Certains artistes utilisaient l’art pour
apporter du beau dans le quotidien,
mais aussi pour exprimer leurs
idées sur la vie de leur époque, sur la
politique, sur les grands événements
et les injustices de leur temps. Ils
exprimaient ainsi publiquement leurs
idées politiques et sociales. Il s’agissait
d’artistes engagés.
Lexposition présente un aspect peu
connu mais important de l’histoire
de l’École de Nancy : celui de
l’engagement politique et social de
certains de ses membres, notamment
Émile Gallé et Victor Prouvé, deux
des principaux artistes de l’Art nouveau
nancéien.
émile gallé
Émile Gallé naît à Nancy en 1846.
Il est le fils unique de Charles Gallé et
de Fanny Reinemer qui tiennent un
commerce de cristaux et de porcelaine.
Après une période d'apprentissage
dans différentes villes d’Europe,
Émile Gallé est associé à l’entreprise
familiale dès 1867. Huit ans plus
tard, il épouse Henriette Grimm avec
laquelle il aura quatre filles.
En 1889, il expose de nombreuses
œuvres à l’Exposition universelle
de Paris et obtient trois récompenses
dans les domaines de la verrerie,
du mobilier et de la céramique.
Son œuvre est surtout inspirée par
la nature. Mais Émile Gallé ne créait
pas seul : il disposait de plusieurs
ateliers de fabrication dans lesquels
travaillaient de nombreux ouvriers
et décorateurs.
victor prouvé
Victor Prouvé est né en 1858.
Il grandit dans un milieu artistique
et simple : son père dessine des
modèles de broderies et travaille
occasionnellement avec le père
d’Émile Gallé. Sa mère confectionne
de la lingerie. Prouvé étudie à l’école
des Beaux-Arts de Paris et devient
artiste : peintre, sculpteur, décorateur,
graveur, il s’intéresse beaucoup
à l’art décoratif (cuir, bijou, textile,
etc) et collabore avec d’autres artistes
nancéiens, comme Émile Gallé.
Il épouse Marie Duhamel en 1898
avec laquelle il aura sept enfants.
En plus de renouveler le cadre de
vie, ces deux artistes souhaitaient
participer à la création d’une société
nouvelle, juste et équitable. Chaque
partie de l’exposition développe
une grande cause défendue par
ces artistes. Ces questions de société
sont reprises dans ce petit journal,
commentées et illustrées par une
œuvre.
le contexte
la guerre
de 1870-1871
En 1870, la guerre éclate entre la
France et l’Allemagne (la Prusse, à
cette époque). La défaite de la France,
l’année suivante, est ratifiée par la
signature du traité de Francfort. Ce
traité prévoit notamment l’annexion de
l’Alsace et d’une partie de la Moselle
par l’Allemagne. Ces territoires sont
alors occupés par les Allemands
et font désormais partie de l’Empire
allemand.
¬ Prouvé a réalisé en 1887, donc
17 ans après le début de la guerre,
une peinture appelée
Les Adieux d’un
réserviste
. Elle montre un soldat,
marié et père de deux enfants, partant
à la guerre et faisant ses adieux à sa
famille. Il porte l’uniforme traditionnel
de l’armée française à cette époque,
aux couleurs rouge et bleue, ainsi
qu’un fusil et un sac à dos qui contient
son nécessaire de survie (couverture,
tente, gamelle). Derrière lui, un autre
soldat, clairon à la bouche, sonne
le rassemblement pour le départ.
01
l’annexion de 1871
et l’exposition
universelle de 1889
À l’Exposition universelle de 1889
à Paris, Émile Gallé expose pour
la première fois des meubles dont
plusieurs comportent des décors de
Victor Prouvé. Deux notamment font
directement référence à l’annexion
de l’Alsace-Moselle de 1871.
La table
Le Rhin
est imaginée par
Gallé en collaboration avec Victor
Prouvé, auteur de la grande frise
centrale. Le thème choisi par Gallé
est une phrase de l’auteur latin Tacite
« Le Rhin sépare des Gaules toute
la Germanie ». Le message de cette
table est clair : la frontière historique et
naturelle entre la France et l’Allemagne
est le fleuve Rhin. Pour illustrer cette
idée, Victor Prouvé a représenté,
sur la grande frise, des guerriers
Gaulois et Germains (les ancêtres des
Allemands) prêts à s’affronter. Mais, au
centre, un homme barbu et une jeune
femme les en empêchent. Il s’agit là
encore d’un symbole utilisé par Prouvé
pour représenter le Rhin sous les traits
de l’homme, et la Moselle sous les
traits de la femme.
