Évolutions récentes et perspectives de l`industrie papetière française

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LE BOIS DANS TOUTES SES FACETTES
Évolutions récentes et perspectives
de l’industrie papetière française
Paul-Antoine Lacour
L’objectif de cet article est de présenter un panorama de l’industrie papetière française. Le parti
retenu a été de ne pas se limiter aux liens forêts/industrie, dans la mesure où la compréhension
de cette interaction nécessite d’avoir une vision large, intégrant des aspects parfois éloignés de
la forêt. Par exemple, comprendre pourquoi l’industrie de la pâte est sensible à la parité
euro/dollar permet de saisir en quoi la dépréciation de la devise américaine affecte la compétitivité des sites français, leurs résultats, leur capacité à investir et, in fine… leur consommation de
bois. Après l’exposé de quelques éléments techniques simples sur les pâtes, les papiers et les
cartons, une seconde partie présente les chiffres clefs du secteur, ainsi que les déterminants
principaux de son évolution, et une troisième traite de quelques évolutions possibles. Le nombre
de pages limité de cet article interdit toute exhaustivité et contraint à une simplification dans la
présentation de certains mécanismes.
TYPOLOGIE SIMPLIFIÉE ET PROCESSUS DE PRODUCTION
DES PÂTES, PAPIERS ET CARTONS
Typologie des papiers et cartons
Les papiers et cartons (on emploiera de manière générique le terme de “papier” dans la suite)
sont classés en fonction des attentes qu’ils permettent de satisfaire : transmission et diffusion
de l’écrit, emballage et conditionnement de biens, hygiène… On distingue ainsi :
— les papiers pour usages graphiques, composés eux-mêmes de papiers pour journal et de
papiers d’impression-écriture (livres, catalogues, feuilles A4…),
— les papiers d’emballage et de conditionnement (caisses en carton fabriquées à partir de
“papier pour ondulé”, boîtes en carton plat, sacs papiers…),
— les papiers d’hygiène (essuie-tout, changes jetables…),
— les papiers industriels et spéciaux (étiquettes autocollantes, papiers fiduciaires, filtres…).
Tous ces produits ont en commun d’être constitués essentiellement de fibres provenant de tissus
végétaux. En France, à l’exception de quelques papiers spéciaux fabriqués en faible tonnage
(billets de banque…), les fibres papetières proviennent du bois. Ces fibres, formées de macromolécules de cellulose et, en quantité variable, d’autres molécules (hémicelluloses, lignines…),
portent à leur surface des groupements hydroxyles (OH). En milieu aqueux, ces groupements
hydroxyles établissent entre eux des liaisons faibles (ponts hydrogènes) qui assurent au matelas
fibreux sa cohésion. Ce n’est donc pas un phénomène d’accrochage “mécanique” des fibres entre
elles, mais la force de liaison interfibres qui procure au papier sa résistance.
Rev. For. Fr. LVI - numéro spécial 2004
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PAUL-ANTOINE LACOUR
Les fibres, en tant que composant principal d’une feuille, font l’objet d’un intérêt particulier de
la part du papetier. En effet, selon leurs caractéristiques (longueur, flexibilité, masse linéique…),
les propriétés du papier varient. Ainsi, les fibres longues, dont la longueur dépasse typiquement
1,5 mm, proviennent de résineux et confèrent de bonnes propriétés mécaniques. Les fibres
courtes, qui sont issues de feuillus, conduisent à de meilleures propriétés optiques. “L’art” du
papetier consiste notamment à combiner différents types de fibres afin d’obtenir au meilleur coût
un papier ayant des caractéristiques précises (en termes de grammage, blancheur, propriétés
mécaniques et optiques).
Ce matelas fibreux peut faire à son tour l’objet de différents traitements, visant en général à
accroître les propriétés de surface de la feuille. Une opération fréquente consiste à recouvrir
celle-ci de différents adjuvants (amidon…) ou pigments (kaolin, carbonate de calcium…). Ce type
de traitement, pratiqué sur un ou deux côtés, rend la feuille plus lisse, et donc plus facile à
imprimer (papier “couchés”, et appelés couramment “papiers glacés”). Des opérations mécaniques (passage entre des rouleaux sous pression…) contribuent si nécessaire à donner à la
feuille un aspect “satiné”.
