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Le contrôle de la loi en France
(sujet officier de police 2009 corrigé par Julie Haberman)
L’instauration d’un contrôle des lois (contrôle de constitutionnalité tout d’abord, contrôle
de conventionnalité par la suite) a toujours suscité en France une réticence certaine au
regard de la prévalence de la conception «rousseauiste» de la loi, sous-tendant
l’idéologie du «légicentrisme», selon laquelle cette dernière «est l’expression de la
volonté générale» (article 6 de la Déclaration du 26 août 1789 reprenant la formule de
Jean-Jacques Rousseau dans «Du Contrat social»). Partant, pareille diffusion d’un
contrôle de la loi conduisait immanquablement à une profonde altération des
souverainetés législative et populaire. Cette conception «rousseauiste» de la loi, faisant
de cette dernière un acte inconditionnel, irrésistible, incontestable, irréprochable, et
érigeant la France jusqu’en 1958 en Etat de loi («loyaume») plus qu’en Etat de droit, a
toujours été invoquée pour dénier à toute autorité juridictionnelle (a fortiori) le pouvoir
de contrôler la conformité de la loi à la Constitution dans le cadre d’une activité de
collation des textes. D’ailleurs, comme le reconnaissait sentencieusement l’article 3 de la
Section Ière (De la Royauté et du Roi) Chapitre II (De la Royauté, de la Régence et des
Ministres) de la Constitution du 3 septembre 1791, «Il n’y a point en France d’autorité
supérieure à celle de la Loi. Le Roi ne règne que par elle et ce n’est qu’au nom de la Loi
qu’il peut exiger l’obéissance», et comme l’affirmait Lacordaire, «Entre le riche et le
pauvre, le fort et le faible, c’est la liberté qui opprime et la loi qui libère». Dans ces
conditions de sacralisation syncopée de la loi, la création d’un Conseil constitutionnel en
1958 par la Constitution du 4 octobre constitue une innovation institutionnelle majeure
que la pratique du régime a considérablement développée. Le juge constitutionnel,
désormais érigé en juge «naturel» de la loi, est en effet parvenu à occuper une place
centrale, à jouer un rôle d’acteur à part entière au sein des institutions de la Ve
République. Il a diligenté à travers sa jurisprudence un mouvement de
«constitutionnalisation» du Droit en dégageant des principes à valeur constitutionnelle
(ou des objectifs à valeur constitutionnelle) de nature à propager en France une
authentique «culture de constitutionnalité» avec laquelle sont déjà accoutumées les
autres grandes démocraties occidentales. Quant aux juges ordinaires, si leurs missions
respectives ne les ont pas confrontés dès l’origine à l’exercice d’un contrôle de validité de
la loi, les évolutions jurisprudentielles les ont cependant érigés en juges de la loi au
même titre que le juge constitutionnel.
D’une manière générale, si le juge constitutionnel est passé d’un simple rôle
d’encadrement de la loi à un rôle d’interprétation extensive favorisant ce faisant une
critique récurrente de «Gouvernement des juges» dressée à son encontre (I), tous les
juges assument aujourd’hui une mission de censure de la loi les conduisant à se rejoindre
dans une mission commune de «fondamentalité» renforçant mutatis mutandis l’Etat de
droit (II).
I) De la mise en pratique du contrôle technique de la loi
Le Conseil constitutionnel a été à l’origine le seul juge de la loi sous la Ve République (A).
Il bénéficie d’ailleurs d’une prévalence en matière de contrôle de la loi le conduisant dès
lors à diligenter au fur et à mesure de ses saisines une fonction dépassant sensiblement
ses compétences d’attribution premières (B).
A) La fonction originelle des juges
Le juge constitutionnel a été cantonné à l’origine dans une fonction réductrice de
surveillance vigilante de la loi, le contrôle de constitutionnalité n’étant alors appréhendé
qu’en tant que simple technique du «parlementarisme rationalisé» destiné à prévenir tout
risque de résurgence d’un «parlementarisme absolu» selon la formule de Raymond Carré
de Malberg (1). Les juges ordinaires, pour leur part, sont restés longtemps réfractaires à
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tout contrôle opéré sur la loi, le contrôle de constitutionnalité étant confié au seul juge
constitutionnel (2).
1) Le juge constitutionnel et le contrôle de la loi: une vocation constitutionnelle.
