L`émergence d`un droit constitutionnel de l`environnement

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ACTUALITE DU DROIT CONSTITUTIONNEL
Thème 4 : L’émergence d’un droit constitutionnel de l’environnement
L’ajout au texte constitutionnel d’une Charte de l’environnement par la révision
constitutionnelle du 1er mars 2005 constitue un événement majeur pour l’évolution du
droit constitutionnel et pour la protection de l’environnement. Aussi faut-il revenir, avec
un peu de recul sur cette évolution.
Il convient tout d’abord de rappeler que le Conseil n’était pas complètement fermé
à l’égard des préoccupations environnementales puisqu’il avait fait preuve d’attention à
ce sujet, notamment en mentionnant la protection de l’intérêt général – CC n° 2002-464
DC, 27 décembre 2002, Loi de finances pour 2003, où il considère « qu’il est loisible au
législateur, dans le but d’intérêt général qui s’attache à la protection de l’environnement,
de faire prendre en charge par des personnes mettant des imprimés à la disposition du public
le coût de collecte et de recyclage desdits imprimés » - ou encore la protection du droit de
propriété. Mais ces références sont sans commune mesure avec l’énoncé par le pouvoir
constituant d’un ensemble cohérent de normes environnementales.
Il faut également noter qu’il existait une pression comparatiste car les constitutions
étrangères sont nombreuses à comporter des dispositions relatives à l’environnement,
généralement sous la forme de garanties objectives (obligations imposées aux pouvoirs
publics dans les politiques qu’ils développent). Ainsi, par exemple, en Allemagne, l’article
20A de la LF, issu d’une révision constitutionnelle de 1994, n’institue pas l’environnement
comme droit subjectif, mais en fait une finalité assignée à l’Etat qui conditionne les
autres droits fondamentaux.
On peut aussi mentionner une pression communautaire dans la mesure où la
France était l’Etat le plus condamné en carence en matière environnementale en 2004
(38 condamnations selon Pascal JAN).
Aussi faut-il désormais préciser dans quelle mesure la constitutionnalisation du
droit de l’environnement opérée par la Charte de 2004 est susceptible d’améliorer la
protection de l’environnement. Pour ce faire, il faut rapidement rappeler son contenu :
droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, devoir pour toute
personne de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement, devoir de
prévenir les atteintes qu'elle est susceptible de porter à l'environnement ou, à défaut, en limiter
les conséquences ; devoir de contribuer à la réparation des dommages qu'elle cause à
l'environnement ; principes de précaution et de développement durable ; droit d'accéder aux
informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à
l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement...
§ 1 – UNE CONSTITUTIONNALISATION METHODOLOGIQUEMENT FRAGILE
A – Un « adossement » contestable
- Rédaction de la Charte par une commission de réflexion, suite à une consultation
nationale qui a laissé peu de marges aux parlementaires…
- Sens étymologique : tourner le dos à la constitution (cf. Romi).
- 3ème volet de normes mentionnées dans le Préambule comme une troisième génération de
droits (mais ce traitement est dépassé dans la mesure où il n’y a plus de décalage juridique
entre les générations de droits proclamés). Mais la comparaison circonstancielle est
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largement défavorable à la Charte (argument de R. Badinter) : cet alignement sur les deux
textes fondateurs de 1789 et 1946 est incontestablement maladroit, d’autant qu’il conduit
à décliner des principes en droits (cf. §1, B).
=> risque de réduction de la juridicité de la Charte…
B – Des affirmations de nature incertaine
- La consécration constitutionnelle renvoie à une volonté de fonder les normes
environnementales – avec la consécration du développement durable – et de guider les
législations.
- Les bénéficiaires sont incertains : mention du peuple français, de la solidarité entre les
générations et de l’humanité…
- transformations de principes en droits fondamentaux, avec notamment une
subjectivation du droit à l’environnement sain.