Typologie de la ressource fibreuse
Les fibres papetières peuvent provenir soit de bois, soit de papiers récupérés (mises en suspension dans de l’eau, “purifiées” et désencrées, ces fibres peuvent pour une large part être réutilisées pour la production d’une nouvelle feuille). L’utilisation de fibres issues de papier recyclé
est complémentaire de l’utilisation de fibres issues de bois. En effet, certaines sortes de papier
(la terminologie papetière emploie “sorte” pour “type de papier”) ne peuvent être produites qu’à
partir de fibres vierges ; l’augmentation de la consommation de papier nécessite l’apport de
nouvelles fibres ; enfin, le recyclage provoque une dégradation des fibres qui nécessite après
plusieurs cycles que celles-ci soient remplacées.
Les pâtes, qui sont des biens intermédiaires provenant de la transformation du bois, outre les
différences de longueur de fibres, présentent des caractéristiques très différentes selon leur
procédé de fabrication :
— Les pâtes à haut rendement sont formées par le traitement thermique et la désintégration mécanique de copeaux entre deux disques à dents, séparés de quelques microns, et animés
d’un mouvement relatif. Ce procédé conduit à des fibres qui contiennent l’ensemble des éléments
du bois (cellulose, hémicelluloses, lignine) et présentent donc un fort rendement, proche de
95 % (une tonne de bois écorcé sec permet de fabriquer 950 kg de pâte sèche). En dépit de la
forte consommation d’énergie nécessaire à séparer les fibres du bois, du fait de son rendement,
ce procédé conduit à des pâtes dont le coût de revient est parmi les plus faibles. Ce sont des
pâtes dites “thermomécaniques” (ou TMP) qui sont majoritairement produites en France, elles
sont obtenues par un procédé mettant en œuvre de la vapeur sous pression.
— Les pâtes chimiques (majoritairement produites selon un procédé alcalin dit de type
“kraft”) proviennent de l’action de produits chimiques sur des copeaux (processus dit de
“cuisson”). Cette cuisson du bois sous forte pression en présence de composés sulfatés permet
de dégrader la lignine en conservant la cellulose. Le rendement de ce procédé est de 45-50 %,
la lignine présente dans le bois ne se retrouvant plus que très faiblement dans la pâte. En effet,
la lignine est majoritairement dissoute dans la liqueur de cuisson appelée alors “liqueur noire”.
La combustion de la liqueur noire dans une chaudière de régénération permet de produire une
importante quantité d’énergie. Notons que cette production d’énergie s’effectue en émettant du
carbone biogénique, qui ne contribue pas au réchauffement climatique.
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Le bois dans toutes ses facettes
La pâte chimique peut également faire l’objet d’une opération de blanchiment, comme d’ailleurs,
mais de manière moindre, la pâte TMP. Les opérations de blanchiment consistent principalement
en une oxydation de la lignine avec des agents, majoritairement le peroxyde d’hydrogène pour
la pâte TMP et le dioxyde de chlore ou l’oxygène pour les pâtes kraft.
Les pâtes chimiques et à haut rendement ne donnent pas des papiers ayant d’égales propriétés.
Comme le temps et l’exposition au soleil altèrent la lignine et conduisent à un jaunissement du
papier, les pâtes mécaniques sont utilisées dans les papiers dits “avec bois” (comprendre “avec
lignine”) dont la durée de vie est relativement courte (journaux, magazines, catalogues…). Le
développement de nouvelles méthodes de raffinage a cependant étendu les domaines d’application de ces pâtes aux papiers de qualité supérieure. Les pâtes chimiques (dites “sans bois”), de
caractéristiques plus constantes dans le temps, et dont l’imprimabilité est meilleure, sont utilisées pour la fabrication de papiers “impression-écriture” ou de papiers domestiques et sanitaires.