En 1958, la volonté des Constituants consistait à placer le Parlement sous surveillance et
à réduire le domaine illimité de la loi. Michel Debré, considérant que le Parlement ne
disposait plus du monopole de la souveraineté, décida de l’encadrer («La création du
Conseil constitutionnel manifeste la volonté de subordonner la loi, c’est-à-dire la décision
du Parlement à la règle édictée par la Constitution ... La Constitution crée ainsi une arme
contre la déviation du régime parlementaire», discours devant l’Assemblée générale du
Conseil d’Etat le 27 août 1958). Cette conception initiale a certes évolué tout en suscitant
un profond bouleversement quant à la perception de la loi, que l’on retrouve dans
certains «considérant» du Conseil constitutionnel (par exemple, dans une décision du 23
août 1985: «La loi n’exprime la volonté générale que dans la mesure où elle respecte la
Constitution et non plus du seul fait de son existence et de son vote par les élus du
peuple»; ou encore dans une décision du 16 janvier 1982: «Rien ne saurait dispenser le
législateur dans l’exercice de sa compétence, du respect des principes et des règles de
valeur constitutionnelle qui s’imposent à tous les organes de l’Etat»). Par l’intermédiaire
de l’instauration du contrôle de constitutionnalité de la loi, celle-ci n’exprime plus la
volonté générale que si elle se conforme aux dispositions constitutionnelles car la loi se
définit dorénavant par rapport à la Constitution. Or, ces dernières sont définies et tracées
par le Conseil constitutionnel, nouveau théologien et sa jurisprudence, nouveau
décalogue. Ce juge constitutionnel, presque constituant, a élaboré depuis sa décision du
16 juillet 1971 un «bloc de constitutionnalité» (expression du Professeur Louis Favoreu)
extensif qui accentue le corsetage du Parlement en balisant son terrain d’intervention
mais qui en parallèle favorise l’évolution continue dudit «bloc» pour un meilleur
rayonnement de l’Etat de droit. Le Conseil constitutionnel a donc été créé en 1958 dans
le but de brider la souveraineté du Parlement, ce qui souleva les critiques acerbes de
maints auteurs dont le professeur René de Lacharrière pour lequel la juridiction
constitutionnelle «ne dit pas le droit, mais dit ce qui lui convient», rejoignant ainsi les
propos du «Chief Justice» Charles Hugues en 1908 selon lesquels «Nous sommes régis
par la Constitution mais la Constitution est ce que les juges disent qu’elle est». Le Conseil
constitutionnel est cependant rapidement sorti de son rôle de «canon braqué sur le
Parlement» (selon la formule du professeur Charles Eisenmann) pour s’octroyer de
nouvelles prérogatives non prévues dans la Constitution par l’intermédiaire d’une
jurisprudence de plus en plus contraignante et innovante.
Si le juge constitutionnel se trouve placé en confrontation directe avec la loi depuis 1958,
les juges ordinaires ne s’inscrivent en principe pas dans une dimension finaliste
identique.
2) Les juges ordinaires et le contrôle de la loi: une vocation contrariée.
Les juges administratifs et judiciaires se sont toujours interdits et s’interdisent toujours,
tant par voie d’action que par voie d’exception, de procéder au contrôle juridictionnel de
la constitutionnalité des lois. La requête en inconstitutionnalité dirigée contre la loi votée
par le Parlement encourt ce faisant une décision de rejet, non pas pour irrecevabilité de
l’action mais pour incompétence de la juridiction appelée à en connaître. Le moyen de
l’inconstitutionnalité ne saurait ainsi être utilement soulevé devant le juge ordinaire, qu’il
s’agisse du juge judiciaire (Cass. 11 mai 1833, Paulin, gérant du National) ou du juge
administratif (CE 23 mai 1901, Delarue, et CE Sect. 6 novembre 1936, Arrighi et Dame
Coudert: «Considérant qu’en l’état actuel du droit public français, ce moyen n’est pas de
nature à être discuté devant le Conseil d’Etat statuant au contentieux», confirmé par
exemple par CE Sect. 30 juillet 2003, M.Djaoui). Le principe s’est appliqué avec
constance sous le régime de la IVe République (CE 13 novembre 1946, Vincent), comme
sous celui de la Ve République (CE Ass. 21 décembre 1990, Confédération nationale des
associations familiales catholiques). La solution a d’ailleurs été étendue aux actes «quasi
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législatifs» (les «décrets-lois») comme aux lois du régime de Vichy (CE 22 mars 1944,
Vincent).
