groupes sociaux devraient inévitablement supporter, les bailleurs de fonds se sont toujours
montrés sensibles à cet impératif de « stabilité ».
Dans son analyse de l’économie politique de la Tunisie, Béatrice Hibou a montré que
les partenaires financiers étrangers, réceptifs à cet impératif de « stabilité » constamment
revendiqué par les pouvoirs publics tunisiens, adoptent souvent une attitude permissive face aux
carences et faiblesses structurelles des politiques économiques, et surtout au non-respect des
conditionnalités en matière de privatisation, de restructuration bancaire, de fiscalité,
d’assainissement financier, de modernisation du tissu industriel ou de rigueur budgétaire. Ils se
contentent souvent de condamner la « mauvaise gouvernance », la gestion défectueuse et autres
immixtions du politique, occultant ainsi les arrangements sociopolitiques qui déterminent les
règles de fonctionnement de l’économie politique tunisienne3. Nous nous proposons d’analyser
dans les pages qui suivent les fondements de cette vision partagée de la « stabilité » et l’usage
dont celle-ci fait l’objet en Tunisie depuis l’indépendance. Nous partirons d’une déconstruction
du terme même et de la compréhension de ce qu’est la « stabilité », objet de glissements et de
va-et-vient incessants entre conception économique et conception politique. Nous nous
intéresserons ensuite aux fondements politiques de cette « stabilité », et examinerons enfin les
usages politiques de celle-ci à travers l’analyse de la trajectoire économique et sociale
tunisienne.
De la « stabilité » économique à la « stabilité » politique : au-delà des glissements
sémantiques et des affinités de pensée
Il est évident que le discours gouvernemental a opéré une liaison quasi mécanique entre
stabilité économique et stabilité sociopolitique. Afin d’asseoir sa légitimité et de « barrer la
route à tous les extrémismes4 », il a fait du développement de la classe moyenne le principal
indicateur de la réussite de sa gestion économique en même temps qu’un objectif politique en
soi. Ce glissement de la « stabilité » économique à la « stabilité » politique a ainsi mobilisé le
thème de la promotion des classes moyennes et contribué à créer une certaine interdépendance
entre les deux registres, tout en s’appropriant le discours des institutions internationales.
Néanmoins, ce glissement est loin d’être uniquement d’ordre sémantique, car il produit des
3 B. Hibou, La Force de l’obéissance…, op. cit. Et, du même auteur, « Les marges de manœuvre d’un “bon élève”
économique », Les Etudes du CERI, n° 60, décembre 1999.
4 Dans son discours du 7 novembre 2006, lors de la célébration du 19e anniversaire de son accession au pouvoir, le
Président a déclaré que son gouvernement travaillait « en permanence » à « l’amélioration du pouvoir d’achat et des
conditions de vie de la classe moyenne », laquelle représente « un facteur de stabilité et un bouclier qui nous protège
des soubresauts ». Voir Jeune Afrique, « A quoi rêvent les classes moyennes », 21 janvier 2007.