Socrate
Pour les articles homonymes, voir Socrates (homo-
nymie).
Sauf précision contraire, les dates de cette page sont
sous-entendues « avant Jésus-Christ ».
Socrate (Σωκράτης)
Buste en marbre d'origine romaine (Ier siècle) représen-
tant Socrate, copie d'un bronze perdu (de Lysippe ?).
Socrate (en grec ancien Σωκράτης / Sōkrátēs) est un
philosophe grec du Vesiècle av. J.-C. (né vers -470/469,
mort en -399). Il est connu comme l’un des créateurs de la
philosophie morale. Socrate n’a laissé aucun écrit, mais sa
pensée et sa réputation se sont transmises par des témoi-
gnages indirects. Ses disciples Platon et Xénophon ont no-
tablement œuvré à maintenir l'image de leur maître, qui
est mis en scène dans leurs œuvres respectives. Les phi-
losophes Démétrios de Phalère, et Maxime de Tyr dans
sa Neuvième Dissertation[1] ont écrit que Socrate est mort
à l’âge de 70 ans.
jà renommé de son vivant, Socrate est devenu l’un des
penseurs les plus illustres de l'histoire de la philosophie.
Sa condamnation à mort et sa présence très fréquente
dans les dialogues de Platon ont contribué à faire de lui
une icône philosophique majeure. La figure de Socrate
a été discutée, reprise, et réinterprétée jusqu'à l'époque
contemporaine. Socrate est ainsi célèbre au-delà de la
sphère philosophique, et son personnage entouré de lé-
gendes.
En dépit de cette influence culturelle, très peu de choses
sont connues avec certitude sur le Socrate historique. Les
témoignages le concernant sont souvent discordants, et la
restitution de la vie ou la pensée originelle de Socrate est
une approche sur laquelle les spécialistes ne s’accordent
pas.
1 Sources et « question socra-
tique »
Socrate n'ayant jamais rien écrit, sa vie et sa pen-
sée sont connues principalement par des contemporains
(Aristophane), qui ont parfois été ses disciples comme
Platon et Xénophon, ainsi que par des sources indirectes,
au premier rang desquelles Aristote (né en 384). Ces
sources directes et indirectes ne s’accordent pas toujours
ou sont même contradictoires. Ce qu'on appelle la « ques-
tion socratique » est le problème qui se pose lorsque l'on
tente de reconstituer la pensée du Socrate historique[2].
Alors que Xénophon était jusque-là la principale source
sur la pensée du Socrate historique, le lancement de
la question socratique a été principalement l'œuvre de
Friedrich Schleiermacher. Dans son étude « Ueber den
Werth des Sokrates als Philosophen [La valeur de Socrate
en tant que philosophe] » (1818), Schleiermacher fait re-
marquer d'une part que Xénophon n'est pas un philosophe
et d'autre part que sa défense de Socrate le conduit à en
faire un philosophe plat et conformiste. Il pense donc
que l'on peut trouver chez Platon les éléments de la vé-
ritable pensée de Socrate, tout en proposant de les faire
concorder avec ceux qui sont considérés comme fiables
chez Xénophon. Dans les faits, l'application de la pro-
blématique définie par Schleiermacher jusqu'au début du
xxesiècle conduit à un quasi-rejet, voire un rejet com-
plet du témoignage de Xénophon[Note 1]. Il n'y a cependant
pas eu d'accord chez les historiens sur le fait de savoir
qui de Platon, d'Aristote voire d'Aristophane rendait le
mieux compte de la pensée du Socrate historique, même
si Platon avait la préférence du plus grand nombre. Mais
même chez les partisans de Platon, la question de savoir à
quels dialogues se fier n'est pas résolue : l'Apologie de So-
crate seule, les dialogues de jeunesse (tous ou seulement
certains), les dialogues apocryphes, voire la totalité des
dialogues[3]. Pour Gregory Vlastos par exemple, le So-
crate « historique » est pour l'essentiel le Socrate des dia-
logues de jeunesse de Platon, les témoignages d'Aristote
et de Xénophon appuyant ce point de vue[4].
C'est à la fin du xixesiècle qu'est faite une découverte
majeure : celle du caractère fictionnel des dialogues so-
cratiques (logoi sokratikoi)[Note 2]. Les dialogues socra-
tiques sont en effet un genre littéraire, ainsi que l'atteste
Aristote. La mise en scène et le contenu de ces dia-
logues font une large place à l'invention et ils ne visent
pas à être un témoignage exact de la pensée de Socrate.