Pourtant, il est arrivé au juge administratif de rechercher si l’entrée en vigueur d’une
nouvelle Constitution n’a pas pour effet d’entraîner l’abrogation des lois antérieures (CE 9
octobre 1959, Taddéi, et CE 12 février 1960, Société Ecky), voire de rechercher si la loi
n’a pas fait l’objet d’une abrogation implicite (CE Ass. 16 décembre 2005, Syndicat
national des huissiers de justice: «il lui revient - au juge administratif - de constater
l’abrogation, fût-elle implicite de dispositions législatives qui découle de ce que leur
contenu est inconciliable avec un texte qui leur est postérieur, que celui-ci ait valeur
législative ou constitutionnelle»). Surtout, il arrive au juge administratif de procéder dans
certaines circonstances à un contrôle indirect de constitutionnalité en donnant à la loi une
interprétation conforme à la Constitution. C’est ainsi que le Conseil d’Etat a jugé qu’une
disposition législative prévoyant des sanctions infligées aux collectivités territoriales ne
pouvait avoir un effet rétroactif (CE 4 février 2000, Etablissement public pour
l’aménagement de la région de la Défense). Il a ainsi contrôlé indirectement la
constitutionnalité de la loi en cause en lui donnant une interprétation conforme à la
Constitution. De même, un tribunal administratif, encouragé par un avis du Conseil d’Etat
(avis CE 16 novembre 1993), a procédé à un contrôle de constitutionnalité de deux lois
promulguées avant l’entrée en vigueur de la Constitution de 1958 (TA Strasbourg 14
octobre 1997, Maronèse). La Constitution demeure de surcroît une norme que le Conseil
d’Etat (notamment) ne peut ni ne veut ignorer dans le cadre de son activité consultative
comme en matière de contrôle juridictionnel des règlements. En sa qualité de conseiller
du Gouvernement qu’il assure sur le fondement des articles 38 et 39 de la Constitution
de 1958 ainsi que de nouveau conseiller du Parlement depuis la Loi constitutionnelle du
23 juillet 2008 (article 39 in fine du même texte), l’avis qu’il rend relativement au projet
d’ordonnance, de loi ou à la proposition de loi, s’apparente en tout point à l’exercice
d’une esquisse de contrôle de constitutionnalité, de conventionnalité (voire d’opportunité
procédurale et formelle). Ainsi, la substance de l’avis négatif qu’il a délivré le 8 février
2001 à propos de la loi relative au statut de la Corse a été reprise en grande partie un an
plus par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 17 janvier 2002. Ou encore, dans
l’avis du 6 février 1953, rendu sur le domaine de la loi et du règlement et la portée de
l’article 13 de la Constitution du 27 octobre 1946, le Conseil d’Etat définit, selon Guy
Braibant, «de façon prétorienne et constructive, les limites du pouvoir réglementaire et
déclare en quelque sorte par anticipation contraire à la Constitution toute loi qui
excéderait ces limites, en déléguant au Gouvernement des matières qui sont «réservées
à la loi soit en vertu des dispositions de la Constitution, soit par la tradition
constitutionnelle républicaine résultant notamment du Préambule de la Constitution et de
la Déclaration des droits de l’homme de 1789»». Dans la même logique et cette fois-ci
dans le cadre de son activité contentieuse, le juge administratif s’attache à veiller au
respect de la répartition constitutionnelle des compétences (CE Ass. 24 novembre 1978,
Schwartz), tout comme au respect d’une disposition expresse du texte même de la
Constitution ou de l’un des éléments du Préambule, qu’il s’agisse des principes politiques,
économiques et sociaux particulièrement nécessaires à notre temps (CE Ass. 7 juillet
1950, Dehaene), des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (CE
Ass. 11 juillet 1956, Amicale des Annamites de Paris), ou de la Déclaration de 1789 (CE 7
juin 1957, Condamine).
À cette fonction d’origine confiée au juge constitutionnel, de nouvelles sont venues
s’ajouter au gré des attentes sociétales et juridiques.
B) La fonction arrogée du juge constitutionnel
Le juge constitutionnel ne s’est en réalité pas contenté de simplement assurer un
contrôle de conformité de la loi au regard de la Constitution. À compter de sa célèbre
décision du 16 juillet 1971, il s’est arrogé le titre et la fonction de gardien des droits
fondamentaux le conduisant par la suite à emprunter des techniques de contrôle (1)
l’amenant dans une certaine mesure à un travail de co-écriture de la loi (2).
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1) Les techniques de contrôle.
Les techniques de contrôle développées dans les décisions du Conseil constitutionnel,
inspirées en grande partie de celles du juge administratif, participent au développement
d’une dynamique jurisprudentielle contraignante. Par l’erreur manifeste d’appréciation, le
juge constitutionnel écarte de la loi toute erreur (commise par le législateur) qu’il estime
grossière sans s’expliquer plus avant sur son interprétation (dans la décision du 23 août
1985 au sujet du découpage électoral en Nouvelle-Calédonie, le juge constitutionnel
déclare entaché d’une erreur manifeste d’appréciation l’écart de 210% entre la
circonscription la plus peuplée et la moins peuplée et substitue le chiffre de 180%). Par
les réserves d’interprétation, il suspend certaines dispositions inconstitutionnelles
(réserves neutralisantes), oriente les travaux parlementaires (réserves constructives),
voire réécrit le texte de la loi (strictes réserves d’interprétation dans le cadre des
décisions du 5 août 1993, du 15 novembre 2007 notamment). Mieux, il n’hésite plus à
soulever d’office des moyens non visés par les requérants, voire à contrôler l’intégralité
de la loi (organique) déférée, au mépris de la règle de l’infra et de l’utra petita appliquée
devant le juge administratif. Il invente même un contrôle de constitutionnalité virtuelle
(tout particulièrement dans le domaine des lois de finances: décision du 30 décembre
1997) et différée (décision du 19 juin 2008). Enfin, depuis une décision du 29 décembre
1993, le juge constitutionnel se refuse, lorsqu’il ne censure pas d’office une disposition, à
lui accorder un «brevet de constitutionnalité». Il se borne en effet à affirmer que les
dispositions contestées sont ou non contraires à la Constitution, sans préjuger de la
conformité de celles que les requérants n’ont pas explicitement visées. Devant de telles
techniques jurisprudentielles, les élus éprouvent le désagréable sentiment de n’exercer
qu’une «souveraineté au rabais» par rapport à l’exécutif, avec un Conseil constitutionnel
qui contrôle désormais autant la procédure législative que la substance des lois (décision
du 3 avril 2003).