La fabrication de la feuille de papier
La fabrication de la feuille débute par l’entraînement sur une toile en feutre de plusieurs mètres
de large d’un mélange très dilué d’eau et de fibres. Ce mélange, constitué d’environ 95 % d’eau
(il faut imaginer un large tapis roulant se déplaçant à près de 100 km/h et recouvert d’une mince
pellicule liquide), passe entre des presses cylindriques afin de perdre une partie de son eau. Le
produit résultant, plus compact, peut faire l’objet d’une enduction par différentes substances
(amidon) avant d’entrer dans une sécherie, c’est-à-dire entre une suite de cylindres chauffés. Ce
procédé de fabrication, comme celui de la pâte à papier, est continu (déduction faite des arrêts
techniques et des arrêts économiques) et sur un modèle de “tout ou rien” : soit la machine à
papier fonctionne à sa vitesse normale, soit elle ne fonctionne pas.
Certains sites utilisent pour produire le papier la pâte qu’ils fabriquent eux-mêmes (sites dits
“intégrés”) éventuellement complétée avec de la pâte achetée (la pâte commercialisée est sèche,
et se présente sous forme de feuilles d’allure “papier buvard” de grande taille). D’autres usines
papetières utilisent uniquement de la pâte achetée ou des papiers récupérés (ou un mélange des
deux), et sont alors des sites dits “non intégrés”. La “pâte marchande”, c’est-à-dire la pâte
achetée à une autre société en France ou à une usine de la même société à l’étranger, ne représente que de l’ordre de 30 % de la production mondiale de pâte.
CHIFFRES-CLÉS DE L’INDUSTRIE PAPETIÈRE FRANÇAISE
ET PRINCIPALES CARACTÉRISTIQUES ÉCONOMIQUES DU SECTEUR
Les chiffres-clés du secteur
La France, avec en 2003 une production de papier de 9,9 millions de tonnes, pour une valeur
de 6,2 milliards d’euros, arrive au 9e rang des producteurs mondiaux, et au 4e rang européen
(derrière l’Allemagne, la Finlande et la Suède). Cette production, inférieure à la consommation
domestique (10,9 millions de tonnes), est assurée par 131 usines détenues par 107 entreprises
(certaines filiales du même groupe). La répartition de la production par sortes met en évidence
le poids semblable, en tonnage, des papiers graphiques (45 %) et des papiers d’emballage
(44 %), loin devant les papiers d’hygiène (7 %) et les papiers industriels et spéciaux (4 %). La
ressource fibreuse utilisée provient de manière croissante de papiers récupérés, qui fournissent
maintenant près de 57 % des fibres utilisées pour la production de papier.
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51
PAUL-ANTOINE LACOUR
La production de pâtes, d’une valeur proche du milliard d’euros, s’est élevée en France en 2004
à 2,5 millions de tonnes, ce qui fait du pays le 12e producteur mondial et le 3e producteur
européen (derrière la Finlande et la Suède). Cette production, concentrée pour l’essentiel sur une
dizaine de sites, ne satisfait pas la consommation française de pâtes, puisqu’il existe un solde
importateur net de 1,5 million de tonnes. Les pâtes (3/4 de pâtes chimiques et un 1/4 de pâtes
thermomécaniques) ont été produites à partir de 9 millions de tonnes brutes de bois provenant
de résineux (60 %) et de feuillus (40 %). 70 % des bois utilisés sont issus de rondins (coupes
d’éclaircies, taillis, houppiers) et 30 % de produits connexes de scieries.
Une industrie capitalistique
Les procédés mis en œuvre dans la fabrication de la pâte ou de papier nécessitent l’acquisition
d’équipements extrêmement onéreux. Ce caractère capitalistique est renforcé par un mécanisme
d’économie d’échelle : l’accroissement de la capacité de production d’une usine diminue les
coûts fixes (main-d’œuvre, frais généraux, maintenance, frais financiers…) par tonne produite.