Outre Xénophon et Platon, d'autres disciples de Socrate
ont composé des logoi sokratikoi d'après le témoignage
de Diogène Laërce :Antisthène,Eschine de Sphettos,
Phédon d'Élis et Euclide de Mégare[Note 3]. Il y avait donc
probablement autant de portraits de Socrate, figure lit-
téraire, que de disciples se réclamant de lui. Aussi pour
Louis-André Dorion, il faut donc envisager que la ques-
tion socratique, consistant à vouloir accorder entre eux
des témoignages discordants, est dépassée. Il s’agit da-
vantage d'étudier, dans une perspective philosophique, les
variations sur un même thème socratique au travers des
différents témoignages[5],[6].
La diversité des écoles fondées par les disciples de So-
1
22 BIOGRAPHIE
crate prouve que la figure de ce dernier est extrêmement
complexe : l'école de Platon, l'école cynique d’Antisthène,
l’école de Cyrène d’Aristippe, l’école de Mégare d’Eu-
clide. Il est probable que nous aurions une idée tout à
fait différente de qui était Socrate si l’on avait conser-
vé toute la littérature produite par ces différentes écoles,
en particulier l'ensemble des dialogues socratiques. En
faisant de Socrate le porte-parole de leurs propres doc-
trines, les socratiques en avaient fait un personnage aux
opinions contradictoires, ainsi que l'avait noté saint Au-
gustin : « chacun prend de ces opinions ce qui lui plaît, et
place le bien final où bon lui semble. […] sur cette ques-
tion les partisans de Socrate se divisent. Chose inouïe,
et que l'on ne pourrait croire des disciples d'une même
école[Note 4]. »[7],[8].
2 Biographie
Socrate, ses deux épouses et Alcibiade par Reyer Jacobsz van
Blommendael, peinture sur toile, 210 x 198 cm, XVIIesiècle,
musée des beaux-arts de Strasbourg.
On sait peu de choses sur la vie de Socrate, et la plupart
d'entre elles concernent le procès de 399. Socrate na-
quit vers 469/470, dans la troisième année de la 77e
olympiade, à la fin des guerres médiques, près d’Athènes,
dans le dème d’Alopèce,dème de la tribu d’Antiochide. Il
est le fils de Sophronisque et de Phénarète. Son père était
sculpteur ou tailleur de pierre et sa mère sage-femme. Il
est toutefois possible que le nom de sa mère (qui signi-
fie « qui fait apparaître la vertu ») et son métier ne soit
qu'une invention destinée à souligner les propos de So-
crate sur la maïeutique[Note 5],[9]. Socrate avait un demi-
fre, Patroclès, fils de Chérédème, premier mari de sa
mère[Note 6],[10],.
Les renseignements sur sa vie privée sont peu sûrs, voire
contradictoires. La tradition la plus connue, qui vient de
Platon et Xénophon, le donne pour marié à Xanthippe,
vers 415. Selon une autre tradition, plus douteuse et
remontant à Aristote, Socrate aurait été bigame, ma-
rié à Xanthippe et à Myrto, petite-fille d'Aristide le
Juste[Note 7],[11]. Il aurait eu trois enfants de Xanthippe :
Lamproclès, l'aîné selon Xénophon[12], Sophronisque et
Ménexène, à laquelle la tradition fait une réputation de
mégère[Note 8],. En dépit du physique peu avantageux que
lui prêtent Platon et Xénophon, Socrate est un séducteur
de jeunes gens, au point d'être accompagné par un groupe
d'admirateurs imitant son mode de vie[11],[13]. D’après
une autre tradition, mentionnée par Aristoxène, Socrate
avait une forte inclination pour les femmes[14] Le sexo-
logue Fred Klein place Socrate dans une liste de bisexuels
lèbres dans l'histoire [15].
Socrate est présenté par Platon comme étant
pauvre[Note 9], tandis que Xénophon conteste que
l'on puisse le dire pauvre au motif que n'ayant que peu de
besoins Socrate n'avait pas l'utilité d'une grande fortune.
On ne connaît par ailleurs à Socrate pas d'autre activité
que la philosophie[11]. Cependant, ayant servi comme
hoplite durant la guerre du Péloponnèse, il n'était pas
un thète, la plus pauvre des quatre classes, dispensée
du service hoplitique, et sa pauvreté doit sans doute se
comprendre relativement aux jeunes gens riches qui
formaient son entourage[16].