Certaines de ces décisions dégagent au surplus des principes (et des objectifs) à valeur
constitutionnelle qui complètent l’ordonnancement juridique et affectent directement la
substance législative. Ainsi, depuis une décision du 16 décembre 1999, le juge de la rue
de Montpensier a-t-il dégagé l’objectif à valeur constitutionnelle de l’«intelligibilité et de
l’accessibilité» de la loi (exigence complétée par la «clarté» dans une décision du 13
janvier 2005), dont l’irrespect est désormais sanctionné (décision du 29 décembre 2005).
Il censure aussi les lois anormatives (décision du 21 avril 2005), les lois votées dans les
matières réglementaires (décision précitée du 21 avril 2005 remettant en cause celle du
30 juillet 1982) et les «cavaliers législatifs» (décision du 12 février 2009).
Une telle jurisprudence peut conduire à dégager les prémices de la manifestation d’un
véritable «pouvoir judiciaire», d’un «pouvoir juridictionnel», doté d’une réelle capacité
normative et décisionnelle, contrairement à la théorie de Montesquieu de l’«autorité
judiciaire».
2) Les incidences desdites techniques.
Le juge constitutionnel appréhendant la loi dans le cadre d’une interprétation
constructive apparaît en conséquence le spectre du «Gouvernement des juges» souligné
par Edouard Lambert en 1921. Selon celui-ci, «Quand quelqu’un a une autorité absolue
pour interpréter des lois écrites ou orales, c’est lui qui est en réalité le législateur à tous
égards et à toutes fins, et non pas la personne qui la première les a écrites ou
prononcées». Par ajustement, John Rawls explique que «La Constitution n’est pas ce que
la Cour suprême dit qu’elle est. Elle est plutôt ce que le peuple, agissant
constitutionnellement à travers les autres branches du Gouvernement, finit par autoriser
la Cour à dire qu’elle est». Le principe démocratique implique certes la supériorité de la
volonté du législateur sur celle du juge mais l’idéal de l’Etat de droit suppose aussi que le
législateur respecte la justice, les droits de l’homme. Mais lorsque tel n’est pas le cas au
regard du juge, celui-ci cherchera à interpréter la loi de façon à en concilier l’application
avec les valeurs qui sont au fondement de son office. Dans un contexte de «Common
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law», le «Government by the Judiciary» paraît moins surprenant puisque les juges y
créent du droit et ont une part au Gouvernement.
Le Conseil constitutionnel n’est en réalité qu’un censeur et non un Démiurge dans la
mesure où le Droit constitutionnel est un Droit écrit, non un obiter dictum d’un juge. Plus
précisément, selon le Doyen Georges Vedel, «La déclaration de non conformité à la
Constitution prononcée par le Conseil constitutionnel porte substantiellement non sur le
fond mais sur la procédure. À aucun moment, le juge constitutionnel ne s’arroge le
pouvoir d’interdire aux représentants de la nation ou aux citoyens, de définir
souverainement les droits et les libertés … Il se borne à indiquer que, eu égard au
contenu de cette définition ou de ce changement, la procédure utilisable est, non la
procédure législative, mais celle de la révision de la Constitution. Le juge constitutionnel,
si l’on peut se permettre cette image, n’est donc pas un censeur mais un «aiguilleur». Il
n’interdit pas la marche du train; il se borne, en vertu des règles qu’il est chargé
d’appliquer, à le diriger sur la bonne voie». Ajustant son raisonnement, le même auteur
substitua à l’image de l’«aiguilleur» celle du «lit de justice»: «Si les juges ne gouvernent
pas, c’est parce que, à tout moment, le souverain, à la condition de paraître en majesté
comme Constituant, peut, dans une sorte de lit de justice, briser leurs arrêts». La justice
constitutionnelle n’est légitime qu’autant elle demeure «instrument, pouvoir constitué,
servante de la souveraineté nationale. Elle garde le trône du Souverain: elle n’y a point
sa place». Le contrôle de constitutionnalité ne peut donc porter atteinte à la souveraineté
nationale puisque toute décision de non conformité à la Constitution d’une loi votée n’est
que la reconnaissance d’un défaut juridique auquel le souverain peut remédier, soit en
modifiant la loi pour la rendre conforme aux exigences de la Constitution, soit en la
promulguant telle quelle, dépouillée des scories ou des erreurs censurées par lui, soit en
procédant à une révision de la Constitution. Et de conclure, «En réalité, le juge
constitutionnel, loin de porter atteinte à la souveraineté nationale, loin de censurer la
volonté générale, assure le respect de l’une et de l’autre en assurant celui de la
Constitution qui est leur expression suprême et totale».
