
Mais l’on n’aura alors toujours pas répondu  
à la question. On pourrait se perdre  
en circon volu tions éternelles, néanmoins  
la réponse est je crois plus bête, plus crasse 
et plus simple. Que l’on s’adresse à l’âme  
ou à la conscience des spectateurs, ils 
viennent mais surtout revien nent au théâtre,  
à tout âge et sans forcément de fidélité  
à tel ou tel guignol, à tel ou tel réper toire, 
parce qu’ils ont connu quel quefois, rarement, 
cette émo tion à nulle autre pareille d’avoir 
aperçu, là, sur scène, quel que chose de leur 
vie, un éclat qui leur appar  tient. Coincés  
entre deux parfaits inconnus et parmi tant 
d’autres, ils se sont sentis soudain faire 
partie d’une huma nité plus grande qu’ils  
ne le pensaient.
  Tout ça pour ça, alors? Rien que ça?  
Tant d’argent, de sciences, de travail,  
de monde pour cette pêche malingre  
et hasardeuse? Mais oui, tout ça pour ça.  
Le théâtre, parce qu’il ne craint pas  
la contradiction, parce qu’il se nourrit  
du paradoxe, parce qu’il n’impose aucune 
lecture ou hiérarchie définitive est un outil 
extra ordinaire pour qui veut s’attacher  
à comprendre.
Au cours d’une saison, la mission  
de l’administrateur est de rêver les mariages 
les plus fertiles entre le répertoire choisi  
et les visions des artistes invités à les mettre 
en scène. On y pratique avec bonheur l’art  
de la mixité – antique, classique, moderne, 
contem porain, qu’importe – l’essentiel  
est que ce théâtre soit toujours plus disant 
que la réalité et qu’il nous y ramène à force  
de détours. 
  Le spectacle est notre dessein commun,  
la part offerte de la ruche bourdonnante 
qu’est notre Maison, de sa Troupe  
et des dizaines de métiers qui chaque jour 
déploient leurs savoir-faire pour que  
le rideau se lève, pour cette petite part 
d’humanité. 
 
     Éric Ruf