2.1 Hoplite
Il a été hoplite durant trois campagnes militaires pendant
la guerre du Péloponnèse : celle de Potidée en 431-430,
celle de Délion en 424 et celle d'Amphipolis en 422[17].
Ce semble être d'ailleurs les seuls déplacements de So-
crate hors d'Athènes[18]. Platon le montre comme faisant
preuve d'un courage physique hors du commun[19] : « là [à
Délion] comme à Athènes, il marchait fièrement et avec un
regard dédaigneux[Note 10], pour parler comme toi, Aris-
tophane. Il considérait tranquillement tantôt les nôtres,
tantôt l’ennemi, faisant voir au loin, par sa contenance,
qu’on ne l’aborderait pas impunément. Aussi se retira-t-
il sain et sauf, lui et son compagnon ; car, à la guerre,
on n’attaque pas ordinairement celui qui montre de telles
dispositions[Note 11]. »
Le courage dont il fait preuve n'est pas seulement phy-
sique, mais aussi politique, quel que soit le régime. En
406, après la bataille des Arginuses, on a décidé, sous
l'influence des démagogues, de juger collectivement les
généraux ayant conduit cette bataille, au motif qu'ils n'ont
pas recueilli les corps des morts. Le hasard veut que So-
crate se trouve être alors prytane et chef de l'assemblée. Il
est le seul des cinquante prytanes, au péril de sa vie, à s’op-
poser à cette procédure illégale : selon la loi athénienne,
c’est en effet un à un, et non collectivement, qu’on pou-
vait condamner ces hommes. Son opposition n'empêche
toutefois pas les généraux d'être condamnés à mort. En
404, sous le régime des Trente, il refuse d'obéir à l'ordre
2.3 Procès 3
qui lui est donné d'arrêter un proscrit, Léon de Salamine,
là encore au péril de sa vie[Note 12],[20],[21].
Athènes est au vesiècle le centre de la vie culturelle et
est un lieu de passage obligé pour les personnalités du
temps : l'historien Hérodote, les physiciens Parménide
et Anaxagore, le médecin Hippocrate, les sophistes Pro-
tagoras, Gorgias, Hippias, Prodicos[18], entre autres. On
ignore quelle a été la formation de Socrate. Anaxagore
et Archélaos de Milet lui ont été donnés comme maîtres
par une tradition tardive[Note 13], mais ce n'est peut-
être qu'une reprise du passage « autobiographique » du
Phédon (96a-99d) : Socrate y déclare avoir étudié les
livres d'Anaxagore. Platon et Xénophon ne donnent en
réalité aucun renseignement clair sur d'éventuels maîtres
de Socrate, Lucien de Samosate explique tout au plus que
Socrate fréquentait les écoles de joueuses de flûte, et prit
quelques leçons chez l'taïre Aspasie[22]. Plusieurs pas-
sages de Platon le présentent comme disciple du sophiste
Prodicos, mais l'ironie dont fait preuve Socrate à ce sujet
ne donne aucune certitude[23],[24].
2.2 Son enseignement public
Vers 435, il commença à enseigner, dans la rue, dans les
gymnases, les stades, les échoppes, au gré des rencontres.
Il parcourait les rues d’Athènes vêtu plus que simplement
et sans chaussures, dialoguant avec tous.
Buste de Socrate
Photographie de Domenico Anderson.
Il enseignait, ou plus exactement questionnait, gratuite-
ment — contrairement aux sophistes, qui enseignaient la
rhétorique moyennant une forte rétribution. L'année 420
est importante, puisque la Pythie de Delphes aurait ré-
pondu à son ami d’enfance Chéréphon : « Il n'y a pas
d'homme plus sage que Socrate »[Note 14].
On sait que Socrate passait à certaines occasions plu-
sieurs heures debout et immobile. Platon en a fait une
description dans Le Banquet[Note 15]. La philosophie étant
un mode de vie, il s’agit ici d'un exercice de méditation,
ou « dialogue avec soi-même », pratiqué dans l'Antiqui
par les philosophes. Outre Socrate, Pyrrhon ou Cléanthe
par exemple s’y adonnaient[Note 16],[25].
2.3 Procès
Article détaillé : Procès de Socrate.
