusement, observé au microscope
si nécessaire, et dessiné par Emile Gallé lui-même. Les échantillons
sont ensuite séchés et conservés avec les notes manuscrites. Pour la
publication, les planches sont dessinées par Paul Nicolas ou Auguste
Herbst. Émile Gallé en supervise la réalisation.
Ce manuscrit, constitué probablement de plus de cent vingt feuillets
dont nous avons pu consulter quatre-vingt, décrit avec minutie les
nombreuses variations et les hybrides que l’on rencontre chez les
orchidées lorraines.
L’objectif de cette étude est d’établir une phylogénie des orchidées
lorraines et peut-être des orchidées en général. Dans un chapitre,
Émile Gallé propose diverses hypothèses sur la filiation entre les diver-
ses espèces.
En étudiant, peu de temps encore avant sa mort, avec une telle minutie
et un tel acharnement, les innombrables variants des orchidées lorrai-
nes, Émile Gallé a en réalité un grand dessein : il veut établir la filia-
tion entre les différentes espèces d’orchidées et contribuer à écrire
une page de l’histoire de l’évolution.
Dans l’esprit de Gallé, cette passion pour la botanique et la recherche
des mécanismes de l’évolution formait un tout harmonieux avec sa
passion pour la création artistique. Dans
ce manuscrit consacré aux orchidées
lorraines, Émile Gallé y décrit minutieu-
sement l’ovaire torsadé d’une orchidée,
Orchis militaris, et le dessine avec tout
autant de précision. En même temps,
il imagine une utilisation possible en
ébénisterie, évoquée dans une courte
note annexée à la description scientifi-
que : Dessiner à part la délicieuse petite
colonnette que je ferai d’ailleurs grandir
pour donner au tourneur en bois et sculp-
teur. Le texte scientifique porte égale-
ment l’annotation suivante : remarque,
modèle de colonne et piétement (voir
École de Nancy, Gallé, adaptation à la
menuiserie, à l’ébénisterie, au bronze).
Conclusions
Émile Gallé n’est pas un simple bota-
niste. Il cherche jusqu’à sa mort à comprendre par
quels mécanismes la vie a évolué et donné naissance à
cette infinie diversité. À la fin du XIXe siècle, la pensée
scientifique d’Émile Gallé se situe au niveau de celle des
plus grands. Il poursuit l’œuvre des penseurs évolution-
nistes du XIXe siècle, Lamarck [19], Goethe [13, 14] et
Darwin [20]. Il a pour ambition d’établir la phylogénie
de certaines familles, comme celle des orchidées, et
pour objectif de déterminer comment une espèce peut
dériver d’une autre. Enfin, il décrit clairement les muta-
tions et comprend, le premier ou l'un des premiers, le
rôle qu’elles peuvent jouer dans l’évolution des espèces.
Cette vision évolutive du monde végétal et de l’adapta-
tion des végétaux aux milieux les plus divers, ainsi que
cette perspicacité dans la recherche des mécanismes
impliqués, est le résultat de sa pensée propre, de ses
relations avec les plus grands savants de l’époque. ‡
Figure 6. Émile Gallé, exci-
catum d’Orchis militaris L.
récolté et étudié par Émile
Gallé (1902) (collection par-
ticulière).
Figure 7. Émile Gallé, planche II de l’article Polymorphisme
d’Aceras hircinum Lindt (publié dans les Actes du Congrès
International de Botanique, qui s’est tenu à Paris dans le cadre
de l’Exposition Universelle de 1900).
M/S n° 12, vol. 21, décembre 2005
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