Le décor symbolique se poursuit sur
la partie basse de la table. Quatre
alérions (les aigles du blason de la
Lorraine) portent une croix de Lorraine
au poitrail et supportent le plateau.
Un immense chardon lorrain se
déploie sous la table. Enfin, les deux
inscriptions sculptées sous le chardon
« Je tiens au cœur de France » d’un
côté et « Plus me poignent plus j’y
tiens », de l’autre, réaffirment le refus
de l’annexion.
¬ Les dessins préparatoires de Prouvé
témoignent également des recherches
de composition des figures isolées ou
des groupes avant leur transposition
dans la marqueterie.
l’affaire dreyfus
et l’exposition
universelle de 1900
À l’Exposition universelle de 1900 à
Paris, Gallé a présenté de nombreuses
œuvres en rapport avec l’affaire
Dreyfus. Sur le four verrier qu’il
reconstitue à cette occasion, se trouve
la grande
Amphore du Roi Salomon
faite en verre soufflé et en fer forgé.
En plus d’être une référence à l’affaire
Dreyfus, le four de verrier racontait
l’histoire de la jeune Marjolaine, tirée
du conte
La Rêveuse
de l’écrivain
Marcel Schwob.
Marjolaine avait grandi près de son
père, potier, qui lui inventait des
histoires et qui lui avait laissé à sa mort
sept cruches mystérieuses, posées
sur la cheminée et semblables à un
arc-en-ciel. Mais « ce grouillement de
merveilles, de rêves et de mystères »
n’était visible que par Marjolaine ; les
ignorants ne voyaient que de vieilles
poteries insignifiantes. Chacun des
vases avait sa propre histoire, et
l’amphore emprisonnait un prince
que seule une jeune fille sage pourrait
libérer, en brisant l’enchantement
un soir de pleine lune.
Pour la forme de ce vase, Gallé
s’inspire d’une amphore antique qu’il
avait en sa possession. Comme cette
amphore reposait au fond des mers,
d’après le conte, Gallé l’a recouverte
d’algues travaillées en application
de verre et en fer forgé. Sur le col,
le sceau de Salomon ou étoile
de David, est également une allusion
à la confession d’Alfred Dreyfus.
Bien que spectaculaire – car la lumière
électrique illuminait l’ensemble
– le four de Gallé et son message
dreyfusard ne semblent pas avoir
été compris par les visiteurs et
les commentateurs de l’exposition.
Peu de critiques l’ont décrit, si ce
n’est pour évoquer la qualité des
verreries exposées et la beauté de la
composition générale.
Victor Prouvé, vers 88. J. Royer
MEN, fonds Poiré.
Victor Prouvé, Les Adieux d’un réserviste, 88.
Nancy, Musée lorrain, inv. D.2004.1.1 (dépôt du musée de l’Infanterie,
Montpellier)
Émile Gallé, 88. Attribué à H. Dufey.
MEN, inv. 2011.7.2
04
« Ceux qui vivent ce sont ceux qui luttent »
Victor Hugo
au
Musée des
Beaux-Arts
de Nancy
au
Musée
de l’École
de Nancy
Le musée de l’École de Nancy présente
plusieurs œuvres majeures d’Émile Gallé,
témoignant de son engagement politique
et social.
informations pratiques
Lexposition est présentée au :
Musée des Beaux-Arts / MBA
3, place Stanislas 54000 Nancy
du mercredi au lundi, 10h-18h
et au
Musée de l’École de Nancy / MEN
36-38, rue du sergent Blandan
54000 Nancy
du mercredi au dimanche, 10h-18h
Les musées sont fermés les er novembre,
 décembre et er janvier
Tarifs
Pass Musées  jours : 
Entrée musée :  € /  € (réduit)
Entrée gratuite : jusqu’à  ans –
Carte Jeune Nancy – membres des
associations d’amis des musées –
Museum Pass – Carte Icom
au musée des Beaux-arts
Jeune Public
Ça se discute !
Pour les - ans, à h
La presse : une liberté totale ou limitée ?
Lundi  octobre
Droits du citoyen ou droits de lHomme ?