Au printemps 399, cinq ans après la fin de la guerre
du Péloponnèse, un procès pour impiété (graphè ase-
beias) est intenté à Socrate par trois accusateurs, Anytos,
homme politique de premier plan, et deux comparses,
Mélétos, un poète, et Lycon, obscur orateur. Les chefs
d'accusation sont les suivants : « ne pas reconnaître les
mêmes dieux que l’Etat, […] introduire des divinités nou-
velles et […] corrompre la jeunesse »[Note 17],[26]. Sur les
501 juges, 280 votent en faveur de la condamnation, 221
de l'acquittement. Invités à proposer une peine, Mélé-
tos demande la peine de mort, Socrate demande à être
nourri au Prytanée, honneur réservé aux citoyens les plus
méritants. Les juges votent alors en faveur de la peine
de mort[27]. Les commentateurs contemporains sont par-
tagés sur l'interprétation à donner à ce procès : les uns
pensent que les chefs d'accusation sont les véritables mo-
tifs du procès, les autres qu'ils sont un prétexte et que les
ritables motifs sont de nature politique[28].
À propos du premier chef d'accusation, la question s’est
posée de savoir ce qu'on reprochait exactement à So-
crate : être athée, donc de ne pas croire tout court aux
dieux, ou être impie, c'est-à-dire de ne pas honorer les
dieux d'Athènes. Platon[Note 18] et Xénophon[Note 19] le
présentent comme s’il se défendait contre une accusation
d'asébie, ce qui contredirait l'accusation d'introduire de
nouvelles divinités. Ses disciples ne présentent jamais So-
crate comme un athée, mais, même si Socrate ne croit pas
aux fables des poètes sur les dieux, il n'est pas non plus
présenté comme un impie, et ce dernier point ne suffit pas
à lui seul à comprendre la raison de ce procès pour cette
forme d'impiété. La possibilité même d'un procès pour
asébie à Athènes à cette date n'est pas assurée. Un décret
à ce sujet, datant du début de la guerre du Péloponnèse,
est mentionné par Plutarque et aurait visé Périclès à tra-
vers Anaxagore[Note 20]. Mais son authenticité ou le fait
qu'il soit toujours en vigueur en 399 sont discutés[28].
Le chef d'accusation relatif à l'introduction de nouvelles
divinités (daimonia) est mis en relation par Platon et Xé-
nophon avec le « signe divin » (daimonion semeion) de
Socrate. Dans Les Nuées d'Aristophane, Socrate est pré-
senté comme un « physicien », substituant aux anciens
43 PLACE DE SOCRATE DANS LA PHILOSOPHIE ANTIQUE
dieux des entités telles que les Nuées, la Langue ou le
Vide. Mais le signe divin de Socrate n'apparaît nulle part
dans la pièce et il est possible que ce chef d'accusation
soit la manifestation d'une certaine jalousie des Athéniens
envers ce qui pouvait apparaître comme une faveur des
dieux à l'égard de Socrate[28].
L'accusation de corrompre la jeunesse est liée par Platon
à celle d'impiété. Mais pour Louis-André Dorion, ce lien
paraît superficiel et le véritable motif serait d'ordre po-
litique. Cette accusation est par ailleurs mise en relation
avec la pratique de l’elenchos[Note 21]. La rélation en pu-
blic de l'ignorance de certains, se croyant savants, par So-
crate et les jeunes gens qui l'imitaient, ainsi que l'influence
que l'on attribuait au philosophe sur certains de ses dis-
ciples, Alcibiade[29],[30],Charmide,Critias, considérés
comme ayant trahi la démocratie athénienne, ont clai-
rement pu donner aux Athéniens l'idée que Socrate cor-
rompait la jeunesse. La récente loi d'amnistie de 403,
votée après le rétablissement de la démocratie, explique
sans doute pourquoi le procès intenté à Socrate n'est pas
ouvertement politique. Dès les environs de 393, le so-
phiste Polycrate d'Athènes publie un pamphlet, Accusa-
tion de Socrate, attaquant le philosophe sur le plan poli-
tique, auquel Xénophon pond dans ses Mémorables[28].
Pour Gregory Vlastos, le fait de ne pas avoir de croyances
orthodoxes (l'« impiété ») n'était pas à soi seul un motif
pour être condamné. La véritable raison de la condamna-
tion de Socrate tient au « caractère agressif de sa mission
publique », c'est-à-dire qu'il se sentait obligé de débattre
avec tout un chacun dans les rues d'Athènes, pouvant don-
ner par là la fausse idée qu'il enseignait à ses disciples à
ne pas respecter la religion traditionnelle[31].