- Affirmation simultanée de nombreux devoirs pour « toute personne » et de directives
pour les autorités publiques qui ne permettent pas de déterminer clairement le caractère
objectif ou subjectif des garanties apportées…
=> incertitudes sur le sort contentieux et la portée exacte de ces affirmations :
Quant à savoir si ce texte sera suffisamment normatif pour fonder de multiples censures,
il est encore un peu tôt pour le dire. La doctrine (B. MATHIEU, « La portée de la Charte
pour le juge constitutionnel », AJDA 2005, p. 1170 ; N. CHAHID-NOURAÏ, « La portée de
la Charte pour le juge ordinaire », AJDA 2005, p. 1175) s’accorde à dire que ce texte
comporte beaucoup de dispositions sans effet juridique, parfois purement politiques :
« l’avenir et l’existence de l’humanité sont indissociables de son milieu naturel »… D’autres
peuvent avoir un effet juridique, même si leur portée risque de rester assez faible ; tel est le
cas de la proclamation « l’environnement est le patrimoine commun des êtres humains »
ou de l’article 9 qui impose à la recherche et à l’innovation d’apporter « leur concours à la
préservation et à la mise en valeur de l’environnement ». Certaines dispositions ont en
revanche une indéniable portée juridique. Il apparaît ainsi que la Charte comporte des
énoncés qui pourront être consacrés soit sous la forme de principes juridiques, soit sous
celle d’objectifs à valeur constitutionnelle. Il est du reste assez vraisemblable, dans la
mesure où l’arbitrage sur la valeur des énoncés se fait habituellement en fonction de leur
caractère plus ou moins impératif de l’énoncé, de l’importance de la norme du point de
vue social et de l’intention des auteurs (selon la grille traditionnelle de lecture du CC) que
les seconds seront plus nombreux que les premiers. L’affirmation est d’autant plus vraie
que certaines dispositions sont encadrées par un verrou législatif exprès qui contraint
théoriquement
les individus à attendre une intervention législative pour pouvoir les
mobiliser (ex : devoir de prévention, droit à l’information et à la participation…). Au
final, un seul principe d’application directe semble résulter de la Charte : le fameux
principe de précaution, auquel le CC refusait jusqu’alors le statut d’OVC : CC, n° 2001-446
DC, 27 juin 2001, Loi relative à l’IVG et à la contraception.
Les premières jurisprudences confirment d’ailleurs ce pronostic, puisque le Conseil
semble avoir consacré le devoir pour les autorités publiques de promouvoir un
développement durable au rang d’OVC (décision n° 2005-514 DC du 28 avril 2005 Loi
relative à la création du registre international français ; n° 2005-516 DC du 7 juillet 2005 Loi
de programme fixant les orientations de la politique énergétique), mais n’a pour l’heure
censuré aucun dispositif législatif sur ce fondement. D’autres énoncés pourraient connaître
le même sort : droit de vivre dans un environnement sain et équilibré, devoir de prendre
part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement… Rappelons que de tels
OVC peuvent soit servir à sanctionner des dispositions législatives allant à leur encontre,
soit justifier que le législateur porte atteinte à d’autres exigences constitutionnelles au
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nom de la poursuite de ces objectifs (ex : liberté d’entreprendre, droit de propriété). Quant au
principe de précaution, outre le fait qu’il pourra justifier des atteintes à d’autres exigences
constitutionnelles (ex : liberté contractuelle, liberté d’entreprendre, droit de propriété…), il
pourrait entraîner un alourdissement des contraintes législatives pesant sur les entreprises
et les services publics, mais sa mise en œuvre reste pour l’heure encore très timide. Le
Conseil n’a en effet pas encore décidé s’il le traitait comme un simple principe procédural
(comme la CJCE ou le juge administratif) ou s’il en faisait un principe porteur
d’obligations substantielles, choix qui pèsera fortement sur l’influence jurisprudentielle
du principe. De manière général, la Charte ne devrait pas laisser totalement immobile les
lignes de la jurisprudence constitutionnelle, même si les deux premières années de mise
en œuvre attestent une réelle timidité. De fait, le législateur devrait intégrer plus
globalement les préoccupations environnementales, en ne les prenant plus seulement en
compte dans les lois spécifiques au secteur, mais en les intégrant à l’ensemble de sa
politique législative. A cet égard, l’usage de la Charte dans le cadre de la jurisprudence
permettant, à titre exceptionnel, au Conseil de contrôler la constitutionnalité d’une loi
promulguée « à l’occasion de l’examen de dispositions législatives qui la modifient, la
complètent ou affectent son domaine » (CC n° 85-187 DC, 25 janvier 1985, Etat d’urgence en
Nouvelle-calédonie) pourrait être une arme essentielle, à condition de l’utiliser…
Mais la jurisprudence constitutionnelle n’est pas la seule à pouvoir faire application de
ce texte, même si elle est essentielle dans la mesure où elle est susceptible d’influencer les
prises de position des juges ordinaires. S’agissant de ces derniers, ils font parfois
directement application du Préambule de la Constitution, même si la théorie de la loi
écran perdure et les conduit donc souvent à refuser d’opérer un contrôle de constitutionnalité
de la Loi : Cass. Civ. I, 1er octobre 1986 ; CE, 23 avril 1997, GISTI. C’est pourquoi ils
appliqueront certainement des normes législatives contraires à la Charte, mais
généralement après un effort de conciliation. Pour autant, des applications de la Charte ne
sont pas inenvisageables, même si elles seront certainement plus le fait du juge
administratif que du juge judiciaire (celui-ci étant moins quotidiennement aux prises avec
le droit de l’environnement, sauf en matière de responsabilité civile et pénale). Pour le
premier, la Charte pourrait jouer un rôle en matière de référé, notamment dans le cadre du
référé-liberté, mais aussi dans le contentieux de l’annulation (même si la compétence
administrative s’est réduite en 2005 et si des conciliations avec d’autres principes ou textes
internationaux sont nécessaires) et de la responsabilité. Ainsi, une appropriation de la
Charte par les requérants tentant d’en mobiliser directement les dispositions est à
prévoir et on ne saurait exclure qu’elle puisse produire dans le temps plus d’effets que sa
rédaction initiale pouvait le laisser penser (cf. à titre d’exemple d’usage CE, 19 juin 2006,
Association Eau et rivière de Bretagne)… Ainsi, pour l'heure, le texte n'apporte donc
guère de changements, mais il pourrait un jour être mobilisé plus fréquemment et de
manière plus contraignante.
