LE POINT SUR... Assistances cardiaques : Techniques et indications Nadia Aissaoui, Réanimation médicale CAC Paris-Ouest (Centre d’Assistance Cardio-circulatoire Paris-Ouest), HEGP, Paris [email protected] ’insuffisance cardiaque terminale est un problème majeur de santé publique. Le nombre de patients avec insuffisance cardiaque avancée augmente contrairement au nombre de greffons cardiaques. L’assistance circulatoire mécanique fait désormais partie de l’arsenal thérapeutique de l’insuffisance cardiaque avancée, en pont vers la transplantation cardiaque ou en possible alternative à la transplantation. Cet article détaille les différentes techniques d’assistance circulatoire, leurs indications ainsi que les critères d’implantation. L’assistance circulatoire mécanique (ACM) fait désormais partie intégrante de l’arsenal thérapeutique de l’insuffisance cardiaque avancée, en pont vers la transplantation ou en possible alternative à la transplantation cardiaque. L’ACM désigne un dispositif intra- ou extra-corporel pouvant suppléer totalement ou partiellement les fonctions circulatoires normalement exercées par le cœur. Les différents types d’ACM sont classés en systèmes de courte durée, utilisés dans l’urgence, et en systèmes « lourds » ou de longue durée, destinés à être implantés pour une période de plusieurs mois voire de manière définitive. Les ACM de courte durée peuvent être proposées dans les situations cliniques suraiguës ou aiguës (choc cardiogénique réfractaire) alors que les ACM de longue durée sont destinées aux insuffisances cardiaques chroniques avancées. Les assistances de courte durée répondent souvent à un échec de la prise en charge de l’insuffisance cardiaque chronique dont la gravité a été sous-estimée, alors qu’il faudrait envisager une greffe ou une assistance dès lors que la symptomatologie reste très sévère malgré un traitement médical optimal ou en cas d‘hospitalisations répétées pour décompensation cardiaque. Les assistances de courte durée Elles ont pour principal avantage leur relative facilité d’implantation et leur moindre coût par rapport aux assistances de longue durée. Elles ont globalement pour but de permettre, pour une période allant de quelques heures à 3-4 semaines, d’assister un patient en urgence dans l’attente soit d’une récupération, soit d’une autre option thérapeutique nécessitant une évaluation complémentaire (essentiellement transplantation ou assistance de longue durée). Parmi les assistances de courte durée, on distingue deux types de techniques utilisées dans l’urgence chez les patients en instabilité hémodynamique majeure.; - L’Extra-Corporeal Life Support (ECLS) - La pompe micro-axiale intra-corporelle type Impella LP 5.0 ® L’ECLS L’ECLS est l’assistance de l’urgence, permettant une assistance bi-ventriculaire et une oxygénation. Il s’agit d’une circulation extracorporelle, le plus souvent, avec oxygénateur entre la veine et l’artère fémorales [Figure 1]. IL S’AGIT D’UNE ECLS PÉRIPHÉRIQUE. La canule veineuse draine le sang veineux de l’oreillette droite via la veine fémorale et la canule artérielle réinjecte le sang oxygéné dans l’aorte via l’artère fémorale. Figure 1 MAI / JUIN 2015 CORDIAM 23 La canule implantée dans l’oreillette droite draine le sang veineux qui est oxygéné à travers un oxygénateur de membrane. Il est réinjecté dans l’aorte à un débit variable en fonction du type d’ECLS. En fonction de la position des canules, on distingue les ECLS périphériques et les ECLS centrales. Dans l’ECLS périphérique, la voie d’abord est fémorale. Une canule de réinjection au niveau de l’artère fémorale superficielle permet d’éviter l’ischémie aiguë de jambe. L’ECLS périphérique assure un débit entre 3 et 5 litres par minute. Elle est la technique de choix dans les situations d’urgence extrême. Dans l’ECLS centrale, la voie d’abord est thoracique. Cet abord permet l’adjonction d’une canule de décharge dans l’oreillette gauche ou le tronc de l’artère pulmonaire pour éviter ou en cas d’œdème aigu du poumon. L’ECLS centrale assure un débit entre 4 et 6 litres par minute. L’Impella ® Il s’agit d’une pompe miniature à flux axial montée sur cathéter introduit par une artère périphérique (artère fémorale ou sous-clavière) pour être placée dans la cavité ventriculaire gauche au travers de la valve aortique. Le sang du ventricule gauche est aspiré par cette pompe vers l’aorte ascendante [Figure 2]. L’Impella n’assiste que le ventricule gauche. Il existe différents types d’Impella en fonction du débit assuré : 2.5, 3.5 et 5.0. Dans le choc cardiogénique réfractaire, il faudra envisager une Impella 5.0 qui assure un débit à 5,0 L/min. LA POMPE MINIATURE À FLUX AXIAL EST MONTÉE SUR CATHÉTER INTRODUIT PAR L’ARTÈRE FÉMORALE DROITE. Elle est placée dans le ventricule gauche au travers de la valve aortique. Le sang du ventricule gauche est aspiré par cette pompe vers l’aorte ascendante. Figure 2 Critères d’implantation L’indication d’une ACM de courte durée chez les patients ayant une insuffisance cardiaque avancée est la survenue d’un choc cardiogénique réfractaire. Il s’agit d’un choc cardiogénique qui échappe au traitement médical maximal associant optimisation des inotropes et des pressions de remplissage. Il n’y a pas de définition précise de l’état de choc cardiogénique réfractaire ni de consensus sur les doses maximales d’inotrope à administrer avant d’envisager l’implantation d’une ACM de courte durée. La règle est d’implanter avant l’installation d’une défaillance multiviscérale. L’ECLS est préférentiellement choisie en cas d’atteinte pulmonaire sévère et/ou de dysfonction bi-ventriculaire alors que l’Impella est réservée aux atteintes mono-ventriculaires gauches et nécessite un opérateur entrainé. Les assistances de longue durée Les ACM de longue durée doivent être envisagées chez le patient en insuffisance cardiaque terminale en dehors du cadre de l’urgence extrême. On distingue les ACM utilisées en cas de défaillance mono-ventriculaire gauche et celles utilisées en cas de défaillance bi-ventriculaire. Le cœur artificiel total implantable pourra être discuté en cas de nécessité de cardiectomie en attente de transplantation. Assistances longue durée ou cœur artificiel ? Une assistance circulatoire est implantée en parallèle du cœur et donc, par définition, le cœur natif est laissé en place. Les pompes peuvent être placées à l’extérieur du corps et on parle alors d’assistance paracorporelle. Lorsque qu’elles sont placées à l’intérieur, on parle de système implantable. Le coeur artificiel est placé en série sur la circulation. Le coeur natif est alors réséqué et les 2 ventricules artificiels sont placés entre l’oreillette droite et l’artère pulmonaire à droite et entre l’oreillette gauche et l’aorte à gauche. En cas de panne, les assistances circulatoires ont pour avantage le fait que le coeur natif peut prendre le relais pour assurer la survie du patient, ce qui n’est pas le cas avec le cœur artificiel total dont le fonctionnement doit être infaillible. Mais le cœur artificiel a pour avantage d’éviter certains problèmes potentiellement liés à la conservation du cœur natif : troubles du rythme, formation de caillots, dysfonctions valvulaires. MAI / JUIN 2015 24 CORDIAM SUR CES SCHÉMAS, ON PEUT VOIR LE SYSTÈME D’ASSISTANCE BIVENTRICULAIRE PARACORPORELLE. Il s’agit du même dispositif utilisé pour assister le ventricule droit et le ventricule gauche. A gauche, la canule d’amission est implantée dans le VG et la canule d’éjection dans l’aorte. A droite, la canule d’amission implantée dans le ventricule droit ou l’oreillette droite et la canule d’éjection dans l’artère pulmonaire. Figure 3 Ventricules pneumatiques Ce sont des assistances à débit pulsatile reproduisant fidèlement le fonctionnement du cœur et permettant d’assurer un débit sanguin pulsé similaire à la circulation naturelle [Figure 3]. Les patients assistés par ce genre d’assistance ont un pouls palpable et une pression artérielle mesurable générés par le débit de la pompe. L’inconvénient tient au fait que ces pompes sont activées par une énergie pneumatique et doivent donc être connectées à des consoles imposantes. De plus elles présentent certains inconvénients inhérents à leurs caractéristiques physiques et à leur mode de fonctionnement (taille volumineuse, présence de valves, faible rendement énergétique, bruit), exposant ainsi les patients à une incidence élevée de complications notamment thrombo-emboliques. Le système d’assistance circulatoire pneumatique paracorporelle Thoratec est le traitement de première intention des défaillances bi-ventriculaires [Figure 4]. La survie à 6 mois sous assistance para-corporelle p-VAD est de l’ordre de 60% et 50% après transplantation. et à l’aorte ascendante par une prothèse d’éjection en