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Résumé
Depuis la chute de Lehmann Brothers, les Français font preuve de plus de prudence dans leurs placements financiers. Une
série d’enquêtes (Pater), réalisées entre 2007 et 2014, a mesuré l’évolution des comportements. Le nombre d’actionnaires
déclarés a ainsi diminué de 50 % entre décembre 2008 et mars 2015, tandis que les dépôts sur le livret A ont progressé. Les
ménages eux-mêmes se déclarent plus prévoyants. Face à ces constats, il est tentant de conclure que la crise rend les
particuliers plus averses au risque. Mais cette conclusion n’est-elle pas un peu rapide ? Existe-t-il d’autres facteurs explicatifs
à ces changements d’attitude ?
Les choix en matière d’épargne dépendent de trois grands types de facteurs. Tout d’abord, les « ressources » disponibles
de l’individu. Il s’agit évidemment de son patrimoine mais aussi de son capital santé, son niveau d’éducation, ses
connaissances financières… Ensuite, la perception de l’environnement et les anticipations vis-à-vis du futur. Cette catégorie
regroupe des éléments économiques (évolution de salaire, risque de chômage, montants de la future pension de retraite…),
tout comme les anticipations en matière d’état de santé ou d’espérance de vie, voire même celles concernant les évolutions du
système de protection sociale. Enfin, les préférences de l’individu à l’égard du risque et du temps. Ces facteurs renvoient au
degré d’aversion au risque et à la préférence pour le présent (la façon dont un individu pondère le bien être futur par rapport à
son bien être présent). Les préférences de l’épargnant influent en effet sur les arbitrages entre consommation et épargne.
Un des points régulièrement discutés dans la littérature académique est la mesure de l’aversion au risque.
Traditionnellement, les études l’évaluent via des critères quantitatifs, comme les échelles de risque à la Likert (sur une
échelle de 0 à 10, la personne auto-évalue sa propension à prendre des risques), ou via des questions sur des choix
d’investissements financiers virtuels. La méthode de scoring utilisée ici est différente puisqu’elle inclut des mesures
qualitatives afin de dessiner un « portrait psychologique » de l’épargnant. On mesure les préférences des individus Via des
questions portant sur les différents aspects de la vie (consommation, travail, sport, etc.).
Les résultats de l’enquête montrent que, pour une majorité de ménages, les ressources disponibles étaient « encore peu
touchées » par la crise en 2014. La baisse des revenus ne peut donc pas justifier les changements des comportements
financiers. L’explication vient elle, dans ce cas, d’une plus grande aversion au risque ? Les méthodes de mesure
traditionnelles, souvent sensibles à l’environnement économique, vont dans ce sens puisqu’elles indiquent une augmentation
de l’aversion relative au risque. Mais les « scores » donnent une vision contradictoire. Selon cet outil, les épargnants ont
toujours la même attitude à l’égard du risque. La préférence temporelle est également restée stable : le « goût » pour
l’épargne n’a guère évolué.
La nouveauté est ailleurs, dans la perception de l’avenir. Les individus sont devenus beaucoup plus pessimistes, en
particulier après la crise des dettes souveraines de 2011. Ils revoient leurs anticipations à la baisse : alors que les personnes
interrogées tablaient sur une progression de leurs revenus de 3 % en 2007, elles anticipaient une stagnation en 2011 et en
2014. De même, le rendement moyen anticipé sur le marché boursier passe de 5,6 % en 2007 à 0 % en 2011 et 1,4% en 2014.
Plus pessimistes à l’égard de la bourse, les Français s’en éloignent…
La plus grande prudence des épargnants dans leurs placements financiers s’explique ainsi davantage par leur perception
plus sombre de l’environnement économique, et non par un changement des préférences vis-à-vis du risque. Pourquoi investir
dans des actions si on est persuadé qu’elles ne rapporteront rien ?