D O S S I E R Les enjeux de la prise en charge psychosociale dans la surveillance des patientes traitées pour cancer du sein lJean-Marie Dilhuydy*, M.H. Monira*, L. Gilbeau, V. Vendrely* L a prise en charge globale des patientes en cancérologie mammaire implique un soutien psychologique et un accompagnement social, qui sont indissociables. L’enjeu en est la préservation d’un équilibre et d’une qualité de vie, malgré les traitements et leurs effets secondaires, dont les conséquences sont parfois très lourdes sur la vie familiale, affective, relationnelle et professionnelle. Cette prise en charge pluridisciplinaire doit être mise en œuvre dès l’entrée en maladie et doit être poursuivie pendant le traitement et tout au long de la surveillance post-thérapeutique, afin de faciliter les mécanismes d’adaptation à chaque étape du parcours singulier de la patiente. Nous limiterons notre propos à la prise en charge pendant le traitement et l’intervalle libre, sans aborder les problèmes spécifiques de la rechute. ASPECTS PSYCHOLOGIQUES PENDANT ET APRÈS LE TRAITEMENT Les réactions psychologiques des femmes traitées pour un cancer du sein sont dominées par l’angoisse et la dépression. Un soutien et un traitement spécifiques sont souvent utiles. L’adaptation à la maladie, véritable rupture biographique, aux traitements, à l’incertitude du pronostic et à la crainte d’une rechute dépend de la personnalité de la patiente, de ses ressources psychologiques, de son réseau de soutien naturel, familial, professionnel, et du soutien apporté par l’équipe soignante. À l’annonce du diagnostic et des modalités du traitement, comme à l’annonce de la rechute, on peut observer des réactions très diverses, telles que la passivité complète, la contestation, le déni, la crise d’angoisse généralisée et, plus rarement, le refus total du traitement. Les différentes réactions sont liées au travail de deuil et à la perte possible de la vie. Elles doivent permettre d’aboutir à l’acceptation de la situation pour s’y adapter. On peut observer un blocage pathologique dans le déni qui risque d’entraver le dialogue avec l’équipe soignante et de retarder la mise en route du traitement. L’aide d’un psychiatre peut être nécessaire. La détresse psychologique peut persister pendant tout le traitement, voire des années après, alors que le pronostic est favorable. La consultation de surveillance peut raviver cette problématique. Le traitement chirurgical conservateur peut entraîner un meilleur ajustement de l’image corporelle que le traitement mutilant, mais les études randomisées montrent que les * Institut Bergonié, 180, rue Saint-Genès, 33000 Bordeaux. La Lettre du Sénologue - n° 11 - décembre 2000/janvier/février 2001 séquelles sont identiques, avec une peur similaire de la récidive. Il est certain qu’un traitement conservateur qui ne satisfait pas la patiente est aussi mal vécu qu’une mastectomie qui, par ailleurs, peut être souhaitée et choisie. La mastectomie est souvent vécue comme une véritable blessure narcissique, avec un retentissement important sur la vie affective et la libido. À la crainte d’une récidive s’associent des sentiments de honte, voire de culpabilité. L’âge reste un élément significatif : les femmes jeunes craignent des perturbations dans leur vie de couple et dans leur vie relationnelle alors que les femmes âgées, déjà fragilisées par les stigmates naturels du vieillissement auxquels s’ajoute l’amputation du sein, ont peur de devenir isolées et dépendantes. Si environ 10 % des patientes désirent une reconstruction mammaire, la plupart sont satisfaites du résultat obtenu. Cette satisfaction entraîne une nette amélioration au plan psychologique avec un retentissement bénéfique sur les plans sexuel et social. Certains auteurs préfèrent proposer une reconstruction différée pour que les patientes aient le temps de faire le deuil nécessaire de leur sein avant d’accepter un sein reconstruit, qui ne sera pas obligatoirement idéal. En réalité, il n’y a pas de différence dans l’ajustement psychologique et à long terme : une étude randomisée n’a montré aucune différence entre reconstruction immédiate et reconstruction différée. La chimiothérapie adjuvante a un impact psychologique particulièrement important en raison de sa réputation et des effets secondaires délétères. Les patientes souhaitent une information précise sur ces effets avec un traitement optimal. L’alopécie, les nausées, les vomissements, la prise de poids sont autant d’atteintes à l’image de soi. La persistance de nausées ou de vomissements anticipatoires au traitement peut perdurer plusieurs mois après l’arrêt de la chimiothérapie, par exemple à l’odeur ou à la vue d’un plat cuisiné proposé pendant la chimiothérapie. Les conseils d’une diététicienne pendant le traitement, une psychothérapie, un traitement antidépresseur ou anxiolytique peuvent être très utiles pendant et après la chimiothérapie. La radiothérapie est responsable de réactions anxieuses liées à la peur de la procédure et des appareillages, à la crainte des effets secondaires (“brûlures”). Une réassurance des patientes par une information claire et sans cesse répétée est nécessaire pour maintenir une relation de confiance avec l’équipe de radiothérapie. Des supports informatifs écrits et audiovisuels sont très utiles ; ils permettent de décrire le déroulement du traitement et expliquent le bien-fondé de la technique. La plupart des patientes supportent mal les déplacements quotidiens, que la famille, souvent, ne peut pas assumer, ainsi que 33 D O S S I E l’attente en salle commune, où elles sont confrontées à des patients sur brancard ou en état général précaire. La fin de la radiothérapie peut être vécue comme un soulagement, mais beaucoup de patientes ont peur d’être abandonnées, de ne pas être suivies. La prise en charge par le radiothérapeute peut faire l’objet d’une attitude addictive, d’autant plus que le tissu social est distendu. Un calendrier précis de surveillance doit être proposé d’emblée. On peut retrouver les mêmes troubles soit en fin de chimiothérapie soit en fin de