dacron. L’alimentation électrique est assurée par un cable tunnelisé sous la peau et relié à une console portative alimentée par des batteries [Figure 3]. Ces ACM ont permis un gain très appréciable en termes de fiabilité mécanique, à tel point qu’elles sont à l’origine de l’essor du concept d’implantation définitive ou « destination therapy », en alternative à la transplantation. La survie globale des patients est supérieure à 75% à 1 an. Les défaillances d’organe, la qualité de vie et le statut NYHA ont été nettement améliorés chez tous les survivants. Les systèmes préférentiellement utilisés en cas de défaillance gauche isolée sont les systèmes d’assistance mono-ventriculaire gauche à débit continu type HeartMate II et HeartWare [Figure 4]. IL S’AGIT DES DEUX DISPOSITIFS D’ASSISTANCES VENTRICULAIRES MONO-GAUCHES LES PLUS UTILISÉS DANS LE MONDE AVEC À GAUCHE LE HEARTMATE II ET À DROITE LE HEART WARE. Assistances monoventriculaires gauches implantables Seul le ventricule gauche est assisté, pour une longue durée, de l’ordre de quelques mois voire quelques années, par un matériel presque totalement implantable permettant de ce fait une bonne autonomie et le retour du patient à domicile. Il s’agit de pompes intracorporelles qui génèrent un flux continu, non pulsatile, quasiment silencieuses et ne comportant pas de valves. La pompe est reliée à l’apex du ventricule gauche par une canule d’admission Cœur artificiel total orthopique Figure 4 MAI / JUIN 2015 CORDIAM 25 IL S’AGIT D’UN CŒUR ARTIFICIEL TOTAL (A) AVEC LA CONSOLE (B). CETTE CONSOLE TRÈS IMPOSANTE EST NÉCESSAIRE À LA PHASE INITIALE DE L’IMPLANTATION POUR OPTIMISER LES RÉGLAGES. ENSUITE, LE PATIENT PEUT RENTRER À DOMICILE AVEC UNE CONSOLE PLUS MANIABLE (C). A B C Figure 5 Le coeur artificiel total est implanté directement dans la cavité thoracique. Des collerettes synthétiques sont suturées au niveau des oreillettes et des tubes synthétiques au niveau de l’aorte et de l’artère pulmonaire. Les orifices de chaque ventricule seront emboîtés dans ces structures [Figure 5]. Les ventricules sont activés par une énergie pneumatique. Compte tenu de sa connexion directe au coeur, le coeur artificiel présente une vraie supériorité hémodynamique par rapport aux assistances circulatoires. Comme avec tout système pneumatique, l’autonomie du patient est limitée par la taille de la console d’activation du système. Son indication principale est le pont à la transplantation notamment dans les cas où la cardiectomie est nécessaire (infection, tumeur, thrombus mural étendu, CIV postinfarctus…). Il faut toutefois préciser que la survie des patients assistés par cœur artificiel total après transplantation cardiaque diminue avec le temps. Indications L’implantation d’une ACM longue durée répond à différentes stratégies thérapeutiques : permettre l’attente d’une transplantation, la récupération d’un myocarde défaillant, l' alternative à la transplantation, voire l’attente d’une décision définitive L’implantation d’une ACM de longue durée peut être décidée à la suite de l’implantation d’une assistance de courte durée chez un patient entré brutalement en décompensation cardiaque ou chez un patient présentant une cardiopathie chronique avec altération progressive de la fonction cardiaque. Pont à la transplantation C’est la principale indication d’implantation d’ACM longue durée. Pour être efficace, l’ACM doit être implantée au mieux chez des patients stabilisés, sans défaillance poly-viscérale conséquence d’un choc cardiogénique non jugulé. Tout patient listé pour la transplantation doit être considéré comme un candidat potentiel à une ACM. On peut discuter l’opportunité d’une ACM dans plusieurs cas de figure : - Chez un patient inscrit sur liste de greffe avec une augmentation de la fréquence de ses décompensations cardiaques et à risque d’attente particulièrement prolongée sur liste de transplantation : groupe rare, gabarit. - Chez un patient présentant une contre-indication potentiellement réversible à la transplantation cardiaque. C’est le cas notamment de l’hypertension artérielle pulmonaire ou de l’insuffisance rénale. Pont à la récupération Cette situation concerne des patients ayant une cardiopathie avancée ischémique et/ou valvulaire, potentiellement réversible après chirurgie. Ces patients peuvent bénéficier d’un traitement chirurgical correcteur associé à la mise en place d’une ACM pour