Lundi  octobre
Tarif  € / sur réservation
Atelier vacances de la Toussaint
Pour les – ans à h
Atelier Signes et Symboles
stage  : jeudi  et vendredi  octobre
stage  : jeudi  et vendredi  octobre
Tarif 10 € la séance / sur réservation
Mini conf
À partir de  ans
Quest ce que l’Art nouveau ?
Samedi  novembre, de h à h
Lengagement des artistes : où com-
mence et où finit la liberté d’expression ?
Samedi  novembre de h à 15h
Auditorium du musée des Beaux-Arts
Gratuit / sans réservation
Visite en famille
À partir de  ans
Les symboles de la Lorraine
Dimanche  décembre à h
Tarif , € / € (réduit) / gratuit pour les – de  ans /
sur réservation
au musée de l’école de nancy
Public adulte
Visites guidées de l’exposition incluses
dans la visite générale.
À h le vendredi, samedi et dimanche
Tarif  € en plus du billet d’entrée
Jeune Public
Intrigues au musée
Pour les - ans à h
Spécial Lorraine
 séance au choix : mercredi  et
mercredi  octobre
Tarif  € la séance / sur réservation
Cette exposition est reconnue d’intérêt
national par le ministère de la Culture
et de la Communication / Direction
générale des patrimoines / Service des
musées de France.
Elle bénéficie à ce titre d’un soutien
financier exceptionnel de l’État.
Photos : © Musée de l’École de Nancy, Nancy : Portraits
Gallé et Prouvé / Livre d’or / Four verrier — © Musée de
l’École de Nancy, Nancy / Michel Bourguet : Assiette
patriotique / Séjour de Paix et de Joie — © Musée de l’École
de Nancy, Nancy / Claude Philippot : Forgeron — © Musée
lorrain, Nancy / Philippe Caron : Adieux d’un réserviste
© Musée lorrain, Nancy : La Grève Générale — © The
National Museum of Ireland : Vase Pélican — © Kitazawa
Museum of Art : Calomnie — © MDACC Épinal / Joëlle
Laurençon : Les Chemineaux — © Collection particulière /
Michel Bourguet : Bassin Qui vive? France / Bureau
La Forêt lorraine — © Musée de l’École de Nancy, Nancy /
Damien Boyer : étude pour le plateau de la table le Rhin.
Graphisme : Frédéric Rey. Impression : l’Ormont
Victor Prouvé. Étude pour le plateau de la table Le Rhin,
. MEN, inv. 998.35.11
Photographie du Four verrier présenté à l’Exposition
universelle, . MEN, inv. MB86-1.
L’Art nouveau est un mouvement
artistique qui est né à la fin du xixe siècle
et qui s’est terminé en 1914 avec le
début de la première guerre mondiale.
Les artistes de ce mouvement
souhaitaient embellir le quotidien
de leurs contemporains : les objets,
l’architecture et la décoration intérieure.
À Nancy, l’Art nouveau s’appelle l’École
de Nancy. Elle regroupe de nombreux
artistes (peintres, sculpteurs, décorateurs),
architectes, industriels d’art, journalistes,
écrivains qui souhaitaient apporter
de l’art partout et pour tout le monde.
¬ Les préparatifs de l’Exposition
universelle de 1900 prennent pour
Gallé une dimension politique. Il
reconstitue un four de verrier grandeur
nature sur lequel il expose un ensemble
de verreries en lien avec l’affaire
Dreyfus, parmi lesquelles la fiole
à encre
Calomnie
. Le décor est fourni
par Victor Prouvé qui représente une
vieille femme au visage de sorcière
en train d’écrire le mot « calomnie »
gravé sur le vase. Cette scène fait
référence au rôle de la presse virulente
antidreyfusarde qui véhiculait des
messages haineux et antisémites.
les soutiens
dreyfusards
Bien sûr, Émile Gallé n’est pas seul
pour défendre Dreyfus. Il tisse des
relations avec d’autres artistes,
avocats, journalistes, écrivains et
musiciens dreyfusards et correspond
avec eux. Gallé dédicace plusieurs
de ses œuvres à ces personnalités
engagées. Le compositeur Albéric
Magnard, virulent dreyfusard, dédie
à son tour à Gallé « L’Hymne à la
justice », œuvre pour orchestre qui fut
jouée pour la première fois à Nancy
en janvier 1903.