Les juges étant dorénavant confrontés à la loi, ils diligentent des contrôles respectifs se
rejoignant dans une identique ambition suprême de protection des libertés
fondamentales.
II) Du contrôle technique de la loi à la protection des libertés fondamentales
La réticence initiale des juges ordinaires envers la loi a été levée par le Conseil
constitutionnel à l’occasion de la décision du 15 janvier 1975 leur octroyant le contrôle de
conventionnalité et les restrictions procédurales du contrôle de constitutionnalité ont été
levées par la Loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 (A). Ce contrôle d’un nouveau genre
assumé par les juges administratifs et judiciaires, tout en divergeant du contrôle de
constitutionnalité quant à ses caractéristiques procédurales, le rejoint dans sa finalité de
«fondamentalité» (B).
A) La diffusion du contrôle de conventionnalité de la loi et le renforcement
procédural du contrôle de constitutionnalité de la loi
Le juge constitutionnel a décliné sa compétence au profit des juges ordinaires en matière
de conventionnalité de la loi, pareille compétence présentant des limites (1). Quant aux
modalités de saisine plutôt restrictives du juge constitutionnel, elles ont été sensiblement
étendues par la mise en place de la question préjudicielle de constitutionnalité en 2008
(2).
1) Les juges ordinaires et le contrôle de la loi: une vocation relancée.
L’article 54 de la Constitution de 1958 organisant le contrôle de constitutionnalité d’un
traité permet au juge constitutionnel de jouer un rôle important en raison du caractère
moniste de l’ordre juridique français (posé à l’article 55 du même texte, reprenant
l’article 26 de la Constitution de 1946), même si le Conseil constitutionnel estime que la
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supériorité des traités sur les lois présente un caractère «relatif et contingent» alors que
la supériorité de la Constitution sur la loi est «absolu et définitif» (décision du 15 janvier
1975). Il se refuse en conséquence à apprécier la conformité d’une loi à un traité («une
loi contraire à un traité n’est pas forcément contraire à la Constitution»), même si le
Conseil constitutionnel a eu l’occasion d’apprécier la conformité d’une loi à un traité
international en intervenant alors en sa qualité de juge électoral (décision du 21 octobre
1988, AN, 5e circonscription du Val d’Oise). Cette incompétence du juge constitutionnel
au profit des juges ordinaires peut remettre en cause le principe de la sécurité juridique
en raison de la dualité juridictionnelle. Ainsi, l’article 11 de la loi du 19 juillet 1977
relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d’opinion énonçait à
l’origine que «pendant la semaine qui précède chaque tour de scrutin ainsi que pendant
le déroulement de celui-ci, sont interdits, par quelque moyen que ce soit, la publication,
la diffusion et le commentaire de tout sondage». Cette interdiction ne concernait que la
publication, la diffusion et le commentaire des sondages mais non leur réalisation. Alors
que la Chambre criminelle de la Cour de cassation avait dans un premier temps jugé le
texte de la loi conforme à l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des
droits de l’homme, le 14 mai 1996, Albert du Roy, rejointe sur ce point par le Conseil
d’Etat (CE Ass. 17 février 1995, Meyet et autres, CE Sect. 2 juin 1999, M.Meyet, et CE 13
septembre 2000, Meyet), elle a changé de position dans un arrêt du 4 septembre 2001,
M.Amaury, provoquant ainsi une regrettable contrariété entre les deux juges ordinaires.
Le législateur a décidé de supprimer cette mesure dans une loi du 19 février 2002
modifiant la loi n° 77-808 du 19 juillet 1977 relative à la publication et à la diffusion de
certains sondages d’opinion.
Au-delà des juges ordinaires assurant un contrôle de conventionnalité, le juge
constitutionnel va désormais être amené à densifier son contrôle de constitutionnalité
avec la mise en place de la question préjudicielle de constitutionnalité.
2) Le juge constitutionnel et le contrôle de la loi: d’un contrôle a priori à un contrôle a
posteriori.