radiothérapie, avec une majoration de l’anxiété par peur de l’abandon par l’équipe médicale et par crainte d’une récidive. Certaines patientes en détresse psychologique sont incapables d’utiliser des stratégies efficaces d’adaptation (coping). La participation active de la patiente peut être obtenue par différentes méthodes, qui ont toutes le même bénéfice : éducation médicale de la patiente, psychothérapie individuelle, interventions de groupe, techniques comportementales (relaxation musculaire, hypnose, méditation, réflexion passive et visualisation, techniques respiratoires). LA FATIGUE Le vécu psychologique de la maladie est intimement lié à la fatigue ressentie par la patiente. Il existe une relation interactive entre la fatigue, la dépression, les troubles du sommeil, majorés par les effets secondaires du traitement. La sensation de fatigue pendant le traitement peut perdurer pendant des mois, voire des années, après le traitement. Elle ne peut être banalisée ni par l’équipe médicale institutionnelle, ni par le médecin de famille, ni par l’entourage. La chimiothérapie, par ses effets secondaires hématologiques et autres, peut entraîner une asthénie indéniable. La ménopause qu’elle peut induire est aussi l’une des causes possibles de la fatigue. Pendant la radiothérapie mammaire ou pariétale, on observe une majoration de la fatigue pendant la dernière semaine ; elle ne régresse que trois mois après le traitement. Plusieurs échelles d’évaluation de la fatigue ont été décrites dans la littérature. Elles permettent de rendre plus objective une sensation tout à fait subjective, avec son retentissement physique, affectif, sensoriel et cognitif afin de mieux la prendre en compte et de prévoir un soutien adapté. Certains auteurs conseillent de s’adapter à la fatigue par le repos à la demande, d’autres proposent des programmes d’activités physiques bénéfiques (marche, aquagym, stretching, etc.). ASPECTS SOCIAUX Les besoins sociaux doivent être pris en compte de façon systématique pendant et après le traitement, au même titre que la problématique psychologique et émotionnelle. L’accompagnement social est non seulement complémentaire de l’aide psychologique, mais il la conforte. Parmi les patients atteints d’un cancer, les femmes sont, avec les patients à faible revenu et les célibataires, ceux qui posent le plus de problèmes sociaux. 34 R L’assistante sociale (assistante socio-éducative), par son écoute empathique, par ses conseils d’expert et ses interventions, aide la patiente et sa famille à se repérer dans le dédale législatif pour une prise en charge dans des domaines très divers : soins, transports, achat de prothèses mammaires ou capillaires, aide à domicile, aide financière (prêt bancaire, remboursement de dettes, etc.), placement hors domicile, médiation auprès de divers organismes sociaux, orientation pour l’embauche et la reprise du travail, orientation vers une COTOREP (Commission d’orientation et de reclassement professionnel) lorsque la reprise du travail est impossible au poste initial, etc. Le soutien social peut se faire à la demande de la patiente et de sa famille ; on l’envisage actuellement dans un programme systématique dès l’entrée en maladie, avec bilan des ressources et évaluation des problèmes qui risquent d’émerger. Un suivi social doit être organisé après le retour à domicile. L’enjeu est d’éviter l’installation de situations inextricables dont les conséquences peuvent être catastrophiques pour l’ensemble de la famille. Le suivi social rassure aussi la patiente et sa famille ; par les solutions pragmatiques proposées, il facilite une réinsertion précoce et durable. On ne doit pas oublier qu’il existe un lien entre vulnérabilité médicale et précarité sociale : le cancer se situe en quatrième position comme cause de précarité sociale, après les troubles mentaux, les maladies cardiovasculaires et les maladies neurologiques. CONCLUSION Cancérologues, sénologues, psycho-oncologues, psychiatres, infirmiers, manipulateurs, kinésithérapeutes, diététiciennes, assistantes sociales, gynécologues, sexologues, médecins de famille, groupes de parole… sont autant d’intervenants potentiels pour optimiser la prise en charge globale des patientes atteintes d’un cancer du sein. Leurs rôles respectifs dans le soutien psychosocial sont complémentaires. Les associations d’anciens malades, la Ligue nationale de lutte contre le cancer (LNLCC) avec ses Comités départementaux peuvent aussi aider les patientes et les conforter par la pertinence de leurs conseils. Enfin, il faut insister sur la qualité de l’information prodiguée aux patientes, non seulement dans le cadre incontournable du dialogue médecin-malade et des relations avec les divers intervenants, mais encore par des documents ou par des livrets d’information. L’information est un besoin fondamental des personnes malades. Le projet “SOR (Standards, options, recommandations) – savoir – patient” de la Fédération nationale des Centres de lutte contre le cancer (FNCLCC) vient d’aboutir, à l’occasion des deuxièmes États généraux des malades atteints d’un cancer organisés par la LNLCC, à la publication d’un document de 111 pages avec glossaire sur le cancer du sein. Ce document apporte une information compréhensible, accessible et systématiquement actualisée, validée par des spécialistes et un groupe de patientes. Il sera diffusé sous forme de monographies, en particulier grâce à la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), et sera accessible sur les sites internet de la FNCLCC et de la LNLCC. n La Lettre du Sénologue - n° 11 - décembre 2000/janvier/février 2001 P O U R E N S A V O I R P L U S . . . 1. Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (ANAES). Recommandations et références professionnelles. Suivi des patientes traitées pour un cancer non métastasé. 1999. 2. Coulter A, Entwistle, Gilbert D. Informing patients : an assessment of the quality of patients information materials. Br Med J 1999 ; 318 : 1494-2005. 3. Curran D, Van Dongen JP, Aaronson NK et al. 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