¬ Partageant les mêmes engagements
que son mari, Henriette Gallé
correspond avec certains milieux
dreyfusards nancéiens et parisiens.
Émile dédie un secrétaire – un meuble
de bureau servant à écrire et à ranger
le courrier – à sa « brave femme,
Henriette Gallé, en mémoire des
luttes patriotiques pour les principes
d’humanité, de justice et de liberté ».
Cette dédicace témoigne de
l’implication politique d’Henriette
qui œuvre pour la cause dreyfusarde
en correspondant notamment avec
certaines personnalités de premier
plan impliquées dans l’Affaire.
victor
prouvé
En 1896, Émile Gallé réalise le
canthare Prouvé
pour son ami Victor
Prouvé. Le vase est gravé d’un extrait
d’un poème de Victor Hugo, « Ceux
qui vivent ce sont ceux qui luttent,
ce sont ceux dont un dessein ferme
emplit l’âme et le front ». Il s’agit d’un
hommage vibrant à l’artiste engagé
par un autre artiste engagé.
le constat social
et l’influence
anarchiste
Les personnages des tableaux de
Victor Prouvé sont des gens du peuple :
paysans, ouvriers, mères et enfants…
mais on y trouve aussi les oubliés
et les victimes du progrès comme les
chemineaux.
¬ Prouvé représente à plusieurs
reprises des chemineaux. Il s’agit
de vagabonds errant dans les
campagnes à la recherche d’un
travail ou d’un repas. Chez Prouvé,
contrairement à d’autres artistes qui
utilisent le même thème, le chemineau
ne trouble pas la société ni ne la
menace. Au contraire, il participe
pleinement à sa construction et
devient même le symbole de la liberté
dans les peintures de Prouvé.
charles Keller
La peinture, la sculpture, l’art décoratif
servent à véhiculer des messages
politiques et sociaux, de même que la
littérature, la poésie… Charles Keller
utilise également la musique comme
moyen d’exprimer ses convictions.
Il a composé plusieurs chants poétiques
et politiques très engagés. Parmi
ceux-ci, la
Jurassienne
, véritable
hymne révolutionnaire prolétarien
connu également sous le nom
de « La Marseillaise des travailleurs ».
Charles Keller est un cousin d’Henriette
Gallé. Les familles Keller, Gallé et
Prouvé sont d’ailleurs très proches.
¬ Keller écrit et compose deux chants
révolutionnaires dont la couverture
des livrets est décorée par son ami
Victor Prouvé. Les illustrations sont
sensiblement proches : la solidarité
et la fraternité transforment la
Grève
générale
et
LAction directe
en une
farandole joyeuse. Ouvriers, femmes
et enfants participent à cette
action constructive qui leur permet
de renouer avec la nature.
la cité future et les
décors répuBlicains
En plus de ses peintures, gravures et
objets d’art, Prouvé s’adonne au décor
mural. Il peint des grands décors pour
l’Hôtel de Ville de Nancy, la Préfecture
de Meurthe-et-Moselle et réalise des
décors pour deux mairies parisiennes.
Les grands décors de Prouvé reflètent
le rêve et l’espoir de la cité future et
idéale, dans laquelle les ouvriers, les
paysans, les chemineaux et tous les
déshérités vivraient harmonieusement
dans une nature bienveillante et
prospère.
¬ À propos de la mairie du 11e arron-
dissement de Paris, Victor Prouvé
décrit ainsi son décor, intitulé
Séjour
de Paix et de Joie
: « Ceux qui ont peiné,
les déshérités, viennent de la ville et,
arrivant par bateaux, ils se dispersent
dans le
séjour de Paix et de Joie
ils se régénèrent, deviennent
meilleurs, forment une nouvelle
famille. La nouvelle jeunesse en gaie
farandole devant les aïeux qui, assis
sous le grand arbre, contemplent
leurs ébats… puis ils méditent ».
l’aventure de
l’université populaire
et la maison
du peuple
Lobjectif de l’Université populaire
est d’apporter aux adultes, et plus
particulièrement aux ouvriers,
l’enseignement dont ils ont besoin.
Toutes les matières et techniques y
sont enseignées : littérature, histoire,
comptabilité, les sciences, mais aussi
l’électricité, la couture, la cuisine, les
langues, le dessin… On trouvait ces
Universités populaires un peu partout
en France. Celle de Nancy est créée
en 1899 et s’installe trois ans plus tard
dans la Maison du Peuple.