La technique de la question préjudicielle de constitutionnalité, souhaitée par le Président
Mitterrand dans son projet de révision constitutionnelle du 28 mars 1990, n’a pas été
consacrée à l’époque. Ce projet présidentiel de révision constitutionnelle présenté en
1990 (jugé nécessaire par le Comité «Balladur» en 2007) consistait à permettre aux
tribunaux judiciaires et administratifs (sauf devant les Cours d’assises en raison de leur
composition particulière), devant lesquels, au cours d’un procès ordinaire, se posait la
question de la constitutionnalité d’une loi, de renvoyer ladite question au Conseil d’Etat
ou à la Cour de cassation. Ceux-ci auraient opéré, dans un délai de trois mois, un filtrage
des requêtes avant une éventuelle transmission au Conseil constitutionnel. La
transmission de l’exception au Conseil d’Etat ou à la Cour de cassation suspendait le
cours de la procédure, sauf en matière d’instruction et dans les cas où la loi a imposé au
juge un délai pour statuer. Il s’agissait d’une procédure de renvoi par les tribunaux
ordinaires d’une question préjudicielle de constitutionnalité au Conseil constitutionnel,
étant entendu que la juridiction ordinaire pouvait d’elle-même clore définitivement le
contentieux en refusant de transmettre l’exception si elle lui apparaissait manifestement
infondée. Le juge ordinaire était ainsi privé de la capacité de juger lui-même la loi et
devait se contenter de la renvoyer au juge constitutionnel, alors que dans le cadre de la
technique de l’exception d’inconstitutionnalité chaque juge ordinaire peut apprécier luimême la constitutionnalité de la loi contestée dans le cadre du procès ordinaire (système
appliqué aux Etats-Unis). Ce projet fut voté par l’Assemblée nationale mais rejeté par le
Sénat. Il s’inspirait notamment du système allemand dans lequel cette procédure est
autorisée et aurait permis selon ses partisans «l’achèvement» de l’Etat de droit.
Le principe de la saisine indirecte du juge constitutionnel a été repris par l’article 26 du
projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
(2008) posant cependant deux limites: d’une part, seules les lois promulguées après
1958 étaient susceptibles d’évocation devant le juge ordinaire d’autre part, seules les lois
portant atteinte aux droits et libertés que celle-ci garantit étaient concernées (ce qui
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exclut toute contestation d’ordre formel ou procédural). La Loi constitutionnelle du 23
juillet 2008 a inséré dans la Constitution un nouvel article 61-1 alinéa 1er mettant en
place cette modalité de saisine («Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant
une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et
libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette
question sur renvoi du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un
délai déterminé») sans pour autant reprendre les deux limites susmentionnées puisque
l’article 62 alinéa 2 de la Constitution assure qu’«Une disposition déclarée
inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la
publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par
cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans
lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en
cause». Le Constituant a donc préféré renvoyer au juge constitutionnel lui-même, cas
d’espèce par cas d’espèce, le soin de fixer les conséquences d’une annulation éventuelle.
Au-delà des contrôles de constitutionnalité et de conventionnalité se dégage dorénavant
un contrôle de «fondamentalité».
B) L’émergence d’un contrôle de «fondamentalité»
Contrôle de constitutionnalité de la loi et contrôle de conventionnalité de la loi se
transcendent en un contrôle de «fondamentalité» (1) de nature à provoquer quelques
interrogations quant à sa pertinence (2).
1) Des procédures divergentes de contrôle réunies dans une finalité identique.
Devant les revirements jurisprudentiels initiés par l’arrêt Nicolo côté juge administratif et
l’arrêt Société des cafés Jacques Vabre côté juge judiciaire, le professeur Olivier Cayla
considère que le modèle européen d’une Cour constitutionnelle centralisant le contrôle de
constitutionnalité des lois a vécu pour faire place à un système voisin du modèle
américain où n’importe quel juge, à l’occasion de n’importe quel litige à propos de
n’importe quelle loi déjà en vigueur, peut se prononcer sur la constitutionnalité matérielle
de celle-ci. Si les droits conventionnels n’ont pas leur équivalent constitutionnel, en
revanche tous les droits constitutionnels relatifs aux droits de l’homme ont leur
équivalent conventionnel. De sorte que lorsque le juge administratif vérifie qu’une loi est
conforme à une disposition conventionnelle, il la confronte à une norme dont le contenu
est identique (ou presque) à celui de la norme constitutionnelle que le juge
constitutionnel considère de son côté pour apprécier la validité de la même loi. Et de
conclure, que le juge administratif (en réalité le juge ordinaire) et le juge constitutionnel
«s’adonnent au fond à la même tâche» dans une démarche parfois concurrentielle, tout
contentieux étant désormais susceptible d’avoir une dimension constitutionnelle. Le
professeur Denys de Béchillon rejoint cette conclusion en expliquant que «cet examen