Cette logique d’économie d’échelle conduit à un accroissement de la capacité de production et
du coût de chaque site (une usine de pâte à papier nouvelle a maintenant une capacité de
l’ordre de 500 000 tonnes de pâtes par an pour un coût de l’ordre du milliard d’euros). Sur le
plan économique et industriel, ce besoin en capitaux, lié en grande partie à la nécessité de
réduire les coûts fixes, a au moins trois conséquences :
— une consolidation croissante du secteur, qui varie selon les sortes mais qui est très nette
par exemple dans le domaine du papier journal, où les cinq premières entreprises représentent
100 % de la production (figure 1, ci-dessous). Cette concentration des moyens de production au
sein d’un petit nombre d’entreprises doit cependant être relativisée, car le niveau de consolidation est encore très loin de ce qui s’observe dans des secteurs comme l’automobile, l’aéronautique ou l’acier ;
— une internationalisation croissante des entreprises françaises, qui sont pour les deux tiers
de leur capital contrôlées par des groupes étrangers. Ces groupes ont leur siège, à parts à peu
près égales, dans trois ensembles géographiques : l’Amérique du Nord, les pays nordiques et les
autres pays européens ;
FIGURE 1
PART DES CINQ PREMIÈRES ENTREPRISES
DANS LA PRODUCTION PAPETIÈRE FRANÇAISE
4000
Production totale en 2003
3000
2000
55,2
52,4
100
1000
65,1
71,8
83,1
92,3
0
Journal
52
Imp.-Ecrit.
PPO
Carton
Emballage
Hygiène
Source : COPACEL
En milliers de tonnes
5 premières entreprises
Autre
Rev. For. Fr. LVI - numéro spécial 2004
Le bois dans toutes ses facettes
— une organisation de la production à l’échelle de grandes zones géographiques (Europe de
l’Ouest, pays nordiques…) due à la volonté des principales sociétés de concentrer, au sein de ces
zones, la production d’une sorte de papier donnée sur un petit nombre d’usines. Ce modèle
trouve bien sûr de nombreuses exceptions, dès que le papier produit répond aux exigences
spécifiques d’un marché local.
Des produits faisant l’objet d’un important commerce international
L’industrie papetière produit des biens dont la valeur et les caractéristiques (biens non périssables, facilement standardisables et satisfaisant des besoins partout présents sur la planète)
autorisent des échanges sur de fortes distances. De ce fait, les marchés des pâtes et papiers
suivent les “règles” de fonctionnement des marchés européens et mondiaux. La pâte à papier,
par exemple, à l’instar des principales matières premières, a un cours mondial déterminé par
l’équilibre entre offre et demande (voir figure 2 ci-dessous : l’évolution du cours mondial de la
pâte de référence — pâte blanchie de résineux du Nord — dite NBSK, et de la pâte d’Eucalyptus).
La cotation des cours en dollars pour la NBSK rend les entreprises sensibles à la parité
euro/dollar, et la dépréciation de la devise américaine par rapport à l’euro au cours de l’année
2004 a eu un impact notable sur le bilan des entreprises productrices de pâtes chimiques.
Cette capacité des produits papetiers à faire l’objet d’un commerce international, combinée à un
contexte général de globalisation des échanges, se traduit par de fortes augmentations des taux
d’importation (près de 60 %) et d’exportation (55 %), comme cela est montré figure 3 (p. 54).
Une activité dépendante du contexte économique et cyclique
Comme pour toute industrie produisant des biens de consommation courante, c’est la consommation finale qui est le moteur réel de la dynamique industrielle. C’est ce lien, presque toujours
avéré, qui explique que le taux de croissance de la production papetière soit supérieur au taux
de croissance du PIB : la production française a crû en moyenne de 2,7 % par an entre 1990 et
2004. L’importance de la consommation finale sur ce secteur d’activité est également mise en
évidence par la corrélation forte qui existe entre PIB per capita et consommation de produits
FIGURE 2
COURS DES PÂTES MARCHANDES NBSK ET D’EUCALYPTUS
Séries mensuelles brutes
600
PÂTE NBSK (dollars)
PÂTE NBSK (euros)
500
EUCALYPTUS (euros)
400
300
2002
Rev. For. Fr. LVI - numéro spécial 2004
2003
Source : FÉDÉRATION DES PÂTES
Pâte NBSK et Eucalyptus
(en dollars et euros/tonne)
700
2004
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PAUL-ANTOINE LACOUR
FIGURE 3
ÉVOLUTION DES TAUX D’IMPORTATION ET D’EXPORTATION
Une internationalisation croissante
de l’industrie papetière française
%
60
Taux d'importation
Source : COPACEL, Douanes
40
Taux d'exportation
20
0
1950
1960
1970
1980
1990
2004
papetiers (figure 4, p. 55). Cette relation permet d’anticiper une très forte augmentation de
papier à l’échelle planétaire, au fur et à mesure que des pays comme la Chine ou l’Inde, par
exemple, verront leur niveau de vie augmenter.