une période de plusieurs mois, le temps que s’opère le remodelage du ventricule. Implantation définitive ou alternative à la transplantation C’est cette voie qui soulève actuellement l’enthousiasme et oriente les recherches, requérant le maximum d’innovation et de sophistication technologiques. La fiabilité et la durabilité des assistances (certains patients ont été assistés plus de cinq ans) ont justifié la notion d’implantation en alternative à la transplantation pour des patients ne pouvant être transplantés. Le caractère de moins en moins invasif des ACM, notamment des MAI / JUIN 2015 26 CORDIAM turbines à flux axial, doit faire considérer comme potentiel candidat tout patient présentant une contre-indication à la transplantation. Contre-indications Les contre-indications à une ACM sont le plus souvent relatives : sepsis grave non contrôlé, défaillance multiorganes jugée irréversible, foie de choc, âge > 75 ans, cancer évolutif, et troubles neurologiques graves. Toute la difficulté devant une dysfonction d’organe est de déterminer si elle est potentiellement réversible après restauration d’une circulation efficace, ou si elle est irréversible et va contre indiquer la mise en œuvre d’une ACM de quelque type que ce soit. Critères d’implantation Pont à la transplantation Pour être efficace, l’ACM doit être implantée au mieux de manière programmée ou en urgence différée chez des patients stabilisés, sans défaillance poly-viscérale. Tout patient listé pour une transplantation doit être considéré comme un possible candidat à une ACM. La classification INTERMACS [Interagency Registry for Mechanically Assisted Circulatory Support] peut être utilisée pour stratifier le risque post-opératoire des patients implantés par une ACM de longue durée [Tableau]. Cette classification clinique est née du registre américain INTERMACS qui a colligé l’ensemble des patients assistés par ACM de longue durée depuis 2006. Chaque stade est défini par la gravité clinique du patient en insuffisance cardiaque avancée avant implantation et est corrélé au pronostic des patients après implantation d’une ACM. Les patients INTERMACS 2, 3 et 4 sont des candidats idéals pour envisager l’implantation d’une ACM. Etant donné la mortalité importante associée à un épisode de choc cardiogénique chez un patient ayant une cardiopathie chronique avec une dysfonction VG sévère (> 50% à un mois), un seul épisode de choc suffit à envisager un bilan pré-transplantation et/ou l’implantation d’une assistance de longue durée chez ces patients. Implantation définitive ou alternative à la transplantation Les critères d’implantation sont ceux de l’inclusion de l’étude REMATCH : classe IV NYHA depuis 60 jours au moins, sous traitement oral maximal les 90 derniers jours, FEVG≤25%, VO2 max<12 mL/kg/min et contre-indication à la transplantation cardiaque. Bilan médical à réaliser avant l’implantation Il comporte un bilan biologique, une évaluation échocardiographique spécialisée et du cœur droit, un bilan de transplantabilité, une évaluation neurologique rigoureuse et un bilan psycho-social. Conclusion Il existe aujourd’hui un panel de dispositifs d’assistance circulatoire qui permet de suppléer au cœur défaillant, aussi bien dans les situations aiguës que chroniques. Dans les deux cas, il ne faut pas attendre avant de prendre la décision d’implantation. Les assistances circulatoires chroniques constituent un traitement à part entière des insuffisances cardiaques réfractaires. Ces techniques ne s’opposent pas à la greffe cardiaque. Dans les cas du pont vers la transplantation, elles permettent d’amener les patients à la greffe en améliorant leur état général tout en évitant qu’ils ne s’aggravent pendant le délai d’attente. Utilisées comme une thérapie définitive, lorsque la greffe est contre-indiquée, elles améliorent qualité de vie et survie. TABLEAU : STADES INTERMACS Niveau INTERMACS 1 choc cardiogénique critique « Crash and burn » Niveau INTERMACS 2 dégradation progressive sous inotropes Niveau INTERMACS 3 stable mais dépendance aux inotropes Niveau INTERMACS 4 signes cliniques invalidants au repos avec notamment surcharge hydro-sodée Niveau INTERMACS 5 activité impossible avec présence de signes de surcharge ou d’une dysfonction rénale modérée Niveau INTERMACS 6 limitation importante de l’activité physique Niveau INTERMACS 7 Stade III NYHA fort MAI / JUIN 2015 CORDIAM 27