«ordinaire» de conventionnalité des lois aboutit à contrôler leur conformité à un
ensemble de normes dont la teneur est, pour l’essentiel, identique à celle des règles
comprises au sein du bloc de constitutionnalité. De sorte que, matériellement parlant, il
faut bien se résoudre à constater qu’un équivalent de contrôle de constitutionnalité diffus
a posteriori se surajoute à notre système de contrôle concentré a priori», tout comme le
professeur Etienne Picard estimant que ces deux catégories de juges exercent sur les
lois, au-delà de la distinction théorique entre contrôle de conventionnalité et contrôle de
constitutionnalité, un identique «contrôle de fondamentalité»: «les juges dits «de
l’application de la loi» sont en train, au nom de ces droits fondamentaux, de commencer
à opérer sinon un contrôle de constitutionnalité des lois, du moins un contrôle de la
fondamentalité, à portée interprétative voire, déjà, neutralisante. Ce contrôle demeure
assez diffus et opère relativement en douceur - pour ne pas dire en douce». Du point de
vue de protection des droits fondamentaux, il est aujourd’hui artificiel de séparer les
deux contrôles. Matériellement et notamment en matière de protection des droits
fondamentaux, même la distinction s’estompe. En cas d’identité ou de similitude des
normes internationales, européennes et constitutionnelles de référence du contrôle, le
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juge exerce un contrôle à la lisière de la conventionnalité et de la constitutionnalité. Le
juge, qu’il soit constitutionnel ou ordinaire, devient un acteur de la loi et un garant des
libertés se rapprochant en cela de la conception anglo-saxonne du juge et s’éloignant
d’autant de la conception française traditionnelle (autrement dit révolutionnaire)
l’érigeant en protecteur de la loi.
Avec la diffusion continue du contrôle de conventionnalité de la loi, le juge ordinaire
devient le juge de la loi à l’instar du juge constitutionnel dans le cadre d’un contrôle
d’espèce, de compatibilité, a posteriori, relatif et contingent, caractéristiques en tout
point opposées à celles du contrôle de constitutionnalité. Pour autant, l’établissement
d’un contrôle de conventionnalité de la loi apparaît comme un contrôle de
constitutionnalité par voie d’exception selon la formule de Renaud Denoix de Saint-Marc.
Contrôle de constitutionnalité opéré par le juge constitutionnel et contrôle de
conventionnalité opéré par le juge ordinaire (l’un et l’autre encouragé par le juge
supranational, notamment la Cour européenne des droits de l’homme) se rejoignent au
sein d’un même contrôle de «fondamentalité» orienté vers la finalité suprême de
protection des droits fondamentaux. Par un processus itératif et symbiotique, l’essence et
la substance des contrôles diligentés par ces juges (national comme supranational,
ordinaire comme constitutionnel) dégagent un contrôle juridictionnel d’un genre nouveau
concourant au respect de l’Etat de droit et transcendant les modèles préétablis. Que la loi
en cause soit invalidée à raison de son inconstitutionnalité ou de son inconventionnalité,
dans les deux hypothèses celle-ci ne peut s’appliquer du fait de l’interprétation judiciaire
qui bloque en l’espèce l’«expression de la volonté générale». Si le constat s’avère en
réalité sans surprise pour le juge constitutionnel en raison des volontés des Constituants
en 1958, il devient en revanche plus déroutant concernant le cas du juge ordinaire.
L’impact d’une telle innovation mériterait cependant d’être relativisé dans la mesure où la
loi ne pouvant jamais être contestée en tant que telle devant le juge administratif, sa
mise en cause sera possible uniquement dans les hypothèses où des actes administratifs
en procèdent (CE 24 mai 1995, Brunet). Le contrôle de conventionnalité ne s’apparente
donc qu’à un contrôle par voie d’exception dont les effets demeurent limités au cas
d’espèce, d’autant que seules les dispositions législatives inconventionnelles imposant
l’édiction de règlements d’application ou servant de base à un quelconque acte
administratif pourront être éventuellement contrôlées (celles ne nécessitant pas ce genre
de règlement seront applicables en l’état et leur contestation sur le plan de la
conventionnalité ne pourra être soulevée). En outre, le caractère inconventionnel de la loi
n’étant pas considéré comme un moyen d’ordre public (CE Sect. 11 janvier 1992, S.A.
Morgane), les cas d’inconventionnalité ne seront que partiellement contestés. La loi
déclarée inconventionnelle par le juge n’est pas abrogée, n’est pas censée avoir jamais
existée, ne disparaît pas de l’ordonnancement juridique mais est simplement privée
d’effet dans l’espèce en cause. À l’exception de l’espèce, rien n’oblige les autorités
administratives parties au litige, et a fortiori celles tiers, voire les autorités
gouvernementales, à laisser inappliquée la loi en cause. Le Gouvernement interviendra
en fonction de ses intérêts propres et des difficultés qu’il est susceptible de rencontrer en
tirant les enseignements de l’inconventionnalité.
Cette innovation, de prime abord profitable aux libertés fondamentales, rencontre
cependant des limites.
2) Les limites de la fusion des contrôles.