La dépendance du secteur à une conjoncture économique, qui connaît nécessairement des alternances de croissance plus ou moins forte, voire des périodes de récession, conduit à une activité
papetière cyclique (figure 5, p. 55).
Cycles économiques et “cycles papetiers” sont en général en léger décalage, la demande en
produits papetiers anticipant souvent une période de plus forte croissance. L’amplitude de ces
cycles est cependant accrue par un triple phénomène (figure 6, p. 55) :
— les comportements du marché des acheteurs de pâtes ou de papiers suivent la logique
des “anticipations rationnelles”. En période d’augmentation des cours de pâtes ou papiers, les
acheteurs anticipent les accroissements de prix et constituent des stocks pour « payer 100 ce qui
demain vaudra 110 ». Cet appel de l’aval auto-entretient l’augmentation des cours et les mécanismes de stockage. Au-delà d’un certain niveau de stock, conjugué avec un fléchissement de la
demande finale, les acheteurs réduisent leurs demandes, consomment leurs stocks, et amplifient
ainsi l’atonie de la demande ;
— en haut de cycle, les profits réalisés compensent les pertes des bas de cycle, et conduisent les industriels à investir et accroître la capacité de production des sites (comme signalé plus
haut, une logique d’économie d’échelle forte s’impose dans la plupart des cas). Cette relative
simultanéité des décisions d’investissements conduit à des démarrages d’installations groupés
sur un intervalle de temps assez réduit, et donc à une offre additionnelle mise sur le marché
également assez concentrée ;
— la taille croissante des nouvelles capacités (liée une fois encore à la nécessité de réaliser
des économies d’échelle) accroît les déséquilibres entre offre et demande. Alors que la demande
mondiale augmente de manière relativement régulière et continue, la capacité de production croît
par palier, créant des successions de sur-offres (après le démarrage) et de sous-offres (lorsque
la progression de la demande a rattrapé l’offre).
Le caractère de moins en moins régulier des cycles économiques généraux, et des stratégies d’investissement des industriels visant à mieux prendre en compte cet aspect cyclique, modifient
cependant la régularité des cycles papetiers.
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Rev. For. Fr. LVI - numéro spécial 2004
Le bois dans toutes ses facettes
CORRÉLATION ENTRE CONSOMMATION DE PAPIER ET PIB PER CAPITA
FIGURE 4
États-Unis
Consommation P&C par habitant (en kg)
États-Unis
Canada
Japon
Danemark
France
Allemagne
Italie
Portugal
Royaume-Uni
Turquie
Slovaquie
Ethiopie
Burkina Faso
Russie
Brésil
Chine
Source : COPACEL
Une forte corrélation entre la consommation de papier
et le niveau de développement des pays
300
Europe de l'Ouest
et Canada
200
Asie, Europe de l'Est et
Amérique Latine
100
Afrique
0
10000
0
20000
30000
40000
PIB par habitant (en USD)
ÉVOLUTION DU RYTHME DE CROISSANCE DE L’INDUSTRIE PAPETIÈRE
1995
1996
1997
1998
1999
2000
2001
2002
2003 2004
8
6
4
2
0
-2
-4
-6
-8
Investissement
FIGURE 6
REPRÉSENTATION
SCHÉMATIQUE DES CYCLES
Rev. For. Fr. LVI - numéro spécial 2004
Conjoncture économique
générale
Source : COPACEL
Production - Variation en % - Années Glissantes
10
Source : COPACEL
FIGURE 5
Stocks
55
PAUL-ANTOINE LACOUR
QUELLES ÉVOLUTIONS PEUT-ON TENTER DE PRÉVOIR EN FRANCE ?