Le bâtiment est financé par Charles
Keller, et conçu par l’architecte
Paul Charbonnier, avec des décors
d’Eugène Vallin et de Victor Prouvé.
On y trouve une salle de conférence,
des salles de cours, une bibliothèque...
Le décor de la façade, sculpté par
Prouvé, évoque le
Travail
, représenté
par un forgeron, et la
Pensée libre
,
une femme surgissant des nuages.
¬ L’image du forgeron est souvent
utilisée par Victor Prouvé pour
symboliser le travail ou l’industrie.
Ici, le forgeron fort et musclé est
représenté assis, se reposant sur le
manche de son marteau. Il s’agit ici de
l’étude préparatoire, réalisée en plâtre,
pour la sculpture en pierre qui orne
toujours le dessus de la porte d’entrée
de la Maison du Peuple.
le refus de l’annexion
à travers les oBjets et
les motifs décoratifs
Après le traité de Francfort, Nancy
devient la dernière grande ville
française à la frontière de l’Empire
allemand (Metz et Strasbourg sont
devenus allemands). De nombreux
Alsaciens-Lorrains, qui se trouvaient
dans les territoires annexés, quittent
leurs villes et villages pour s’installer
à Nancy. Mais la plupart des Alsaciens-
Lorrains considèrent l’annexion
comme une injustice. Certains artistes,
comme Gallé, vont réaliser des œuvres
pour dénoncer cette annexion.
¬ Même la vaisselle sert à véhiculer des
messages et à revendiquer ! En 1871,
Gallé crée des assiettes patriotiques
pour dénoncer l’occupation allemande
ou exprimer l’espoir de la réunification
des territoires. Il s’agit d’assiettes
« parlantes » car elles contiennent
des phrases ou des messages.
Ainsi, l’assiette portant l’inscription
« Pigeon vole, pie vole, pendule vol » fait
allusion aux réquisitions et indemnités
de guerre que doit verser la France
à l’Allemagne. Symbolisés par un
aigle allemand volant une pendule,
les Prussiens étaient alors décrits
comme des pilleurs d’objets précieux.
l’invocation
de la gaule
La référence à la Gaule et aux Gaulois
est souvent utilisée par les artistes
nancéiens et par Émile Gallé pour
réaffirmer l’appartenance de l’Alsace-
Lorraine à la France. Gallé joue
également de la proximité de son nom
de famille avec « Gallus » qui signifie
en latin le coq et les habitants de
la Gaule.
¬ En 1884, Gallé expose à Paris une
œuvre étonnante : le bassin
Qui vive ?
France
. Au centre du bassin, on
retrouve un buste modelé par Victor
Prouvé intitulé « tête de la France
casquée ». La tête est en effet casquée
et surmontée d’un coq, symbole de
la France. Pour des œuvres
importantes et engagées, Gallé
sollicite régulièrement Prouvé pour
des décors représentant des humains.
les espoirs placés
dans le
rapprochement
franco-russe
En 1892, un rapprochement
diplomatique et militaire se fait entre
la France et la Russie. La signature de
cette alliance apporte un nouvel espoir
à la France : celle-ci n’est plus isolée
en Europe, notamment face aux
Empires allemand et austro-hongrois.
L’année suivante, une escadre navale
russe vient en visite officielle à Toulon.
À cette occasion, de nombreux
cadeaux sont offerts aux membres
de l’escadre et au Tsar de Russie.
La Lorraine et ses artistes y participent
avec enthousiasme.
¬ Victor Prouvé et Camille Martin
créent la reliure du
Livre d’or de
la Lorraine à la Russie offert au Tsar
.
Il s’agit de la couverture en cuir et
en métal qui protège et décore le livre.
La reliure est ornée des symboles
de la Lorraine, représentée par
une femme : le chardon, la croix de
Lorraine, les alérions, le blason
de la Lorraine et les armoiries de ses
principales villes. Le livre renferme
les témoignages d’amitié de tous les
villages et villes de Lorraine, ainsi que
de nombreux dessins et dédicaces
des plus importants artistes lorrains
de l’époque. Il est toujours conservé
en Russie, au musée de l’Ermitage
à Saint-Pétersbourg.