2.4 Mort
Jacques-Louis David, La mort de Socrate (1787), conservé au
Metropolitan Museum of Art de New York.
Un mois s’écoula entre la condamnation de Socrate et
sa mort, pendant lequel il resta enchaîné dans la prison
des Onze. Ses amis le visitaient et s’entretenaient avec lui
quotidiennement. Deux dialogues de Platon sont censés
se dérouler pendant cette période, le Criton et le Phédon.
Le jour venu, Socrate boit le poison létal, la cigüe, en
présence d'Apollodore de Phalère,Criton et son fils Cri-
tobule, Hermogène, Épigénès, Eschine,Antisthène, Mé-
ne, son cousin Ctésippos de Péanie, et quelques
anonymes[32].
En choisissant de mourir, Socrate affirme la primauté de
la vertu sur la vie : la vie du corps est subordonnée à
la pensée. Cet événement est à l'origine du platonisme
dans lequel le Bien est supérieur à toute chose. En ce sens
philosopher est un exercice spirituel d'apprentissage de la
mort : « c'est donc un fait […] que les vrais philosophes
s’exercent à mourir et qu'ils sont, de tous les hommes,
ceux qui ont le moins peur de la mort[Note 22]. » Il s’agit
dans le platonisme de mourir en son corps, ses passions
et son individualité, pour s’élever à l'universalité de la
pensée. Cette idée de la philosophie comme apprentis-
sage de la mort se retrouve ensuite dans une bonne partie
de la philosophie occidentale : chez les stoïciens ou chez
Montaigne[33] par exemple, mais aussi chez des antipla-
toniciens comme les épicuriens ou Heidegger[34].
3 Place de Socrate dans la philoso-
phie antique
Il existait avant Socrate des individus réputés pour être
sages (sophoi), faisant preuve de sophia (c’est-à-dire de
sagesse, de savoir, ou de savoir-faire)[35],[Note 23]. Ces
sages, maîtres de vérité ou de sagesse, représentent une
sorte d'aristocratie, tandis que les sophistes, qui affirment
pouvoir enseigner le savoir à tous contre paiement, sont
le versant démocratique de la sagesse. En s’opposant
aux uns et aux autres, Socrate est le premier philosophe
(philo-sophos), tel que le définit pour la première fois
Platon dans le Banquet, c'est-à-dire celui qui est non
sage, mais qui désire (philein) la sagesse, sachant qu’il
ne sait rien. Individu inclassable, il provoque chez les
autres le bouleversement de soi-même d’une fon ir-
rationnelle. Cette remise en question de l’individuali
se trouve dépassée dans le dialogue entre un individu
et un autre, dialogue fondé sur la raison, pour atteindre
l’universali[36],[37]. Par la suite, pour toutes les écoles
philosophiques de l'Antiquité, la figure du sage est avant
tout un idéal. Et toutes, à l'exception de l'épicurisme, s’ac-
cordent pour reconnaître que Socrate, celui qui ignore
qu'il est sage, est une incarnation de cet idéal[38].
Par la suite, une tradition a fait de Thalès de Milet le
« premier philosophe », tandis qu'une autre tradition,
remontant à Platon, Xénophon et Aristote, fait de So-
crate le « père de la philosophie ». Thalès serait en ef-
fet le premier à attribuer aux phénomènes naturels des
causes matérielles et non surnaturelles, alors que Socrate
serait le premier à consacrer la réflexion philosophique
aux affaires humaines, et non plus à l'étude de la na-
ture. Cette tradition en vigueur chez les Anciens d'un So-
crate comme père de la philosophie est à l’origine chez
les Modernes de la désignation des philosophes qui l'ont
5
précédé (ou qui sont parfois ses contemporains) comme
«présocratiques ». Elle est aussi à l'origine de l'idée se-
lon laquelle Socrate est le « fondateur de la science mo-
rale »[Note 24]. Mais c'est surtout l'exemplarité de sa vie et
de sa mort au service de la philosophie qui en fait le père
de celle-ci[39].
L'idée du cosmopolitisme est attribuée à Socrate par
Plutarque[40] : l'idée de patrie lui serait étrangère, même
si Socrate a toujours gardé une tendresse pour sa ville na-
tale.