À l’heure où les concepts liés au “développement durable” se traduisent de plus en plus en des
outils opérationnels, nous avons tenté d’effectuer une prospective à l’aune de la dimension
sociale, environnementale et économique, de cette industrie. L’accent sera particulièrement mis
sur les évolutions possibles entre forêt et industrie.
Quel lien entre l’emploi industriel et rural, et l’industrie papetière ?
L’amélioration de la productivité dans tous les secteurs industriels conduit, à volume constant, à
une réduction de l’emploi direct. Cette tendance lourde se constate également dans l’industrie
papetière, qui emploie directement près de 23 000 personnes, réparties sur l’ensemble du territoire. La réduction de l’emploi industriel direct s’accompagne d’une augmentation des niveaux de
qualification et d’un recours accru à l’externalisation. Comme toutes les industries produisant des
biens majoritairement intermédiaires, l’industrie papetière est à la base d’une chaîne de valeur liée
à la transformation des papiers (fabrication de caisses en carton, imprimeurs…). Par son lien avec
la forêt, les usines de pâtes sont pourvoyeuses d’emplois en zone rurale au travers des sociétés
chargées d’exploiter les bois et de leurs sous-traitants (entrepreneurs de travaux forestiers).
Quelles performances environnementales des sites papetiers ?
Les procédés papetiers ont au fil du temps fortement diminué leurs impacts sur les milieux
récepteurs, qu’ils soient aquatiques ou aériens. Vis-à-vis des milieux aquatiques, l’accroissement
des performances des stations d’épuration a permis de traiter plus efficacement la matière organique contenue dans les eaux de lavage de la pâte ou dans l’eau utilisée pour la fabrication du
papier. Les émissions atmosphériques ont été de plus en plus réduites, même s’il est vrai que
les mercaptans formés lors du procédé de fabrication de la pâte chimique, extrêmement odoriférants et non dangereux, sont encore émis de manière diffuse au-delà des seuils de détection par
le nez humain. Sur le plan environnemental, les évolutions majeures attendues sur les sites
papetiers seront sans doute liées plus à la lutte contre le changement climatique qu’à tout autre
chose. Par leur capacité à produire à partir de biomasse pendant toute l’année de la vapeur et
de l’électricité, et ce de manière substantielle (800 000 tep, soit l’évitement de près de 2 millions
de tonnes de CO2 fossile), les sites papetiers pourront certainement, en accroissant encore cette
activité, augmenter leur contribution à la fourniture “d’énergie verte”. À plus long terme, dans
un avenir où se développerait à grande échelle une “chimie végétale”, les sites papetiers, dont
la mission fondamentale est justement de transformer une matière issue d’une bio-ressource,
pourraient avoir un rôle d’entraînement.
À plus court terme, un volet fondamental est celui de l’utilisation de bois certifiés provenant de
forêts gérées durablement. Il ne fait pas de doute que cette demande, même si elle n’est encore
que modérée, ira en s’accroissant dans les années à venir, et qu’une insuffisance de bois “certifiés” portera un préjudice tant au détenteur de la ressource, qui ne sera plus en mesure de la
commercialiser, qu’au transformateur, qui perdra des parts de marché face à des compétiteurs
proposant ce type de produit.
Quelle place pour l’industrie papetière en France demain ?
Dans une économie globalisée, où les prix sont mondiaux mais la structure des coûts nationale
(énergie, fiscalité) ou même en partie régionale (bois), la pérennité d’une industrie dépend de sa
capacité à satisfaire ses clients (vente de biens et services associés) de manière compétitive,
c’est-à-dire avec des coûts de production équivalents ou moindres que ceux de ses compétiteurs
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Rev. For. Fr. LVI - numéro spécial 2004
Le bois dans toutes ses facettes
implantés à l’étranger. Cette question de la compétitivité est bien la question fondamentale, car
il ne semble pas que l’on puisse anticiper à moyen terme de perte d’appétence des sociétés
modernes pour le papier (l’e-économie n’a pas tué le papier, au contraire). Les prochaines générations de “papiers intelligents” combinant puces électroniques et supports traditionnels (mariage
du silicium et de la cellulose), ou les nouvelles propriétés que pourront lui offrir les nanotechnologies (nanogreffage de molécules sur la cellulose) continueront certainement à pleinement
intégrer ce matériau dans la société de demain.