émile gallé
En 1889, Gallé inscrit son principe
sur un vase montrant un chevalier
s’élançant, épée levée, et portant un
bouclier : « Ma carrière est la justice ».
Ce décor est traité dans un style
très médiéval. La phrase fait aussi
référence à la nécessité d’engagement
de Gallé qui n’hésite pas à défendre les
causes auxquelles il tient et attaquer
les responsables des injustices.
la cause
des peuples
Gallé s’engage aussi pour des causes
extérieures à la France notamment
pour la liberté des peuples opprimés
et menacés, quelles que soient
leurs origines et leurs religions.
Au xixe siècle, l’Irlande est entièrement
soumise à l’Angleterre et les Irlandais
sont peu considérés par les Anglais.
De nombreux Irlandais souhaitent
l’indépendance de leur pays ainsi
qu’une amélioration de leur cadre
de vie et de travail. Parmi ceux-ci,
l’homme politique et journaliste
William O’Brien est un farouche
défenseur de la cause paysanne
irlandaise. Il est condamné à la prison
pour cette raison mais il n’était pas
présent à son procès et a pu s’enfuir
en Amérique.
¬ Le vase
Pélican
est offert par Gallé
en 1890 à O’Brien lors d’un séjour
à Paris. Le col de la verrerie est orné
du trèfle, symbole de l’Irlande. Le
décor représente un pélican blanc aux
ailes déployées. Un ptérodactyle griffu
tente de l’attirer dans les ténèbres.
Une citation gravée « Je dis le chant
plaintif des âmes prisonnières » est
une référence à ce qui attend O’Brien
à son retour en Angleterre : la prison.
Celui-ci s’est en effet enfui d’Irlande et
il sait qu’à son retour, il sera arrêté et
emprisonné.
l’affaire dreyfus
L’affaire Dreyfus est un moment
important de l’histoire de la iiie
République, comme de la vie d’Émile
Gallé. En 1894, le capitaine français
Alfred Dreyfus, Alsacien de confession
juive, est injustement condamné pour
avoir livré à l’ennemi allemand des
documents secrets. L’affaire rencontre
peu d’écho jusqu’à l’acquittement le
10 janvier 1898 du véritable coupable.
Trois jours plus tard, l’écrivain Émile
Zola publie un long article dans
le journal
L’Aurore
intitulé « J’accuse »,
dans lequel il s’en prend violemment
à l’injuste condamnation de Dreyfus
et à l’acquittement du coupable.
S’ensuit alors une grande période de
tension, sur fond d’antisémitisme,
qui divise les Français en deux camps :
les dreyfusards qui réclament la justice
et la vérité et les antidreyfusards
qui ne veulent pas remettre en cause
les décisions de l’État et de l’armée.
Gallé s’engage, dès 1898, dans
le camp des dreyfusards. Décédé
en 1904, il ne connaîtra pas la
réhabilitation de Dreyfus deux ans plus
tard, pour laquelle il s’était tant investi.
0302
Émile Gallé. En collaboration avec la manufacture
de Saint-Clément, Pigeon vole, assiette patriotique,
modèle créé en . MEN, inv. 993.12.4
Émile Gallé. En collaboration avec Victor Prouvé,
Bassin Qui vive ? France, vers . Collection particulière.
Émile Gallé. Vase Dragon et Pélican, .
Dublin, National Museum of Ireland, inv. DC : 1937.20.
Le Livre d’or tel qu’il a été reproduit à l’époque dans
différentes revues.
Phototypie J. Royer. MEN, album photographique Victor Prouvé.
Émile Gallé. En collaboration avec Victor Prouvé.
Fiole à encre La Calomnie ou Les Baies de sureau, .
Suwa, Kitazawa Museum of Art, inv. 1691.
Émile Gallé. Bureau La Forêt lorraine, .
Collection particulière.
Victor Prouvé, Les Chemineaux, 1907.
Épinal, musée départemental d’Art ancien et contemporain, inv. C 846.
Victor Prouvé, Le Forgeron. Maquette pour la sculpture
du fronton de la Maison du Peuple, vers -.
MEN, inv. 128.
Victor Prouvé, La Grêve générale, .
Nancy, Musée lorrain, inv. 2006.0.5723
Victor Prouvé, Espoir. Étude pour la décoration de la
mairie du e arrondissement de Paris, . MEN, inv. 50.
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