3.1 Socrate et les sophistes
Les sophistes se placent sans doute dans la continuité de
l'école éléatique. En eet, pour l'éléate Parménide, il y
a identité entre l'être et le discours. Mais pour Parmé-
nide, l'être a la primauté et c'est lui qui assure que le
discours peut être vrai. Les sophistes traitent eux aussi
du problème des rapports entre l'être et le discours, mais
opèrent un renversement : c'est désormais le discours qui
a la primauté. Ce qui conduit à deux positions sophis-
tiques : celle de Gorgias, pour qui il n’y a pas d'être, et
celle de Protagoras, pour qui n'importe quel discours peut
donner une existence à n'importe quel être[41].
Socrate est en accord avec Parménide sur le fait qu'il
existe un Être unique, existant indépendamment du dis-
cours et supérieur à lui. Mais il accorde cependant aux
sophistes qu'il existe aussi une multitude d'autres êtres,
qui peuvent se montrer illusoires et trompeurs, en relation
avec le discours. Contrairement aux sophistes, Socrate est
cependant le premier à penser que ces êtres existent aussi
en dehors du discours, préservant ainsi la possibilité d'un
discours vrai, qui ne varie pas en fonction de la subjecti-
vité de chacun. Socrate est ainsi à l'origine en philosophie
de la notion de concept, ouvrant par là le chemin aux idées
platoniciennes[41].
3.2 Disciples et continuateurs
Parmi ses élèves, sept sont d'après Diogène Laërce
considérés comme particulièrement importants. Ce sont
Antisthène,Eschine de Sphettos,Platon,nophon,
Euclide de Mégare,Aristippe de Cyrène et Phédon d'Élis.
Tous, sauf peut-être Aristippe, ont écrit des dialogues so-
cratiques. Ce sont des fictions littéraires dans lesquelles
des sujets philosophiques font l'objet d'un débat « à la
manière » de Socrate. Seuls nous sont parvenus en entier
des dialogues de Platon, du Pseudo-Platon (anciennement
attribués à Platon mais qui n'ont pas été écrits par lui) et
de Xénophon[42].
Il eut d'autres disciples, dont Apollodore et son frère
Aïantodore ; Isocrate, pendant une courte période ;
Cébès,Chéréphon, son ami d'enfance et assistant ;
Ménexène,Simmias, , Métrodore[Note 25],Alcibiade s
431, Charmide,Critias,Théétète d'Athènes,Criton et
ses enfants Critobule, Hermogène, Epigène et Ctésippe ;
Spintharos, père d'Aristoxène[Note 26] ;Hermogène, Lysa-
nias de Sphettos, père d'Eschine de Sphettos ; Coriscos de
Scepsis, père de Nélée de Scepsis. L’un de ses disciples,
Euclide de Mégare, en 405, fonda la première école des
« Petits socratiques » : le mégarisme. En 400, un autre
disciple, Antisthène, a fondé la deuxième école des « Pe-
tits socratiques » : le cynisme. L’année suivante, Aristippe
fonda la troisième école : le cyrénaïsme. L’acmé de So-
crate est contemporaine de la mort d’Anaxagore[43].
4 Le Socrate d'Aristophane
Illustration des Nuées, dans les Emblemata de Johannes Sambu-
cus, 1564.
Les plus anciens témoignages sur Socrate se trouvent
dans la comédie attique. Outre Aristophane, qui a raillé
Socrate dans sa pièce Les Nuées, au moins quatre au-
teurs s’en sont pris à Socrate dans leurs comédies :
Amipsias,Téléclidès,Callias et Eupolis. D'après les frag-
ments conservés, Socrate y apparaît comme le type cari-
catural de l’« intellectuel », pauvre et affamé. Ces frag-
ments n'ont pas d'intérêt du point de vue philosophique,
mais on peut en conclure que Socrate était un person-
nage connu dans l'Athènes de la fin du vesiècle. Lorsque
Aristophane remporte le troisième prix aux Grandes
Dionysies avec les Nuées en 423, le deuxième prix revient
à Amipsias avec sa pièce Konnos, qui est le nom du pro-
fesseur de cithare de Socrate[44].
Le portrait de Socrate dans Les Nuées d'Aristophane, de
fait le seul témoignage datant du vivant même de So-
crate, est en complète contradiction avec celui de Pla-
ton et Xénophon sur plusieurs points. C'est notamment
le cas pour les trois chefs d'accusation du procès de So-
crate en 399 : ne pas croire aux dieux de la cité et
les remplacer par des divinités nouvelles, et corrompre
la jeunesse, chefs d’accusation qui sont anticipés dans la
pièce. Aristophane contredit aussi Platon et nophon
en présentant Socrate par exemple comme donnant des
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