à être d’origine africaine, Bakary Sangaré,
interprète l’empereur romain Titus… Assuré-
ment, beaucoup d’effet de sens. Enfin, au
Vieux-Colombier, Muriel Mayette elle-même
a monté une Dispute assez particulière,
puisque au texte de la pièce en un acte étaient
intégrés des fragments d’autres œuvres de
Marivaux. L’effet hypertextuel était incontes-
tablement saisissant et cherchait à aller au
cœur du discours théâtral, mais n’a-t-il pas pu
dérouter les spectateurs peu familiers de l’au-
teur de La Double Inconstance, qui ne
savaient pas vraiment ce qu’ils entendaient, et
certains connaisseurs, qui trouvaient dans ce
mélange une forme de dissolution des
répliques censées être dites ? « Il faut écrire
à la moderne », disait déjà, vers 1620, le poète
Théophile de Viau, premier poète du siècle
dont une pièce fut publiée sous son nom. « Il
faut mettre en scène à la moderne » semble
être la doctrine nécessaire mais probléma-
tique de certaines productions d’une institu-
tion au service du patrimoine.
La tentation du moderne
Car « écrire à la moderne » est devenu diffi-
cile. Et trouver des classiques contemporains
l’est peut-être encore plus. L’entrée au réper-
toire a traditionnellement été une consécra-
tion, qui incarne la reconnaissance absolue, au
sein du panthéon des poètes dramatiques.
L’un des exemples les plus marquants a été
donné en 2006 par Valère Novarina, avec la
création de L’Espace furieux en Salle Riche-
lieu : le Protée du théâtre contemporain,
célébré en Avignon, offrait son univers de
Verbe et de graphisme à la postérité. Si l’im-
portance des drames vivants écrits par l’auteur
de L’Acte inconnu n’a guère été remise en
question, le choix de Michel Vinaver et de son
plaidoyer anticapitaliste, L’Ordinaire, en 2009,
a soulevé quelques interrogations. De même,
l’entrée au répertoire de pièces plus anciennes
est parfois totalement justifiée : c’est à n’en
point douter le cas pour la Penthésilée, pièce
majeure du Sturm und Drang, chef-d’œuvre de
Kleist, évidemment aussi de Pedro et le
Commandeur, de Lope de Vega, toutes deux
présentées pour la première fois lors de la
saison 2007-2008. Mais la question se pose
pour d’autres propositions : Figaro divorce fait
certes un diptyque avec Beaumarchais, mais
est-ce la création majeure de Horvath ? Le
Dom Quichotte de Da Silva est assurément
une pièce intéressante, parodie d’un texte déjà
en soi parodique, et l’utilisation de marion-
nettes dans la mise en scène d’Émilie Valan-
tin et Éric Ruf a certes fait sensation, mais
s’agit-il là d’un « classique » ? Ou plutôt,
comme Horvath, de la réinterprétation d’un
classique, c’est-à-dire, précisément, d’une
pièce qui, par définition, n’est pas elle-même
un classique ? En dernier lieu, Eduardo De
Filippo est bien le scénariste talentueux de
certaines des plus amusantes comédies de
Comencini et De Sica, dont Mariage à l’ita-
lienne. Cependant, est-il un auteur d’impor-
tance égale à D’Annunzio, Pirandello et
Goldoni, les trois seuls Transalpins inscrits au
répertoire, avant sa propre entrée en 2009 ?
Une certaine indéfinition règne donc quant
à la mission patrimoniale de la Comédie-Fran-
çaise, indéfinition rendue encore plus patente
par l’existence des deux salles secondes. En
effet, le Vieux-Colombier et le Studio Théâtre
ont pour fonction de permettre à une troupe
unique, composée d’acteurs reconnus – il n’est
qu’à citer, parmi tant d’autres, les noms de
Guillaume Gallienne, Clotilde de Bayser ou
Michel Vuillermoz –, d’être particulièrement
mise en valeur. Dans ce cadre, ils proposent
des « cartes blanches » – dont la Grande Salle
accueille aussi quelques manifestations, mais
en moins grand nombre – à Benjamin Jungers
ou à Gilles David, pour citer deux cas récents
– et des « portraits d’acteurs », notamment de
sociétaires honoraires, à la façon de Michel
Duchaussoy ou de Michel Aumont. Mais ces
interprètes peuvent aussi, dans une situation
autre, moins formelle, jouer des textes diffé-
rents – ou jouer différemment des textes
considérés comme fondamentaux. Par
exemple, le Suédois Lars Norén en est un bon
exemple, lui dont les œuvres sont désormais
appréciées à leur juste valeur, grâce à l’action
du directeur des Amandiers de Nanterre,
Jean-Louis Martinelli. Pour la première fois,
une de ses œuvres, intitulée Pur, a été repré-
sentée dans un théâtre dépendant de la
Comédie-Française, au Vieux-Colombier, en
avril-mai 2009, dans une mise en scène dont
il était lui-même le maître d’œuvre. Au même
moment, au Studio Théâtre, c’est un specta-
cle de la dramaturge contemporaine française
Annie Zadek qui est proposé au public, pour
clore la saison. Et un des grands moments de
LA COMÉDIE-FRANÇAISE ET LE THÉÂTRE « ALTERMODERNE »
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