Cette question de la compétitivité a notamment une dimension forestière. Mettre en concurrence
des produits papetiers (ici de la pâte), c’est mettre en compétition des territoires forestiers et
des processus de mobilisation de la ressource. À cet égard, la France ne présente pas les conditions les plus favorables, et on ne peut s’empêcher d’évoquer une fois encore des points bien
connus :
— la couverture forestière, bien qu’importante, n’est ni aussi dense, ni aussi homogène que
celle d’autres compétiteurs ;
— le morcellement du foncier et le contexte sociologique de la forêt française freinent l’introduction de matériel végétal bénéficiant des progrès des biotechnologies ;
— la fragmentation foncière, la topographie et le cadre général entourant le transport des
bois rendent complexe leur mobilisation ;
— la diversité des essences peut constituer un handicap pour la production de pâte car la
maîtrise du rendement et des caractéristiques des pâtes produites sont plus complexes. À noter
que de judicieuses combinaisons d’essences permettent d’obtenir des pâtes spécifiques ;
— le système sylvo-industriel français présente une forme d’asthénie, et un décrochage
compétitif de maillons fondamentaux de la filière forêt-bois-papier (tels que le sciage par exemple)
fragiliserait fortement d’autres maillons (industrie de la pâte, exploitation forestière…).
En dépit d’un contexte de désindustrialisation rampant, l’industrie papetière peut se développer
en France. Toutefois, dans un scénario noir, c’est-à-dire sans gain de compétitivité en matière
d’approvisionnement en bois, elle pourrait ne plus comporter à terme que des sites non intégrés,
transformant près des zones de consommation une pâte produite dans des régions du monde
où cette production est effectuée à meilleur coût.
CONCLUSIONS
Le panorama effectué dans cet article sur l’industrie papetière met en évidence pour les années
à venir des tendances poursuivant des dynamiques entamées ou d’apparitions plus récentes :
accroissement dans le monde et en France de la production et de la consommation de papiers,
apparition de papiers présentant de nouvelles fonctionnalités, intensification des besoins en
Recherche et Développement, internationalisation accrue des marchés, consolidation des entreprises, augmentation de la part des papiers récupérés et de la production de pâte, concurrence
renforcée des territoires forestiers à l’échelle planétaire, augmentation du coût des combustibles
fossiles et recours accru à la biomasse pour la
production d’énergie, montée en puissance d’enjeux
environnementaux liés à la lutte contre le changePaul-Antoine LACOUR
ment climatique… Dans ce contexte évolutif, l’inDirecteur du Laboratoire Économie et Compétitivité
AFOCEL
dustrie papetière française a assurément les moyens
Domaine de l’Étançon
de garder sa place à l’échelle mondiale, même si la
F-77520 NANGIS
concurrence promet d’être rude.
([email protected])
Rev. For. Fr. LVI - numéro spécial 2004
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PAUL-ANTOINE LACOUR
ÉVOLUTIONS RÉCENTES ET PERSPECTIVES DE L’INDUSTRIE PAPETIÈRE FRANÇAISE (Résumé)
La typologie et le processus de production des pâtes, papiers et cartons sont présentés pour ensuite
examiner les principales caractéristiques économiques du secteur avec quelques chiffres-clés. L’importance du
contexte économique international est soulignée avec notamment les corrélations entre la consommation de
papier et le niveau de développement des pays ainsi que le caractère cyclique de l’économie dans ce
secteur. Enfin, sont esquissées les évolutions probables pour la France.
THE FRENCH PAPER INDUSTRY – RECENT DEVELOPMENTS AND OUTLOOK (Abstract)
The article begins with a description of the typology and manufacturing processes for pulp, paper and cardboard and then goes on to examine the sector’s main economic features highlighting some key figures.
Emphasis is placed on the impact of the international economic context, in particular the relationship between
a country’s level of development and its paper consumption together with the cyclical nature of this sector’s
economy. Likely developments for France are outlined.
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