engage à ne pas choisir de camp et invite au contraire
à travailler et à présenter tous les théâtres.
Le répertoire de la Comédie-Française s’augmente
régulièrement de nouveaux titres et ne s’est jamais
cantonné à un seul canon littéraire, intégrant depuis
plus de trois siècles les dramaturgies qui sont le reflet
de leur époque. Il ne s’agit donc pas pour nous de
marquer un territoire, mais de les parcourir tous.
La saison nouvelle est l’expression de cette
souplesse et de cette nécessaire curiosité. Nous
aborderons des titres injustement oubliés ou
curieusement absents du Répertoire et des ouvrages
peu répertoriés faisant appel à des techniques de
représentation moins coutumières de nos plateaux.
Je sais d’expérience qu’un spectacle réussi est
rarement le fruit d'une commande mais plutôt celui
d’une rencontre entre un artiste et une œuvre, d’une
vieille obsession ou d’un angle de lecture marginal.
J’y suis toujours sensible et attentif car c’est le gage
d’une lecture éclairée. De grands metteurs en scène
étrangers côtoieront de jeunes artistes, des pères
fondateurs et des compagnons de route, multipliant
et confrontant ainsi les méthodes et les points de vue.
Pour révéler cette richesse, il faut toute la force et
l’engagement de celles et ceux qui, derrière le rideau,
œuvrent quotidiennement à ce qu’il se lève près
de huit cents fois par an.
Si notre volonté est d’arpenter le spectre infini du
verbe et de ses incarnations, la permanence de la
Comédie-Française vient aussi de sa capacité à suivre
les méandres de notre histoire commune. Quand les
peurs et les extrêmes semblent chaque jour un peu
plus s’alimenter mutuellement, la vertu du théâtre
est de nous renvoyer à nos contradictions, nous
rappelant aux enseignements de l’Histoire mais sans
didactisme ni leçons assénées. Le théâtre se contente
de brasser la complexité de notre monde et de nos
natures, en nous tendant, sans jugement mais avec
une santé et une joie impitoyables, un miroir que nous
aimerions quelquefois plus déformant.
Heureuse singularité, une carrière de comédien
et une carrière de spectateur peuvent ici se vivre en
commun, parallèlement, de saison en saison. Nous
sommes finalement au terme de ces parcours aussi
observateurs et ébahis de notre monde les uns que
les autres. Acteurs-spectateurs ou spectateurs-
acteurs peu importe, si nous partageons le même
désir d'être transformés.
Éric Ruf