SAISON 2015-2016
15-16
il est une chose dont on
préfère ne pas avoir à parler
–parce que les réponses
sont trop comp li quées
à formuler, trop nombr
euses, forcé ment
incomplètes et parce que les raisons
de toute façon sont prati quement indicibles–
c’est pour quoi fait-on du théâtre? Et surtout
à quoi cela sert-il? Et plus préci sément,
qu’est-ce qu’on espère toucher? On évite
souvent de répondre, on peut même passer
toute une carrière à ne pas y songer.
On avance la défense et la présentation
de notre répertoire et par extension de
la langue française, la recherche et l’accueil
de tous les publics, la trans mission aux plus
jeunes, l’aide aux écritures contem poraines,
la permanence de l’exception culturelle
française (et de l’éco nomie qui la fait vivre),
la décen tralisation… Tout cela bien sûr,
heureu sement, fonda men talement.
Mais l’on n’aura alors toujours pas répondu
à la question. On pourrait se perdre
en circon volu tions éternelles, néanmoins
la réponse est je crois plus bête, plus crasse
et plus simple. Que l’on s’adresse à l’âme
ou à la conscience des spectateurs, ils
viennent mais surtout revien nent au théâtre,
à tout âge et sans forcément de fidélité
à tel ou tel guignol, à tel ou tel réper toire,
parce qu’ils ont connu quel quefois, rarement,
cette émo tion à nulle autre pareille d’avoir
aperçu, là, sur scène, quel que chose de leur
vie, un éclat qui leur appar tient. Coincés
entre deux parfaits inconnus et parmi tant
d’autres, ils se sont sentis soudain faire
partie d’une huma nité plus grande qu’ils
ne le pensaient.
Tout ça pour ça, alors? Rien que ça?
Tant d’argent, de sciences, de travail,
de monde pour cette pêche malingre
et hasardeuse? Mais oui, tout ça pour ça.
Le théâtre, parce qu’il ne craint pas
la contradiction, parce qu’il se nourrit
du paradoxe, parce qu’il n’impose aucune
lecture ou hiérarchie définitive est un outil
extra ordinaire pour qui veut s’attacher
à comprendre.
Au cours d’une saison, la mission
de l’administrateur est de rêver les mariages
les plus fertiles entre le répertoire choisi
et les visions des artistes invités à les mettre
en scène. On y pratique avec bonheur l’art
de la mixité – antique, classique, moderne,
contem porain, qu’importe – lessentiel
est que ce théâtre soit toujours plus disant
que la réalité et qu’il nous y ramène à force
de détours.
Le spectacle est notre dessein commun,
la part offerte de la ruche bourdonnante
qu’est notre Maison, de sa Troupe
et des dizaines de métiers qui chaque jour
déploient leurs savoir-faire pour que
le rideau se lève, pour cette petite part
d’humanité.
Éric Ruf
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