§2 – UNE CONSTITUTIONNALISATION MATERIELLEMENT INCERTAINE
A – L’absence de définition de l’environnement
- Absence de définition de l’environnement dans la Constitution : quelle signification ?
Renvoi aux définitions des normes législative (article L. 110-1 du Code de
l’environnement : « Les espaces, ressources et milieux naturels, les sites et paysages, la
qualité de l’air, les espèces animales et végétales, la diversité et les équilibres biologiques
auxquels ils participent font partie du patrimoine commun de la nation ») et internationale
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(par exemple la Convention de Lugano du 21 juin 1993 « Les ressources naturelles abiotiques
et biotiques, telles que l’air, l’eau, la faune et la flore et l’interaction entre les mêmes
facteurs ; les biens qui composent l’héritage culturel et les aspects caractéristiques du
paysage » ? Mais impossible du fait de la logique en hiérarchique en cas d’antinomie ou
même simplement si une définition implicite peut-être déterminée à partir de la
Charte…
- Difficile d’appréhender l’environnement lui-même à travers les normes posées par les
différents articles ou encore à travers l’exposé des motifs… Il s’en déduit simplement qu’il
a « un lien avec la nature comme condition de vie humaine » (Xavier BIOY,
« L’environnement, nouvel objet du droit constitutionnel », in Henry ROUSSILLON, Xavier
BIOY et Stéphane MOUTON, Les nouveaux objets du droit constitutionnel, PUSST, 2006, p.
29).
- Il en résulte une définition a priori spécifique, mais impossible à établir précisément : la
constitutionnalisation ne s’opère pas à droit constant. De fait, la place hiérarchique
implique des fonctions différentes et modifie donc le contenu même des notions
juridiques.
=> risque de voir exclure l’application de la Charte là où des normes législatives
assuraient une protection sur le fondement de la définition du Code de l’environnement.
B – Des risques de régression
- Renvoi fréquent à la loi peut être lu comme un affaiblissement de la
constitutionnalisation ou un effet d’incitation à l’égard du législateur. Il se lit aussi
comme la consécration implicite du principe communautaire d’intégration des
préoccupations environnementales dans tout dispositif législatif… ce qui marque
l’abandon des politiques environnementales sectorielles. Dans cette perspective, la Charte
s’accompagne d’un ajout à l’article 34 puisque le législateur est désormais compétent pour
poser les principes « de la préservation de l’environnement ».
- Reprise du contenu de normes législatives, ce qui implique un simple contrôle de l’effet
cliquet par le juge constitutionnel. Dès lors, le rehaussement formel ne se traduit pas par
un renforcement de la contrainte environnementale.
=> pas d’innovation majeure du fait de la révision constitutionnelle.
- Absence de la « citoyenneté environnementale » pour ouvrir des procédures de
proximité…
- Définition assez restrictive du droit à l’information (article 7), peu en phase avec les
exigences de la directive communautaire du 23 janvier 2003 inspirée par la Convention
d’Aarhus.
- Absence de constitutionnalisation du principe « pollueur-payeur » très ennuyeux au
moment où se met en place un marché de quotas d’émission de polluants… N’apparaît pas
en tant que tel et son contenu est de toute façon très édulcoré (cf. article 4). Mais possibilité
d’éviter les exonérations législatives de responsabilité.
- Abandon de la qualification de principe pour les normes relatives à la prévention, la
participation… mais pas pour la précaution. Ces normes deviennent des devoirs pour
« toute personne », expressions juridiques de la participation de l’individu au groupe…
Parfois, la densité s’en ressent, comme pour le principe de prévention, qui se fond dans
l’idée d’une réduction des conséquences néfastes de la pollution. Il en va de même pour
l’énoncé « pollueur-payeur » qui perd de ce fait toute précision quant aux obligations
qui en découlent.
- Droit à l’environnement équilibré (article 1) très – trop ? – lié à la santé et ce caractère
sanitaire de l’environnement peut réduire sa portée (notamment par rapport à la faune ou à
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la flore).
- Le principe de précaution semble remplacé par un principe d’anticipation opposable
aux seules autorités publiques. Par ailleurs, les conditions relatives au dommage « grave
et irréversible » demeurent les mêmes, et restent donc en-deçà de la formulation de Rio
(« grave ou irréversible »). En revanche, la condition d’un coût économiquement
acceptable, très critiquée dans la loi Barnier du 2 février 1995, disparaît.
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