Notre arsenal juridique ne contient pas forcément les ressources les plus adaptées à
régler les éventuels conflits pouvant survenir entre juges ordinaires au sein d’un même
ordre juridictionnel, entre juges ordinaires ou entre juge ordinaire et juge constitutionnel
en matière de conventionnalité d’une loi. La loi déclarée inconventionnelle n’est pas
annulée mais simplement écartée par le juge ordinaire, c’est-à-dire privée de son
application dans l’espèce ayant provoqué l’intervention du juge ordinaire. Elle n’est pas
soustraite à l’ordre juridique et continue d’y produire ses effets à l’exception de ceux
portant sur la situation individuelle du requérant. À l’évidence, l’égalité des citoyens
devant la règle de droit risque de pâtir de cette configuration et ce, d’autant que rien
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n’exclut qu’une ou plusieurs autres juridictions, saisies d’un moyen analogue à l’occasion
de litiges différents, ne portent sur la conventionnalité de la même loi des appréciations
dissemblables. Contrairement aux Etats-Unis, n’existe pas en France d’instance ultime
d’arbitrage comparable à la Cour suprême départageant les éventuelles divergences. De
surcroît, la France ne connaît pas de règle juridique adaptée contrairement aux pays de
«Common Law» qui confrontés depuis toujours à ces oppositions ont développé des outils
idoines tel le principe du précédent (stare decisis: «s’en tenir à ce qui a été décidé»).
Tout au plus, dispose-t-elle, pour régler de telles contrariétés de jugements, de la notion
d’autorité de la chose jugée. Partant, le professeur Denys de Béchillon préconise
d’instaurer une exception d’inconventionnalité devant le juge constitutionnel afin d’éviter
une «guerre de juges» et de limiter les inconvénients tenant au dualisme juridictionnel
français.
Par ailleurs, certains auteurs se sont interrogés sur l’utilité de la question préjudicielle de
constitutionnalité puisque depuis 1974, le nombre de lois déférées au Conseil continue
d’augmenter régulièrement. Mais cette objection n’emporte pas l’adhésion, d’une part,
car il se peut que l’on ne découvre l’inconstitutionnalité d’une loi qu’en observant ses
effets concrets. D’autre part, il ressort des statistiques que des lois n’ont jamais été
soumises au Conseil laissant ainsi des failles inquiétantes dans notre ordonnancement
juridique. L’exception d’inconstitutionnalité comme la question préjudicielle de
constitutionnalité permettent aux juges (ordinaires) de s’opposer à tout instant à
l’application d’une loi même si elle est apparue précédemment conforme à la Constitution
sur un point déterminé, lorsque, sur un autre point, elle produit des effets incompatibles
avec la Constitution. Avec ces techniques, il n’y a plus de risque que des règles
législatives contraires à la Constitution demeurent en vigueur très longtemps, c’est-à-dire
jusqu’à ce qu’elles fassent l’objet de modifications et soient ainsi susceptibles d’être à
nouveau contrôlées par le juge constitutionnel dans le cadre d’une procédure de contrôle
abstrait. Le professeur Jean Gicquel s’interrogeait en ces termes: «Comment, en effet,
concilier le fait que la cause d’un plaideur puisse être entendue par la Cour européenne
des droits de l’homme depuis 1981 et essuyer, dans le même temps, un refus devant le
Conseil?». On pouvait au surplus souligner que le système antérieur à 2008 pouvait
conduire les juridictions ordinaires à ne pas appliquer la Constitution mais à examiner au
fond le moyen tiré de la méconnaissance par le législateur d’un dispositif international
ayant un contenu comparable à celui de la norme constitutionnelle qui ne peut utilement
être invoquée (par exemple CE 8 décembre 2000, Parti nationaliste basque). Il y avait de
toute évidence quelque paradoxe à offrir aux juges ordinaires la faculté de bloquer la loi
inconventionnelle et de leur ôter toute possibilité d’intervention envers une loi
inconstitutionnelle tant les substances du texte constitutionnel et des textes
supranationaux se rejoignent. Avant la révision de 2008, la seule intervention citoyenne
face à des dérives législatives liberticides pouvait éventuellement consister dans le
recours à la loi du 30 juin 2000 relative au référé devant les juridictions administratives
consacrant le «référé liberté», même si sa sollicitation en la matière n’a pas encore
donné de résultas probants à l’occasion d’un procès ou dans le cadre d’une démarche
plus inédite. En tout état de cause, pour le même professeur Jean Gicquel, par
l’entremise de cette réforme du 23 juillet 2008, «l’Etat de droit sera couronné, élevé à la
perfection» alimentant ce faisant un accroissement d’activité qui pourrait impliquer une
augmentation des membres du Conseil constitutionnel (de neuf à douze par exemple), et
l’«injustice constitutionnelle» dénoncée par la professeure Anne-Marie Le Pourhiet serait
surmontée.
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